Tableau de Chagall représentant l'ange exterminateur survolant la maison d'une famille. |
Je reviens sur un courrier rédigé par notre ami l’avocat Adrien Joseph Colson, que j’avais déjà évoqué à l’occasion de mon article concernant les journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre. Rédigé en date du 13 octobre 1789, il rapporte une folle rumeur de complot circulant dans les rues de Paris.
Chaque époque à ses théories du complot et ses légendes urbaines. Les légendes urbaines, comme celle des crocodiles dans les égouts de New-York, relèvent probablement, tout comme les faits merveilleux d’autrefois avec les lutins, les fées ou les fantômes, d’un besoin de merveilleux ancré dans nos esprits, une curiosité pittoresque héritée des débuts de l’histoire humaine. Les théories du complot relèvent plus d’une certaine crainte du pouvoir et surtout de l’incompréhension grandissante des gens vis-à-vis d’un monde de plus en plus compliqué.
Une théorie de complot présente en effet l’avantage en, d’apporter une réponse
simple, présentant un séduisant côté spectaculaire, à des questions dont les réponses
sont multiples et compliquées à penser. Raison pour laquelle, dans notre monde
contemporain devenu incroyablement complexe, les théories du complot croissent
presque exponentiellement, à mesure que celui-ci devient difficile à penser.
Nos contemporaines théorie du complot sont aisément démontables pour qui
possède une certaine éducation (une bonne connaissance de l’histoire est fort
utile), agrémentée d’un esprit critique affirmé. Mais nos ancêtres du XVIII
siècle étaient en grande majorité dépourvus de ces outils d’analyse (hormis l’esprit
critique).
Se moquer des théories du complot est chose facile. Mais
cela ne doit pas nous faire oublier que des complots existent bien ! L’Histoire
nous en donne tant d’exemples ! Au fil de cette chronique, nous serons
amenés à en découvrir de nombreux, ou tout au moins des faits qui y ressemblent.
Qu’est-ce qu’un complot au demeurant ?
Le dictionnaire en ligne du CNRS nous en donne la définition
suivante : « Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec
l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution,
éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté. »
Ça ne vous fait penser à rien ? Ne pourrait-t-on imaginer
que la Révolution française ne fut rien d’autre qu’un complot, mené par les
représentants d’une nouvelle classe sociale pour renverser une ancienne ?
Je pense que c’est bien plus compliqué que ça. Pas besoin d’imaginer un complot
pour expliquer la mécanique de cet événement historique. Ne confondons pas les
multiples forces issues d’une infinité de frustrations sociales, qui ont
concouru à renverser un système obsolète, avec un complot. Ce serait, comme je
vous l’ai dit plus haut, donner une explication simple et unique, à quelque
chose de bien trop complexe. Nous avons d’ailleurs déjà commencé de l’entrapercevoir,
quasiment tout le monde à l’époque voulait que la société change, y compris le
roi lui-même ! La grande majorité des Français adorait d’ailleurs ce bon
gros Louis, et dans un premier temps, les révolutionnaires ne désiraient rien
tant que de le débarrasser de l’oisive aristocratie qui empêchait toute
réforme.
De plus, comme l’a dit un homme politique de notre époque,
plutôt réputé pour son intelligence (Michel Rocard) :
« Entre le complot et la bêtise, je donne toujours l’avantage à la bêtise qui admettons-le est très répandue, plutôt qu’au complot qui demande de la constance et de l’intelligence, des qualités qui sont beaucoup plus rares ».
Imaginez la somme, non seulement d’intelligence, mais
également d’organisation et de moyens, qu’il eut fallu pour renverser cette
monarchie toute puissante !
La monarchie est tombée parce que son système de pensée périmé
l’avait rendue inefficace, inopérante. Faute de pouvoir changer en s’adaptant
aux nouvelles conditions de son milieu, elle était condamnée à se déliter peu à
peu et mourir. C’est donc plutôt un manque d’intelligence qui fut cause de son
effondrement.
Ce que nous allons donc appeler par commodité des complots,
durant cette longue période prérévolutionnaire et révolutionnaire, relève plus selon
moi d’initiatives d’individus ou petits groupes sociaux, pour faire avancer
(progresser) une société figée.
Le mot complot comporte de plus une connotation négative ;
un jugement de valeur qui oriente aussitôt la pensée, et bien souvent sur des
fausses pistes. L'intention « de nuire à l'autorité d'un personnage public
ou d'une institution », dans la définition du dictionnaire, ne signifie
pas systématiquement nuire au bien commun de la majorité ! N’est-ce pas
plutôt dans les théories du complot qu’un pouvoir malfaisant veut nuire à la
majorité ?
Vous l’aurez compris, je suis prudent avec ce terme.
Revenons au courrier de notre ami Adrien Joseph Colson. J’ai mentionné l’ange exterminateur dans mon titre, parce que c’est ce à quoi m’a fait penser cette histoire de comploteurs apposant des marques criminelles sur les portes des maisons. L’imaginaire collectif se nourrit de songes et de fables. Faute d’être informés et éduqués, les Parisiens du XVIIIème siècle, n’avait à leur disposition que bien peu d’outils pour penser, et la religion était le principal.
Ce marquage des portes m’a fait penser à un passage de
l’ancien testament (Exode ch12), la dixième plaie envoyée par l’Eternel contre
les Egyptiens pour qu’ils libèrent le peuple Juif de l’esclavage. Dieu envoie
son ange exterminateur pour tuer tous les premiers nés de chaque famille
égyptienne. Mais afin d’épargner son peuple, il lui fait dire par son prophète
Moïse :
« Prenez un agneau ou un cabri pour vos familles et égorgez-le pour la fête de la Pâque. Vous prendrez une branche d'hysope, vous la tremperez dans le récipient qui contient le sang de l'animal. Puis vous couvrirez de sang les deux montants et la poutre au-dessus de la porte d'entrée. Ensuite, personne ne devra sortir de sa maison avant le matin. Le Seigneur traversera l'Égypte pour punir ses habitants. Mais quand il verra le sang sur les montants et sur la poutre, il passera et il ne laissera pas le Destructeur entrer dans vos maisons. » (Oui, je sais, ce massacre des innocents égyptiens, par ce dieu cruel est horrible).
Je ne suis pas en mesure de vérifier si ce marquage des
portes a bien eu lieu à Paris. Même si cela relève d’une théorie du complot, je
la trouve intéressante. A noter que dans ce cas, le marquage des portes avait
pour objet de tuer et non pas d’épargner les habitants.
Extrait du courrier du 13 octobre 1789 rédigé par Adrien Joseph Colson.
"Je reprends le détail de notre affligeante situation où je l’ai laissée par ma dernière.
Les femmes n'ont pas remué depuis quelques jours. Puissent-elles demeurer toujours dans cette tranquillité I La dame de la rue Mazarine qui, comme vous l'avez vu, Monsieur, par l'imprimé que j'ai joint à ma dernière lettre, enrôlait pour le parti qui devait égorger la garde nationale de Paris et beaucoup d'autres citoyens, n'a rien déclaré dans son interrogatoire, mais l'on prétend que ses deux complices en ont déclaré d'autres qui ont été arrêtés l'avant-dernière nuit. Ce parti, désespéré sans doute d'être découvert à moitié, ou peut-être une autre cabale encore indépendante de la première, crayonne ou peint de différentes couleurs différentes marques et quelquefois des chiffres sur différentes maisons, pour les faire connaître à Ia cabale et leur faire sans doute subir le sort auquel les chefs les ont condamnées. Le blanc marque, dit-on, qu'elles sont condamnées à être volées, le noir à être brûlées, le rouge à y tuer ceux qui les occupent, d'autres marques et des chiffres qu'on y ajoute quelquefois indiquent d'autres atrocités. J'ai vu, dimanche dernier, conduire en prison un de ces marqueurs assez bien mis qu'on venait d'arrêter et qui, loin de paraître inquiet, avait un air de satisfaction et presque triomphant, s'assurant peut-être que sa cabale le délivrerait. Quelqu'un m'a dit en avoir vu arrêter hier cinq supérieurement bien mis. Un particulier que je crois en grade dans la garde nationale a dit hier, en ma présence chez Monsieur Ladoubé, qu'il en avait arrêté un, lequel a témoigné que sa misère l'y avait porté pour gagner de l'argent et qu'il déclarerait celui qui l'avait payé à cet effet. Tout Paris sait le nom d'un particulier d'un rang distingué lequel on a trouvé la nuit, déguisé en manouvrier, ayant les doigts blancs d'avoir touché la craie, ayant de cette craie dans la poche, et étant contre une maison vis-à-vis et en face d'une de ces marques blanches. On en veut aux représentants de la commune de n'avoir osé, à cause de son rang sans doute, le faire arrêter.
(...) Cette abominable cabale met tout Paris en alarme. Bien des femmes en sont tombées malades et dans des états terribles de frayeur. On a beaucoup renforcé la garde ces jours-ci, les patrouilles sont en grand nombre, la nuit on éclaire dans la rue au premier des maisons et, malgré ces précautions, personne ne peut s'assurer d'exister encore dans deux fois 24 heures. Je supplie donc Monsieur le Marquis et Monsieur le Comte de ne pas songer encore au retour et d'attendre une quinzaine de jours si l'orage éclatera et à quel point. Il est bien plus à craindre qu'une armée qui viendrait attaquer) étant indubitable que, si l'on entreprenait de mettre le feu à 2 ou 3000 maisons à la fois, quand l’incendie ne réussirait qu'à 5 ou 600 points, il diviserait Paris en une infinité de troupes pour porter secours, que ces pelotons d'hommes et de femmes pêle-mêle ne seraient munis d'aucune arme pour se défendre et qu'il serait aisé à un parti, sans être bien puissant, de les accabler, de les dissiper et d'exercer tous les brigandages qu'il voudrait. Si nous avions des lois criminelles, on ferait bientôt des exemples et cela arrêterait aussitôt le cours de ces désordres, mais il n'y en a encore que 17 articles de bien avancés, et les municipalités qui doivent exercer la justice criminelle, ainsi que la police, ne sont pas encore établies. Ainsi, nous ne pouvons encore y appliquer le remède.
L'Assemblée nationale va bientôt transférer sa résidence à Paris : elle va venir ces jours-ci tenir ses séances à l'archevêché pendant qu'on préparera le manège aux Tuileries pour les tenir, et elle établira ses bureaux de comités aux Capucins et aux Feuillants.
J'entends, depuis un quart d'heure au plus, crier une déclaration du roi pour la contribution patriotique. J'imagine que c'est pour payer le quart du revenu dans l'espace de deux ans et demi environ. Attendons et espérons. Quoiqu'il y ait du danger, je ne perds nullement l'espérance, et peut-être se dissipera-t-il en grande partie à ma première lettre. Amen ! (...)
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand