dimanche 11 octobre 2020

11 Octobre 1789 : Le pain est de retour dans Paris avec le roi, mais le dideau n'est pas loin.


    Les Parisiennes avaient raison. Si le roi réside dans Paris, le pain s'y trouvera aussi et c'est effectivement ce qui se passe. Mais, car il y a un "mais", le retour soudain du pain pose questions. Pourquoi a-t-il manqué ces derniers jours, alors que des convois de blé ne cessent d'affluer vers Paris ? L'approvisionnement du pain constitue à lui seul un vrai mystère pendant la Révolution française. Qui ne veut pas tenir compte des rumeurs populaires et des théories de complots, doit malgré tout se poser des questions à la lecture de certains documents et témoignages. J'ai d'ailleurs rédigé un article à ce sujet : "La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés". Article auquel l'historienne Aurore Chery m'a fait l'honneur de répondre par un autre article 

    Notre ami Adrien-Joseph Colson rend compte de la situation telle qu'il la perçoit, à son ami de Province dans son courrier du 11 octobre 1789. Je vous rappelle que Colson est avocat au Parlement de Paris. C'est donc un bourgeois qui fait très certainement partie des électeurs du Tiers état. Son témoignage est toujours intéressant, en raison du fait qu'il côtoie chaque jour le petit peuple et qu'il est ainsi informé de toutes les rumeurs qui circulent dans Paris. A le lire, vous remarquerez cependant son ton plutôt méprisant à l'égard des petites gens.

Lisons cet extrait de son courrier du 11 octobre :

Réapparition miraculeuse du pain.

    Quoique le jour où le roi est arrivé à Paris l'on eût dans la matinée de la peine à avoir du pain, le soir il y en avait en abondance et de reste chez les boulangers. Les jours suivants il en regorgeait, dit-on, et cependant l'on assure que les boulangers en cuisent bien moins que lorsqu'il y avait disette.

    On ajoute qu'on en a beaucoup jeté dans les puits, dans les commodités, et qu'on en a trouvé 500 dans les filets de Saint-Cloud. (1)

Division chez les femmes du peuple.  

    Le mardi 6, le lendemain de l'arrivée du roi, une troupe de femmes s'est emparée à la halle d'environ 300 tonneaux de farines sous prétexte qu'elles étaient gâtées, quoiqu'on dise que dans cette quantité il s'en trouvait au moins cent tonneaux de bonnes, et elle les a jetés à la rivière à la vue des croisées du roi (sous ses fenêtres) d'où il pouvait les voir.

    Le même jour et les jours suivants, elles arrachaient les rubans que les dames portaient sur leurs bonnets sans qu'on sache par quel motif ni à quel dessein. Et elles commençaient à extorquer de l'argent des ecclésiastiques qu'elles rencontraient. Elles allaient vraisemblablement passer à de plus grands excès si ces premiers eussent été soufferts et, par le danger qu'il y avait d'exercer contre elles des contraintes, il était difficile de les réprimer.

    Mais heureusement, les femmes de la halle ont envoyé une députation à l'Hôtel de Ville pour témoigner qu'elles désapprouvaient extrêmement toute cette conduite, et elles se sont engagées à contenir toutes ces femmes dans l'ordre si on voulait leur donner quatre hommes par districts. Cette division survenue dans le parti des femmes a fait qu'hier les turbulentes d'entre elles n'ont rien entrepris. Mais nous n'en sommes pas plus tranquilles. 

Un complot ? 

    Je joins ici une feuille imprimée qui vous instruira d'un complot affreux qui vient de se découvrir et dont les suites nous ont fait craindre que dans la nuit dernière on ne mît le feu à deux ou trois mille endroits dans Paris. Je suis obligé, le temps me manquant, de vous en entretenir au premier courrier. Voilà les suites du soulèvement exécuté par 2 ou 300 barboteuses de la fange de Paris. (...) Je n'ai pas le temps de relire cette lettre. (Le courrier pour la Province doit partir bientôt.)

    Je vous renvoie à l'article de la journée du 13 octobre 1789 pour en apprendre plus sur ce complot.

(1) Les filets de Saint-Cloud ?

    Lorsqu'on cherche à se renseigner à propos de ces filets de Saint-Cloud, on découvre de drôles d'infos. Il semble en effet que ces filets faisaient beaucoup parler les Parisiens.

Vue du Pont de Saint-Cloud (Cherchez les filets)
Source

    Selon certains, ces filets étaient tendus jour et nuit et leur but était de recueillir tous les objets entrainés par le fleuve ainsi que les cadavres de ceux qui se suicidaient dans la Seine, ou qui étaient assassinés avant d'être jetés dans l'eau. C'est pittoresque, mais probablement faux.

    J'ai trouvé un texte ("La Morgue" publié en 1831) dans lequel l'auteur, Léon Gozlan s'irrite de cette fable :

"Mais c'est une erreur qu'il faut absolument détruire ; pardon, pour cette illusion perdue ! Il n'y a pas de filets à Saint-Cloud, et il ne saurait y en avoir. La trame qui arrêterait les voyageurs sous-marins serait, ou assez plongée dans la rivière pour n'être pas déchirée par les bateaux, et dans ce cas elle laisserait passer les noyés, ou elle s'élèverait à fleur d'eau, et alors les bateaux et les trains ne passeraient plus. Ainsi donc, que les amours discrets qui embellissent la Tête noire de leurs soupers voluptueux ne craignent pas d'arrêter leurs regards distraits sous l'arche majestueuse du pont de Saint-Cloud, qu'ils admirent Boulogne, antichambre du séjour royal ; Sèvres, ville de porcelaine ; Saint-Cloud et sa noble avenue ; qu'ils se laissent aller à la mélancolie bleue du soir, quand la Seine double le paysage par la limpidité de ses eaux roses et damassées, ils ne verront pas monter lentement ce prétendu filet, serrant dans ses mailles puissantes, comme un poisson de l'Océan, l'épouvantable objet de leur préoccupation."

    Mais il y avait bien des filets tendus sous le pont reliant Saint-Cloud à Boulogne. Il s'agissait d'un grand dideau, c'est-à-dire un filet suspendu par des potences et des poulies que l'on tendait ou relâchait suivant les occasions. Le but de ce filet était plutôt de pêcher des poissons que des cadavres.

    Une gravure de 1799 représente d'ailleurs l'un des pêcheurs qui devait exercer son métier à Saint-Cloud.

Source : Paris Musées

    Au début du siècle dernier on pêchait encore ainsi les aloses, des poissons migrateurs, sous le pont de Nantes.
    

    J'ai envie d'évoquer également le grand Victor Hugo, qui dans les Misérables souhaite l'installation de filets à Saint-Cloud :

"Quant à la France, nous venons de dire son chiffre. Or, Paris contenant le vingt-cinquième de la population française totale, et le guano parisien étant le plus riche de tous, on reste au-dessous de la vérité en évaluant à vingt-cinq millions la part de perte de Paris dans le demi-milliard que la France refuse annuellement. Ces vingt-cinq millions, employés en assistance et en jouissance, doubleraient la splendeur de Paris. La ville les dépense en cloaques. De sorte qu’on peut dire que la grande prodigalité de Paris, sa fête merveilleuse, sa folie Beaujon, son orgie, son ruissellement d’or à pleines mains, son faste, son luxe, sa magnificence, c’est son égout.

C’est de cette façon que, dans la cécité d’une mauvaise économie politique, on noie et on laisse aller à vau-l’eau et se perdre dans les gouffres le bien-être de tous. Il devrait y avoir des filets de Saint-Cloud pour la fortune publique."


Pêche au dideau sur la Loire en 1936.
Source


Post Scriptum :

    Oui, je sais, je digresse parfois un peu. Mais il y a tant de choses à apprendre. Donc, je vous demande pardon pour le dideau.

    Mais blague à part, le pain fut vraiment l'acteur principal de cette Révolution.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand