mercredi 25 novembre 2020

25 Novembre 1789 : Mirabeau dénonce le prévôt de Marseille


Mirabeau

    Le tonitruant Mirabeau ne lâche pas l'affaire ! Il avait déjà dit ce qu'il pensait du Parlement de Provence lors d'une intervention à la tribune de l'Assemblée nationale le 5 novembre dernier. Mais cette fois-ci il dénonce nommément le prévôt général de Marseille, M. François Sanchon de Bournissac.

    Suite à l'émeute du 19 août 1789, dite affaire de la Tourette, celui-ci, clairement en faveur du parti aristocratique, menait une justice expéditive à l'encontre des jeunes patriotes. Sa justice prévôtale irritait d'autant plus les Marseillais (et Mirabeau) que la réforme de la justice entreprise par l'Assemblée nationale lui avait retiré toute légitimité. Ce qui n'avait pas empêché ledit prévôt de faire arrêter le 16 septembre, les citoyens Toussaint PascalOmer Granet et François Trophime Rebecqui, qui seront enfermés au fort Saint-Jean avant d'être mis au secret au sinistre château d'If.

Les armoiries dudit Sanchon

    Le 31 octobre 1789, le conseil municipal et le comte de Caraman, avaient d'ailleurs demandé la suspension de l’instruction de l’affaire de la Tourette jusqu’à la publication de nouvelles lois sur le système judiciaire.

    De Bournissac sera accusé plus tard du crime de Lèse Nation. L'Abbé Maury prendra sa défense et cela donnera lieu à de beaux échanges à l'Assemblée nationale le 9 mars 1790.


Hôtel particulier de Sanchon de Bournissac


Motion de M. le comte de Mirabeau, concernant le prévôt de Marseille, lors de la séance du 25 novembre 1789

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3897_t1_0257_0000_7

 

M. le comte de Mirabeau. J'eus l'honneur de vous exposer, le 5 du courant, que votre décret sur les nouvelles formes de l'instruction criminelle n'était point encore en vigueur dans Marseille, et qu'une foule de citoyens pouvaient devenir à chaque instant les victimes d'une procédure suspecte sous mille rapports.

Je vous dénonçais que le 27 octobre, temps auquel votre décret aurait dû être exécuté, le prévôt de Marseille avait rendu un jugement suivant les anciennes formes que vous avez proscrites.

Vous ordonnâtes, Messieurs, qu'il serait provisoirement sursis à l'exécution de tout jugement en dernier ressort, rendu dans la forme ancienne postérieurement à l'époque où votre décret aurait dû être exécuté, et que tout tribun al qui dans trois jours ne l'aurait pas inscrit sur ses registres, qui dans la huitaine ne l'aurait pas fait publier, serait poursuivi comme coupable de forfaiture.

Le décret ne décidait pas un objet très-important pour les accusés : il annonçait implicitement que le jugement rendu le 27 octobre était nul ; mais il ne prononçait pas cette nullité d'une manière expresse ; il n'ordonnait pas de faire juger une seconde fois la même question par d'autres juges, et, comme il s'agissait de la récusation du procureur du Roi et de l'assesseur dû prévôt, le sort des accusés restait évidemment compromis.

J'ai gardé quelque temps le silence, parce que j'attendais que le comité des rapports, qui a reçu une infinité de mémoires sur cet objet, vous les fît connaître ; mais cette affaire a entièrement changé de face par deux nouvelles circonstances, dont l'une m'était inconnue le 5 du courant, et dont l'autre était impossible à prévoir.

La première, c'est que le prévôt de Marseille, loin de traiter les accusés avec cette humanité que sollicitent vos nouvelles lois, les a fait enfermer dans une prison d'Etat ; ils avaient été resserrés jusqu'ici dans une citadelle ; ils ne sont plus aujourd'hui sous la sauvegarde de la loi, mais dans les anciens cachots du despotisme,

La seconde, c'est que bien loin d'exécuter vos décrets, le prévôt a écrit à MM. Les députés de la ville de Marseille qu'il était impossible de rendre la procédure publique. S'il faut l'en croire, des témoins qui n'ont déposé que sous la foi du serment ne consentiront pas que leurs dépositions soient connues. Si la procédure devient publique dans le fort, le peuple s'en emparera ; si le prévôt se rend dans le palais de la sénéchaussée, il aura des dangers à courir, même pour sa vie.

J'ai ouï dire que le prévôt avait exposé les mêmes motifs dans un mémoire qu'il a adressé à l'Assemblée nationale ; je ne sais si ce mémoire existe, mais je puis assurer que la lettre à MM. les députés de Marseille est certaine.

Si le mémoire dont je parle a été envoyé, je demande qu'il soit sur-le-champ communiqué à l'Assemblée, parce qu'une affaire aussi grave ne peut souffrir aucun délai.

La lettre suffit pour m'autoriser à vous demander s'il est possible de laisser une procédure entre les mains d'un juge qui ne croit point à la sagesse de votre décret, qui refuse de l'exécuter, qui allègue pour s'en défendre les plus frivoles prétextes, qui craint de ne pouvoir soustraire les prisonniers aux réclamations d'une ville entière s'il ne les précipite dans des prisons d'Etat, qui ne peut exercer ses fonctions que dans un fort, qui craint encore que ce fort ne soit enlevé, qui a admis des témoins tellement suspects qu'il n'ose espérer qu'il veuillent rendre leurs dépositions publiques, qui a choisi deux juges tellement odieux qu'il ne peut répondre même de leur vie si la procédure se fait dans le palais de justice.

Ne croyez pas, Messieurs, que je veuille inculper directement le prévôt. C'est un militaire digne de l'estime de ses concitoyens ; mais il est excusable d'ignorer les formes de l'instruction criminelle, et il les ignore. Forcé de choisir un assesseur et un procureur du roi, forcé de confier à d'autres qu'à lui-même les fils tortueux d'une procédure compliquée, le choix qu'il a fait a rendu ses bonnes intentions inutiles, et sa probité personnelle ne peut plus rassurer contre les plus coupables erreurs.

Quel parti reste-t-il donc à prendre ? Un seul, Messieurs, et vous concilierez l'exécution rigoureuse des lois avec ce que vous devez à la tranquillité publique. C'est de confier à un autre tribunal une procédure que le procureur du Roi et l'assesseur du prévôt ont convertie en instrument d'oppression, et qui n'est dans leur mains qu'un moyen de servir des haines secrètes, de favoriser le rétablissement des anciens abus, et de punir les bons citoyens qui ont osé les dénoncer avec courage.

Ce que je dis ici, Messieurs, n'est qu'un aveu que le prévôt a fait lui-même dans sa lettre à MM. les députés de Marseille : il a trouvé, dit-il, en arrivant dans cette ville, toutes les autorités compromises, il a voulu les rétablir ; était-ce là la mission qu'il devait exercer ? Il avait à poursuivre des assassins, des incendiaires ; mais devait-il être le vengeur d'un intendant que la ville de Marseille, que toutes les corporations, que son conseil municipal n'ont cessé de dénoncer ? Pouvait-il décréter comme coupables les citoyens vertueux qui, dans les assemblées primaires, se sont élevés contre ce même intendant ? Voilà, Messieurs, ce qu'il a fait, ou plutôt voilà ce qu'on a fait en son nom ; c'est ainsi qu'un juge honnête a cessé d'être l'organe impassible de la loi, et que sa procédure est devenue un attentat à la liberté publique.

 

Renvoi de l'examen de la motion de M. le comte de Mirabeau, concernant le prévôt de Marseille, au comité des rapports, lors de la séance du 25 novembre 1789

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3897_t1_0258_0000_2

Cette nouvelle dénonciation est renvoyée au comité des rapports.

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Bien cordialement
Bertrand