lundi 16 novembre 2020

16 novembre 1789 : M. La Poule dénonce l’exportation des grains en Suisse

Les mêmes causes provoquent les mêmes problèmes...

     Dans cet article nous allons parler de quelques inconvénients liés à une économie dérégulée, mais aussi du profit qu’il y a à dénoncer les fraudeurs fiscaux… 😉

    Alors messieurs les députés, on la régule ou on ne la régule pas l’économie ? L’Etat français a toujours balancé entre le colbertisme, c’est-à-dire la régulation par l’Etat du développement économique, et le libéralisme à l’anglosaxonne représenté au 18ème siècle par les physiocrates qui défendaient la totale liberté du commerce. Nous en avons déjà parlé dans quelques articles. (Tapez physiocrate ou Turgot dans la barre de recherche en haut à droite si vous souhaitez les retrouver). Il nous faudra en reparler d'ailleurs, car le sujet est plus compliqué qu'il n'y paraît. En attendant je vous renvoie à cet article sur l'inévitable Wikipedia : "Libéralisation du commerce des grains sous l'ancien régime".

    En 1789, tous les gens de pouvoir ou presque étaient physiocrate, y compris le roi. Les députés s’étaient donc empressés de voter la libre circulation des grains et la suppression des douanes intérieures, comme Choiseul l'avait déjà fait en 1763 (édit de 1764), puis Turgot en 1774 et comme Calonne avait de nouveau souhaité le faire en 1786.

    Mais bien sûr, comme il est d’usage, les mêmes causes produisent les mêmes effets si aucun nouveau paramètre n’intervient et des problèmes connus se reproduisent. Les grains se sont donc mis à voyager, parfois même protégés par la force armée, mais aussi à disparaître, stockés quelque part en attendant que les prix montent, voire à être détruits, pour être sûr que la rareté fasse monter les prix. Ils se sont mis à voyager d’une province à l’autre, au gré des besoins ou des prix, mais aussi parfois au-delà des frontières !


Monsieur La Poule montre les dents ! (Désolé)

Source : Ville de Besançon

    Monsieur La Poule, député de Besançon, est venu dénoncer ce jour à la barre de l’Assemblée ce scandale des grains voyageurs. Monsieur La Poule sait de quoi il parle puisque Besançon est à seulement quelques dizaines de lieues de la Suisse. Voyez ci-dessous cette belle carte de la Suisse ancienne, sur laquelle j’ai indiqué Besançon par un point rouge (à gauche, en bordure de la Saône).


Carte de la Suisse ancienne

Jean-Louis La Poule

Ecoutons Monsieur La Poule :

« Je dénonce à l'Assemblée nationale qu'il se fait une exportation considérable des grains de Franche-Comté pour la Suisse et que les Suisses donnent un sou de prime par setier. La ville de Besançon a envoyé des députés pour dénoncer cet abus et offrir un projet d'arrêté. »

L'arrêté ayant été lu a été mis aux voix et décrété ainsi qu'il suit :

L'Assemblée nationale, persistant dans ses décrets des 29 août, 18 septembre et 5 octobre dernier, concernant la libre circulation des grains et farines dans l'intérieur du royaume, et la défense d'en exporter hors du royaume, a décrété et décrète ;

Que dans les cas où il y aura lieu à la confiscation portée par l'article IV de son décret du 18 septembre, des grains et farines saisis en contravention, le produit de la confiscation appartiendra, pour les deux tiers, à ceux qui auront fait la saisie et la dénonciation, ou à ceux qui auront saisi et arrêté les grains et farines, s'il n'y a point de dénonciateur, les frais de saisie et vente prélevés ; le surplus sera appliqué au profit des hôpitaux ou des pauvres des lieux où la saisie aura été faite.

L'Assemblée a statué de plus que le Roi sera instamment supplié d'envoyer le présent décret à tous les tribunaux, municipalités et corps administratifs du royaume, pour être inscrit, publié et affiché, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour en assurer la pleine et entière exécution.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3835_t1_0069_0000_7

    Cette pratique des douanes de rémunérer ses informateurs, désignés sous le joli nom d’aviseurs, est une vieille coutume qui existe toujours, comme le rappel ce rapport de notre contemporaine Assemblée nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b1991_rapport-information

    Depuis 2017, cette rémunération des dénonciateurs a même été étendue à tous les « manquements graves » à la législation fiscale. Le décret n° 2017-601 du 21 avril 2017 fixait une période expérimentale de 2 ans. Le décret n° 2019-459 du 15 mai 2019 a supprimé la mention faisant référence à cette période expérimentale.

    Ne vous faites pas trop d’idées cependant. Car ce genre de dénonciation concerne plutôt les petites fraudes fiscales minables, ou celles, bien plus dangereuses (pour vous) du crime organisé. Elles sont sans effet sur les 118 milliards d’euros échappant au fisc français chaque année (estimation de 2015).

Source graphique



 

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Bertrand