vendredi 23 octobre 2020

23 Octobre 1789 : La très risible histoire du "doyen des français", reçu par l’Assemblée nationale

 

    La veille (jeudi 22 octobre), en fin de séance, le Président de l’Assemblée nationale avait annoncé qu'un vieillard de cent vingt ans, natif de Mont-Jura, demandait la permission d'être introduit à la barre, pour "remercier l'Assemblée de l'adoucissement du sort de ses habitants, qui avaient été affranchis par les décrets de l'Assemblée nationale". L’Assemblée avait consenti à ce que cet honorable vieillard fût admis en son sein, lors de la séance du lendemain.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5215_t1_0476_0000_9

    Ce 23 octobre, a été lue en début de séance une missive du Comité d’Alençon à propos d’une fâcherie qui avait opposé celui-ci avec le vicomte de Caraman et les chasseurs de Picardie « Un événement malheureux ayant fait naître des inquiétudes sur le compte de cette troupe, l'alarme étant devenue générale » le Comité regrette d’avoir peut-être suivi « trop promptement le parti d'une défiance mutuelle » ; « mais des explications, que l'agitation des esprits n'avait pu permettre qu'après un certain temps, ont fait que les deux parties sont passées à cette estime réciproque que nous devions toujours conserver ». Comme vous le voyez, tout ne finit pas systématiquement en bain de sang (entre gens bien élevés).

    Mais une fois ce problème si élégamment réglé, le grand moment de la matinée a été l’arrivée du vénérable vieillard de cent vingt ans, annoncée la veille. Celui qu’on appelle déjà le doyen des français, sinon de l’humanité, ne désire rien tant que « de voir l'Assemblée qui a dégagé sa patrie des liens de la servitude ». (On apprendra plus tard, entre autres, qu’il était presque aveugle).

Source BNF Gallica

Voici ce que relate le procès-verbal :

M. l'abbé Grégoire demande qu'en raison du respect qu'a toujours inspiré la vieillesse, l'Assemblée se lève lorsque cet étonnant vieillard entrera.

Cette proposition est accueillie avec transport.

Le vieillard est introduit ; l'Assemblée se lève ; il marche avec des béquilles, conduit et soutenu par sa famille ; il s'assied dans un fauteuil vis-à-vis le bureau et se couvre. La salle retentit d'applaudissements.

Il remet son extrait baptistaire. Il est né à Saint-Sorlin, de Charles-Jacques et de Jeanne Bailly, le 10 octobre 1669.

M. Nairac. Ce vieillard, que la nature a conservé pour être témoin de la régénération de la France et de la liberté de sa patrie, a constamment rempli ses devoirs de citoyen utile jusqu'à cent cinq ans. Le Roi lui a donné une pension de deux cents livres, mais pour que sa famille se souvienne de cette journée, votons parmi nous une contribution qui, quelque modique qu'en soit le produit, rendra plus tranquilles les jours de ce vieillard respectable à tant de titres, et deviendra pour sa famille un précieux héritage.

L'Assemblée charge MM. Les trésoriers des dons patriotiques de recevoir cette contribution.

M. le Président dit que M. Bourdon de la Crosnière, auteur d'un plan d'éducation nationale présenté à l'Assemblée, faisant entrer dans les leçons qu'il donne à la jeunesse le respect pour la vieillesse, demande à s'emparer de l'auguste vieillard qui sera servi dans l'école patriotique par les jeunes élèves de tous les rangs, et surtout par les enfants dont les pères ont été tués à l'attaque de la Bastille.

M. le vicomte de Mirabeau. Faites pour ce vieillard ce que vous voudrez ; mais laissez-le libre.

M. le Président au vieillard. L'Assemblée craint que la longueur de la séance ne vous fatigue, et vous engagea vous retirer. Elle désire que vous jouissiez longtemps du spectacle de votre patrie devenue entièrement libre.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5224_t1_0484_0000_2

Pour mémoire, la délégation des citoyens libres de couleurs, n’avait pas suscité autant d'enthousiasme lorsqu’elle s’était présentée la veille pour demander des droits égaux.

 

Avez-vous été touchés par cette histoire ? 

Ne le soyez pas ! 

Les députés ont été bernés !

    Les adeptes du copier-coller sur Internet, font que vous retrouverez telle quelle, sur de nombreuses pages Web, cette histoire qui ne fut en vérité qu’une mystification.

    Les historiens Antoine de Baecque et Jacques Berlioz, ont sorti l’an dernier un livre aux éditions Tallendier, racontant le détail de cette grosse arnaque : « Jean Jacob, l'homme de 120 ans ».

    Pour les deux historiens, tout est faux, à l'exception des origines franc-comtoises du vieux bonhomme. Jean Jacob ne serait pas né en 1669 mais en 1693 et il était probablement le neveu et même le filleul de l'illustre aïeul tant célébré. C'est la fille du neveu, une dénommée Pierrette, qui aurait volontairement vieilli son père, une usurpation d'identité obtenue grâce à un extrait baptistaire qui fit office de preuve pendant des années.

    L'escroquerie commença en 1785 quand Pierrette Jacob, couturière, demanda une pension pour son père Jean, « âgé de 115 ans », qui selon elle, avait passé « plus de cent ans » comme journalier agricole. Elle joignit pour preuve un extrait de baptême rédigé par un curé tout juste arrivé, qu’il fut s’en doute facile d’abuser. L'administration ne pouvant se déplacer, un avocat fut dépêché au chevet du vieillard qui le trouva « sans rides au front, quoiqu'un peu sourd et aveugle… » Le bon roi Louis XVI accorda un don exceptionnel de 1 200 livres et une pension de 200 livres (une vache et son veau en valant 40 à l'époque). À cela s'ajouta un don sous forme de blé, versé généreusement par la comtesse de Lauragais.

    C’est un journaliste du journal de Paris, Cerutti, qui rendit célèbre le vieillard en 1788, en lui consacrant un long article dans lequel furent rapportées de nombreuses anecdotes dont certaines très fantaisistes.

    C'est ainsi que le pauvre vieux, qui avait malgré tout 97 ans, ce qui était déjà assez étonnant pour l’époque, devient « le doyen des français âgé de 120 ans » ! Sa fille et ses complices décidèrent de faire le voyage à Paris en septembre 1789, pour gagner encore plus d’argent en exhibant le doyen des Français comme une bête de foire. Ils l'installèrent tout près du Palais-Royal, qui à l’époque était le quartier de "toutes" les distractions. Le « vieillard des montages du Mont-Jura » y était visible pour quelques sous, de 10 heures à 19 heures, avec une pause entre 14 et 16 heures…

    Le malheureux ne résista pas bien longtemps à l’atmosphère parisienne, car il mourut en janvier 1790. Il fut cependant inhumé à Saint-Eustache en grande pompe : 80 prêtres officièrent, quarante enfants de chœur chantèrent en portant des cierges, et il fut même honoré d'une salve d'honneur tirée par des hommes de la garde nationale !


Etonnant, non ? 😊


Source https://www.lepoint.fr/histoire/jean-jacob-le-vieillard-qui-escroqua-la-revolution-francaise-27-12-2019-2354973_1615.php

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Bertrand