dimanche 18 octobre 2020

18 Octobre 1789 : Colson donne des nouvelles de Paris : Beaucoup de bruits et de rumeurs...


Notre Dame de Paris, vue depuis le quai des Tournelles

    Parallèlement aux ouvrages des historiens, j'aime bien lire les témoignages de contemporains. Non-pas qu'ils soient plus véridiques. C'est ce qu'ils ressentent qui est intéressant.

    Voici donc comment Joseph Adrien Colson, avocat au barreau de Paris, décrit la situation dans son courrier du 18 Octobre adressé à son ami en Province.

"À la seule inspection de cette lettre et avant de l'ouvrir vous avez vu que j'existais encore. Tout Paris existe de même : il n'a heureusement coulé de sang que dans les veines et les maisons se portent à peu près comme elles se portaient au départ du dernier courrier. On ne prend plus même la précaution d'éclairer la nuit le premier des maisons et l'on ne fait presque plus de patrouilles le jour. Cependant il s'en faut bien que nous soyons parfaitement rassurés et que nous regardions notre sécurité comme établie sur des fondements inébranlables.

    Le parti de la conspiration, suivant les indices qu'on en a, est très répandu et très dangereux et ce que les complices en ont révélé est si terrible (on ne dit pas si c'est par la qualité des complices ou par la noirceur de leurs trames, ni la force des moyens qu'ils étaient prêts à employer), que ceux qui sont dépositaires de ce secret en ont paru saisis et qu'ils n'ont osé en faire part au public de peur de l’effrayer.

Monsieur Marat

    Nous avons d'indignes papiers publics qui contribuent beaucoup à grossir cette conspiration en imputant à tous ceux qui, dans les districts et à l‘Hôtel de Ville, sont à la tête des bureaux et des affaires publiques, de conspirer eux-mêmes contre le bien et la liberté publique, et en excitant presque) sous prétexte de la liberté de Ia presse, à leur plonger le poignard dans le sein. Monsieur Marat entre autres, auteur de L'ami du peuple, a eu la plus grande part aux troubles du 5 et du 6 qui ont décidé la translation de la résidence du roi et de l'Assemblée nationale à Paris, et il a eu le front de s'en vanter dans deux feuilles. On a supprimé son grand « ennemi du peuple » et on l'a arrêté lui-même pendant quelques jours. Mais je crois qu'il continue son écrit incendiaire et qu'il le fait débiter secrètement. Les aristocrates qui, sans doute, soudoient les auteurs de ces papiers atroces, les soutiennent en même temps par une infinité de bruits analogues.


    Aujourd'hui, pendant que Paris est au dépourvu de la denrée pour le pain, les représentants de la commune refusent du pain tout fabriqué que lui offrent les municipalités voisines. Hier, ils refusaient 40 000 fusils que le Forez lui offrait en pur don, en reconnaissance de ce que lui seul, pour ainsi dire, a opéré Ia révolution qui rend à la France sa liberté opprimée ou anéantie depuis tant de siècles. Un autre jour, les officiers qu'on envoie en détachement chercher les farines s'entendent secrètement avec les représentants de la commune pour n'en pas amener et pour affamer exprès Paris, ou bien les uns s'amusent à la chasse au lieu de chercher des grains chez les fermiers et de les faire battre ; d'autres forcent les marchands de leur donner les farines à un quart au-dessous du prix courant puis, le lendemain ils les revendent à leur véritable prix pour s'en approprier le bénéfice. Et l'on veut que les représentants de la commune souffrent et voient avec une joie secrète, dont ils triomphent intérieurement, ces abus intolérables.

Duc d'Orléans

    Chaque jour il y a de nouveaux bruits qui supposent de nouveaux dangers ou de nouveaux obstacles très difficiles à surmonter. Hier, pour un seul jour, on disait que l'Artois et le Languedoc désavouaient tout ce qu'a fait l'Assemblée nationale et voulaient la nullité de tout ce qu'elle a décrété jusqu'ici, que monsieur le duc d'Orléans, qui est allé à Londres pour une négociation dont on ignore encore l'objet, y était allé pour trahir, que les grenadiers des gardes françaises s'étaient emparés de tous les postes d'honneur de la garde du roi et qu'ils en excluaient la bourgeoisie qui probablement, si cela était vrai, ne le souffrirait pas, qu'on avait arrêté la nuit précédente trois abbés déguisés en dragons pour trahir, et il y avait peut-être encore d'autres bruits qui ne me sont pas parvenus. L'effet de ces bruits est que beaucoup de personnes se laissent déconcerter, que beaucoup d'autres, enflammées de courroux, demandent hautement des coups de vengeance et d'éclat et, pendant ce temps-là, le parti secret use de toutes sortes d'artifices pour exciter et accroître ces sentiments, et il ne cesse d'attiser continuellement le feu.

    La seule lueur d'espérance que nous ayons jusqu'ici dans une position aussi critique, c'est que l'Assemblée nationale a décrété, et le roi vient de sanctionner, 28 articles de loi pour la procédure criminelle, que demain l'Assemblée nationale va ouvrir sa première séance à l'archevêché pour établir des municipalités qui jugeront les matières criminelles, et que les districts s'occupent d'avance depuis hier à élire ceux qui concourront au jugement de ces matières. Si une fois le tribunal, quand il sera établi, se met en activité et fait des exemples, il n'est pas douteux qu'en peu de jours le calme."

Archevêché de Paris

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Bertrand