C’était ainsi que les Princes s’enquéraient de l’opinion publique parisienne, à la cour de Louis XVI. C’est ce que nous rapporte Louis Sébastien Mercier dans son ouvrage « Le tableau de Paris ». Je vous ai déjà parlé de lui le 1er octobre dernier, lorsqu’il a fondé un journal avec le journaliste Jean-Louis Carra.
Je vous recommande vraiment la lecture de son livre, le
tableau de Paris. Il y décrit le Paris populaire avec une particulière acuité.
C’est un bon complément à la lecture des « Nuits de Paris » de Restif de
la Bretonne dont je vous ai raconté l’arrestation par le police, le 29 octobre dernier.
Louis Sébastien Mercier, lui aussi, eut des ennuis avec la police.
A peine ses deux premiers volumes furent-ils publiés en 1781, que bien sûr, ils
furent interdits. Mercier décrivait avec un peu trop de précision les
inégalités sociales et il ne se privait pas de critiquer l’injustice du système
fiscal. Il continua néanmoins à publier depuis la Suisse jusqu’en 1788.
« La cour est très attentive aux discours des Parisiens : elle les appelle, les grenouilles : que disent les grenouilles, se demandent souvent les Princes entre eux ? Et quand les grenouilles frappent des mains à leur apparition, ou au spectacle, ou sur le chemin de Sainte Geneviève, ils sont très contents. On les punit quelques fois par le silence : en effet, ils peuvent lire dans le maintien du peuple les idées qu’on a sur leur compte : l’allégresse ou l’indifférence publique ont un caractère bien marqué. On prétend qu’ils sont sensibles à la réception de la capitale, parce qu’ils sentent confusément que dans cette multitude, il y a du bon sens, de l’esprit, & des hommes en état de les apprécier, eux & leurs actions : or ces hommes, on ne sait pas trop comment, déterminent le jugement de la populace.
La police a soin dans certaines circonstances de payer de fortes gueules, qui se répandent dans différents quartiers, afin de mettre les autres en train, ainsi qu’elle soudoie des chianlis pendant les jours gras : mais les vrais témoignages de l’allégresse publique, ainsi que du consentement du peuple, ont un caractère que rien n’imite, »
Ne vous y trompez pas, la comparaison avec les grenouilles
est bien méprisante. Cette image peu flatteuse du peuple remonte à la plus
haute antiquité, puisque Esope, l’écrivain Grec du 6ème siècle avant notre ère,
l’utilisait déjà dans une fable destinée à se moquer du peuple d’Athènes.
On a également attribué à Homère, un
poème narrant une guerre des grenouilles contre les rats, la "Batrachomyomachie" !
Voici, inspirée de celle d’Esope, la fable de Jean de la Fontaine, intitulée :
"Les grenouilles qui demandent un roi". 🐸
"Les Grenouilles, se lassant
De l'état Démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c'était un Soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui de le voir s'aventurant
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue.
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement ;
Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire."
Ne sommes-nous donc pour nos maîtres, que des grenouilles coassant dans notre marécage, dont l’opinion est facile à manipuler, grâce à quelques agitateurs, payés autrefois par la police, et maintenant… ?
Néanmoins, il arrive encore parfois, que les grenouilles montrent les
dents, comme en 1789. Est-ce un hasard ou un clin d'œil de Clio, la muse de l'histoire, si une grenouille dénommée "Pepe la
grenouille" est devenue la mascotte des manifestants du mouvement prodémocratie
à Hong Kong en 2019 ?
Pepe la grenouille, Hong Kong 2019 |
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Bien cordialement
Bertrand