jeudi 1 octobre 2020

Aurore Chéry, une historienne 2.0, vous fait redécouvrir Louis XVI


    Mon regard sur Louis XVI a bien changé...

  La guerre de tranchées qui opposait depuis 200 ans les nostalgiques de l’ancien régime et les défenseurs de la République, semblait prête d’être gagnée idéologiquement par les premiers, puisque le discours culpabilisateur sur la révolution avait même gagné les rangs clairsemés de ce qui restait d’ardents républicains. 

    Mais l’image de Louis XVI n’évoluait guère. Il n’avait pas eu la chance de son épouse Marie Antoinette, qui avait bénéficiée de la sentimentale recomposition du grand écrivain Stefan Zweig, d’un film kitschissime d’une réalisatrice branchée et du culte idolâtre d’un thuriféraire médiatique du gotha mondain. 

    L’image persistante, mais si désolante de Louis XVI me convenait néanmoins, puisque j’avais une faiblesse pour la révolution, et surtout que personne ne la remettait en question.

    Quelle ne fut pas ma surprise cependant, lorsqu’au cours de mes travaux préparatoires à la réalisation de ce site, je découvris un soir au milieu des trésors scannés de la BNF, un passage étonnant concernant un projet de Louis XVI, confié par le Ministre Turgot à son ami l’abbé Véri, et rapporté dans le journal tenu par celui-ci. Le ministre lui faisait part de la difficulté de réaliser les réformes indispensable au royaume, tout en restant dans le cadre stricte de la loi et du respect des contrats. Je ne vous en dis pas plus, lisez plutôt le passage ci-dessous, ou cliquez sur l'image ci-contre pour lire la page 379 de ce journal de l'abbé Véri :

« Parmi les différents qui arrêtent toute mutation, il y a celui de la probité qui doit respecter la foi publique des contrats. On ne peut pas nier que la résiliation d'un bail attaque cette fidélité des contrats. M. Turgot ne méconnaît pas ce cri de l'équité naturelle. Il ne désavoue pas non plus que résilier un bail sans rendre en écus sonnants les fonds que les fermiers généraux ont donnés en avance au Roi ne soit contraire au premier appel de l'équité. Il convient que remettre le remboursement de ces fonds à des termes éloignés en faisant cesser aujourd'hui leur bail, c'est une injustice très apparente. Mais, en faisant ces aveux, voici ses autres observations, que je ne crois pas inutile de mettre dans toute leur étendue.

« Faisons une supposition, m'a-t-il dit, sur un objet absolument étranger. Le Roi juge utile et juste de supprimer l'esclavage des nègres dans les colonies en remboursant leur valeur aux propriétaires. Il ne peut faire ce remboursement que dans dix ans. Faut-il attendre ces dix ans pour produire un bien si considérable que la justice réclame dès aujourd'hui et qui n'aura peut-être jamais lieu si on le laisse à l'incertitude des événements ? Revenons maintenant à la fidélité du contrat avec les fermiers généraux et à la nécessité de rembourser leurs fonds. Si je romps leur bail sans le motif légal de la lésion excessive dans le prix si je le romps pour en tirer simplement quelque revenu de plus si je le romps enfin pour en gratifier d'autres gens plus favorisés, sans doute je fais une injustice réelle et je suis coupable. Mais si la machine est montée sur un plan de vexation qui tourmente tous les citoyens si je prévois qu'en la laissant encore, on court risque de la voir subsister toujours, dois-je être arrêté par l'injustice qu'il y a de ne pas rembourser leurs fonds sur le champ parce que je ne les ai pas ? Et l'injustice qu'il y a de leur faire attendre leur remboursement est-elle comparable au mal qu'éprouve le peuple et que peut-être il éprouvera toujours si mes plans n'ont pas bientôt leur exécution ? Le peuple souffre vexation depuis longtemps il réclame le soulagement. Les fermiers généraux souffriront dans les délais qu'ils éprouveront pour leur remboursement et dans le bail qui leur sera ôté. Quel est celui des deux cris qui blesse le plus l'équité ? Voilà la position où je dois me placer. »

    C’est ainsi que j’ai découvert que presque 20 ans avant son abolition par la République, Louis XVI envisageait d'abolir l’esclavage ! J’ai été encore plus surpris que lorsque j’avais appris en lisant un procès-verbal de l’Assemblée nationale, que le blé acheté par le roi, via Necker, pour nourrir les Parisiens en juillet 1789, venait d’Algérie !

Mise à jour du 7 octobre :

J'ai retiré le "ardemment" que j'avais mis devant "abolir", car il m'a été reproché d'avoir surinterprété ce texte de l'abbé Véri en "affirmant" que Louis XVI avait souhaité abolir l'esclavage (j'ai même remplacé souhaitait par envisageait). 

Comme tout le monde, j'interprète le monde au travers du filtre de ma personnalité, et les grosses mailles de mon filtre font que je crédite parfois les gens de plus de qualités qu'ils n'en ont ; un des travers de mon caractère étant de chercher ce qui peut rassembler les gens plutôt que ce qui les divise. 

Alors admettons que Louis XVI n'ait jamais dit cela à Turgot et que l'abbé Véri ait fantasmé. Cela pose néanmoins question sur le choix de cet exemple, qui relève alors de l'inconscient de son auteur (inconscient collectif ?). Je m'étonne par ailleurs que l'on ne se soit pas plus étonné que ça, de cette évocation d'une impossible réforme du monopole des Fermiers Généraux. 

Cette remarque qui m'a été faite était néanmoins plus pertinente que celles dont m'ont accablé 2 ou 3 royalistes ! 😉

    Assez parlé de moi ! Revenons à l’histoire et aux historiens et historiennes !

    L’histoire, comme toutes les disciplines scientifiques est en train de changer très rapidement, du fait des nouveaux outils informatiques mis à sa disposition. Si l’amateur que je suis a été capable de créer une base de données sur Excel pour une chronologie des événements révolutionnaires, imaginez ce que peut faire un universitaire ? De précieux ouvrages qui dormaient profondément dans de poussiéreuse bibliothèques ont été scannés méthodiquement et sont à présent à la disposition du monde entier. Les ordinateurs peuvent lire ces livres, les trier, les analyser, les traduire, les comparer, les indexer, etc. Un historien d’autrefois n’aurait pas eu assez de sa vie pour réaliser ce travail titanesque ! Cela ne va plus être possible d’ignorer des sources nouvelles ni de continuer à reproduire des interprétations découlant de préjugés du passé.

    Concernant justement lesdits préjugés, il semble que suffisamment de temps se soit écoulé et que les courants politiques qui soutenaient certaines interprétations historiques, soient suffisamment affaiblis, pour qu’une génération d’historiens puisse enfin étudier la Révolution française sans être accablée de préjugés. C’est le cas par exemple de Annie Jourdan ou de Jean-Clément Martin, qui ont sacrément dépoussiéré cette période historique, et il y en a de plus en plus.


    C’est indiscutablement le cas de l’historienne Aurore Chéry, dont je vous conseille aujourd’hui de lire son livre intitulé « L’intriguant », Nouvelles révélations sur Louis XVI.

Dès que j’en ai entendu parler, je l’ai précommandé pour le recevoir dès sa sortie, programmée le 30 Septembre.

Voici le texte de la quatrième de couverture :

« Louis XVI nous semble désormais si familier que chacun s’en fait une représentation stéréotypée. Le roman national, qu’il soit républicain ou royaliste, l’a figé en un être coupé de la réalité.

Pour cet ouvrage, l’historienne Aurore Chéry a mené des recherches inédites s’appuyant sur les sources primaires, pour certaines encore inexploitées, et les travaux les plus récents des historiens. Elle offre ici un portrait entièrement renouvelé du roi de France, un souverain aux idées avant-gardistes et à la personnalité dérangeante, à la fois allumeur de révolutions et républicain bien décidé à transformer le monde. Aurore Chéry montre comment, pour se protéger d’une cour hostile et mener à bien la politique de ses rêves, il a revêtu divers masques. Loin de l’homme apathique souvent décrit, on découvre un roi déterminé, au caractère entier, un tacticien contraint de fonder sa politique sur la ruse, la dissimulation et la manipulation. Mais ce nouveau Machiavel est aussi un être passionné, prêt à tout risquer par amour pour Françoise Boze, l’espionne protestante à son service.

Au-delà de ce portrait fascinant, l’historienne dresse le tableau complet d’une époque rendue plus vivante par la diversité des approches qui s’éclairent l’une l’autre, de la littérature à la philosophie en passant par la médecine. Proprement recontextualisé, le règne de Louis XVI nous révèle tout ce que notre modernité lui doit et combien il est susceptible de nourrir de riches réflexions pour l’avenir. »

Parlant de Louis XVI dans son introduction, Aurore Chéry écrit :

« Ce n’est pas de réhabilitation dont il avait besoin mais de compréhension. Au risque d’user un peu la vieille antienne spinoziste, c’est bien elle qui s’impose : « ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas haïr, mais comprendre. » C’est la tâche que je me suis donnée malgré moi il y a trente ans. » 

Je pourrais faire mienne cette devise qui correspond mot pour mot à ma propre démarche.

Plus loin, on peut lire également :

« On l’a condamné à n’être qu’un négatif de la Révolution et l’on ne pouvait donc pas soupçonner, comme nous le verrons dans ces pages, qu’il était tout au contraire le principal initiateur de la Révolution, qu’il l’avait voulue, qu’il avait vécu en grande partie pour elle et qu’il envisageait, dès l’origine, qu’elle déboucherait sur la République. »

Ça y est ? Vous aussi ? Vous voulez lire ce livre ?

Je ne vous révélerai rien de plus, afin que vous courriez l’acheter !

Je vous rapporte néanmoins ce dernier extrait de son livre, qui concerne son travail d’historienne :

« Il a fallu également interroger tous les types de sources comme si elles étaient radicalement nouvelles. Dès que l’on touche au plus haut niveau de l’Etat, le secret et la méfiance sont la règle, le mensonge et la duplicité omniprésents. Comment traiter les correspondances ? Les épistoliers sont-ils sincères ? Que signifie avoir une minute de lettre ou une copie plutôt que l’originale ? Quelle était la fonction des journaux intimes ? Quel était le réseau amical, professionnel, le positionnement politique de l’auteur ou de l’autrice ? Ce travail est d’autant plus nécessaire qu’il est aujourd’hui rendu beaucoup efficace par les nouvelles technologies. Les études récentes, venant du monde entier, sont mieux et plus rapidement diffusées, la numérisation autorise une plus large confrontation des documents, la reconnaissance optique des caractères aide à mieux identifier la documentation pertinente, la mise en ligne de leurs collections par les musées permet aussi d’intégrer plus systématiquement les sources iconographiques à la réflexion. 

Ce livre n’aurait certainement pas pu exister il y a vingt ans, et peut-être même pas il y a dix ans. J’espère que les perspectives qu’il offre trouveront écho chez d’autres chercheurs et que nous pourrons explorer ensemble les nouveaux champs que cette période nous laisse encore à défricher. »


Nous en avons la confirmation, il s’agit bien d’une historienne 2.0 !

Réjouissons-nous, car je suis certain que le 18ème siècle va prendre un sacré coup de jeune dans les années à venir !

 

Nota :

    Je connaissais l’existence de cette jeune historienne depuis sa participation à l’écriture du livre publié en 2016, « Les Historiens de garde », avec William Blanc et Christophe Naudin.

    Cet ouvrage avait été rédigé collectivement afin de répondre dans l'urgence aux délires révisionnistes d’un acteur de théâtre se mêlant d’histoire. Vous pouvez lire sur le site Huffpost un article expliquant cette heureuse démarche, en cliquant sur l’image ci-dessous.


Post Scriptum :

La publication de cet article m'a valu quelques remarques désagréables sur Facebook, telles que : "Canular", "Fables pour ignorants", "révélation inintéressantes" et j'en passe. Qu'un site traitant de la Révolution française puisse s'efforcer d'être juste vis-à-vis de Louis XVI, semblait les faire se révulser d'horreur. Je pense que c'est à cause de cela qu'aussi bien ce site que la page Facebook lui correspondant n'attireront pas les foules. 😢

Dès que l'on traite de la Révolution française et quand bien même l'on s'efforce comme je le fais, d'être compréhensif et tolérant à l'égard de tous les partis ; immanquablement on tombe sur des gens qui se comportent de façon irrationnelle, voire même parfois, fort incorrecte.

Cela n'arrive pas si l'on parle des Mérovingiens ou de l'Empire Romain. C'est vous dire si le 18ème siècle est une période vraiment capitale dans l'histoire ! 😍


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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand