Jean-Paul Marat |
Ce mercredi 14 octobre, on lit à l’Assemblée nationale une
requête de M. Marat, arrêté comme auteur d'une diatribe indécente contre
l'Assemblée nationale et M. Necker, et qui demande la liberté.
M. Gaultier de Biauzat observe que la ville de Paris, qui a
fait emprisonner l'auteur, suit cette affaire, et qu'il est inutile de
s'occuper de cette requête.
L'Assemblée prononce un renvoi au comité des rapports.
Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5174_t1_0441_0000_2
Attendu que Marat ne cesse également de critiquer les
actions de la Commune de Paris et plus particulièrement les actes de son maire,
Bailly, on se doute bien que les choses ne vont pas s’arranger pour lui…
Le très dérangeant Marat
Je vous avais déjà parlé du très dérangeant Marat dans ma
publication du 28 septembre.
Numéro du 8 octobre 1789 |
Suite à une dénonciation faite par la commune devant les
instances judiciaires, Marat a de nouveau été convoqué à l’Hôtel de Ville le 3
octobre dernier pour répondre de ses accusations dans les numéros 15 à 23 de
son journal. Dans ses numéros 20 et 21, Marat a dénoncé ouvertement Bailly, le
Maire de Paris et la plainte a suivi son cours. Le 4 octobre, le procureur du
roi, Deflandre de Brunville, a écrit au lieutenant criminel du Châtelet, et,
les 8 et 9 octobre, des huissiers, envoyés par le Châtelet, se sont rendus
domicile de Marat.
Marat dénonce
Marat dénonce, et ce verbe n’a pas à l’époque la connotation
négative qu’il a pour certains aujourd’hui, qui confondent dénonciation et
délation. Comme le précise le dictionnaire, une délation est une dénonciation
inspirée par des motifs méprisables. Alors qu’une dénonciation a pour objet de faire
connaître, comme le dit le même dictionnaire, une chose répréhensible (Dénoncer
des abus par exemple). Aujourd’hui, on dirait que c’est un « lanceur d’alerte ».
Dénoncer une injustice, fait partie du travail d’un journaliste et Marat, précisément,
est un journaliste.
Marat considère que la dénonciation est totalement liée à la liberté de la presse, et à l’exercice de la justice à l’échelle du citoyen. Il explique cela dans la partie du « Pouvoir judiciaire » de son plan de Constitution :
« Lorsqu’ils [les citoyens] ne peuvent faire entendre leur
voix, il faut que le législateur ménage à l’homme généreux et courageux un
moyen sûr et prompt de rendre leurs plaintes publiques. Ainsi, quand la liberté
de la presse ne serait pas un droit de tout citoyen, elle devrait être établie
par un décret particulier. Seulement, pour prévenir toute licence, toute
dénonciation sera signée par son auteur.»
Avertissement contre les dénonciations non signées, figurant dans son journal. |
Mirabeau dénonce également
Nous avons vu le 10 octobre, Mirabeau dénoncer devant l’Assemblée le ministre Saint Priest, pour des propos diffamant les députés qu’on aurait prêtés à celui-ci. Cette dénonciation avait un léger parfum de délation, car lui-même n’avait pas entendu ces propos et le ministre a été bien aise de démontrer qu’il ne les avait jamais tenus. Quand bien même Saint Priest eut-il tenu ces propos, qu’on ne l’aurait guère inquiété plus pour cela.
Mais Marat n’est pas Mirabeau. Marat vit en-dessous du plafond de verre qui empêche, et ce quelques-soient leurs talents, toute ascension sociale aux gens du peuple. C’est le cas également de Babeuf, qui malgré son instruction et son intelligence, sera toute sa vie condamnée à l’indigence. Nous reparlerons de Babeuf en juin 1790, lorsqu’il écrira à Marat pour dénoncer ses conditions de rétention en prison (Babeuf sera arrêté avec quelques 500 autres pauvres bougres, accusés de l’incendie des barrières des fermiers généraux la nuit du 13 juillet 1789).
Un homme engagé
Quand Marat, épris de justice sociale, dénonce les enrichissants
arrangements entre les honnêtes gens du Tiers Etat et de l’aristocratie, il risque
sa liberté. En quatre ans d’exercice de sa fonction de journaliste, Marat ne
sera libre que 397 jours, et sera sous le coup, de décrets pendant
1064 jours. Ce qui signifie qu’il ne bénéficia que de 13 mois de liberté, et
fut, 35 mois durant sous la menace d’un décret, ou dans la clandestinité. Ses
ennemis n’hésiteront pas non plus à faire détruire ses presses ou à emprisonner
son imprimeur.
Marat a 46 ans en 1789. C’est un homme qui a de la maturité
et de l’expérience, plus que bon nombre de révolutionnaires bien plus jeunes
que lui. Le bouillonnant Camille Desmoulins qui créera en Novembre prochain son
journal « Les Révolutions de France et de Brabant », n’a que 29 ans, Danton
en a 30 et Robespierre 31. Marat a décidé de consacrer sa vie à la vérité,
comme l’indique la formule latine en tête de son journal : « Vitam
impendere vero », « Consacrer sa vie à la vérité ». Cette devise du poète
satirique Juvénal avait été également reprise par Rousseau dans sa lettre à
d’Alembert.
Marat vit au milieu du peuple et il le connait bien. Il
connait particulièrement bien sa misère et sa détresse. Marat vit à la
frontière de sa classe sociale et de ce poste dangereux, il observe, analyse et
comprend les agissements et manœuvres diverses de la classe dirigeante. Il a
assisté à ce qui ne fut rien d’autre qu’un coup de force de la bourgeoisie pour
prendre le pouvoir et il en a compris le mobile. Mobile que l’on pourrait résumer
en citant Barnave, avocat du Dauphiné et député à l’Assemblée : « Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des pouvoirs ». Une nouvelle classe sociale, riche, travailleuse et instruite,
a pris le pouvoir sur une classe sociale obsolète et décadente, la noblesse.
Vous aurez cependant remarqué, que devant la lenteur de l’ancien
régime à comprendre la situation, ces bourgeois du Tiers Etat n’ont pas hésité
à utiliser le peuple pour accélérer un peu le mouvement. Hormis les habituelles
émeutes frumentaires causées par le manque de pain, la plupart des événements
de juillet 89 ont été plus ou moins organisés par des hommes de mains de
certains grands personnages. Le peuple ayant été mis à contribution, on ne peut
lui reprocher d’attendre quelques bénéfices de cette révolution, ne serait-ce
que de pouvoir manger à sa faim. Hélas, sa situation ne va pas en s’améliorant.
Marat voit bien que les nouveaux riches font très vite la
paix avec les anciens riches et que déjà les « affaires » reprennent.
Nous verrons plus tard que de véritables fortunes se sont constituées pendant
et grâce à la révolution. Marat dénonce les « accapareurs », les
affairistes qui spéculent sur le blé. Marat critique la politique de Necker, en
mettant en évidence ses méfaits directs et indirects. Ce numéro du 8 octobre traite précisément de cela !
Marat irrite donc au plus haut point les élus du Tiers Etat
parisien (éligibles parce que riches, rappelons-le), car il voit claire dans
leur jeu. De plus, Marat n’apprécie guère Bailly, le maire de Paris, qui a été nommé
Maire le 15 juillet 1789 par l'acclamation d'une assemblée
hétéroclite d'électeurs des soixante districts parisiens et de
quelques députés de l'Assemblée nationale. Ce que l’on ne peut guère qualifier
d’élection démocratique, convenons-en.
Un mot sur Bailly
Jean Sylvain Bailly, né d’une famille d’artistes peintres, d’abord
tenté par le théâtre puis initié à l’astronomie par le célèbre astronome, l’abbé Lacaille, n’avait
pas véritablement l’âme d’un artiste, les yeux perdus dans les étoiles. Il se
consacra à la politique et bénéficia de circonstances on ne peut plus
bénéfiques à sa carrière. Il fut par exemple le premier à prononcer le fameux serment
du Jeu de Paume le 20 juin 1789 (qui avait eu lieu après que les députés du Tiers
Etat, lassés de la tournure que prenaient les Etat Généraux, se soient
constitués en Assemblée nationale le 17 juin et que le roi, en représailles,
ait fait fermer leur salle de réunion, la salle des Menus Plaisirs à Versailles ;
ce qui les avait obligés à se réunir dans le gymnase du jeu de paume).
Nous verrons plus tard que les soupçons de Marat étaient
fondés, car Bailly n’était pas un tendre. C’est lui qui, le 17 juillet 1791,
fera hisser le drapeau rouge signifiant l’état d’urgence et qui ordonnera à
Lafayette de disperser par la force le peuple venu demander la destitution du
roi après la fuite de celui-ci et son arrestation à Varennes. La garde
nationale tirera sur la foule et fera des dizaines de morts.
Marat n’apprécie pas non-plus Lafayette, qui comme par hasard, est très proche de Bailly. Il faut dire que le destin de ces deux hommes était très lié en ce moment de l’histoire. Comme le fait si justement remarquer l’historien Jules Michelet :
« Un maire de Paris, un commandant de Paris, nommés sans l’aveu du roi par les électeurs, ces places acceptées par des hommes aussi graves que Bailly et La Fayette, les nominations confirmées par l’Assemblée, sans rien demander au roi, ceci n’était plus l’émeute, c’était une révolution, bien et dûment organisée. »
(Livre II, chapitre 1er, page 277)
Nous reparlerons bientôt de Lafayette...
Necker, le "faiseur"
Marat n’aime pas Necker ! Ce qui relève presque du sacrilège en cette période où Necker est littéralement adulé. Son hostilité, la non-plus, n’est pas infondée. Parce que le grand Necker, tout ministre qu’il est, n’en est pas moins banquier et un banquier qui s’est enrichi grâce à sa politique d’emprunts répétés. En effet, sa propre banque, chaque fois a prêté à l’Etat en récoltant de faramineux intérêts. Il s’est aussi enrichi (encore au détriment de l’Etat) grâce à ce que nous appellerions aujourd’hui, des délits d’initiés.
Lisez cet article passionnant dans
lequel vous trouverez le détail de la première arnaque de Necker au dépend de l’Etat
français :
Cliquez sur le lien : La Révolution française expliquée aux enfants |
Ce genre de pratiques étaient coutumières sous l’ancien
régime et elles ne choquaient guères le beau monde. Il était normal qu’un
ministre s’enrichisse. (Toujours cette croyance étrange relative à
l’enrichissement d’un seul profitant à tous.) Marat appelle ironiquement Necker
le « grand faiseur » en rappelant que Necker est un ministre des Finances qui
ne rend pas de comptes. En rendrait-il d’ailleurs, que probablement peu s’y
intéresseraient. Souvenez-vous de son plan de redressement auquel les députés
n’ont pas bien compris grand-chose, mais qu’ils ont voté le 26 septembre, « De confiance ».
Je vous invite donc à lire les quelques pages de ce numéro 28 de l’Ami du Peuple. Vous comprendrez mieux pourquoi Jean Paul Marat dérange tellement.
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Bien cordialement
Bertrand