Un droit, pas vraiment égal pour tous, celui d'être éligible...
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Source BNF Gallica |
Aujourd’hui, une discussion très animée a eu lieu à l’Assemblée
nationale autour de la clause concernant le marc d’argent, qui figurera dans le
décret sur la loi électorale. Le marc d’argent sera le montant d’impôt dont
devra s’acquitter un citoyen pour être éligible.
Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5255_t1_0598_0000_3
Concernant la situation des
femmes, je vous renvoie à mon article sur Olympe de Gouge (qui va vous
surprendre) ainsi qu’à celui du 22 octobre 1789.
Les citoyens français ont donc été divisés en deux parties : les citoyens passifs et les citoyens actifs ; cette dernière catégorie étant
elle-même divisée en trois parties !
Les citoyens passifs.
Les citoyens passifs ne jouissent que de leurs droits
civils, les droits politiques étant réservés aux citoyens actifs.
Les citoyens actifs, à trois degrés.
Les citoyens actifs sont ceux qui acquittent aux impôts une
contribution directe au moins égale à la valeur de trois journées de travail. Seuls
4.298.360 citoyens actifs seront donc autorisés à voter lors des élections de
1791, mais leur vote sera indirect ! En effet, ces citoyens actifs devront
se contenter de désigner des électeurs dits, du second degré.
Les citoyens actifs du second degré sont ceux qui paient
des impôts d’une valeur au moins égale à dix journées de travail, mais en aucun
cas ils ne pourront être éligibles.
Les citoyens actifs ayant le droit d’être éligibles, devront
justifier d’une imposition directe d’au moins un marc d’argent, soit cinquante
livres (c'est beaucoup) et posséder une propriété foncière !
Raison pour laquelle on appelle "décret du marc d’argent", ce texte de loi qui réduit le corps des gouvernants aux grands propriétaires terriens, nobles ou roturiers, selon le modèle anglais si cher aux députés.
Le marc d'argent ?
Le marc était une unité de poids de l’ancien régime, correspondant à environ 244,75 grammes.
Etonnant ?
Il n’y a en effet rien d’étonnant à ce que cette assemblée de notables ait choisi ce système censitaire, entérinant ainsi une différenciation des citoyens par l’argent. On peut se dire que c’était déjà un grand pas en avant et que le suffrage universel était peut-être un système beaucoup trop progressif, voire anachronique, dans cette société d’ancien régime si inégalitaire.
Les défenseurs de ce suffrage censitaire affirmeront d’ailleurs que celui-ci n'est pas injuste, car rien n’empêche qu’un citoyen passif, à force de travail (bien sûr), ne s’enrichisse suffisamment pour pouvoir devenir un jour un citoyen actif.
N’oublions pas cependant, que quelques députés luttent contre ce seuil élitiste, et que certains vont jusqu'à défendre l'idée du suffrage universel durant les débats, comme Robespierre, cet
incorrigible défenseur des pauvres. Dans la lettre qu'il adressera bientôt à son ami Buissart, Robespierre expliquera : "
Remarquons également que les citoyens passifs, ces exclus, sont en nombre inférieur (3 millions), par rapport à celui des citoyens
actifs (4.3 millions). Le danger potentiel qu’ils représentent pour les
propriétaires, aurait pu être sans trop de difficulté circonscrit, comme ce
sera d’ailleurs le cas plus tard. Car le respect des notables et un certain
clientélisme, étaient bien ancrés dans les esprits. Lors des premiers suffrages
universels, beaucoup de ces anciens citoyens passifs voteront comme le curé ou
le seigneur le leur diront.
Le combat contre le marc d'argent.
A l'Assemblée
Les principaux députés à s’opposer à ce projet durant les débats auront été l’abbé Grégoire (bien sûr), Duport, Robespierre (évidemment), ainsi que Pétion et Prieur de la Marne.
Dans son discours du 11 août 1791, défendant le principe du
suffrage universel, Robespierre rappellera que le suffrage censitaire aurait interdit
à Jean-Jacques Rousseau de pouvoir voter :
« Quelle serait la garantie de Rousseau ? Il ne lui eut pas été possible de trouver accès dans une assemblée électorale. Cependant, il a éclairé l’humanité et son génie puissant et vertueux a préparé vos travaux. D’après les principes du Comité, nous devrions rougir d’avoir élevé des statues à un homme qui ne payait pas un marc d’argent. »
Sources :
http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/robespierre-11-aout-1791
http://lettre-gallica.bnf.fr/le-projet-de-constitution-de-1791
Cette clause du marc d'argent, continuera de faire l’objet
de débats pour le moins houleux. Elle sera également attaquée dans la presse et moquée dans des
caricatures vendues sous formes d’estampes.
Dans la presse.
Dans le numéro 2 de son journal des « Révolutions de France et de Brabant » Camille Desmoulins écrira à propos du Marc d’Argent (page 46) :
« Je reviendrai quelque jour sur ce décret du marc d’argent, je l’ai toujours regardé comme un attentat révoltant aux droits de l’homme. Si j’avais eu l’honneur d’être à l’Assemblée nationale, je sens que j’aurais fait tant d’efforts pour empêcher ce décret de passer et pour opposer du moins à l’inégalité réelle des fortunes, l’égalité fictive des droits ; j’aurais parlé avec tant de véhémence que peut-être mon zèle m’eut-il coûté la vie, et j’aurais cru ne pouvoir mourir en plaidant une plus belle cause. Mais me voilà journaliste, et c’est un assez beau rôle. »
Abolition de la clause...
C'est au lendemain de l'insurrection du 10 Août 1792, que les
décrets des 11 et 12 août 1792 modifieront les règles et le corps
électoral. "La distinction des Français entre citoyens actifs et
non-actifs sera supprimée, et pour y être admis, il suffira d’être Français,
âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu et du
produit de son travail, et n’étant pas en état de domesticité."
Les estampes !
Je suis particulièrement content de pouvoir vous présenter ces estampes, illustrant de façon très critique, la réaction populaire
à ce décret du marc d’argent.
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Source BNF Gallica |
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Source Paris Musées |
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand