samedi 24 octobre 2020

24 Octobre 1789 : Crise des subsistances, les ministres du Roi mettent les députés devant leurs responsabilités

Affiche du Comité provisoire
des subsistances du 3 août 1789

    Ce 24 octobre, le Président de l’Assemblée nationale constituante annonce qu'on vient de lui remettre un mémoire sur les moyens d’assurer les subsistances, rédigé par les ministres du Roi, en relation avec le décret les concernant, publié le 21 de ce mois.

Le seul décret adopté le 21 octobre étant celui concernant la loi martiale, nous pouvons en déduire qu’il s’agit plus probablement du décret adopté le 20 octobre. Celui proposé par M. Target à l’attention du Conseil d’Etat du Roi, c’est-à-dire à ses ministres. Il est bref, le voici :

«L'Assemblée nationale a décrété que, jusqu'à ce qu'elle ait organisé le pouvoir judiciaire et celui d'administration, le conseil du Roi sera autorisé à prononcer sur les instances qui y sont actuellement pendantes, et qu'au surplus, il continuera provisoirement ses fonctions comme par le passé, à l'exception néanmoins des arrêts de propre mouvement, ainsi que des évocations avec retenue du fond des affaires, lesquels ne pourront plus avoir lieu à compter de ce jour ; mais le Roi pourra toujours ordonner les proclamations nécessaires pour procurer et assurer l'exécution littérale de la loi. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5202_t1_0467_0000_9

Vous avez bien lu, le conseil au roi sera "autorisé", il continuera "provisoirement" ses fonctions ! En résumé, les ministres du roi, et par la même le roi, ont leurs pouvoirs considérablement réduits !

Jean-Louis Emmery

    Convenez que les ministres du roi, de même que le roi, n’ont guère dû apprécier ce décret. 
    A cette irritation légitime, a dû s’ajouter celle produite par les critiques émises, durant la séance du 13 octobre, où a eu lieu la discussion 1789 relative à la suppression du comité des subsistances. Monsieur le député Emmery y a dénoncé les agents du pouvoir exécutif chargés de surveiller l'exécution des décrets de l'Assemblée, il a demandé qu'il leur soit ordonné de les exécuter avec exactitude, et a fait adopter la proposition de supprimer le comité de subsistances, comme étant le seul moyen d'ôter aux ministres les prétextes dont ils pourraient couvrir leur négligence !

Accéder à la discussion du 13 octobre sur la suppression du comité des subsistances par le lien suivant :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5171_t1_0440_0000_6

Ce mémoire a été signé par les ministres suivants : I ‘archevêque de Bordeaux, le maréchal de Beauvau, le comte de Montmorin, le comte de La Luzerne, Necker, le comte de Saint-Priest, l'ancien archevêque de Vienne et le comte de La Tour-du-Pin.

Il est d’un très grand intérêt car on y découvre :

1/ la situation dans laquelle se trouve le royaume, mais aussi celle des pays avoisinants.

« (...) Les suppléments que fournissent les pays étrangers n'ont point de proportion avec les besoins journaliers de vingt-six millions d'âmes ; ils n'en ont même aucune avec la consommation annuelle de la capitale, puisque cette consommation, aujourd'hui de plus de trois mille setiers par jour, et naguère de quatre mille, forme dans le cours d'une année une quantité immense. Cependant, les pays qui nous avoisinent ne nous offrent aucun secours ; l'Espagne et la Suisse ont des besoins continuels ; les Etats d'Allemagne qui touchent à nos frontières, ont presque tous interdit l'exportation, et la Lorraine et le pays Messin y cherchent en vain des secours suffisants ; la Flandre autrichienne, réduite au simple nécessaire, est forcée d'adopter le même système. La liberté d'exportation qu'on avait espérée d'Angleterre n'a point encore eu lieu. Le roi de Prusse vient de défendre la sortie des grains de tous ses Etats ; les marchés de Hollande sont épuisés ; et l'on y attend avec impatience des secours du Nord, mais ils ne seront abondants qu'après l'hiver et à l'époque de la fonte des glaces.(...) »

2/ Les efforts faits par le roi et ses ministres pour remédier à la situation.

« (...) On a proposé de donner une prime aux boulangers, on a proposé de leur faire des avances. Le Roi a consenti à tous ces sacrifices. Il y a eu une différence considérable entre les prix d'achat et les prix de vente : le Roi l'a supportée, et tous les frais de voiture, d'escorte et de manutention sont encore retombés à la charge du Trésor royal. Ce Trésor n'est pas riche, vous le savez bien, Messieurs, et le numéraire effectif surtout est d'une rareté extrême. Cependant, quand il faut des fonds dans quelque localité, les représentants de la commune s'adressent au gouvernement, et il met toujours ces sortes de demandes au rang de ses dépenses les plus pressées.

On a mis récemment sous les yeux du Roi l'état de tous les vaisseaux expédiés pour le compte de Sa Majesté, depuis la fin de l'année dernière avec la destination pour les deux ports seulement du Havre et de Rouen ; leur nombre se monte à 502, et les approvisionnements qu'ils ont apportés s'élèvent à plus de 23 millions. Paris eût donc été livré à la plus affreuse famine, sans les soins paternels de Sa Majesté ; et si le ministre des Finances consentait à vous instruire des moyens personnels dont il a fait usage pour procurer de si puissants secours au milieu du discrédit et de la pénurie des finances, vous verriez, Messieurs, que le caractère des hommes doit être mis au nombre des garanties les plus dignes d'attention. (...) » 

3/ La fameuse réforme économique relative à la libre circulation des grains (si chère aux physiocrates) continue de poser des problèmes, comme lorsque Turgot l’avait mise en application (guerre des farines).

« (…) il est connu du gouvernement que les obstacles apportés à la libre circulation contrarient à chaque instant ses mesures, et presque toute la France est exposée aux mêmes traverses. Vous avez confirmé par deux décrets les lois qui ont ordonné depuis longtemps la pleine liberté de la circulation des grains, et vous êtes sûrement instruits de la résistance formelle qu'on oppose à ces décrets dans la plupart des provinces.

Le Roussillon refuse au Languedoc les secours dont il a besoin ; le Haut-Languedoc prend de l'ombrage des secours que le reste de la province lui demande. Le Lyonnais n'obtient qu'avec des peines infinies de légers secours de la Bourgogne ; le Dauphiné se cerne en conséquence. D'autres provinces suivent le même exemple ; et le Havre, Caudebec et Rouen ont retenu et retiennent encore une partie des approvisionnements achetés par le Roi, pour le secours de la ville de Paris. On ne finirait point, Messieurs, si l'on entrait dans le détail des résistances qu'opposent non-seulement les provinces, mais encore les municipalités et souvent les plus petits villages à la libre circulation des grains. Les alarmes que la mauvaise récolte de l'année dernière a occasionnées ont fait une impression si vive, que chacun craint de n'avoir pas son approvisionnement de l'année, et refuse de secourir ses voisins (...) »

4/ La France est au bord du chaos, du fait que plus aucune autorité n’est en pouvoir de se faire respecter.

«(...) Toute la France est en armes. Les chefs des milices n'ont point été nommés par le Roi et ils ne reçoivent point ses ordres directs. L'ancienne subordination des troupes est attaquée par des insinuations de tout genre. Les tribunaux attentifs à ce qui se passe dans votre Assemblée, sont inquiets de vos dispositions prochaines et leur découragement se manifeste partout. La considération des magistrats, celle même attachée aux grandes places d'administration, s'affaiblit journellement ; et cette autorité morale qui sert de supplément à la puissance réelle, est presque prête à s'éteindre. En même temps la juste liberté de la presse transformée dans une licence sans bornes, livre aux plus infâmes impostures la réputation de tous ceux qui se vouent aux affaires publiques ; et pour en rendre l'effet plus dangereux, on les répand avec art dans les dernières classes du peuple, et on s'efforce de détruire en elles les sentiments d'estime et de respect qui leur servent encore de liens. (...) »

5/ Les ministres du roi renvoient les députés en face de leurs responsabilités et refusent d’endosser la responsabilité d’événement sur lesquels ils n’ont aucun pouvoir de contrôle.

« (...) Que pourriez-vous donc faire, Messieurs, en assez peu de temps, pour demander avec justice que les ministres deviennent responsables de l'exécution des lois !

Ah ! si leur caution pouvait garantir le retour de l'ordre, ils n'hésiteraient pas à la donner au risque de tout ce qui pourrait leur être personnel. D'ailleurs, en aucune espèce d'administration publique, qui pourrait promettre autre chose que le dévouement entier de son zèle et de ses facultés ? On ne demande pas à un général entouré de soldats, qui dans un espace circonscrit obéissent en silence à son commandement, on ne lui demande pas d'être caution du sort d'une bataille ; et à l'instant d'une disjonction générale qui s'étend d'un bout du royaume à l'autre, vous voudriez exiger des ministres du Roi qu'ils indiquassent les moyens à l'aide desquels ils se rendraient garants de l'exécution universelle des lois. Vous trouverez sûrement en y réfléchissant, Messieurs, qu'une telle obligation ne peut leur être imposée.

Les ministres du Roi vous déclarent donc, Messieurs, qu'ils ne contracteront point un pareil engagement et que si vous insistiez à l'exiger, si vous y insistiez avec le vœu de la nation, ils céderaient leurs places aux hommes téméraires qui vous feraient de telles promesses. (...) »

Lecture faite de ce mémoire accablant, Un membre demande de l’Assemblée qu’il soit imprimé et distribué, et le Président consulte l'Assemblée qui décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer.

La totalité du mémoire est consultable par le lien suivant :



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand