samedi 10 octobre 2020

10 Octobre 1789 : Sur la base d'une rumeur, Mirabeau accuse Saint-Priest qui lui répond

 

Salon de l'œil-de-bœuf, où eu lieu la rencontre
entre Saint-Priest et les femmes de Paris

Mirabeau

Le comte de Mirabeau demande en séance que l’Assemblée reçoive la dénonciation formelle suivante :

« Il est de notoriété publique qu’un ministre, et ce ministre est Monsieur de Saint-Priest, a dit à la phalange des femmes qui demandaient du pain : « Quand vous n’aviez qu’un Roi, vous ne manquiez pas de pain ; à présent que vous en avez douze cents, allez-vous adresser à eux. » Je demande que le comité des rapports soit chargé d’informer sur ce fait. »


La lettre de réponse du ministre accusé, figure en annexe du procès-verbal de la séance du 10 octobre. La voici :

Saint-Priest
Lettre de M. le comte de Saint-Priest à M. le président du comité des recherches à l'Assemblée nationale.

J'apprends, Monsieur, que l'Assemblée nationale a reçu une dénonciation de M. le comte de Mirabeau, qui, dit-on, a été faite en ces termes : « Un ministre, appelé le comte de Saint-Priest, a dit lundi à la phalange de ces femmes qui lui demandaient du pain : « Quand vous aviez un Roi vous aviez du pain ; aujourd'hui, vous en avez douze cents, allez leur en demander. »

Je demande que le comité des recherches soit tenu d'acquérir les preuves de ce fait.

On m'ajoute que cela devait être décrété ce soir, et renvoyé en effet au comité des recherches.

Je crois, Monsieur, devoir aller au-devant de ces enquêtes, en ayant l'honneur de vous déclarer authentiquement que le fait allégué par M. le comte de Mirabeau est controuvé, et que je n'y ai pas fourni le plus léger prétexte. M. le comte de Mirabeau ne dit pas m'avoir entendu, et j'aime à croire qu'il a été trompé le premier. Je déclare, sur mon honneur qui m'est plus cher que ma vie, que je n'ai parlé qu'aux femmes qui sont entrées dans l'œil-de-bœuf, le Roi m'ayant ordonné d'aller les entendre et de leur répondre. Je crois bien avoir eu cent témoins, et je doute qu'un seul réponde qu'il ait été mention de l'Assemblée nationale. Sur la plainte que ces cinq ou six femmes m'ont faite de manquer de pain, j'ai répondu que Je Roi avait fait l'impossible pour procurer des grains au royaume et à la capitale ; que, lorsque les récoltes étaient mauvaises, il était bien difficile de pourvoir à la subsistance du peuple ; que l'on avait tiré des grains de tous les pays du monde ; qu'enfin le détail de l'approvisionnement de Paris était depuis deux mois entre les mains de la ville, et que le Roi et les ministres y aidaient de leur mieux. Je ne me rappelle pas que cette conversation, dont j'ai sur-le-champ rendu compte au Roi, ait roulé sur autre chose ; mais je suis sûr, je le répète, qu'il n'a pas été question de l'Assemblée nationale. Et d'abord, peut-on appeler une phalange de femmes les cinq ou six auxquelles j'ai parlé dans l'œil-de-bœuf ? Je croirais que ceux qui ont fait ce rapport à M. le comte de Mirabeau ont ignoré jusqu'au lieu de la scène. J'ajouterai que, sans avoir l'honneur d'être connu de lui, sans lui avoir parlé de ma vie, j'aurais espéré qu'il aurait cru moins légèrement sur mon compte un propos choisi dans ce qui s'est dit de plus trivial depuis quelques jours par les gens qui voulaient exciter le peuple contre l'Assemblée nationale ; peut-être aussi ma conduite précédente aurait-elle dû me mettre à l'abri de cette imputation. J'ai passé beaucoup d'années au service de ma patrie, et travaillé pour son bonheur et pour sa gloire. Au reste, Monsieur, je sais qu'un citoyen doit être toujours disposé à répondre au tribunal du public. Je viens récemment de confondre une calomnie inventée contre moi à mon district de Saint-Philippe du Roule. On avait travesti une de mes lettres ; mais l'original, ayant été produit, a parlé pour moi, et l'imposteur a été démasqué. Ici, je réclame ceux qui m'ont entendu dans l'œil-de-bœuf ; et je crois, sans cependant en être bien assuré, que M. le prince de Poix, et M. le duc de Liancourt étaient de ce nombre. J'offre de prouver l’alibi pour toute autre conversation avec ces femmes.

Telle est, Monsieur, ma justification ; elle est faite à la hâte, mais je sais le danger des premières impressions, et l'avantage qu'on peut en tirer.

J'ajouterai, Monsieur, que je suis pénétré de respect pour l'Assemblée nationale, et que je viens d'en donner une preuve en refusant de signer des arrêts du conseil, depuis la date de la sanction que le Roi a donnée aux droits de l'homme, ayant jugé que ces formes sont devenues interdites. Je ne dispute pas à M. le comte de Mirabeau ses talents, son éloquence, ses moyens ; mais je ne le crois pas meilleur citoyen que moi.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Signé : le comte de Saint-Priest.

Paris, le 10 octobre 1789.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6401_t1_0407_0000_12


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Bertrand