mardi 10 novembre 2020

10 Novembre 1789 : Marat rappelle qu’il n’y a pas de révolutions sans émeutes populaires.

Combien de révolutions en même temps ?

Promulgation de la loi martiale, le 22 octobre 1789
(Collection personnelle )
    En ce mois de novembre 1789, plusieurs révolutions se déroulent en même temps. Combien de révolutions ? Au moins deux, peut-être même trois.

    Il y a la révolution de la bourgeoisie, que celle-ci pense avoir gagnée et même terminée ; à présent qu’elle a son assemblée et qu’elle rédige la constitution de la monarchie constitutionnelle dont elle rêvait.

    Il y a celle du peuple. C’est cette révolution-là qui a vraiment renversé le pouvoir en place. Mais elle n’est pas près de se terminer. Le peuple commence seulement à prendre conscience de son pouvoir.

    Et puis il y a "peut-être" celle de Louis XVI. Un roi "peut-être" moins stupide qu’il n’y paraît. Mais j’insiste bien sur le "peut-être". (Nous en reparlerons)


L’affaire n’est pas conclue.

    Nous avons beaucoup parlé ces dernières semaines de la première révolution, celle de la bourgeoisie. Ne sous-estimons pas ses efforts, ses représentants à l’assemblée sont à l’origine de nombreuses réformes qui vont faire progresser le pays. Mais ne soyons pas aussi naïfs que ces braves députés, l’affaire n’est pas conclue ! Les Parlements commencent à se rebeller. Ils refusent les décrets de l'Assemblé nationale, comme ils refusaient déjà auparavant les tentatives de réformes du roi. Le clergé commence à réagir à la nationalisation de ses biens. Une contre-révolution s’organise bel et bien.

    Les députés ont déjà oublié que ce sont les émeutes populaires qui les ont portés à ce qu’il faut bien appeler un nouveau pouvoir, le pouvoir législatif (celui de faire des lois). Ce sont aussi des émeutes populaires qui les ont protégés de la répression militaire qui se préparait à la veille du 14 juillet, et peut-être aussi de celle qui semblait bien se préparer fin septembre, avec ces nouvelles troupes que le roi rappelait à lui.

    Leur peur de la populace les a fait promulguer le 22 octobre la loi martiale, défendant au peuple tout rassemblement et le menaçant de répression militaire en cas de désobéissance. La peur du danger que leur inspire le peuple les fait oublier le réel danger de la contre-révolution et cet aveuglement durera longtemps encore.


Malgré les poursuites du tribunal de Paris, Marat s'exprime de nouveau !

Jean-Paul Marat

    Dans ce numéro 34 du mardi 10 novembre 1789, de l’Ami du Peuple, Marat s’insurge encore et encore contre ce funeste décret de la loi martiale. Il rappelle dans quelle précipitation il a été promulgué le 22, le lendemain de l’émeute qui avait donné lieu à l’horrible assassinat du boulanger François. Souvenons-nous à ce sujet, que dans son numéro du 5 novembre, Marat avait expliqué que c’était la municipalité de Paris qui avait désigné les boulangers comme responsables du manque de pain ! Marat proteste également contre le fait que la commune de Paris soit venue demander à l’assemblée de suspendre l’exécution de la réforme de la procédure criminelle, et de conserver à la juridiction prévôtale, c’est-à-dire le tribunal du Châtelet, ses anciennes attributions. En effet, nous en avions parlé, dans la foulée de la loi martiale, le 24 Octobre, le roi Louis XVI a autorisé le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation".

 

Marat craint les suites funestes de ce décret.

« Non, il n’est point de malheurs qu’on n’ait sujet d’attendre de ce funeste décret ; point d’attentats dont il ne soit la source.

En ordonnant aux troupes de marcher contre les citoyens assemblés, il a anéanti la nation, qui n’existe que par la réunion des individus. En sévissant contre les officiers et les soldats qui refuseront d’opprimer leurs frères, il divise les citoyens ; il les oppose les uns aux autres, et les mets aux prises pour s’entr’égorger. »

Marat rappelle comment ce décret a été si hâtivement préparé.

« Mû par des motifs que j’espère pouvoir dévoiler un jour, le comte Mirabeau avait proposé une loi martiale contre les attroupements. On a profité de l’émeute de la veille pour faire sentir la nécessité de reprendre la discussion de cette motion. Les députés de la commune de Paris s’étaient présentés deux fois dans le même jour, pour en presser le décret, lorsque le comité de constitution en a soumis le projet à l’Assemblée, qui l’a adopté, après un léger amendement, et l’a immédiatement envoyé à la sanction. Peu après les députés de la commune de Paris se sont présentés une troisième fois, pour demander à l’assemblée de suspendre l’exécution de la procédure criminelle, et de conserver à la juridiction prévôtale ses anciennes attributions (1). Plusieurs membres se sont élevés contre cette demande qui portait atteinte aux décrets passés. Le Président leur a répondu que l’assemblée examinerait leur proposition, la séance a été levée. »

Marat précise dans une note en bas de page :

« C’est là un réchauffé de la tentative que le ministre a faite, il y a près de deux mois, pour attribuer à la prévôté la connaissance des émeutes et attroupements. Le plan du cabinet est constant ; mais il passe par différentes mains, comme une pièce de fausse monnaie, que des fripons cherchent à couler. »

Marat rappelle que la révolution doit tout aux émeutes populaires !

« D’abord, le peuple ne se soulève que lorsqu’il est poussé au désespoir par la tyrannie. Que de maux ne souffre-t-il pas avant de se venger ! Et sa vengeance est toujours juste dans son principe, quoiqu’elle ne soit pas toujours éclairée dans ses effets ; au lieu que l’oppression qu’il endure n’a sa source que dans les passions criminelles de ses tyrans.

Et puis, est-il quelque comparaison à faire entre un petit nombre de victimes que le peuple immole à la justice, dans une insurrection, et la foule innombrable de sujets qu’un despote réduit à la misère, ou qu’il sacrifie à sa fureur, à sa cupidité, à sa gloire, à ses caprices ? Que sont quelques gouttes de sang que la populace a fait couler, dans la révolution actuelle, pour recouvrer sa liberté, auprès des torrents qu’en ont versé un Tibère, un Néron, un Caligula, un Caracalla, un Commode ; auprès des torrents que la frénésie mystique d’un Charles IX en a fait répandre ; auprès des torrents qu’en a fait répandre l’ambition d’un Louis XIV ? Que sont quelques maisons pillées un seul jour par la populace, auprès des concussions que la nation entière a éprouvées pendant quinze siècles sous les trois races des rois ? Que sont quelques individus ruinés, auprès d’un milliard d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les dilapideurs publics ?

Mettons de côté tout préjugé, et voyons.

La philosophie a préparé, commencé et favorisé la révolution actuelle, cela est incontestable ; mais des écrits ne suffisent pas ; il faut des actions : or, à quoi devons-nous la liberté, qu’aux émeutes populaires !

C’est une émeute populaire, formée au Palais royal, qui a commencé la défection de l’armée, et transformé en citoyens deux cent mille hommes dont l’autorité avait fait des satellites, et dont elle voulait faire des assassins. C’est une émeute populaire, formée aux Champs Elysées, qui a causé l’insurrection de la nation entière ; c’est elle qui a fait tomber la Bastille, conservé l’Assemblée nationale, fait avorter la conjuration, prévenu le sac de Paris, empêché que le feu ne l’ait réduit en cendres, et que ses habitants n’aient été noyés dans leur sang.

C’est une émeute populaire, formée à la Halle, qui a fait avorter la seconde conjuration, qui a empêché la fuite de la maison royale, et prévenu les guerres civiles qui en auraient été les suites trop certaines. »

 

Voici le numéro XXXIV de l'Ami du Peuple :

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Bertrand