lundi 2 novembre 2020

2 novembre 1789 : Nationalisation des biens du clergé. (Eglise, nation, capitalisme et autres corps fictifs)

Article mis à jour le 10/09/2024

 C'était dans l'air...

    Après plusieurs semaines de débats, l’Assemblée nationale décrète par 568 voix contre 346, que les biens du Clergé appartiennent à la Nation. 

    En contrepartie, la Nation aura à charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres. 

    Les curés recevront ainsi une rétribution d’au moins 1200 Livres par an, en plus du logis et du jardin, alors que sous l’ancien régime la portion congrue qui leur était attribuée n’était de 750 Livres par an. 

    Vous lirez à peu près partout que ce fut l’évêque d’Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord qui fut à l’origine de cette idée et qui la défendit jusqu’au bout. C’est en partie vrai. Nous avons déjà parlé de cela le 10 octobre dernier, à l’occasion de l’une de ses interventions. C’est effectivement lui qui clôturera ce jour le débat par un dernier discours avant que le décret ne soit voté. Même si à mon goût celui de Mirabeau aura été de loin le plus convaincant.

Voilà pour la version courte. 


    A présent, pour celles et ceux qui veulent en savoir un peu plus, voici la version longue. Nous allons en profiter pour faire le point sur la situation du royaume de France en ce début de novembre 1789.

    L'importance de l'événement est de taille, parce que nous assistons en quelque sorte à la réécriture du contrat social unissant les Français ; rien de moins que ça.

Vous allez comprendre

Le contrat social de l'Ancien régime

Pour faire simple, le contrat social unissant les Français sous l’ancien régime se résumait ainsi :

·         Trois corps constituaient la société : La noblesse, le clergé (l’Église), et le Tiers État.

  • La noblesse ne payait pas d’impôts, parce qu’elle était sensée payer le prix du sang en faisant la guerre pour défendre le pays.
  • Le clergé ne payait pas d’impôts car il avait la charge d’assurer le culte, mais aussi l’assistance aux pauvres et l’enseignement.
  • Seul, le Tiers État payait des impôts.
    • Ces impôts étaient nombreux, souvent arbitraires, voire absurdes et même différents selon les provinces.

Les deux crises de trop

    Deux crises majeures ont mis à mal cette alliance qui n’en était plus vraiment une, en raison du fait que les deux premiers corps de cette société ne respectaient plus beaucoup leurs parts du contrat :

  • La crise financière avec son abyssale dette, qui pousse le royaume à la banqueroute, c’est-à-dire à la faillite. Rappelons qu’une partie importante de la dette est due à la coûteuse guerre d’indépendance des Etats-Unis, dont on estime qu’elle a coûté au total à la France près d’un milliard de livres. Suivant les conseils de Necker, celle-ci a été financée par des emprunts dont les intérêts représentent des sommes faramineuses.
  • La crise des subsistances, qui précipite une population miséreuse, dans des émeutes de plus en plus fréquentes et violentes. Celle-ci n’est pas la première, le royaume en a connu de nombreuses durant tout le 18ème siècle, qui a même commencé par l’atroce famine de 1709. Mais ça va être la crise de trop.

Portrait des Deurbroucq (Négociant et armateur)
Un nouveau corps est apparu au sein de la société.

    Au sein du Tiers État, l’importance de la bourgeoisie n’a cessé de s’accroître, donnant naissance à une nouvelle élite, riche de par son travail, influente et éduquée. Ses riches représentants payent des impôts, mais ils n’ont aucun pouvoir politique.

·             En décembre 1788, Necker avait présenté ainsi ce nouveau paradigme : "Il y a une multitude d'affaires dont elle seule (La nouvelle classe bourgeoise) a instruction", c'est-à-dire connaissance. Quelles affaires ? Les transactions commerciales, les manufactures, le crédit public, l'intérêt et la circulation de l'argent. C'est-à-dire qu'un état bien ordonné doit admettre la participation des plus éminents citoyens."

·         Plus tard, Barnave, l’avocat du Dauphiné devenu député, aura cette formule : « Une nouvelle répartition des richesses implique une nouvelle répartition des pouvoirs ».

Ce nouveau corps a pris le pouvoir

    C’est cette bourgeoisie, alliée à la partie la plus éclairée de l’aristocratie, qui a pris le pouvoir en juillet 1789, mettant un terme à des États Généraux qui allaient échouer comme avaient échoué les précédentes tentatives de réformes qu’avaient été les Assemblées des Notable de 1787 et 1788. Elle a été aidée dans cette prise du pouvoir, volontairement par une partie de la noblesse, et involontairement par les émeutes populaires qu’elle a su utiliser, voire organiser.

    Cette nouvelle élite siège à présent à l’Assemblée, et, laborieusement, jour après jour, elle rédige une constitution, de nouvelles lois sous lesquelles les Français devront vivre ensemble ; c’est-à-dire un nouveau contrat social.

Le nouveau contrat social

  • Les trois corps distincts qui constituaient la société ont été supprimés. Tous les Français sont à présent des citoyens censés être libre et égaux en droits.
  • Concernant les impôts, tous les Français ont le devoir de s’acquitter de contributions proportionnelles à leurs revenus, votées par les députés et les mêmes sur tout le territoire.
    • Accessoirement le niveau des contributions qu’ils paient définit leur droit à voter et à être éligible.

·    Les deux crises subsistent

  • Crise des subsistances

    Tous les membres de cette nouvelle classe sont imprégnés de la doctrine des physiocrates. Leur solution à la crise frumentaire est donc de libéraliser l’économie, ce que Turgot avait déjà tenté de faire en 1774 en proclamant d’abord l’entière liberté du commerce des grains, jusque-là soumis à une étroite réglementation, puis la liberté du travail industriel, par la suppression des corporations. Mais devant l’hostilité suscitée par ses réformes, le roi avait dû rappeler Necker.

    Le manque de blé et la peur d’en manquer, continuent de provoquer régulièrement des émeutes de la fin dans tout le royaume.

    L’Assemblée nationale traite le problème par des lois. La libre circulation des grains en est une, et la proclamation de la loi martiale pour réprimer les émeutes en est une autre.

  • Crise financière

    Depuis que Necker a été rappelé, il a repris sa politique d’emprunts, celle-là même qui a aggravé la dette avant la Révolution.

    Les emprunts lancés ne sont pas couverts parce que les capitalistes (expression employée par Necker lui-même), hésitent à prêter de l’argent à un pays dans lequel existe un tel désordre.

    Les anciens impôts injustes ont été abolis, mais ils continuent d’être réclamés, en attendant que les nouveaux soient instaurés.

    Le roi a beau faire don de son argenterie et les belles dames faire dons de leurs bijoux, pour contribuer à rembourser la dette ; cela ne représente qu’une goutte d’eau dans la mer et cela fait même bien rigoler le gouverneur américain Morris de passage en France, qui d’ailleurs refuse de rembourser la dette américaine à la France.

Néanmoins, la France n’est pas un pays pauvre. Loin de là !

·     Les députés découvrent une richesse inattendue

    La richesse des nobles est visible, mais la bourgeoisie ne va pas trop s‘y attarder. Elle est déjà trop liée à l’aristocratie : commerce, industrie, finance, et même des mariages.

    Il existe cependant une autre richesse, elle aussi très voyante, c’est celle du clergé ! L’Église possède une immense fortune. Un quart de Paris et presque un quart (24%) du territoire national lui appartiennent ; dans les provinces dites "belgiques" du nord de la France, elle possède même 50% des terres ! Tout ce pactole représente de 3 à 3,5 milliards de l’époque !

Source Piketty, figure 2.3

    Le peuple n’est pas complètement aveugle, et le clergé a perdu beaucoup de son prestige, par le simple fait qu’il ne respecte plus depuis bien longtemps sa part du contrat relative à l’assistance aux pauvres, et aussi par les excès de certains de ses membres les plus riches.

    L’idée va donc être de ne rien prendre des biens des aristocrates ni des bourgeois, mais de revendiquer ceux de l’Église, et par là même, de détourner le ressentiment du peuple vers celle-ci. Ce disant je n’exagère pas, car je vous présenterai bientôt des dizaines d’estampes se moquant des religieux et de la religion, dont on se demande bien qui en a été le commanditaire. C’est justement à la suite des journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre, au cours desquelles des Parisiennes avaient fait irruption au sein de l’Assemblée pour réclamer du pain, (puis s'en étaient allées à Versailles commander au roi de rentrer à Paris), que ce sujet va devenir prioritaire pour les députés !

Une idée dans l’air du temps

    Je m'étonne toujours de la réaction irrationnelle des gens lorsqu'est évoquée la nationalisation des biens du Clergé par les révolutionnaires de 1789. L’idée ne leur est pas tombée du ciel, ni même envoyée par l'enfer ! Elle était tout simplement "dans l'air du temps" !     Le propre frère de Marie Antoinette, Joseph II, avait déjà mené cette réforme "révolutionnaire" et d'autres encore bien pires dans son Saint Empire, dès qu’il était arrivé au pouvoir.

Joseph II
Le Joséphisme

    Joseph II se posait en modèle de "despote éclairé" et en digne représentant de l'"Aufklärung" (l'équivalent allemand des Lumières). Il affirmait : « Je suis prêt à détruire ce qui est contraire à mes idées philosophiques, sans tenir compte des traditions ».

    En 1781, il avait remplacé les entités féodales par une structure administrative plus rationnelle, avec des provinces et des cercles. À leur tête étaient placés des fonctionnaires impériaux (les révolutionnaires français agiront de même avec la création des départements).

    Le 13 octobre 1781, il avait accordé une pleine liberté aux chrétiens protestants et orthodoxes par un édit de tolérance (les juifs demeurent soumis à des droits restreints).

    En 1783, il avait créé l'institution du mariage civil et il avait fait fermer les ordres contemplatifs et transformé 738 couvents en écoles.

    En 1784, Joseph II avait fait du haut allemand la langue officielle de l'empire (ce que nos révolutionnaires tant décriés feront avec le Français). Il avait aboli la torture mais aussi le servage et les corvées. Les paysans avaient reçu la propriété de la terre qu'ils exploitaient. Les barrières douanières intérieures et les corporations avaient été supprimées afin de stimuler l'activité économique et l'empereur avait même mis à l'étude un impôt foncier unique.

    Concernant l’Église, il avait aligné les diocèses sur les divisions administratives nouvellement créées, et il avait décidé de choisir lui-même les futurs évêques sans attendre l'aval du pape !

    Le pape Pie VI, désemparé par la rébellion du principal souverain catholique de la planète, s’était rendu en 1782 à Vienne où il avait été reçu avec froideur par Joseph II et avec même grossièreté par le chancelier Kaunitz, maître d'œuvre de la politique anticléricale de l’empereur.

    Cette réforme au pas de charge d’un aussi vaste empire avait été d’autant plus facile que Joseph II l’avait décidée seul, fidèle à sa devise « Tout pour le peuple, rien par le peuple ». Il n’allait pas en être de même pour les malheureux députés français, qui se voyaient pourtant comme des élus du peuple.

 

Celui par qui le scandale arrive

Pierre Samuel Dupond de Nemours

    Concernant l’origine de l’idée, nous en avons déjà parlé le 10 octobre et surtout le 24 septembre. Car c’est bien le 24 septembre que le sieur Dupont de Nemours émettra cette idée devant l’Assemblée. Même si beaucoup devait y penser déjà, c’est bien lui qui l’a exprimée le plus clairement à l’occasion d’un long discours très argumenté, fait en réponse à la proposition de réforme fiscale de Monsieur Necker.

Les journées de débats qui suivront constitueront en quelque sorte la chronique de l’accouchement difficile de ce projet très révolutionnaire, qui n’était rien d’autre qu’une réécriture du contrat social liant les Français.

Mais c’est bien Talleyrand, un évêque, qui va défendre ce projet et va le porter à son terme.

 

La réaction du clergé

    Les religieux se sont pas tous à l’image de Talleyrand, l’étonnant évêque d’Autun. Même si c’était le ralliement du bas clergé au Tiers État qui avait été le moment de bascule des États Généraux, l’Église dans son ensemble était loin d’être aussi progressiste, vous vous en doutez ! Les plus hostiles étaient bien sûr les représentants du haut clergé, tous nobles, qui voyaient d’un mauvais œil les idées progressistes de ces nouvelles classes de bourgeois et d’aristocrates imprégnés des idées des Lumières.

    Je vous ai parlé le 14 octobre, de la remontrance faite par le Parlement de Bretagne à l’encontre du mandement de Monsieur Le Mintier, Evêque de Tréguier daté, du 14 Septembre. Ce document était un vrai manifeste contre-révolutionnaire Le Parlement avait décidé de le faire interdire, tant ce brûlot échauffait les esprits dans les paroisses où les curés en faisaient lecture !

    On l’aura compris, tous les ecclésiastiques n’éprouvaient pas le détachement chrétien vis-à-vis des richesses terrestres prôné par leur religion, pas plus qu'ils n'appliquaient le pardon à ceux qui les offensaient !

    Certains députés étaient même menacés ! Lors de la séance du 31 août, Monsieur Chasset, avait lu une lettre anonyme très menaçante que lui avait adressé un ecclésiastique, qui n'était, selon ses propres mots, « ni modéré ni désintéressé et, qui en un mot déshonorait son ordre ». Celle-ci disait :

« Associé à l'horrible conspiration formée contre le Roi et la monarchie, vil scélérat, tu m'as dépouillé de tous mes biens. J'avais des pensions, des canonicats, des abbayes ; tu m'as privé de tout ; je n'ai plus rien qu'un désespoir contre toi. Ne pense pas qu'à mon âge je mourrai de faim sans venger Dieu, les lois, les pauvres, et trois cent mille hommes réduits comme moi à la mendicité.

« Je suis anonyme, tu me connaîtras au moment de la vengeance. »

Source (page 514) : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_5

L'abbé Maury

    A la tête de ce mouvement des opposants à ce projet, tonitruait le colérique abbé Maury. Nous avons déjà parlé de ce personnage hors du commun, si célèbre pour son violent caractère, et nous aurons l’occasion d’en reparler. Le fougueux abbé fera l’objet de nombreuses estampes caricaturales !

 


Le débat !

    Je ne vais vous rapporter que quelques extraits de ce très long débat. Vous pourrez le lire dans son entier grâce aux liens qui figurent dans l’article.

    Avant d'évoquer celui qui eut lieu ce 2 novembre, je pense nécessaire de vous rapporter ces quelques extraits du discours fait par Dupont de Nemours le 24 septembre.

Les religieux, pris au mot !

    Dupont de Nemours a vraiment initié très finement le débat, en prenant les religieux au mot, comme on dit. Lisez ces extraits de son discours du 24 septembre. Vous allez comprendre.

(…) « Rappelez-vous, Messieurs, ces jours mémorables où les ministres de la religion, nobles et bienfaisants comme elle, ont reconnu qu'après Dieu l'on ne peut adorer que la patrie ; où ils vous ont dit, par la bouche du prélat vertueux qu'ils avaient choisi pour organe : « Que la religion soit respectée ; que les devoirs du culte soient remplis avec décence ; que les pauvres soient soulagés, et nous remettons notre sort personnel entre les mains d'une nation généreuse »

(…)« Le clergé a fait son devoir : il l'a fait avec noblesse, avec piété, avec générosité, avec confiance ; mais c'était un devoir. »

(…)« Je ne vous ai encore parlé, Messieurs, que de la moindre partie des richesses que le service de la religion justement satisfait, laissera pour sauver l’État. »

(…)« Les respectables ministres des autels qui vous ont montré dans cette salle à quel point ils étaient citoyens avant d'être pontifes, et combien ils le sont demeurés depuis, n'ont point mis de bornes à leur zèle patriotique. Ils se sont donnés à vous, eux et leurs biens ; ils se sont remis de leur sort à la générosité de la nation, qui gravera dans ses fastes leur dévouement et leurs expressions nobles et touchantes. »

(…) « Le clergé a été un corps très-légalement existant : il a été anciennement le second, puis le premier ordre de l’État. Il était une grande corporation composée d'une multitude d'autres petites corporations, et chacune de celles-ci pouvait avoir des propriétés. La corporation générale pouvait en avoir aussi ; elle en avait ; elle levait sur ses membres des décimes qui étaient une propriété indivise de son ordre. Elle contractait avec des officiers. Elle était une république dans l'empire.

(…) « Le clergé, il faut le dire quoique à regret, puisque le fait est exact, le clergé n'a pas fait un bon usage de cet état de corporation. Je prie ses membres que j'honore, dont je respecte les lumières, dont j'admire l'éloquence et les talents, dont je révère le zèle, dont je chéris la vertu, de me pardonner ce que je suis obligé d'exposer ici : je ne l'impute à aucun d'eux ; il n'y en a aucun qui fût capable de la suite de résolutions anti sociales auxquelles leur ordre s'est porté : le tort n'en est pas moins à eux, il est uniquement à l'esprit de corps, qui est l'opposé de l'esprit public. Le clergé a tantôt esquivé, tantôt nettement refusé la contribution qu'il devait pour les besoins de la patrie. Cette conduite de sa part est très-moderne, elle ne date que de quatre-vingt-trois ans, mais elle a été poussée très loin, et les conséquences en sont très funestes. Si depuis 1706, le clergé eût contribué, non pas comme le peuple, on ignorait encore, l'année dernière, que cela fût juste, mais comme la noblesse, dont les privilèges étaient les seuls qu'il réclamât, il en résulterait dans nos finances une différence de deux milliards sept cents millions de capital ; il en résulterait non-seulement que nous n'éprouverions aucun déficit, mais qu'on eût pu remettre au peuple les impositions les plus onéreuses, sans remplacement et sans indemnité. (Voyez dans la pièce justificative, à la fin, la preuve de cette assertion.) Il est vrai que la faiblesse du ministère a singulièrement coopéré à ce mal public ; mais le ministère n'aurait pas eu cette faiblesse, si le clergé n'eût pas été une corporation. »

Il s’était fait encore plus clair en affirmant tout bonnement :

« Les biens du clergé sont donc à vous, c'est-à-dire à la nation, qui vous a confié ses pouvoirs. »

Dupont de Nemours était même allé jusqu’à critiquer la médiocre qualité des services que l’Eglise était censée assurer :

« Nous savons tous que l'administration de la charité est très-imparfaite, et que le système de l'éducation publique est tout à fait mauvais. »

(…) « Nous savons que dans les hôpitaux, on fait avec beaucoup de zèle et de dépense, avec un courage héroïque et une angélique vertu de la part des sœurs infirmières, peu pour le besoin, rien pour la consolation, gui est le premier besoin de l'infortune et de la mauvaise santé. J'ai indiqué ailleurs quelques moyens pour opérer beaucoup plus de bien moral et physique, à moins de frais. »

(…) « Nous savons, quant aux collèges, combien l'éducation y est pédantesque, chargée de mots, vide de choses, dénuée des connaissances qui peuvent être utiles à la société, et que nous sommes entièrement privés de livres véritablement classiques. »

(…) « Ainsi toutes les raisons les plus puissantes et les plus irrésistibles se réunissent pour constater, Messieurs, que les biens du clergé, de quelque nature qu'ils soient, n'ont été qu'en dépôt entre ses mains, et qu'ils appartiennent à l'Etat, sous la seule condition de pourvoir honorablement à l'entretien du culte et de ses ministres, et de conserver, d'améliorer même les établissements de charité ou d'instruction. »

La véritable raison expliquée par Dupont de Nemours

La vente des biens-fonds du clergé, ouvrira selon son expression, « un emploi avantageux et sûr aux capitaux libres ». L’État n’aura même pas à se presser. Il pourra jouir provisoirement des revenus, et il pourra attendre en chaque lieu des offres convenables. Il assure qu’il y aura rapidement des offres pour les édifices et les terrains des villes, particulièrement de la capitale, où les maisons religieuses occupent les plus beaux emplacements. Il y a dans Paris pour 40 millions au moins de ces édifices inutiles, à réaliser en trois mois ! »

Le sacro-saint problème de la propriété

    En fait, le cœur des débats dans les semaines qui suivront, sera de savoir à qui appartiennent vraiment les biens de l’Église. Sont-ils la propriété de la Nation ou de l’Église ? Pas question pour cette Assemblée de propriétaires qui vient tout juste de décréter le suffrage censitaire aux élections et de décider que seuls les propriétaires seraient éligibles, de déposséder de sa propriété une personne ou une institution !

    Mais à qui peut appartenir une cathédrale construite voici déjà des siècles ? A l’Église ? Mais l’Église est constituée autant de ses officiants que de ses nombreux fidèles ! A la Nation ? Mais qu’est-ce donc que la Nation.

    Prenons un exemple. Celui qui assure une fonction dans un service public, est-il propriétaire des locaux où il travaille ? L’institutrice est-elle propriétaire de son école ou le facteur propriétaire de son bureau de poste ? Bien sûr que non. Ces locaux sont propriétés de la Nation. Pourquoi est-ce plus difficile à penser pour l’Église, si ce n’est à cause du poids des préjugés ?

L’Église, comme l’État, sont des corps fictifs.

Augustin Felix Elisabeth Barrin La Galissonnière

    Comme l’expliquera M. le comte de La Galissonnière : « Une nation est un corps fictif, un être moral. Un être moral n'a et ne peut avoir de propriété. Une nation est la réunion d'hommes gouvernés par la loi : la loi est l'expression de leurs volontés. La nation constituée souveraine fait exécuter la loi ; et jamais des hommes réunis pour se donner des lois n'ont dit ni voulu dire que leur assemblée, appelée depuis nation, eût le droit de disposer des propriétés particulières : la nation est donc constituée pour les conserver, et non pour en disposer. »

Ce disant, il oublie que l’Église, elle aussi, est un corps fictif !

    Plus loin dans son discours, il fait mine d’accepter le principe que « toute corporation religieuse existant dans un État n'existe que du consentement de la nation ; que cette nation, étant maîtresse de la supprimer et de disposer d'une manière quelconque de ses jouissances, peut conséquemment disposer de ses fonds » ; et que donc, « la propriété des biens de cette corporation appartient à la nation. »

Mais il en déduit le raisonnement suivant : « En adoptant et en étendant ce principe, la nation est propriétaire des biens du clergé ; ses membres n'en sont que les administrateurs ; je dis simplement les administrateurs, et non les usufruitiers, puisque de leur vivant on agite et on propose la vente des fonds. Ainsi, dans le système moderne, la nation est constituée propriétaire de tous les biens du clergé. Je ne crains pas de répéter qu'un être moral n'a pas de propriétés, et que c'est confondre les idées de créer en droit positif ce qui est en droit négatif."

Et il en conclut : « Quel est donc le propriétaire des biens du clergé ? Ce sont les pauvres et le culte divin. » 

Naissance d’une Nation

    Le plus intéressant dans le raisonnement de M. le comte de La Galissonnière, ce n’est pas sa conclusion, mais la prise en compte du fait que non seulement la Nation, mais aussi bien l’État et l’Église, que le peuple même, sont des corps fictifs, sans parler du culte divin !

    Un État, qu’il soit un royaume ou une république résulte d’une convention tacite entre ses habitants et même ceux des états riverains. Il n’a aucune existence physique réelle. Aucune nation n’est discernable depuis un satellite ! Une société humaine a besoin de ces réalités imaginaires pour se penser collectivement. Il lui faut inventer des abstractions comme le royaume, l’état ou l’église, pour pouvoir faire en sorte que des individus fort différents acceptent de vivre ensemble sous les mêmes lois, qu’elles fussent de nature divine ou constitutionnelles.

    Le moment de la Révolution française est passionnant pour cela, car nous observons des individus essayant d’imaginer une nouvelle fiction qui leur permettra de vivre ensemble suivant des principes qu’ils jugent plus justes.

Un combat d’arrière-garde pour l’Église

    Certains des arguments et solutions proposés par les adversaires de ce projet, sont intéressants, voire même justes ou pertinents. Mais ils arrivent trop tard ! C’était quand le Roi essayait tant bien que mal de réformer son royaume, nommant successivement des ministres dont les réformes politiques étaient systématiquement combattues par les corps privilégiés, quand il convoquait les Assemblées des Notables chaque fois sans issues, que ces concessions auraient dû être faites par l’Église. A présent que l’orage révolutionnaire est là, c’est trop tard !

Une étonnante peur du Capitalisme

    La Noblesse, qui jusqu’à présent n’a jamais eu à travailler pour s’enrichir, redoute le spectre affreux du capitalisme. Non, vous ne rêvez pas. Lisez cet argument de Monsieur le comte de La Galissonnière :

« Qui peut répondre, Messieurs, que les provinces, que les paroisses ne forment opposition à l'exécution de votre décret ; que chacune d'elles ne veuille conserver pour les frais du culte, pour le soulagement de ses pauvres, ces mêmes propriétés, au lieu de les voir passer dans les mains de capitalistes, souvent étrangers au royaume, et à coup sûr étrangers à la province ou à la paroisse ? »

Il affirme plus loin : « Le résultat de pareilles ventes serait de faire passer le patrimoine des pauvres dans les mains des capitalistes, des banquiers, des financiers. »

Pour le « patrimoine des pauvres », comprendre « les biens du clergé »

    Il sera appuyé dans ce sens par Monsieur le Comte de La Marck

« Une province est riche lorsqu'elle a un sol fertile, bien cultivé, des moissons abondantes et une population proportionnée à son étendue. Elle est heureuse lorsque ses richesses ne sont appliquées qu'à ses besoins, à ses jouissances ; elle est heureuse et riche lorsque ses propriétés foncières sont bien administrées par des possesseurs qui n'étendent pas au dehors leurs dépenses et leurs fantaisies, qui répandent dans le sein même de la province le numéraire échangé contre les fruits de leurs terres ; »

Monsieur le Comte de La Marck précise ainsi le fond de sa pensée, en évoquant sa terre de Raismes, située entre Valenciennes et Tournai (reçue en dot de son épouse) :

« Le plus grand nombre de ces possesseurs, les religieux, les chapitrés, consomment leurs richesses sur la terre même qui les produit : ils n'ont aucune idée de ces objets de luxe et de curiosité qu'on va chercher au loin et qui transportent le numéraire d'un pays dans un autre. Leurs revenus, bien supérieurs à leurs besoins, sont en partie employés à construire ou entretenir d'immenses bâtiments, et en partie aux frais de l'éducation publique, et toujours aux secours éclairés versés sur les indigents.

Cette source de richesses et de bonheur, dont plusieurs siècles attestent les preuves et semblaient avoir affermi les bases, va se tarir, si l'Assemblée nationale, d'après le décret qu'elle a rendu le 2 novembre, dispose de ces biens, soit pour le payement de la dette nationale, soit pour tout autre usage commun à tout le royaume. »

Le refus d’une collectivité nationale

    Outre la peur du lointain capitaliste, on devine le refus de faire Nation. L’idée de Nation, en effaçant celle des Provinces permet de créer une solidarité nationale. Quand Monsieur le comte de La Marck s’attendrit sur la richesse locale consommée dans ce qu'il désigne sous le nom de sa province "Belgique", il entretient l’illusion d’une auto-suffisance qui est un leurre. Que pourraient ses bienheureux laboureurs si les mineurs d’une lointaine province n’extrayaient pas le fer de leurs arides montagnes, pour forger les socs des charrues ? Bien peu de Provinces, en vérité, sont capables d’être totalement autonomes. Ce que les Seigneurs régnant sur ces Provinces souhaitent, c’est seulement la conservation de leurs privilèges, comme nous l’avons vu le 16 octobre avec le décret de la Sénéchaussée de Toulouse qui s’opposait aux décrets de l’Assemblée (dont le redécoupage administratif du royaume).

Quid du capitalisme ?

    Essayons de reconsidérer le fameux capitalisme à l’écart de nos préjugés contemporains. (Au départ, c'est juste un ingénieux système économique qui permet de financer des projets avec de l'argent que l'on n'a pas)

    Cette menace évoquée par La Marck concernant ces lointains capitalistes, nous l’avons déjà vue évoquée lors de la présentation du projet de réforme de l’agriculture. D'importantes parties du royaume étaient en friches, recouvertes de forêts ou de marais ; les seigneurs locaux préférant une forêt giboyeuse pour le plaisir de la chasse, plutôt que des champs cultivés, des vergers ou des prairies ou pourraient paître des troupeaux. Des capitaux étaient donc vraiment nécessaires pour financer des canaux de transports ou d’irrigation, des drainages de marais, des constructions de routes, de moulins, etc.

    Le capitalisme construira effectivement toutes ces infrastructures et améliorations diverses ! Ce faisant il créera encore plus de richesses. Mais bien sûr, les hommes étant ce qu’ils sont et le capitalisme étant habile à forger la mythologie d’un enrichissement par le travail, il n’y aura aucun progrès vers une juste répartition des richesses. Ce tableau réalisé par le célèbre économiste Thomas Piketty est assez révélateur.

Les défenseurs du projet

    Parmi toutes interventions, j’ai retenu celles de Messieurs La Poule, Le Chapelier et bien sûr celle de Mirabeau.

Jean-Louis La Poule

Monsieur La Poule montre les dents 😉 (Désolé)

Lisons cet extrait : 

" La question de savoir si les biens de l’Église appartiennent à la nation est suffisamment discutée. J'ajouterai seulement des observations qui n'ont pas été faites. L’Évangile prescrit aux successeurs des apôtres le détachement des biens temporels, et les lois de l’Église établissent que les fidèles consacrés à Dieu ne doivent rien posséder en propre. Le clergé ne serait donc propriétaire que contre son institution ; la loi devrait donc faire cesser cet abus. Les fondateurs ne pouvaient donner qu'à ceux qui pouvaient recevoir ; on invoque inutilement le droit des fondateurs.

On doit cependant distinguer les donations faites aux curés par les communautés des lieux où les cures sont établies. Je fais de cette distinction l'objet précis d'un amendement. (Ici l'orateur tire de sa poche un gros volume dont la vue excite de l'agitation parmi les membres du clergé.)

Ce livre que je tiens en main contient les institutions ecclésiastiques. Voici une maxime fondamentale que je tire du chapitre...

« Les ecclésiastiques ne peuvent rien posséder en propre. »

Rappelons donc le clergé à ses premières institutions ; rappelons-nous le chef de l’Église donnant l'exemple de la pauvreté et de l'humilité ; l'égoïsme et l'intérêt ont perverti l'esprit et l'intention des fondateurs ; le clergé, à son gré, s'était attribué le droit de fondre ensemble plusieurs fondations, d'en supprimer, etc.

Passant aux intérêts civils, nous sentirons les inconvénients qu'il y aurait à laisser entre les mains de ces grandes familles stériles, qui ne se soutiennent qu'au détriment de la génération présente, des biens immenses, condamnés par l'esprit ecclésiastique à une éternelle stagnation.

Abbé de Montesquiou

Je crois devoir aussi réfuter l'objection de M. l'archevêque d'Aix et de
l'abbé de Montesquiou, qui ont prétendu que le clergé était propriétaire, parce que le clergé avait reçu des donations de citoyens aptes à les faire.

Il est certain qu'un propriétaire peut donner ; mais, dans une donation, il faut que le donateur et le donataire soient aptes, l'un à donner, l'autre à recevoir. Or, le clergé, par son institution, ne pouvait recevoir, puisqu'il devait par état, en suivant l'exemple des chefs suprêmes de la religion, renoncer à l'éclat des richesses et s'enorgueillir, non de ses biens, mais de sa pauvreté. Le clergé, en possédant des biens-fonds, a donc interverti l'ordre des choses, foulé aux pieds sa première institution, qui lui défendait de posséder des richesses. Donc il ne pouvait, sous quelque prétexte que ce soit, s'approprier des terres, et encore moins abuser de la crédulité des fidèles pour les spolier, non en faveur des églises, mais constamment en faveur de leurs individus. De là, et c'est moi qui tire cette conséquence conforme aux principes de justice, de vérité, dont je ne m'écarte jamais, au moins de gaîté de cœur ; de là ces abus, ces scandales, ces infamies, qui auraient renversé notre divine religion, si elle n'eut été assise sur les immuables bases que loi a posées Jéhova. Non, je ne vois pas de preuves plus frappantes de la solidité et de la divinité de la chrétienté que le libertinage du clergé, et l'abus incommensurable qu'il a fait du texte même de l’Évangile, tantôt pour asservir les peuples et les rois sous le joug du despotisme ecclésiastique, tantôt pour faire briller à leurs yeux le glaive flamboyant de la puissance temporelle et spirituelle. De là, depuis l'usurpation de Pépin, qui se servit de l'ambition des prêtres pour affermir son usurpation, nos rois ont dépendu plus ou moins de l'orgueil des prêtres et de leurs chefs qui, se couvrant du voile de serviteurs des serviteurs, ont été les plus orgueilleux des humains, et ont poussé le fanatisme de l'orgueil jusqu'à déposer les têtes couronnées et les fustiger à la porte de nos temples. Le pauvre Louis le Débonnaire en a été un exemple frappant."

Monsieur Le Chapelier craint que le clergé ne ressorte de sa cendre...

M. Le Chapelier :

" Je m'étonne d'avoir entendu rapporter avec tant de confiance, au milieu de cette Assemblée, ces expressions : nos adversaires, nos biens ... Je m'étonne d'avoir vu quelques-uns de nos collègues se réunir, faire cause se défendre comme un particulier indépendant de nous qui serait traduit à notre tribunal, et je sens combien il est important d'achever de détruire ces idées de corps et d'ordre qui renaissent sans cesse.

La nation peut-elle déclarer les gens de mainmorte inhabiles à posséder des biens ? Voilà la question.

On a souvent divagué dans la discussion ; je réponds par deux propositions :

Premièrement, les gens de mainmorte, respectivement à la nation, n'ont jamais eu de propriété.

Tous les établissements, depuis le plus révéré jusqu'au moins respectable, ont reçu leur existence de la nation pour le plus grand bien de l’État. Ils ont été chargés d'une mission quelconque ; des moyens d'exécution leur ont été confiés ; ils ont dû administrer avec ces moyens, mais ils ne sont pas devenus propriétaires de ces moyens. Le clergé est un de ces établissements.

Secondement, le clergé n'a donc jamais été propriétaire, mais seulement administrateur.

Je ne puis, en effet, reconnaître la propriété dans l'usufruitier, dans celui qui n'a pas même totalité de la jouissance de cet usufruit : je n'y vois que l'administrateur. Eût-il été propriétaire, le clergé le serait-il encore ? Cette corporation, cet ordre, n'a-t-il pas cessé d'exister ? Je ne le vois plus que parmi les superbes débris d'une immense révolution, il est devenu le patrimoine de l'histoire.

La nation est-elle propriétaire ?

Pour qui les églises retentissent-elles de prières ? Pour la nation. A qui a-t-on donné ? Aux individus ? Vous ne le pensez pas ; au culte ? Vous avez raison ; mais le culte à qui appartient-il ? A la nation. Dans des besoins pressants on a pris une partie de votre revenu ; et vous dites que c'est de votre consentement ! Quel droit auriez-vous eu de faire ces dons d'un revenu qui ne vous appartenait pas en entier ? Le Roi en a disposé pour la nation, parce que la nation était propriétaire, parce que le salut du peuple est la première loi.

Quand on a dit que la nation était propriétaire, vous avez répondu qu'il était dangereux qu'elle le fût ; et c'est le sort des grandes vérités d'être contestées. Celle-ci a été défendue par les raisonnements, par les faits, par des autorités respectables. On a rappelé le sentiment de M. Turgot : citer ce ministre, c'est attester la vertu même. Vous avez parlé des droits des fondateurs, mais les fondations existent-elles autrement que par la loi ? Mais les fondateurs ont-ils pu enchaîner la loi ?...

Hâtons-nous de décréter le principe, une foule d'intérêts l'exigent la Constitution le réclame : elle n'est pas faite, s'il n'est consacré.

Vous avez voulu détruire les ordres, parce que leur destruction était nécessaire au salut de l’État : si le clergé conserve ses biens, l'ordre du clergé n'est pas encore détruit. Vous lui laissez nécessairement la faculté de s'assembler, vous consacrez son indépendance, vous préparez la désorganisation du corps politique que vous êtes chargés d'organiser. On dira que vous empêcherez ces assemblées ; vous ne le pourrez pas, car vous avez supprimé les dîmes. Les curés ne sont pas dotés ; pour remplacer ces dotations, il faudra des répartitions ; pour faire ces répartitions, il faudra des assemblées ..... Que les individus qui composent le clergé ne soient donc à l'avenir que des citoyens. Il me semble que si j'avais l'honneur d'être ministre des Autels, j'aimerais mieux recevoir de la nation que d'une assemblée de prélats et d'abbés...

Le clergé offre des dons ; mais de quel droit, mais à quel titre ? Il les prendra sur le patrimoine du culte, sur le patrimoine des pauvres…

Redoutez ce piège ; il veut sortir de sa cendre pour se reconstituer en ordre : ces dons sont plus dangereux que notre détresse.

On nous parle des pauvres ; mais ne dirait-on pas qu'ils sont une caste dans l’État, comme le clergé ? Doit-on laisser le soin de leur subsistance aux ecclésiastiques ? Que peut un bénéficier ? (Une stérile et dangereuse charité, propre à entretenir l'oisiveté. La nation, au contraire, établira dans ces maisons de prière et de repos des ateliers utiles à l’État, où l'infortuné trouvera la subsistance avec le travail... Il n'y aura plus de pauvres que ceux qui voudront l'être. »

Voilà bien ce que l’on appelle « un vœux pieux »...

Mirabeau balaye tout…

    Après cette intervention de Le Chapelier, on demandait d’aller aux voix quand Monsieur le Comte de Mirabeau, après avoir précisé que l’excellent esprit de M. Le Chapelier avait prévu tout ce qu’il se proposait de dire, demanda cependant à répondre au défi de M. l'abbé de Montesquiou.

    Mirabeau est souvent agaçant, parfois incompréhensible tant il manigance de choses, mais dans cette Assemblée de notables, je dois reconnaitre qu’il me fait souvent l’effet d’un lion rugissant. C’est vraiment Mirabeau qui va ce jour-là, une fois de plus, imposer sa pensée.

Lisons-le :

« Vous allez décider une grande question. Elle intéresse la religion et l’État ; la nation et l'Europe sont attentives, et nous nous sommes arrêtés jusqu'à présent à de frivoles, à de puériles objections.

C'est moi, Messieurs, qui ai eu l'honneur de vous proposer de déclarer que la nation est propriétaire des biens du clergé.

Ce n'est point un nouveau droit que j'ai voulu faire acquérir à la nation ; j'ai seulement voulu constater celui qu'elle a, qu'elle a toujours eu, qu'elle aura toujours ; et j'ai désiré que cette justice lui fût rendue, parce que ce sont les principes qui sauvent les peuples, et les erreurs qui les détruisent.

Supposez qu'au lieu de la motion que j'ai faite, je vous eusse demandé de déclarer que les individus sont les seuls éléments d'une société quelconque, personne n'aurait combattu ce principe.

Si je vous avais proposé de décider que des sociétés particulières, placées dans la société générale, rompent l'unité de ses principes et l'équilibre de ses forces, personne n'aurait méconnu cette grande vérité.

Si je vous avais dit de consacrer ce principe : que les grands corps politiques sont dangereux dans un État, par la force qui résulte de leur coalition, par la résistance qui naît de leurs intérêts, il n'est aucun de vous pour qui ce danger n'eût été sensible.

Si je vous avais transportés à l'époque de la société naissante, et que je vous eusse demandé s'il était prudent de laisser établir des corps, de regarder ces agrégations comme autant d'individus dans la société, de leur communiquer les actions civiles, et de leur permettre de devenir propriétaires à l'instar des citoyens, qui de vous n'aurait pas reconnu qu'une pareille organisation ne pouvait être que vicieuse ?

Si, vous peignant ensuite le clergé tel qu'il est, avec ses forces et ses richesses, avec son luxe et sa morale, avec son crédit et sa puissance, je vous avais dit : Croyez-vous que si le clergé n'était pas propriétaire, la religion fût moins sainte, la moralité publique moins pure, et les mœurs du clergé moins sévères ?

Pensez-vous que le respect du peuple pour les ministres des autels fût moins religieux ou que sa confiance en eux fût moins ébranlée, s'il n'était plus forcé de comparer leur opulence avec sa misère, leur superflu avec ses besoins, et ses travaux avec la rapidité de leur fortune ?

Vous imaginez-vous qu'il soit impossible de supposer le clergé respectable, stipendié par l’État comme sa magistrature, son gouvernement, son armée, et même comme ses rois, ayant des revenus et non des propriétés , dégagé du soin des affaires terrestres, mais assuré d'une existence aussi décente que doivent le comporter ses honorables fonctions ?

Si j'avais continué de vous dire : Ne voyez-vous pas que les trois quarts du clergé ne sont réellement que stipendiés des autres membres du même corps, et qu'autant vaut-il qu'ils le soient de l’État ? Ne voyez-vous pas que toutes les grandes places du clergé sont à la nomination royale, et qu'il est indifférent pour celui qui en est l'objet que cette nomination donne un revenu fixe, ou des possessions territoriales ? Il n'est certainement aucun de ces principes que vous n'eussiez adoptés.

Enfin, Messieurs, si je vous avais dit : Le clergé convient qu'il n'y a que le tiers de ses revenus qui lui appartienne ; qu'un tiers doit être consacré à l'entretien des temples, et u autre tiers au soulagement des pauvres : établissez donc trois caisses de revenu de ces biens ; déclarez que le tiers qui sera destiné aux ministres des autels sera chargé de toutes les dettes du clergé, et supportera encore une portion proportionnelle des impôts ;

Si je vous avais dit : Les ministres des autels ne doivent pas même avoir le tiers des revenus de l’Église, parce que les besoins publics auxquels ces biens étaient destinés sont beaucoup moindres que dans le temps où les fondations ont été faites, et que tandis que ces besoins ont diminué par l'effet inévitable de la perfection sociale, les biens se sont accrus par l'effet non moins inévitable du temps ;

Si j'avais ajouté qu'il ne faut pas comprendre dans le tiers des biens destinés aux ministres des autels les domaines que les ecclésiastiques ont acquis du produit des autres biens, parce que ce produit ne leur appartenait point, d'après leurs propres principes ; qu'ils n'auraient rien épargné s'ils s'étaient contentés du simple nécessaire que leur accordent les canons de l’Église, et que c'est à la nation, protectrice des pauvres et du culte, à surveiller si les fondations ont été remplies ;

Si j'avais dévoilé comment le clergé, depuis plus d'un siècle, a grevé les biens de l’Église d'une dette immense, en empruntant au lieu d'imposer, en ne payant que les intérêts de sa contribution annuelle, au lieu de payer cette contribution sur ses revenus, à l'instar de tous les autres citoyens, et que j'eusse demandé qu'il fût forcé d'aliéner sur le tiers qui lui appartient, jusqu'à la concurrence de ses dettes ;

Si je vous avais dit : Que le clergé soit propriétaire ou qu'il ne le soit pas, il n'en est pas moins indispensable de distinguer ses possessions légitimes de ses usurpations évidentes ; une foule de bénéfices existent sans service, un grand nombre de fondations ne sont pas remplies ; voilà donc encore des biens immenses qu'il faut retrancher du tiers qui doit rester au clergé. Vous avez déclaré qu'une foule de droits seigneuriaux n'étaient que des usurpations, et d'après ce principe vous les avez supprimés sans indemnité. N'y aura-t-il d'inviolable que les usurpations de l’Église ?

Si j'avais encore observé que beaucoup d'abbayes ne sont que de création royale ; que beaucoup de sécularisations d'ordres religieux ne permettent plus d'exécuter la volonté des premiers fondateurs, pour laquelle on voudrait aujourd'hui nous inspirer tant de respect ; que plusieurs corps ecclésiastiques ont été détruits du consentement du clergé ; qu'il est très facile, sans nuire au service des églises, de diminuer le nombre des évêques ; que les richesses ecclésiastiques sont trop inégalement distribuées pour que la nation puisse souffrir plus longtemps la pauvreté et la chaumière d'un utile pasteur à côté du luxe et des palais d'un membre de l’Église souvent inutile, il n'est aucune de ces réflexions qui ne vous eût paru digne d'attention et susceptible de quelque loi.

Eh bien ! Messieurs, ce n'est rien de tout cela que je vous ai dit. Au lieu d'entrer dans ce dédale de difficultés, je vous ai proposé un parti plus convenable et plus simple. Déclarez, vous ai-je dit, que les biens de l’Église appartiennent à la nation ; ce seul principe conduira à mille réformes utiles, et par cela seul tous les obstacles sont surmontés.

Mais non : s'il en faut en croire quelques membres du clergé, le principe que je vous propose de déclarer n'est qu'une erreur.

Le clergé, que j'avais cru jusqu'ici n'être qu'un simple dispensateur, qu'un simple dépositaire, ne doit pas seulement jouir des biens de l’Église, il doit encore en avoir la propriété ; et la religion, la morale et l’État seront ébranlés si l'on touche à ses immenses richesses.

Permettez donc, Messieurs, que je vous rappelle encore quelques principes, et que je réponde à quelques objections. »

Je vous laisse le plaisir de découvrir la suite de son discours et même toutes les interventions, par le lien suivant :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5266_t1_0629_0000_6

 

Charles Maurice de Talleyrand Perigord

Et Talleyrand ???

    Ne l’oublions-pas, puisqu’en effet c’est lui le héros de cette histoire, selon les historiens.

    Talleyrand va conclure, en donnant son opinion sur la question des biens ecclésiastiques. Il va également rappeler au début de son discours, que le clergé ne dispose de plus grand chose et qu’il est à présent « entièrement dépendant de la volonté nationale »…

Lisons le début de son discours :

    « Messieurs, je suis presque seul de mon état qui soutienne ici des principes qui paraissent opposés à ses intérêts. Si je monte à cette tribune, ce n'est pas sans ressentir toutes les difficultés de ma position. Comme ecclésiastique, je fais hommage au clergé de la sorte de peine que j'éprouve ; mais comme citoyen, j'aurai le courage qui convient à la vérité.

Insensible à des interprétations qui ne m'atteignent pas et que je m'abstiens même de qualifier, je ne répondrai ni aux paroles, ni aux écrits de quelques personnes trop dominées par leur intérêt : il me faudrait parler de moi, descendre un moment des grands objets qui vous occupent et oublier la dignité de cette Assemblée.

Depuis le jour où la grande question des biens ecclésiastiques a été agitée parmi nous, sans doute tout a été dit de part et d'autre ; et néanmoins il est peut-être, au moment de la décision, plus que jamais indispensable de bien circonscrire l'état de la question.

Avant tout, je conjure les membres de l'état auquel j'ai l'honneur d'appartenir, de ne pas perdre de vue notre position actuelle : le clergé n'est plus un ordre ; il n'a plus une administration particulière ; il a perdu ses dîmes qui formaient au moins la moitié de ses revenus, et ce serait s'abuser que de penser qu'elles lui seront rendues. Il est donc, sous le rapport de cette partie considérable de ses anciennes possessions, entièrement dépendant de la volonté nationale, qui s'est engagée, il est vrai, à fournir un remplacement, mais non pas un équivalent ; car c'est ainsi que les décrets de l'Assemblée se sont littéralement expliqués. Dans cet ordre de choses tout nouveau, et qu'il me semble qu'on oublie beaucoup trop, il ne reste aujourd'hui au clergé que ses biens-fonds, et c'est après y avoir bien réfléchi, que j'ai pensé, que je pense encore qu'il lui importerait d'en faire Je sacrifice même dans la seule vue d'améliorer son sort. (…)

La suite par ce lien : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6427_t1_0649_0000_2


Guerre des images

    A partir de cette date puis durant l'année suivante 1790, des centaines d'estampes anti-cléricales seront imprimées. 

    Vous pourrez en voir la plupart sur le site de l'Université de Stanford en cliquant sur l'image ci-dessous :


 


Fin de la version longue ! 😉



Encore un petit "nota" malgré tout.

Voici cette information, datant du 26 novembre 2021 Le diocèse de Paris possède 700 millions d’euros de biens immobiliers cachés.

Sans commentaire...


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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand