La très regrettable soirée du 1er octobre 1789 |
Versailles n'est pas loin de Paris, nombre de Parisiens s'y rendent chaque jour pour commercer. Des milliers de personnes travaillent à Versailles directement ou indirectement pour le château. C'est par ces milliers de bouches et d'oreilles que les nouvelles se transmettent et parviennent à la capitale.
Nous avons appris le 1er octobre dernier, qu'un
banquet offert par les gardes du corps du roi en l'honneur du régiment de
Flandre fraichement arrivé, avait donné lieu à des excès fâcheux, qui plus est, en présence du roi et surtout de la reine. Plus d'informations commencent à
filtrer à présent au sein de la population.
Régiment de Flandres |
L'arrivée le 23 septembre, du régiment de Flandre appelé à Versailles par Louis XVI le 14 septembre dernier, évoque aux Parisiens les mauvais souvenirs des préparatifs de la cour avant le 14 juillet.
On ne
peut croire en effet que les 4000 mille hommes des milices nationales, les
Suisses de la garde, et les gardes du corps ne soient pas suffisants pour la
sûreté du roi et de l'Assemblée. Le régiment de Flandre avec ses 5000 hommes, ses
canon et ses provisions de guerre, apparait comme une mesure aussi excessive que menaçante.
Mirabeau |
Il est certain que le nombre des gardes du corps a été
doublé, et qu'une partie est employée à faire de la police. Quant au régiment
de Flandre, les citoyens et les courtisans se le disputent ; les uns cajolent
les soldats, et les autres font grand accueil aux officiers. La jactance des
nobles et le ton mystérieux ou suffisant des petits-collets suffisent pour inquiéter nombre de citoyens avertis.
L'orgie... |
De nouvelles informations, particulièrement choquantes se répandent à présent. Depuis le commencement de ce mois, d'honorables citoyens ont assisté à des scènes aussi scandaleuses qu'effrayantes.
On sait que le 1er octobre, les gardes du corps ont donné un repas aux officiers de Flandre, et à plusieurs autres militaires, y compris la milice versaillaise. Tout aurait été concerté pour faire croire à ces braves gens qu'il fallait sauver le Roi, et que ce grand ouvrage devait être le leur. On a porté avec exaltation des toasts aux santés royales, et rejeté celle de la Nation, qui avait été proposée.
On
dit que le Roi serait entré dans la salle, au retour de la chasse et que la
Reine serait venue à son tour, à l'entremets, où les grenadiers, les chasseurs
et les Suisses avaient été admis ; celle-ci aurait porté elle-même Monseigneur
le petit dauphin autour de la table.
Les épées nues sont brandies ! |
C'est au milieu des cris d'enthousiasme, parmi les épées nues en signe de vengeance ou de fidélité, que la cour se serait retirée. Mais aussitôt après que la famille royale se fut éclipsée, une grande orgie aurait alors a éclaté. Presque toutes les têtes étaient échauffées par le vin, et les officiers, loin de retenir leurs hommes, les excitaient encore. On joua sur les tréteaux, avec une affectation menaçante, la pièce de Richard Cœur de Lion, et l'on chanta l'ariette : O Richard, ô mon roi, l'univers t'abandonne !
Cette scène appliquée à des circonstances imaginaires, devient comme un signal de guerre et de ralliement pour la soldatesque enivrée. En attendant de plus dignes exploits, ces soudards simulèrent un siège, escaladant héroïquement les loges de la salle de l'Opéra où se donnait le festin, qui étaient garnies de dames de la cour...
Des cocardes blanches, des rubans blancs, distribués (par qui ?) furent la récompense de ces hauts faits, et le gage des futures prouesses. Bientôt cette foule bariolée se répandit dans les cours du château, et dans toute la ville ! Les casques, les chapeaux volaient en l'air. Des gardes du corps portaient des dragons sur leurs épaules. Hommes et femmes s'embrassaient au cri de : Vive le Roi ! Et toujours point de cri de : Vive la Nation !
Loin
de là, dans la nuit et les jours suivants, des jeunes gens de la milice
bourgeoise furent forcés de prendre la cocarde blanche, ou de retourner leur
cocarde tricolore. On a même soulé dans les rues le petit peuple !
Délire militaire à l'Opéra de Versailles |
Personne dans Paris, ne doute que la Reine ne soit à la tête du complot
d'enlever le Roi. Elle a donné des drapeaux à la garde nationale de Versailles,
et a répondu à ses remerciements : « La nation et l'armée doivent être
attachées au Roi comme nous le sommes nous-mêmes ; j'ai été enchantée de la
journée de jeudi. »
La reine, là où elle n'aurait jamais dû être... |
Cette journée d'excès, assure-t-on, s'est encore renouvelée
hier 3 octobre, cette fois à l'hôtel même des gardes du corps !
Gardes du corps du roi |
Jérome Pétion de Villeneuve |
L'affaire prend de l'ampleur. Les colporteurs crient dans les rues : l'Autrichienne en goguettes ! Les noms de Frédégonde et de Catherine de Médicis paraissent insuffisants pour flétrir la conduite de la Reine, sur laquelle il se publie d'ignobles libelles, dont les seuls titres font frémir la pudeur, et qui ne sont pas les moins lus. Tous les signes de ralliement des aristocrates, cocardes blanches et surtout cocardes noires (car ils portent le deuil de leurs privilèges), sont dans la journée poursuivis et arrachés par la foule, non sans violence à l'égard des personnes.
Colporteur, marchand d'estampes et de libelles |
Le projet de marcher sur Versailles se répand de bouche en bouche, sans qu'il soit possible d'en connaitre les premiers auteurs : tellement cette expédition parait maintenant nécessaire et naturelle, au peuple qui s'inquiète de cette agitation guerrière au sein de la cour.
Ou comment une beuverie de soldats va faire prendre un nouveau tour à la Révolution.
La suite, demain...
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Bien cordialement
Bertrand