mercredi 28 octobre 2020

28 Octobre 1789 : Suspension des vœux monastiques. « La religieuse » de Diderot a marqué les esprits…

Anna Karina dans "La religieuse" de Jacques Rivette
en 1966, d'après le livre de Jacques Diderot

    Si l’on ne s’en tient qu’à la simple lecture des procès-verbaux des séances de l’Assemblée, certains des débats qui l’animent peuvent nous sembler parfois un peu décalés, par rapport à la situation quelque peu anarchique du royaume. 

  L’intervention de M. Rousselet ce jour à la tribune, pourrait constituer un exemple. Il va rendre compte à l’Assemblée, au nom du comité des rapports, de lettres écrites par deux religieux et une religieuse, pour demander que l'Assemblée s'explique sur l'émission des vœux, et il va proposer de défendre (interdire) les vœux monastiques perpétuels. N'est-il pas quelque peu étonnant que l'Assemblée nationale constituante soit interpellée à ce propos  ?

    Concernant les vœux monastiques, il faut savoir qu'une fois les vœux perpétuels prononcés, le profès, c’est-à-dire l’homme ou la femme qui les avait prononcés, était contraint de rester à vie dans l’institution religieuse à laquelle il s’était voué et ne pouvait plus remettre en question son appartenance à la communauté.

La nature aliénante de ces vœux était déjà contestée depuis longtemps.

Martin Luther

Sur les vœux monastiques

    En 1521, Martin Luther, le fondateur de la réforme protestante et lui-même moine catholique à l’époque, avait publié un ouvrage très critique sur les vœux monastiques (De votis monasticis) dans lequel il considérait ces vœux comme invalides. Le protestantisme qui naitra de la doctrine de Luther, de par l’obligation qu’il fera à ses fidèles de lire la bible, contribuera à former de nouvelles générations de familles alphabétisées et surtout éduquées à l’étude critique des textes.

Fil rouge

    Il existe comme un fil rouge (une continuité) entre La Réforme protestante, la Renaissance, les Lumières puis la Révolution. Et les adversaires de la Révolution ne s’y sont jamais trompé, en mettant dans le même sac à jeter, les idées de ces étapes précédant la Révolution.

Jacques Diderot

    Plus récemment, celui qui avait vraiment marqué les esprits de l’époque sur ce sujet, c’était Diderot, l’un des philosophes des Lumières, l’initiateur de la grande encyclopédie. Comme tous les philosophes des Lumières, il était très critique vis-à-vis de la religion ; la religion en générale au demeurant, pas seulement le Catholicisme. Il prônait l’usage de la raison.

Je vous ai trouvé cette petite vidéo de 7 minutes qui le présente plutôt bien.

Video sur Diderot, l'encyclopédiste.


Les lumières

    Je vous propose cette vidéo de 30 minutes qui traite des Lumières. On y évoque Diderot à 5:24. Je la trouve bien faite et assez complète.


La religieuse

    Parmi les œuvres de Diderot, l’une d’entre-elles s’intitule « La religieuse ». Elle fut inspirée d’une histoire vraie, celle d’une religieuse de l'abbaye royale de Longchamp, nommée Marguerite Delamarre, qui avait écrit à la justice en 1752 pour demander à être libérée du cloître où ses parents l’avaient enfermée. La pauvre jeune femme était une enfant illégitime de sa mère avec un autre homme que son père. Par crainte de l'enfer, mais aussi par peur des jugements de son entourage, sa mère l’avait convaincue de se faire religieuse et de disparaitre à jamais dans un couvent. Margueritte était allée en justice mais elle avait perdu son procès et un arrêté du 17 mars 1758 l’avait obligée à réintégrer la prison de son cloître.

Se débarrasser des enfants illégitimes de cette façon, était chose courante à cette époque dans la noblesse. Chacun le savait. Mais l’Eglise était très puissante et il était vain et même dangereux de s’opposer à elle.

Blasphème ?

    Si cette histoire vous étonne, peut-être serez-vous encore plus étonnés d’apprendre que l’adaptation cinématographique du roman de Diderot réalisée par le cinéaste Jacques Rivette, fut totalement interdite de sortie sur les écrans de cinéma en avril 1966, par le ministre de la Culture de l’époque Yvon Bourge, sous la pression de l’Eglise qui en demandait la censure ! A l'époque, l'Eglise Catholique disait que c'était un blasphème. Ça vous parle ? Il fut ensuite interdit aux moins de 18 ans et ce ne sera qu’en 1988, que cette interdiction tombera finalement.

Regardez cet extrait du journal télévisé de 1988 qui traite de l’événement :



La suspension

    La suspension ordonnée ce jour par l’Assemblée durera jusqu’au 13 février 1790, date à laquelle elle publiera un décret interdisant les vœux monastiques et supprimera les ordres religieux contemplatifs. Ceux chargés de l’éducation publique, ainsi que les maisons de charité seront conservées provisoirement (jusqu’au décret du 18 août 1792 de la Convention, qui les supprimera).

    La Constitution qui sera publiée le 3 Septembre 1791 précisera que : « La loi ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution ».

L’esprit du temps

    L’esprit du temps, c’était l’esprit des Lumières. Tous les gens éduqués avaient lu les philosophes des Lumières, et ce, pas seulement en France, mais dans toute l’Europe. Raison pour laquelle, le propre frère de la reine Marie Antoinette, Joseph II, l’empereur d’Autrice Hongrie, avait ordonné lui aussi la vente des biens de l’Eglise dans son Etat et fait fermer les monastères, et ce, bien avant la Révolution française ! Les députés de l’Assemblée nationale ne faisaient que marcher dans les pas de Joseph ii, le despote éclairé !

Les couvents ne choquaient pas seulement pour ces cas d’enfermements, mais aussi et surtout pour la vie fort agréable que beaucoup de religieux y menaient. Je publierai prochainement une série d’estampes de l’époques, caricaturant durement ces opulents religieux dont la richesse choquait de plus en plus le peuple.

En voici juste deux, pour vous donner une idée :

"La vie très incroyable des moines"

"Réjouissance d'un monastère"

Le décret promulguant la suspension des vœux.

    Lors de cette séance du 28 octobre, M. Rousselet rend compte, au nom du comité des rapports, de lettres écrites par deux religieux et une religieuse, pour demander que l'Assemblée s'explique sur l'émission des vœux ; il propose de défendre les vœux monastiques perpétuels.

M. Target demande l'ajournement du fond, et présente le décret suivant :

« Ouï le rapport (dans le sens de « entendu » du verbe ouïr) …. L’Assemblée ajourne la question sur l'émission des vœux, et cependant, et par provision, décrète que l'émission des vœux sera suspendue dans les monastères de l'un et de l'autre sexe. »

Plusieurs ecclésiastiques représentent que la suspension provisoire juge la question, et réclament l'exécution du règlement qui exige trois jours de discussion pour les matières importantes.

Le décret proposé par M-Target est adopté.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5252_t1_0597_0000_8 

Une réclamation le 29 octobre

    Le lendemain 29 octobre, un Monsieur de Bonnal montera à la tribune pour préciser que le clergé aurait dû faire quelques protestations, et il demandera que l'on y insère les siennes sous le titre observations.

    M. Target observera que jamais on n'avait fait mention, dans le procès-verbal, des réclamations faites par quelques membres contre les décrets de l'Assemblée. Et, dit le PV, cette légère contestation se terminera par la question préalable.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5254_t1_0598_0000_1

Un long débat va s'en suivre. 

    La discussion sur l’avenir du clergé va se poursuivre durant des semaines. Nombre de représentants du clergé étaient favorables aux réformes, mais ils ne constituaient pas la majorité et surtout ils ne représentaient pas l’avis de l’autorité ecclésiastique suprême, celle du Pape. Celui-ci, qui avait déjà fort mal reçu les réformes de Joseph II, refusera bientôt en bloc celle des députés constituants.

Antoine Christophe Gerle

    Lors de la séance du 12 décembre, Dom Gerle, prieur de la Chartreuse du Port Sainte-Marie, député de Riom, visiteur de son ordre, prononcera un discours dans lequel il fera état de l’inquiétude régnant dans les monastères suite à cette suspension, et des troubles provoqués par les religieux désirant au plus vite être libérés. Il proposera une motion de 3 articles se voulant conciliante, que le présidant, suite à la proposition M. de Bonnal, l’évêque de Clermont, transmettra au comité ecclésiastique « prêt à faire un rapport ».

Sources :


De la justice...

Journal de Paris

    Le Journal de Paris dans son numéro 349 du 15 décembre, relatant l’intervention de ce Chartreux qu’il nomme Dom Gerlet, conclura son article ainsi :

« Une approbation presque universelle a répondu à cette motion d’un Chartreux, qui concilie si bien ensemble & les vœux de la Religion & les vœux de la Philosophie : la véritable justice est un traité de paix entre tous les intérêts & toutes les opinions, & les avis extrêmes, au contraire, divisent tout parce qu’ils offensent tout. »


Source : https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1633&f=false






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Bien cordialement
Bertrand