mercredi 14 octobre 2020

14 Octobre 1789 : Remontrance du Parlement de Bretagne contre le brûlot de l'évêque de Tréguier

  

Evêque de Tréguier

    Peut-être commenciez-vous à vous étonner de voir des curés rallier la cause du peuple et des évêques désirant remettre à la Nation les richesses de l’Eglise ? Rassurez-vous, car en lisant le mandement de Monsieur Le Mintier, Evêque de Tréguier daté du 14 Septembre 1789, vous allez retrouver une Eglise Catholique plus conforme à son image contre-révolutionnaire.

    Ce mandement circule déjà depuis un mois et commence tellement à agiter les esprits dans certaines paroisses, que ce 14 Octobre 1789 le Parlement de Bretagne publie une remontrance dans laquelle il interdit la publication et la diffusions de ce mandement considéré « captieux et tendant, sous prétexte d’instruction, à favoriser et exciter la fermentation des esprits et le fanatisme, et à troubler la tranquillité publique ».

    Joseph-Marie Brossay Du Perray, doyen des Substituts de Monsieur le Procureur Général du Roi, est l’auteur de cette remontrance dont le ton est plutôt sévère à l’égard de l’auteur du mandement du 14 Septembre. Lui-même utilise régulièrement le terme « auteur », comme pour faire grâce à l’évêque de la possibilité qu’il ne fut pas le rédacteur de ce qui ressemble fortement à un appel à la contre-révolution.

    Vous trouverez dans la fenêtre en bas de l’article, le mandement de l’évêque et la remontrance du Parlement de Bretagne. Je ne peux que vous en conseiller très vivement la lecture.

   J’ai cependant pris la peine de vous retranscrire certains passages du mandement de l’évêque, que je trouve tout particulièrement intéressants. On y trouve en effet tout l’argumentaire réactionnaire et passéiste du discours contre-révolutionnaire, mais pas seulement. Plus que la description apocalyptique qu’il fait d’une France ravagée par la Révolution, mon attention s’est portée sur le fait que l’évêque prétende avoir écrit ce document en réaction à une lettre « touchante » dont le Roi l’aurait honoré ! Il appuie d’ailleurs nombre de ses dires, de références à cette « Lettre de Sa Majesté », que j’ai fait apparaître en rouge dans le texte ci-dessous.

    Le doyen des Substituts de Monsieur le Procureur Général du Roi du Parlement de Bretagne, a d’ailleurs la délicatesse de ne pas relever cette incongruité, (tout comme il réserve la possibilité que l’évêque ne fut pas l’auteur de cet appel à la révolte).

    Ainsi donc notre bon roi Louis se serait plaint de ses mésaventures révolutionnaires auprès du Comte Evêque ?

    J’ai retrouvé cette lettre écrite effectivement par Louis XVI le 3 Septembre 1789. Je vous invite à la lire pour vous forger votre propre opinion. A sa lecture, je pense que l’évêque a été un peu plus loin que ce que le roi attendait de lui…

Cliquez sur l’image ci-dessous pour lire la lettre du roi.

Il y aura des suites !

    Monsieur Alquier membre du comité des rapports interviendra le lendemain 15 octobre, pour traiter de ce scandaleux document !

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5189_t1_0453_0000_12


Voici les extraits du mandement de l’évêque, que j’ai retranscrits pour vous :

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517214

Les deux documents complets sont accessibles dans la fenêtre sur la BNF en bas de l’article.

 

Mandement du 14 Septembre 1789, de l’évêque et Comte de Tréguier qui ordonne des Prières publiques pour le rétablissement de l’Ordre et de la Paix dans l’intérieur du Royaume.

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517214/f6.item

« Augustin René-Louis LE MINTIER, par la miséricorde de Dieu & la grâce du Saint-Siège Apostolique, évêque & Comte de Tréguier, Conseiller du Roi en tous ses Conseils, au Clergé séculier & régulier, & aux Fidèles de notre Eglise, Salut : Que la paix de Dieu, cette paix si désirable qui surpasse toutes nos pensées, règne dans vos cœur & conserve les esprits dans la Foi de Notre-Seigneur Jésus Christ.

Nous ne pouvons, nos très chers Frères, vous peindre les sentiments que nous avons éprouvés à la lecture de la Lettre touchante dont le Roi nous a honoré. » (…)

(Page 4) « Dans la crise générale qui agite le Royaume, que des esprits ennemis de toute domination ont fait naître, que des libellistes fougueux fomentent, non plus en secret & dans les ténèbres, mais dans des écrits incendiaires répandus avec audace, dévorés avec avidité ; dans ces jours mauvais, où le premier, le plus illustre Trône de l’univers est ébranlé jusques dans ses fondements ; lorsque les mouvement convulsifs de la Capitale se font sentir dans les Provinces les plus reculées de l’empire Français, serait-il permis à un Evêque de garder un coupable silence ? »

(Page 5) « Et quel est le Ministre des Saints Autels dont les entrailles de seraient pas déchirées à la vue des combats qu’on livre à l’Eglise ? Quel est le Citoyen patriote qui pourrait envisager sans effroi les suites funestes de la fermentation universelle que des Anonymes effrénés ont excité dans le Royaume ? »

(Page 6) « Hélas ! Nos très chers frères, qu’elle est différente d’elle-même cette Monarchie Française ! Le plus domaine de l’Eglise Catholique, le berceau des héros, l’asyle des Rois, la patrie des sciences et des arts.

Les Princes du sang royal, fugitifs chez des nations étrangères ; la discipline militaire énervée ; le citoyen armé contre le citoyen : un système d’indépendance et d’insurrection présenté avec art, reçu avec enthousiasme, soutenu par la violence ; toutes les sources du crédit national interceptées ou taries ; le commerce languissant ; les lois sans force & sans vigueur ; leurs dépositaires dispersés ou réduits au silence : le nerf de l’autorité entre les mains de la multitude ; toutes les classes de citoyens confondues ; la vengeance avide de sang, aiguisant les poignards, dirigeant ses victimes, exerçant ses fureurs homicides. »

(Page 7)  « Tels sont les succès monstrueux de ces hommes pervers, qui, abusant des talents que la nature leur avait donné pour un meilleur usage, ont, par leurs libelles, soufflé parmi nous l’esprit d’indépendance & d’anarchie. Puissent les plans de régénération qu’elles contiennent, rentrer dans le néant dont elles n’auraient jamais dû sortir !

« Conservons nos Lois antiques, elles sont la sauvegarde de nos propriétés, de nos personnes, de notre gloire. (…)

(Page 9) « Hélas ! Ces jours sereins ne sont plus, ils ont disparu comme un songe. L’autorité du Roi est affaiblie, l’Eglise tombe dans l’avilissement & dans la servitude, ses Ministres sont menacés d’être réduites à la condition de commis appointés, les Tribunaux suprêmes sont méconnus, humiliés : l’Ouvrier & l’Artiste qui n’ont d’autre patrimoine que le temps & le travail de leurs mains, sont arrachés à leurs occupations ; une contrebande soutenue à main armée (Lettre de Sa Majesté), détruit avec un progrès effrayant les revenus de l’état & tarit les ressources destinées au paiement des dettes les plus légitimes ; le service militaire est interrompu, déserté, le Soldat, sourd à la voix des Chefs, abandonne ses drapeaux & répand partout la terreur & l’épouvante : des brigands & des gens sans aveu soulèvent l’esprit des Habitants des Campagnes, (Lettre de Sa Majesté) attaquent les Châteaux, détruisent les Archives ; la populace révoltée, porte le fer & le feu dans les établissements les plus utiles, dans les retraites des Solitaires ; le Peuple se constitue l’arbitre & l’exécuteur de condamnation que les dépositaires des Lois, après s’être livrés au plus mûr examen, ne déterminent jamais sans une secrète émotion. (Lettre de Sa Majesté)

Oui, nos très chers frères, nous vous le répétons, ces maux innombrables qui oppressent l’âme de notre bon Roi ; (Lettre de Sa Majesté) les maux plus cruels encore que nous appréhendons, & qu’il ne nous est pas donné de prévoir, prennent leurs sources dans ce déluge de brochures clandestines inspirées par l’orgueil et la témérité. C’est ainsi qu’un torrent, qui a rompu ses digues, porte partout la désolation, l’effroi, le ravage.

(Page 10) « Un scepticisme pernicieux, un affreux égoïsme, voilà la religion du jour. Par un abus déplorable de la liberté ; riche présent de la nature, on veut que chacun puisse penser, écrire tout ce qui lui plaira ; que les cultes, sans distinction, soient permis ; que le Disciple obstiné de Moïse, que le fanatique sectateur de Mahomet, que l’adorateur insensé des plus méprisables Idoles, que l’artificieux Socinien, que l’aveugle & voluptueux Athée, que les sectes les plus contraires, les plus absurdes, reposent avec le Chrétien Catholique sous l’aile & la protection du gouvernement Français.

Le délire de nos Philosophes modernes, de nos prétendus esprits forts, va plus loin : à la charité Chrétienne, à cette Reine des vertus, qui est le lien essentiel de toute société, & la base de notre religion, ils osent substituer une stoïque & stérile bienfaisance, vertu purement humaine : elle prend sa source dans la compassion naturelle, tandis que la charité tire son origine de Dieu même ; (…)

(Page 11) « N’est-il pas temps, nos très chers Frères, que le Peuple Français se réveille, & que du fond de nos cœurs s’élève un cri général pour réclamer nos anciennes Lois & le rétablissement de l’ordre public. »

(Page 13) « O vous ! nos vénérables frères qui, associés à notre sacerdoce, partagez avec nous les soins du troupeau qui nous est confié ; vous, nos dignes coopérateurs, voici le moment de vous montrer dans ces jours de crise & de fermentation, montez dans la Chaire de vérités ; faites entendre à vos Ouailles des leçons de soumission & d’obéissance aux puissances légitimes que la main de Dieu lui-même a placé au-dessus de nos têtes ; celui qi résiste aux puissances, trouble l’ordre établi par Dieu ; que votre voix chérie retentisse à leurs oreilles, usez de toute l’influence que vous donne la sainteté de votre caractère, pour imprimer profondément dans leurs âmes la fidélité inébranlable que nous devons à Dieu & au Roi.

Dites aux peuples, qu’ils se séduisent eux-mêmes, lorsqu’ils se flattent d’une diminution dans les impôts ; est-ce dans un temps désastreux ou l’état exige les plus grands sacrifices, où chaque citoyen doit être prêt à s’immoler au bien général que l’on peut s’attendre à voir diminuer les subsides & les revenus publics de la patrie notre mère commune ?

Dites-leur qu’on les trompe, lorsqu’on leur représente les chefs du Clergé comme des hommes dévorés d’ambition, vendus à l’intrigue & livrés aux excès d’un luxe révoltant : ces inculpations odieuses déshonorent la bouche qui les prononce encore plus que ceux qui en font l’objet. Nous sommes forcés de convenir que les revenus de l’Eglise ont été quelquefois mal distribués, mal administrés ; mais plus souvent encore les richesses du Sanctuaire sont le patrimoine des pauvres ; des veuves, des orphelins, & la force inépuisable de familles entières.

(Page 14) « Dites-leur que la violence ne peut jouir qu’un moment de ses succès & ses prospérités criminelles ; (Lettre de Sa Majesté) »

(…) L’unité de religion, la sûreté des propriétés, l’exacte observation des Lois, (Lettre de Sa Majesté) voilà la vraie, l’unique source de la stabilité & de la prospérité des empires.

Dites-leur qu’on les trompe dans les infâmes libelles que la philosophie a infecté de ses poisons & de ses paradoxes, lorsqu’on leur représente les membres des deux premiers Ordres de la Monarchie, comme des Aristocrates odieux, conspirés contre le peuple, ne cherchant qu’à l’opprimer sous le joug de la tyrannie et du despotisme »

(Page 16) « Quand bien même les hommes seraient tous égaux dans l’ordre de la nature, ils cesseraient de l’être en entrant dans l’ordre social. Nulle part les conditions, les fortunes se sont égales, et elles ne peuvent l’être. (Lettre de Sa Majesté) (…)

On vous trompe donc sous le nom d’un Prince protecteur né de la Justice, (Lettre de Sa Majesté).


    Alors ? Qu’en pensez-vous ? N'avez-vous pas la légère impression que l'évêque est allé bien au-delà de la pensée du roi ? ...Ou pas ? ...


Voici les documents sur le site de la BNF :


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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand