dimanche 18 octobre 2020

18 Octobre : Attaque d’un convoi de blé à Lannion.

Emeute frumentaire

    Pendant que les députés de l'Assemblée nationale continuent de discuter des meilleurs solutions économiques et administratives pour améliorer l'état du pays, de nouvelles émeutes de la faim continuent d'éclater ici et là dans le royaume.

    Hier c'était à Rouen, aujourd'hui c'est à Lannion, en Bretagne, une ville pourtant située au cœur d'une région fertile en blé !

    Ce 18 octobre 1789, des commissaires envoyés de Brest pour assurer le service des subsistances de cette ville, sont malmenés à Lannion, point central de leurs achats dans la région. Un convoi de blé vient d’arriver, expédié de Pontrieu et une rumeur persuade aussitôt la population pauvre, que les enlèvements de grains ont pour but de causer la famine. Ni la faible escorte qui accompagne le convoi, ni les protestations des commissaires, ni l’assistance de la municipalité, ne peuvent empêcher la foule en colère d’arrêter les voitures. L’officier municipal Rivoalan, manque d’être victime de l’émeute ; mais les femmes qui en faisaient partie l’arrachent des mains des plus furieux. Les commissaires brestois en sont réduits à signer l’abandon des grains !

    Quant à Paris, la situation y est devenue si alarmante, que la Commune va demander aux villes de Provinces de retenir les chômeurs et les mendiants que la misère fait affluer sur la capitale !


Maison XVI-XVIIe à Lannion

    J’ai trouvé sur le Web, un article détaillant l’événement, que je vous conseille de lire.

En voici le lien (non sécurisé) : http://infobretagne.com/lannion-revolution-emeute-1789.htm

Le même site évoque également le fameux « Mandement » de l’évêque de Tréguier, dont je vous ai parlé le 14 octobre. Voici le lien : http://www.infobretagne.com/lannion1789.htm

Je vous ai retranscrit ci-dessous un extrait de l’article relatant l’émeute frumentaire du 18 Octobre 1789 :

« La récolte de 1789, gâtée par des pluies continuelles, a été pire que la précédente. Le blé dont la pluie a empêché le battage se révèle d'un faible rendement et atteint le prix de dix à douze livres le boisseau, au lieu de six à sept au maximum en temps ordinaire (Pommeret, op. cit., p. 80). Pour calmer l'agitation populaire, le Bureau, le 4 septembre, propose la création d'un grenier public. Ce projet indispose encore davantage les gens de la cinquième compagnie, qui y voient une tentative d'accaparement et s'élèvent en menaces contre le Bureau qui charge l'un de ses membres, le deuxième juge Cadiou, de réunir le peuple et de lui donner tous les apaisements.

Au cours d'une réunion tumultueuse, l'Assemblée des communes repousse le projet, proteste contre les accapareurs de grains, attaque la municipalité, demande à être représentée dans le bureau par les juges, c'est-à-dire par Cadiou, qui a gagné sa confiance, et enfin arrête d'interdire provisoirement l'embarquement des grains au port de Lannion. Hantés par la crainte de la disette, les faubourgs, quelques semaines après, passent à l'action directe et mettent l'embargo sur le blé et le beurre vendus au marché, que l'alloué a le plus grand mal à les faire restituer. Pour leur complaire, la municipalité, malgré son respect religieux des moindres décisions de l'Assemblée constituante, élève une protestation contre la libre circulation des grains décrétée le 20 août. Dans celle atmosphère chargée d'électricité, l'apparition, le 17 octobre, d'étrangers accompagnant un imposant convoi de treize charrettes de blé ne pourra manquer de faire éclater l'orage [Note : Sur cette affaire Cf. A. C. Lannion, B B, 17 ff. 68 et suiv. A. C. Guingamp, B B 15 f. 125. Arch. de M. du Cleuziou. Lettres adressées à Couppé. A. N. DIII, 56. Procédure contre Cadiou, B. N. L. b. 39/2.500. Adresse des pauvres ouvriers et artisans de Lannion, Tréguier, etc... Saint-Brieuc, 1789. Archives du Cleuziou. Cadiou. Le juge jugé sans être entendu, s. d., Saint-Brieuc in-8° de 18 p. Voir aussi Duchâtellier. Histoire de la Révolution dans les départements de l'Ancienne Bretagne, Paris, 1836, 6 v., T. I, p. 184 et suivantes].

La ville de Brest, dépourvue d'approvisionnements, avait envoyé des commissaires dans l'évêché de Tréguier, et même au-delà, pour acheter du blé, notamment à Morlaix, Tréguier, Lannion, La Roche-Derrien, Guingamp, Pontrieux, etc... Prévenus, le Bureau patriotique et la municipalité, réunis le 16, accordent aux Brestois l'autorisation d'achat et de passage qu'ils demandent. Un convoi venant de Pontrieux passera le lendemain sous l'escorte d'un détachement de la milice de cette ville, commandé par son chef le major Chrétien.

Le convoi annoncé arriva à Lannion le 17, entre neuf et dix heures du soir, et grâce à l'heure tardive les treize charrettes traversèrent la ville sans encombre. Elles avaient déjà franchi le pont Sainte-Anne et les chevaux prenaient haleine au pied de la terrible côte qui en ligne droite conduit au sommet du plateau dominant la rive gauche du Léguer, quand les habitants de Kérampont, sans doute aux aguets, lui barrent la route et interdisent aux conducteurs de pousser plus avant. Devant leur nombre et leur attitude résolue, les gardes nationaux de Pontrieux n'osent pas recourir à la force.

Pendant qu'on parlemente et qu'on discute à la lueur discrète des lanternes, les avocats Le Bricquir du Meshir, premier lieutenant du maire, remplaçant le premier magistrat absent, et l'avocat Rivoallan, tous deux membres du Bureau, accourus en toute hâte, invoquent la loi et essaient de raisonner leurs compatriotes. Peine perdue : l'heure tardive, la présence parmi les commissaires brestois d'un marchand de grains connu dans le pays ont éveillé la méfiance du peuple qui se montre irréductible et tout prêt à la révolte. « Le convoi ne partira pas, nous ne laisserons pas les accapareurs nous réduire a la famine ». Rivoallan est insulté le major Chrétien qui s'est interposé est bouscule, frappé et menacé de la pendaison par quelques-uns des plus excités. En désespoir de cause. Le Bricquir ordonne à la milice lannionaise alertée et conduite sur les lieux de garder le blé et d'empêcher son pillage. Le deuxième juge Cadiou, président du peuple, tente aussi de calmer les esprits, il n'est pas plus heureux malgré sa popularité.

Les gars de Kérampont, que des malveillants, paraît-il, auraient fait boire, ne veulent rien démordre, ils tiennent le convoi et s'opposent de toutes leurs forces à son départ.

Tout ce que ses efforts, joints à ceux des membres présents de la municipalité et du Bureau, obtiennent est la remise de l'examen de l'affaire au jugement des Communes le lendemain.

L'Assemblée qui se tint le dimanche 18 à l'auditoire, plein au craquer, fut des plus agitées. Cadiou, du perron des Ursulines et ensuite dans le cloître des Capucins, avait auparavant exhorté le peuple à obéir aux lois, il n'eut pas plus de succès que la veille. A l'auditoire, il plaça sur le bureau la loi du 20 août sur la libre circulation des grains et s'apprêtait à en donner la lecture quand l'arrivée imprévue des commissaires brestois déchaîna un tumulte tel qu'il ne put se faire entendre.

Pour apaiser l'assistance, les Brestois déclarent abandonner gratuitement leur blé au peuple et renoncer à tout achat à Lannion, et demandent à passer dans la chambre du conseil pour rédiger l'acte de cession. L'alloué les suit et tentant de concilier la légalité avec l'opportunité y fait inscrire la cession du convoi à la municipalité, à charge pour elle de tenir compte du prix à la ville de Brest. La lecture de cette clause soulève une tempête de protestations, les communes exigent l'abandon gratuit et tournent leur fureur contre les commissaires. Traités de gueux, de coquins, de fraudeurs, menacés de la corde, ils durent signer tout ce qu'on leur demandait et n'eurent la vie sauve que grâce à l'intervention courageuse du lieutenant du maire Le Bricquir et de l'avocat Deminiac qui protégèrent leur fuite.

A la nouvelle du traitement subi par les envoyés brestois, l'indignation fut grande dans toutes les villes patriotes de Bretagne. Brest, menacée de la famine, lésée dans ses intérêts, insultée dans la personne de ses représentants, ressentit vivement l'injure et décida de reprendre de force son blé et de châtier l'insolence des Lannionais. Sans perdre un instant, elle mobilisait une petite armée de quinze cents volontaires nationaux ; avec plusieurs pièces d'artillerie, et la faisait marcher sur Lannion. Un certain nombre de villes se solidarisaient avec elle ; Rennes, Morlaix, Pontivy, Paimpol, Moncontour, Guingamp, Landerneau, Landivisiau, Quimperlé, Quimper, Carhaix, Lorient, etc... leur proposaient des renforts ou même lui en envoyaient, sans attendre son assentiment. Grossie par ces détachements, l'armée brestoise, à son passage à Morlaix, comptait déjà plus de deux mille hommes, et son chef le major général Daniel de Colloé, pour arrêter cet afflux de renforts dont il n'avait que faire, envoyait des courriers dans toutes les directions pour inviter les gardes-nationaux déjà en marche pour le rejoindre à faire demi-tour [Note : Le 24 octobre, le Comité permanent de Guingamp arrête que le détachement de cent hommes annoncé ne partira pas, invite Pontrieux à imiter son exemple et envoie des commissaires sur la route de Lorient, jusqu'à Corlay, pour arrêter les troupes venant du sud de la Bretagne. A. C. Guingamp, B B 15, f. 125].

Entrés le 25 à Lannion, au milieu d'un déploiement imposant de forces, les commissaires de Brest ne parlaient rien moins que de tirer une vengeance éclatante de la ville rebelle et ils commencèrent par obliger la municipalité à inscrire sur son registre de délibération un récit des événements rédigé par eux, qui accusait formellement la garde nationale et la municipalité, à l'exception de Le Bricquir et de Deminiac qui leur avaient sauvé la vie, de connivence avec les émeutiers. Ils parlèrent et agirent en maîtres, ils avaient le nombre et la force, car le lieutenant-gouverneur de la province, ne disposant d'aucune troupe dans les environs se trouvait dans l'impossibilité matérielle d'intervenir.

Les représentants des villes de Morlaix, Guingamp, Lorient, Pontrieux, Paimpol, Quimper, Moncontour, Tréguier, Pontivy qui les accompagnaient, ou les avaient rejoints le lendemain, s'interposèrent en conciliateurs. Se faisant les avocats des autorités lannionaises ils parvinrent à apaiser les Brestois et à les ramener à une appréciation plus exacte des événements. Grâce à leur médiation la paix fut signée et la municipalité ainsi que la milice déchargée de toute accusation. La réconciliation fut scellée par un pacte d'union entre les représentants des villes présentes. Comprenant tous combien le succès des idées patriotes, dont ils étaient les propagateurs et les défenseurs, dépendait étroitement de leur entente, ils prirent l'engagement « de travailler à resserrer les liens qui les unissaient et se promirent en même temps un attachement et une fidélité toujours inviolable ».

A la demande des Brestois, le deuxième juge Cadiou, inculpé de complicité, était décrété le prix de corps, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévôté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils étaient conduits par étapes. Le 29 les troupes quittaient enfin Lannion, mais elles y laissaient une garnison de cent cinquante hommes. Il restait à payer les frais de leur entretien pendant cinq jours et qui se montait à la somme assez coquette pour l'époque de 12.195 livres 3 sols 11 deniers. Il ne semble pas que le gouvernement, à qui la municipalité en demanda le remboursement, pétition que Brest appuya, y ait jamais répondu (A. N. H. 573, Reg. des pièces concernant l'administration de la Bretagne. Lettres patentes du 6 juin 1790). Quant aux émeutiers, après quelques mois de séjour dans les geôles briochines, ils furent relâchés en avril 1790. Cadiou, contre qui on ne put relever aucun fait précis, fut acquitté. Il semble avoir été dans la circonstance victime de l'hostilité de la bourgeoisie lannionaise qui lui reprochait de l'avoir trahie pour se mettre à la tête du peuple. Son emprisonnement ne nuira pas à sa popularité et il gardera la confiance de ses concitoyens. Malchanceux, il sera pendant la Terreur destitué, sous de futiles prétextes, de la présidence du district et condamné par le tribunal révolutionnaire de Brest à dix ans de fer ; le conventionnel Palasne de Champeaux, après le 9 thermidor, le fera sortir du bagne, mais il survivra peu à cette dernière épreuve. Le major Chrétien ne sera pas découragé par les mauvais traitements subis à Lannion, il fera une honnête carrière dans la gendarmerie où il verra bien d'autres bagarres, dont il se tirera avec autant de bonheur. Lieutenant au moment de la prise de Saint-Brieuc par les chouans, le 27 octobre 1799, il n'y perdra que sa tabatière et sauvera sa vie.

Quant aux robins lannionais, ils gardèrent un amer souvenir de la journée du 17 octobre et de ses suites : le retour menaçant des Brestois, la note à payer, l'humiliation de leur tribunal déshonoré par l'arrestation de l'alloué et par-dessus tout, la crainte que les villes voisines ne profitent de la circonstance pour obtenir une justice royale à leur détriment. S'ils avaient pu prévoir l'avenir, un certain orgueil les aurait consolés, au moins partiellement, de ces pénibles moments, car le grand mouvement qui devait aboutir, le 14 juillet 1790, à la célébration dans un enthousiasme délirant de la Fédération nationale du Champ-de-Mars, fête éphémère de la réconciliation des Français, tel un mince filet d'eau source d'un grand fleuve, venait de surgir dans leur ville natale.

Le pacte d'union contracté le 26 octobre entre Lannion et les villes bretonnes représentées par leurs délégués, sera imité dans toutes les provinces du royaume. En Bretagne où l'idée était, dans l'air depuis longtemps, il fut le point de départ de congrès patriotiques entre les cités que le voisinage ou la communauté d'intérêt rapprochaient particulièrement. Cherchant toutes les occasions de resserrer leur entente contre les adversaires du nouveau régime qui s'élabore, les patriotes bretons prennent l'habitude de compléter leur échange assidu de correspondance par des réunions de commissaires ou députés. C'est ainsi que le Comité permanent de Guingamp propose à celui de Lannion, le 30 novembre, d'inviter les principales villes des évêchés de Saint-Brieuc, Tréguier et Saint-Pol-de-Léon à une assemblée pour étudier les moyens de développer la culture du lin et de la filature, questions intéressant à titre divers une bonne partie de leurs populations : importateurs de graine de lin, cultivateurs du littoral, marchands et exportateurs de toile, tisserands et filandières du pays de la manufacture (sud de l'évêché de St-Brieuc), qui demandent au filage ou au tissage un salaire d'appoint compensant la pauvreté du sol dans leurs cantons [Note : Déjà, le 10 août, 6 paroisses du Cap Sizun s'étaient fédérées afin « de prévenir et d'arrêter toute personne suspecte, de prendre des résolutions uniformes... ». Dans le courant de novembre, la milice de Quimper demande aux volontaires nationaux de la Bretagne et de l'Anjou de se réunir pour renouveler le pacte d'union et d'alliance, rédigé à Rennes au début de l'année par les étudiants en droit et les députés, que plusieurs villes de la Province y avaient envoyés, à l'occasion des rixes entre nobles et étudiants qui avaient marqué la dernière réunion des Etats de Bretagne. E. Corgne. Pontivy et son district pendant la Révolution, de 1789 à germinal V. 1938, Rennes, in-8°. Thèse de doctorat, p. 55].


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Bertrand