jeudi 5 novembre 2020

5 Novembre 1789 : Mirabeau évoque les trois fléaux de la Provence. Le 1er est le Parlement.

"Parlamen, Mistraou et Durenço, Souri lés très fleous de la Prouvenço".

(Dicton provençal)

"Le Parlement, le Mistral et la Durance, sont les trois fléaux de la Provence."


    Ce 5 novembre, Mirabeau monte à la tribune de l’Assemblée pour y défendre une motion dénonçant les troubles de Marseille et l'inexécution du décret relatif à la procédure criminelle !

C’est le Parlement de Provence qui est visé par Mirabeau. Ce Parlement si renommé pour sa dureté qu’il a même inspiré le dicton qui fait le titre de cette page, et que va citer Mirabeau.

Ses parlementaires font fi des décrets de l’Assemblée nationale et entendent bien continuer de mener leur justice à eux, une justice d’exception, garante de leurs privilèges.

Cet incident nous donne également un premier aperçu des règlements de comptes qui auront lieu dans les provinces sous la Révolution, et qui bien souvent n’avaient rien à voir avec celle-ci. Ces « haines secrètes », comme les appelle Mirabeau, feront que l’on dénoncera plus tard un voisin gênant au Tribunal révolutionnaire, comme on dénoncera encore plus tard un voisin gênant à la Gestapo allemande…

Ecoutons l’intervention de Mirabeau :

« Messieurs, la réclamation que j'ai l'honneur de vous porter au nom de ma province est relative à l'inexécution de vos décrets, et notamment de celui qui intéresse le plus les hommes sensibles ; je veux parler de la loi provisoire sur la procédure criminelle, ce premier bienfait que vous deviez à la classe la plus malheureuse de l'humanité.

Depuis trois mois, Messieurs, une des plus importantes villes du royaume, Marseille, qui fut le berceau de mes pères, et dont je suis le fils adoptif, Marseille tout entière est sous le joug d'une procédure prévôtale que l'esprit de corps et l'abus du pouvoir ont fait dégénérer en oppression et en tyrannie.

Il était difficile que cette ville ne se ressentît pas de l'agitation du royaume. Plus de sagesse dans son administration municipale aurait prévenu des désordres. C'est pour les punir que la procédure a été prise ; mais des mains cauteleuses ont su la diriger vers un autre but. Les vrais coupables ne sont pas jugés et mille témoins ont été entendus. On a informé, non sur les délits, mais sur des opinions, mais sur des pensées. On a voulu remplacer par cette procédure celle qu'on n'avait pas permis au parlement de commencer, ou qu'on avait arrachée de ses mains ; et des haines secrètes, dont le foyer ne nous est pas inconnu, ont rempli les cachots de citoyens.

Ne croyez point en effet que cette procédure soit dirigée contre cette partie du peuple que, par mépris pour le genre humain, les ennemis de la liberté appellent la canaille, et dont il suffirait de dire qu’elle a peut-être plus besoin de caution que ceux qui ont quelque chose à perdre. Non, Messieurs, c'est contre les citoyens de Marseille les plus honorés de la confiance publique que la justice s'est armée ; et un seul fait vous prouvera si les hommes qu'on a décrétés sont les ennemis du bien. M. d'André, à qui l'Assemblée accorde son estime et le Roi sa confiance, ayant fait assembler les districts de Marseille, pour nommer des députés et former une municipalité provisoire, partout la voix publique s'est manifestée ; elle a nommé ces mêmes décrétés ; et comme des lois, susceptibles sans doute de quelque réformation, s'opposaient à ce qu'ils fussent admis dans le conseil, où le conseil, où le suffrage de leurs concitoyens les appelait, on a choisi pour les remplacer leurs parents, leurs amis, ceux qui partageaient les principes des accusés, ceux qui pouvaient défendre leur innocence.

Le temps viendra bientôt où je dénoncerai les coupables auteurs des maux qui désolent la Provence, et ce parlement qu'un proverbe trivial a rangé parmi les fléaux de ce pays (l), et ces municipalités dévorantes qui, peu jalouses du bonheur du peuple, ne sont occupées depuis des siècles qu'à multiplier ses chaînes, ou à dissiper le fruit de ses sueurs. Je dois me borner à vous entretenir aujourd'hui de l'inexécution de votre décret sur la procédure criminelle.

Ce décret fut sanctionné le 4.

Le 14, il fut enregistré au parlement de Paris.

Le 18, il était connu publiquement à Marseille.

Cependant, le 27, des juges arrivés d'Aix le même jour, et réunis à quelques avocats, ont jugé suivant les anciennes formes une récusation proposée par les accusés. Ce fait est prouvé par plusieurs lettres que je puis mettre sur le bureau.

Par quel étrange événement s'est-il donc fait que le décret de l'Assemblée ne soit parvenu ni au prévôt, ni à la municipalité de Marseille ? Les ministres chercheraient-ils encore des détours ? Voudraient-ils rendre nuls vos décrets en ne s'occupant qu'avec lenteur de leur exécution ? ou bien les corps administratifs, les tribunaux, oseraient-ils mettre des entraves à la publicité de vos lois ? Je ne sais que penser de ces coupables délais. Mais ce que personne de nous ne peut ignorer, c'est qu'il est impossible de relever l'empire écrasé par trois siècles d'abus, si le pouvoir exécutif suit une autre ligne que la nôtre, s'il est l'ennemi du Corps législatif, au lieu d'en être l'auxiliaire ; et si des corps auxquels il faudra bien apprendre qu'ils ne sont rien dans l'Etat osent encore lutter contre la volonté publique dont nous sommes les organes. — Je propose le décret suivant :

«Qu'il sera demandé à M. le garde des sceaux et au secrétaire d'Etat de représenter les certificats, ou accusés de la réception des décrets de l'Assemblée nationale, et notamment de celui de la procédure criminelle qu'ils ont dû recevoir des dépositaires du pouvoir judiciaire, et des commissaires départis, auxquels l'envoi a dû être fait ; et qu'il sera sursis provisoirement à l'exécution de tous jugements en dernier ressort, rendus dans la forme ancienne par tous les tribunaux, antérieurement à l'époque où le décret a dû parvenir à chaque tribunal. » 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5291_t1_0696_0000_2 

Un clic sur l'image ci-dessous vous conduira à un article intéressant sur le Parlement de Provence : 


Un mot sur le vandalisme d'ancien régime...

    Un nouveau clic sur la légende d'une des deux images ci-dessous vous conduira à un article relatant l'histoire du Palais des Comtes de Provence, qui avait été démoli en 1786, en raison de sa vétusté. Peu importait que certaines de ses parties soient d'origine romaine. On ne se souciait guère des vestiges du passé sous l'Ancien régime. On pourrait appeler cela le "vandalisme de l'ancien régime", en référence au prétendu vandalisme révolutionnaire...

Palais des Comtes de Provence et des Cours Souveraines démoli en 1786

Tours et constructions romaines enclavées dans l'édifice démoli en 1786

Source images : http://clap.jac.free.fr/livre/comtes.html


                           



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Bertrand