dimanche 8 novembre 2020

8 Novembre 1789 : Le Journal "Les Révolutions de Paris" dresse un 1er bilan et rappelle le sens des mots.

 Où en sommes-nous et de quoi parlons-nous ?

Prudhomme
    Aujourd'hui, le N° XVIII du "Journal des Révolution de Paris dédiées à la Nation", commence par un avis de son éditeur, Louis-Marie Prudhomme, accompagné d'un extrait d'une délibération du comité de police, dont l'objet est de prouver que Prudhomme est bien l'éditeur de ce journal, et non pas un certain M. Froullé qui sera poursuivi pour sa supercherie.

    Mais le plus important est le long article qui suit. En effet, celui-ci fait un premier bilan de la révolution en cours et il désigne avec lucidité toutes les dérives qui se mettent en place peu à peu. Le journal signale le détournement de sens de certains mots et en quelques sorte, met les points sur les "i".

    Je ne vais fais pas le commentaire de ce texte (peut-être plus tard), mais je vous invite à lire son début ci-dessous, puis la suite dans la fenêtre donnant accès à la totalité du journal, sur le site de la BNF. Vous découvrirez ensuite la relation d'un fait-divers très révélateur de la situation...

Citoyens ! Où en sommes-nous… ? Est-il vrai que nous ayons combattu pour la patrie, que nous ayons terrassé le despotisme & l'aristocratie ? Est-il vrai que la Bastille n'existe plus ? Qu'est-elle devenue cette liberté si brillante dès son aurore ? Elle s'est éclipsée devant une nouvelle aristocratie, l'aristocratie de nos mandataires.

Dans un clin d'œil, ce pouvoir a franchi toutes les barrières. Delà la commune n'est rien, & l'aristocratie est tout ; c'est-à-dire, que notre régime est aristocratique, & non pas démocratique ou populaire : d'où il suit, que nous sommes moins libres que sous le despotisme royal, parce que le pire de tous les despotismes est celui de plusieurs.

Nous allons donc, citoyens, vous dévoiler un système bien lié, bien suivi, dont l'objet est de concentrer dans les mains des officiers municipaux, le pouvoir qui ne peut appartenir qu'à l'universalité des habitants.

Nous ne pouvons vous dissimuler ; citoyens, que ce système a tellement réussi, que ce n'est pas sans danger qu'on peut maintenant le heurter de front. Ceux qui peuvent plus que ce qu'ils doivent, s'irritent plutôt d'une résistance légitime que d'une attaque fausse ; celle-ci ne les arrête même pas ; l'autre les empêche d'arriver à leur but.

Mais quels que soient nos dangers personnels, (car que peut la raison contre la force) ne craignez pas, citoyens, que nous trahissions la cause publique. Nous dirons la vérité ; nous la dirons avec le ton qui convient à un homme libre ; &, si l'on nous accorde, comme à tous les écrivains qui ont été utiles, les honneurs de la persécution, nous chercherons un asile dans quelque commune où les droits de l'homme soient respectés, & où l'on puisse être impunément bon citoyen. Si le succès des municipaux parisiens, & l'exemple de l'apathie politique où vous êtes plongés, pervertissaient toutes les communes du royaume, nous irions sous un ciel étranger jouir de cette liberté que nous n'avons qu'entrevue dans notre patrie. Celui qui a été libre un seul jour, s'il peut jamais consentir à ne plus l'être, mérite les affronts, les maux, les supplices que la tyrannie a inventé contre les esclaves qui se mutinent & qui osent poser leurs fers.

L'abus des mots a toujours été un des principaux moyens qu'on a employé pour asservir les peuples. César ne se fit pas nommer roi, mais dictateur. Cromwell ne se donna que le titre de protecteur. Nos rois laissèrent prendre à nos cours de justice le nom de parlements qui ne convenait qu'à l'assemblée de la nation, & souvent le plaisir du roi n'était que la volonté d'un ministre, des courtisans & même des courtisanes.

Gardons-nous donc, citoyens, de nous laisser abuser par les mots, quand le pouvoir exécutif est venu à bout de nous en imposer sur le sens de certaines expressions, il paraît faire une chose, & il en fait une autre : peu-à-peu il nous chargerait de chaînes en nous parlant de libertés.

Le mot ARISTOCRATE n'a pas moins contribué à la révolution que la cocarde. Sa signification est aujourd'hui très étendue : il s'applique à tous ceux qui vivent d'abus, qui regrettent les abus ou qui veulent créer de nouveaux abus. Les aristocrates ont cherché à nous persuader que ce mot était devenu insignifiant ; nous n'avons pas donné dans le piège ; & les lumières gagnant de proche en proche dans les retraites de l'aristocratie, les satellites ont senti qu'ils étaient perdus, s'ils ne trouvaient pas un mot, dont le pouvoir magique détruisit la puissance du mot aristocrate.

Nous ignorons s'il leur en a coûté beaucoup d'efforts ; mais nous savons que notre ralliement est contrebalancé aujourd'hui par celui d'INCENDIAIRES, & qu'à l'aide de certaines menaces dont on l'a accompagné, de certaines vexations qui les suivent de près, il glace d'effroi d'excellents citoyens.

Nous avons relevé ailleurs l'abus qu'on fait des mots, commune & municipalité. Commune signifie l'universalité des habitants : municipalité, les officiers chargés par la commune de l'administration.

Comme les pouvoirs de la municipalité se bornent à administrer, & que le pouvoir actif tend invinciblement à s'accroître, les municipaux n'ont pu usurper les pouvoirs de l'universalité des habitants qu'en prétendant être la commune & en prenant ce nom.

Il suit de cette usurpation du nom de commune que la municipalité s'en arroge les droits et les pouvoirs, qu'une députation de la municipalité se présente à l'Assemblée nationale comme une députation de la commune, tandis qu'il ne s'agit souvent que d'un vœu qui lui est diamétralement opposé, celui de la municipalité.

Par un abus non moins grave, on appelle districts, les comités des districts. La municipalité dit avec raison, en ce sens, qu'elle ne doit point recevoir la loi des districts. Mais en prenant le mot dans sa véritable acceptation qui comprend l'universalité des habitants, elle est avec eux dans le même rapport que les ministres de l'Assemblée nationale.

Les mots liberté & licence ont été confondus pendant quelques jours par le peuple : mais à mesure que les idées qu'ils représentent se sont embrouillées pour lui, elles se sont embrouillées pour ses agents. Rien n'est plus commun que d'entendre dire, la liberté de la presse n'est pas la licence de la presse. De cette maxime est né écrit incendiaire, qui signifie tout écrit qui n'est pas selon les idées de celui qui parle.

La suite en page 5 du journal, dans la fenêtre ci-dessous :

Fait-divers.

    Dans l'article qui suit, vous découvrirez un fait-divers intéressant et peut-être révélateur. Dimanche soir, sur le district de Petits-Pères, un certain Monsieur Regnaud, débuté de Saintonge, n'a pas voulu arrêter son cabriolet après avoir renversé deux piétons, tandis qu'il se rendait à l'assemblée nationale, "comme autrefois nos jeunes ducs", précise le journaliste.

    Plusieurs piétons se sont interposés pour arrêter la course du cabriolet, l'un d'entre eux allant jusqu'à donner des coups de parapluie contre le côté de la caisse de la voiture. Le député offusqué à fait part de son intention d'aller se plaindre de ce que l'on avait attenté à sa personne en donnant des coups de parapluie contre la caisse de sa portière.

    Ce député "chauffard" était Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Député du tiers état pour Saint-Jean-d'Angély lors des Etats Généraux. Le Tiers Etat, vous vous souvenez, ces représentants du peuple. Les voici députés de l'Assemblée nationale et ils se comporte déjà comme ceux qu'ils ont chassés…

    Regnaud de Saint-Jean d'Angely traversera la Révolution sans trop d'encombres. Il deviendra comte et il sera parait-il l'éminence grise de Napoléon 1er.

    Pour info, le cabriolet créé au XVIIe siècle était une voiture "hippomobile", très légère, à deux roues et deux places, munie d'une capote. Du fait de sa légèreté, sur les chemins empierrés ou sur les pavés, cette voiture avait tendance à faire des cabrioles, d'où son nom.

Petit rappel sur le Tiers-état...

(Extrait de mon article "Qu'est-ce que le Tiers-Etat ?")

Confusion

    Le Tiers-état est communément considéré comme un corps homogène que l'on assimile au Peuple. C'est une source de confusion et même d'incompréhension de nombre d'événements de la Révolution française.

Un nouveau corps est apparu au sein de la société.

    Bien évidemment, la noblesse couvre de son mépris l'ensemble des roturiers de la société. Mais c'est oublier qu'un nouveau corps social a émergé au sein du Tiers-état, c'est celui que constitue la bourgeoisie ! Cette nouvelle classe sociale, riche par son travail (industrie, commerce, banque), influente et éduquée, n’a pas cessé de s’accroître, donnant naissance à une nouvelle élite. Mais cette nouvelle élite, qui paie des impôts, n'a aucun pouvoir politique. Vous voyez le problème ?

Ce nouveau corps social rest constitué d'environ 14% de la population française, le reste du peuple inclus dans le Tiers-état constitue près de 84% de la population. La noblesse ? Seulement 1%...

Deux formules pour mieux comprendre.

    En décembre 1788, le ministre des Finances Jacques Necker avait présenté ainsi ce nouveau paradigme dans un discours :

"Il y a une multitude d'affaires dont elle seule (La nouvelle classe bourgeoise) a instruction", c'est-à-dire connaissance. Quelles affaires ? Les transactions commerciales, les manufactures, le crédit public, l'intérêt et la circulation de l'argent. C'est-à-dire qu'un état bien ordonné doit admettre la participation des plus éminents citoyens."

Barnave dans sa prison

    
En 1793, Antoine Barnave, l’avocat du Dauphiné devenu député puis chef des Feuillants, écrira dans le livre qu'il rédigera en prison, "De la Révolution et de la Constitution", cette formule qui a elle seule résume la Révolution de 1789 :

« Une nouvelle répartition des richesses implique une nouvelle répartition des pouvoirs ».


    Je pense que vous avez commencez de comprendre en lisant les articles sur cette année 1789, que le Tiers état est en fait constitué de deux parties distinctes, dont les intérêts divergent quelque peu...

                                          




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Bertrand