Discours du Roi lors de la séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4534_t2_0143_0000_2
Dans les deux côtés du milieu, jusqu'au fond, étaient les
membres de l'Assemblée nationale ; les quatre hérauts et le roi d'armes étaient
placés au milieu. Le trône était élevé sur une estrade qui occupait le fond de
la salle jusqu'à la seconde colonne. Au bas de cette estrade, autour d'une
table, se trouvaient rangés les ministres. Un seul tabouret était vacant :
c'était celui de M. Necker.
Sur les onze heures, le Roi sortit de son château. La
voiture du Roi était précédée et suivie de la fauconnerie , des pages, des
écuyers, et enfin des quatre compagnies des gardes du corps.
Le Roi, accompagné des princes du sang, des ducs et pairs,
des capitaines des gardes du corps, est entré dans la salle. À son arrivée, les
députés se lèvent et ils se replacent ensuite.
Le Roi prononce un discours pour annoncer l'objet de la
séance. Il est conçu en ces termes :
Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon
pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j'avais pris la résolution de vous
rassembler, lorsque j'avais surmonté toutes les difficultés dont votre
convocation était entourée, lorsque j'étais allé, pour ainsi dire, au-devant
des vœux de la nation, en manifestant à l'avance ce que je voulais faire pour
son bonheur.
Il semblait que vous n'aviez qu'à finir mon ouvrage, et la
nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vues
bienfaisantes de son souverain et du zèle éclairé de ses représentants, elle
allait jouir des prospérités que cette union devait leur procurer.
Les États généraux sont ouverts depuis près de deux mois, et
ils n'ont point pu encore s'entendre sur les préliminaires de leurs opérations.
Une parfaite intelligence aurait dû naître du seul amour de la patrie, et une
funeste division jette l'alarme dans tous les esprits. Je veux le croire, et
j'aime à le penser, les Français ne sont pas changés. Mais, pour éviter de
faire à aucun de vous des reproches, je considère que le renouvellement des
États généraux après un si long terme, l'agitation qui l'a, précédé, le but de
cette convocation, si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres, les
restrictions dans les pouvoirs, et plusieurs autres circonstances, ont dû
nécessairement amener des oppositions, des débats et des prétentions exagérées.
Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même
de faire cesser ces funestes divisions. C'est dans cette résolution, Messieurs,
que je vous rassemble de nouveau autour de moi ; c'est comme le père commun de
tous mes sujets, c'est comme le défenseur des lois de mon royaume, que je viens
en retracer le véritable esprit, et réprimer les atteintes qui ont pu y être
portées.
Mais, Messieurs, après avoir établi clairement les droits
respectifs des différents ordres, j'attends du zèle pour la patrie, des deux
premiers ordres, j'attends de leur attachement pour ma personne, j'attends de
la connaissance qu'ils ont des maux urgents de l'État, que dans les affaires
qui regardent le bien général, ils seront les premiers à proposer une réunion
d'avis et de sentiments que je regarde comme nécessaire dans la crise actuelle,
qui doit opérer le salut de l’État.
Un des secrétaires d’État lit ensuite la déclaration
suivante :
Art. 1er. Le Roi veut
que l’ancienne distinction des trois ordres de l’État soit conservée en son
entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume ; que
les députés librement élus par chacun des trois ordres, formant trois Chambres,
délibérant par ordre, et pouvant, avec l’approbation du souverain, convenir de
délibérer en commun, puissent seuls être considérés comme formant le corps des
représentants de la nation. En conséquence, le Roi a déclaré nulles les
délibérations prises par les députés de l’ordre du tiers-état, le 17 de ce
mois, ainsi que celles qui auraient pu s’ensuivre, comme illégales et
inconstitutionnelles.
Art. 2. Sa Majesté déclare valide tous les pouvoirs vérifiés
ou à vérifier dans chaque Chambre, sur lesquels il ne s’est point élevé ou ne
s’élèvera point de contestation ; ordonne Sa Majesté qu’il en sera donné
communication respective entre les ordres.
Quant aux pouvoirs qui pourraient être contestés dans chaque
ordre, et sur lesquels les parties intéressées se pourvoiraient, il y sera
statué, pour la présente tenue des États généraux seulement, ainsi qu’il sera
ci-après ordonné.
Art. 3. Le Roi casse et annule, comme
anticonstitutionnelles, contraire aux lettres de convocations et opposées à
l’intérêt de l’État, les restrictions des pouvoirs qui, en gênant la liberté
des députés aux États généraux, les empêcheraient d’adopter les formes de
délibération prises séparément par ordre ou en commun, par le vœu distinct des
trois ordres.
Art. 4. Si, contre les intentions du Roi, quelques-uns des
députés avaient fait le serment téméraire de ne point s’écarter d’une forme de
délibération quelconque, Sa Majesté laisse à leur conscience de considérer si
les dispositions qu’elle va régler s’écartent de la lettre ou de l’esprit de
l’engagement qu’ils auront pris.
Art. 5. Le Roi permet aux députés qui se croiront gênés par
leurs mandats de demander à leurs commettants un nouveau pouvoir ; mais Sa
Majesté leur enjoint de rester, en attendant, aux États généraux pour assister
à toutes les délibérations sur les affaires pressantes de l’État et y donner un
avis consultatif.
Art. 6. Sa Majesté déclare que, dans les tenues suivantes d’États
généraux, elle ne souffrira pas que les cahiers ou mandats puissent être jamais
considérés comme impératifs ; ils ne doivent être que de simples
instructions confiées à la conscience et à la libre opinion des députés dont on
aura fait choix.
Art. 7. Sa Majesté ayant exhorté, pour le salut de l’État,
les trois ordres à se réunir pendant cette tenue d’État seulement, pour
délibérer en commun sur les affaires d’une utilité générale, veut faire
connaître ses intentions sur la manière dont il pourra y être procédé.
Art. 8. Seront nommément exceptées des affaires qui pourront
être traitées en commun, celles qui regardent les droits antiques et
constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux
prochains États généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits
utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres.
Art. 9. Le consentement particulier du clergé sera
nécessaire pour toutes les dispositions qui pourraient intéresser la religion,
la discipline ecclésiastique, le régime des ordres séculiers et réguliers.
Art. 10. Les délibérations à prendre par les trois ordres
réunis sur les pouvoirs contestés et sur lesquelles les parties intéressées se
pourvoiraient aux États généraux, seront prises à la pluralité des
suffrages ; mais si les deux tiers des voix, dans l’un des trois ordres,
réclamait contre la délibération de l’Assemblée, l’affaire sera rapportée au
Roi pour y être définitivement statué par Sa Majesté.
Art.11. Si, dans la vue de faciliter la réunion des trois
ordres, ils désiraient que les délibérations qu’ils auront à prendre en commun
passassent seulement à la pluralité des deux tiers des voix, Sa Majesté est
disposée à autoriser cette forme.
Art. 12. Les affaires qui auront été décidées dans les
Assemblées des trois ordres réunis seront remises le lendemain en délibération,
si cent membres de l’Assemblée se réunissent pour en faire la demande.
Art. 13. Le Roi désire que, dans cette circonstance, et pour
ramener les esprits à la conciliation, les trois Chambres commencent à nommer
séparément une commission composée de nombre des députés qu’elles jugeront
convenable, pour préparer la forme et la distribution des bureaux de
conférences qui devront traiter les différentes affaires.
Art. 14. L’Assemblée générale des députés des trois ordres
sera présidées par les présidents choisis par chacun des ordres et selon leur
rang ordinaire.
Art. 15. Le bon ordre, la décence et la liberté même des
suffrages exigent que Sa Majesté défende, comme elle le fait expressément,
qu’aucune personne, autre que les membres des trois ordres composant les États
généraux, puisse assister à leurs délibérations, soit qu’ils les prennent en
commun ou séparément.
Le Roi reprend la parole :
« J’ai voulu aussi, Messieurs, vous faire remettre sous
les yeux les différents bienfaits que j’accorde à mes peuples. Ce n’est pas
pour circonscrire votre zèle dans le cercle que je vais tracer, car j’adopterai
avec plaisir toute autre vue de bien public qui sera proposée par les États
généraux. Je puis dire, sans me faire illusion, que jamais Roi n’en a autant
fait pour aucune nation ; mais quelle autre peut l’avoir mieux mérité par
ses sentiments que la nation française ! Je ne craindrai pas de
l’exprimer ; ceux qui, par des prétentions exagérées ou par des
difficultés hors de propos, retarderaient encore l’effet de mes intentions
paternelles, se rendraient indignes d’être regardés comme Français. »
Ce discours est suivi de la lecture de la déclaration qui
suit :
Déclarations du Roi concernant ses intentions, lors de la
séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4536_t2_0144_0000_2
Déclaration des intentions du Roi.
Art. 1er. Aucun nouvel impôt ne sera établi, aucun ancien ne
sera prorogé au-delà du terme fixé par les lois sans le consentement des
représentants de la nation.
Art. 2. Les impositions nouvelles qui seront établies, ou
les anciennes qui seront prorogées, ne le seront que pour l'intervalle qui
devra s'écouler jusqu'à l'époque de la tenue suivante des États généraux.
Art. 3. Les emprunts pouvant devenir l'occasion nécessaire
d'un accroissement d'impôts, aucun n'aura lieu sans le consentement des États
généraux, sous la condition toutefois, qu'en cas de guerre, ou d'autre danger
national, le souverain aura la faculté d'emprunter sans délai jusqu'à
concurrence d'une somme de cent millions ; car l'intention formelle du Roi est
de ne jamais mettre le salut de son empire dans la dépendance de personne.
Art. 4. Les États généraux examineront avec soin la
situation des finances, et ils demanderont tous les renseignements propres à
les éclairer parfaitement.
Art. 5. Le tableau des revenus et des dépenses sera rendu
public chaque année, dans une forme proposée par les États généraux, et
approuvée par Sa Majesté.
Art. 6. Les sommes attribuées à chaque département seront
déterminées d'une manière fixe et invariable, et le Roi soumet à cette règle
générale les fonds mêmes qui sont destinés à l'entretien de sa maison.
Art. 7. Le Roi veut que, pour assurer cette fixité des
diverses dépenses de l'État, il lui soit indiqué par les États généraux les
dispositions propres à remplir ce but, et Sa Majesté les adoptera, si elles
s'accordent avec la dignité royale et la célérité indispensable au service
public.
Art. 8. Les représentants d'une nation fidèle aux lois de
l'honneur et de la probité ne donneront aucune atteinte à la foi publique, et
le Roi attend d'eux que la confiance des créanciers de l'État soit assurée et
consolidée de la manière la plus authentique.
Art. 9. Lorsque les dispositions formelles annoncées par le
clergé et la noblesse, de renoncer à leurs privilèges pécuniaires, auront été
réalisés par leurs délibérations, l'intention du Roi est de les sanctionner, et
qu'il n'existe plus, dans le payement des contributions pécuniaires, aucune
espèce de privilèges ou de distinctions.
Art. 10. Le Roi veut que, pour consacrer une disposition si
importante, le nom de taille soit aboli dans tout le royaume, et qu'on réunisse
cet impôt soit aux vingtièmes, soit à toute autre imposition territoriale, ou
qu'il soit enfin remplacé de quelque manière, mais toujours d'après des
proportions justes, égales, et sans distinction d'état, de rang et de
naissance.
Art. 11. Le Roi veut que le droit de franc-fief soit aboli
du moment où les revenus et les dé¬ penses fixes de l'État auront été mis dans
une exacte balance.
Art. 12. Toutes les propriétés sans exception seront
constamment respectées, et Sa Majesté comprend expressément sous le nom de
propriétés les dîmes, cens , rentes , droits et devoirs féodaux et
seigneuriaux, et généralement tous les droits et prérogatives utiles ou
honorifiques, attachés aux terres et fiefs, ou appartenant aux personnes.
Art. 13. Les deux premiers ordres de l'État continueront à
jouir de l'exemption des charges personnelles ; mais le Roi approuvera que les États
généraux s'occupent des moyens de convertir ces sortes de charges en
contributions pécuniaires, et qu'alors tous les ordres de l'État y soient
assujettis également.
Art. 14. L'intention de Sa Majesté est de déterminer,
d'après l'avis des États généraux, quels seront les emplois et les charges qui
conserveront à l'avenir le privilège de donner et de transmettre la noblesse.
Sa Majesté, néanmoins, selon le droit inhérent à sa couronne, accordera des
lettres de noblesse à ceux de ses sujets qui, par des services rendus au Roi et
à l'État, se seraient montrés dignes de cette récompense.
Art. 15. Le Roi, désirant assurer la liberté individuelle de
tous les citoyens d'une manière solide et durable, invite les États généraux à
chercher et à lui proposer les moyens les plus convenables de concilier
l'abolition des ordres connus sous le nom de lettres de cachet, avec le maintien de
la sûreté publique, et avec les précautions nécessaires, soit pour ménager,
dans certains cas, l'honneur des familles, soit pour réprimer avec célérité les
commencements de sédition, soit pour garantir l'État des effets d'une
intelligence criminelle avec les puissances étrangères.
Art. 16. Les États généraux examineront et feront connaître
à Sa Majesté le moyen le plus convenable de concilier la liberté de la presse
avec le respect dû à la religion, aux mœurs et à l'honneur des citoyens.
Art. 17. Il sera établi, dans les diverses provinces ou
généralités du royaume, des États provinciaux composés de deux dixièmes des
membres du clergé, dont une partie sera nécessairement choisie dans l'ordre
épiscopal ; de trois dixièmes de membres de la noblesse, et de cinq dixièmes de
membres du tiers-état.
Art. 18. Les membres de ces États provinciaux seront
librement élus par les ordres respectifs, et une mesure quelconque de
propriétés sera nécessaire pour être électeur ou éligible.
Art. 19. Les députés à ces États provinciaux délibéreront en
commun sur toutes les affaires, suivant l'usage observé dans les Assemblées
provinciales, que ces États remplaceront.
Art. 20. Une commission intermédiaire, choisie par ces États,
administrera les affaires de la province pendant l'intervalle d'une tenue à
l'autre, et ces commissions intermédiaires, devenant seules responsables de
leur gestion, auront pour délégués des personnes choisies uniquement par elles
ou par les États provinciaux.
Art. 21. Les États généraux proposeront au Roi leurs vues
pour toutes les autres parties de l'organisation intérieure des États
provinciaux, et pour le choix des formes applicables à l'élection des membres
de cette Assemblée.
Art. 22. Indépendamment des objets d'administration dont les
Assemblées provinciales sont Chargées, le Roi confiera aux États provinciaux
l'administration des hôpitaux, des prisons, des dépôts de mendicité, des
Enfants-trouvés ; l'inspection des dépenses des villes, la surveillance sur
l'entretien des forêts, sur la garde et la vente des bois, et sur d'autres
objets qui pourraient être administrés plus utilement par les provinces.
Art. 23. Les contestations survenues dans les provinces où
il existe d'anciens États, et les réclamations élevées contre la constitution
de ces assemblées, devront fixer l'attention des États généraux, ils feront
connaître à Sa Majesté les dispositions de justice et de sagesse qu'il est
convenable d'adopter pour établir un ordre fixe dans l'administration de ces
mêmes provinces.
Art. 24. Le Roi invite les États généraux à s'occuper de la
recherche des moyens propres à tirer le parti le plus avantageux des domaines
qui sont dans ses mains, et de lui proposer également leurs vues sur ce qu'il
peut y avoir de lus convenable à faire, relativement aux domaines engagés.
Art. 25. Les États généraux s'occuperont du projet conçu
depuis longtemps par Sa Majesté, de porter les douanes aux frontières du
royaume, afin que la plus parfaite liberté règne dans la circulation intérieure
des marchandises nationales ou étrangères.
Art. 26. Sa Majesté désire que les fâcheux effets de l'impôt
sur le sel et l'importance de ce revenu soient discutés soigneusement, et que
dans toutes les suppositions on propose, au moins, des moyens d'en adoucir la
perception.
Art. 27. Sa Majesté veut aussi qu'on examine attentivement
les avantages et les inconvénients des droits d'aides et autres impôts, mais
sans perdre de vue la nécessité absolue d'établir une exacte balance entre les
revenus et les dépenses de l'État.
Art. 28. Selon le vœu que le Roi a manifesté par sa
déclaration du 23 septembre dernier, Sa Majesté examinera avec une sérieuse
attention les projets qui lui seront présentés relativement à l'administration
de la justice, et aux moyens de perfectionner les lois civiles et criminelles.
Art. 29. Le Roi veut que les lois qu'il aura fait promulguer
pendant la tenue et d'après l'avis ou selon le vœu des États généraux,
n'éprouvent, pour leur enregistrement et pour leur exécution, aucun retardement
ni aucun obstacle dans toute l'étendue de son royaume.
Art. 30. Sa Majesté veut que l'usage de la corvée pour la
confection et l'entretien des chemins soit entièrement et pour toujours aboli
dans son royaume.
Art. 31. Le Roi désire que l'abolition du droit de mainmorte,
dont Sa Majesté a donné l'exemple dans ses domaines, soit étendue à toute la
France, et qu'il lui soit proposé les moyens de pourvoir à l'indemnité qui
pourrait être due aux seigneurs en possession de ce droit.
Art, 32. Sa Majesté fera connaître incessamment aux États
généraux les règlements dont elle s'occupe pour restreindre les capitaineries,
et donner encore dans cette partie, qui tient de plus près à ses jouissances
personnelles, un nouveau témoignage de son amour pour ses peuples.
Art. 33. Le Roi invite les États généraux à considérer le
tirage de la milice sous tous ses rapports, et à s'occuper des moyens de
concilier ce qui est dû à la défense de l'État avec les adoucissements que Sa
Majesté désire pouvoir procurer à ses sujets.
Art. 34. Le Roi veut que toutes les dispositions d'ordre
public et de bienfaisance envers ses peuples, que Sa Majesté aura sanctionnées
par son autorité pendant la présente tenue des États généraux, celles entre
autres relatives à la liberté personnelle, à l'égalité des contributions, à
l'établissement des États provinciaux, ne puissent jamais être changés sans le
consentement des trois ordres, pris séparément ; Sa Majesté les place à
l'avance au rang des propriétés nationales, qu'elle veut mettre, comme toutes
les autres propriétés, sous la garde la plus assurée.
Art. 35. Sa Majesté, après avoir appelé les États généraux à
s'occuper, de concert avec elle, des grands objets d'utilité publique, et de
tout ce qui peut contribuer au bonheur de son peuple, déclare de la manière la
plus expresse qu'elle veut conserver en son entier, et sans la moindre
atteinte, l'institution de l'armée, ainsi que toute autorité, police et pouvoir
sur le militaire, tels gue les monarques français en ont constamment joui.
Nota : Le discours du roi figure intégralement en annexe du numéro
176 du Journal de Paris en date du 25 juin 1789.
https://www.retronews.fr/journal/le-journal-de-paris/25-jun-1789/2969/4695768/5
https://play.google.com/books/reader?id=wjkTAAAAQAAJ&pg=GBS.PA790&hl=fr
Discours du Roi invitant les députés à quitter la salle à
l'issue de la séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4536_t2_0145_0000_3
Le Roi, avant de se retirer, prononce un troisième discours
que nous transcrivons.
Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat de mes
dispositions et de mes vues ; elles sont conformes au vif désir que j'ai
d'opérer le bien public ; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous
m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes
peuples ; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant, et
connaissant vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe entre le vœu
le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j'aurai toute la
confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but
auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu'il doit
m'inspirer.
Réfléchissez , Messieurs , qu'aucun de vos projets, aucune
de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale.
Ainsi, je suis le garant naturel de vos droits respectifs ; et tous les ordres
de l'État peuvent se reposer sur mon équitable impartialité.
Toute défiance de votre part serait une grande injustice.
C'est moi, jusqu'à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples ; et il est
rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses
sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.
Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite,
et de vous rendre demain matin chacun dans les Chambres affectées à votre
ordre, pour y reprendre vos séances. J'ordonne, en conséquence, au grand-maître
des cérémonies de faire préparer les salles.
Départ des députés de la noblesse et d'une partie du clergé,
à l'issue de la séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4536_t2_0146_0000_3
Après le départ du Roi, les députés de la noblesse et une
partie de ceux du clergé se retirent, tous les membres de l'Assemblée nationale
et plusieurs curés restent immobiles à leur place.
Réponse du comte de Mirabeau à l'invitation de quitter la
salle, à l'issue de la séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4537_t2_0146_0000_5
M. le comte de Mirabeau, élevant la voix le premier dit, (1)
: J'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie
si les présents du despotisme n'étaient pas toujours dangereux. Quelle est
cette insultante dictature ? l'appareil des armes, la violation du temple
national, pour vous commander d'être heureux ? Qui vous fait ce commandement ?
Votre mandataire. Qui vous donne des lois impérieuses ? Votre mandataire, lui
qui doit les recevoir de vous ; de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d'un
sacerdoce politique et inviolable ; de nous enfin, de qui seuls vingt-cinq
millions d'hommes attendent un bonheur certain, parce qu'il doit être consenti,
donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée, une
force militaire environne l'Assemblée. Où sont les ennemis de la nation ?
Catilina est-il à nos portes ? Je demande qu'en vous couvrant de votre dignité,
de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre
serment, il ne nous permet de nous séparer qu'après avoir fait la constitution.
Quelque temps après, le marquis de Brézé s'approche du
président, et dit :
"Messieurs, vous avez entendu les intentions du Roi."
M. le comte de Mirabeau se lève avec le ton et les gestes de
l'indignation, et répond ainsi :
Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a
suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des États
généraux ; vous, qui n'avez ici ni place, ni droit de parler, vous n'êtes pas
fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter tout équivoque et
tout délai, je déclare que si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici,
vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons
nos places que par la puissance des baïonnettes (2),
D'une voix unanime les députés se sont écriés : Tel est le
vœu de l'Assemblée.
Le grand-maître des cérémonies se retire.
Un morne silence règne dans l'Assemblée.
(1) Le discours de M. le comte de Mirabeau n'a pas été inséré au
Moniteur,
(2) Le recueil des discours de Mirabeau, publié par M.Barthe donne la variante suivante :" Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la puissance du peuple et qu'on ne nous en arrachera que par le force des baïonnettes."
Discussion sur le pouvoir des députés, à l'issue de la
séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4537_t2_0146_0000_8
M. Camus. Le pouvoir des députés composant cette Assemblée
est reconnu ; il est reconnu aussi qu'une nation libre ne peut être imposée
sans son consentement. Vous avez donc fait ce que vous deviez faire : si, dès
nos premiers pas, nous sommes arrêtés, que sera-ce pour l'avenir ! Nous devons
persister, sans aucune réserve, dans tous nos précédents arrêtés.
M. Barnave. Votre démarche dépend de votre situation ; vos
arrêtés dépendent de vous seuls. Vous avez déclaré ce que vous êtes ; vous
n'avez pas besoin de sanction : l'octroi de l'impôt dépend de vous seuls.
Envoyés par la nation, organes de ses volontés pour faire une constitution,
vous êtes obligés de demeurer assemblée aussi longtemps que vous le croirez
nécessaire à l'intérêt de vos commettants. Il est de votre dignité de persister
dans le titre d’Assemblée nationale.
M. Gleizen, député de Rennes, ayant parlé des
applaudissements indiscrets de quelques membres des deux premiers ordres,
ajoute : Le pouvoir absolu est dans la bouche du meilleur des Rois, dans la
bouche d'un souverain qui reconnaît que le peuple doit faire ses lois. C'est un
lit de justice tenu dans une Assemblée nationale : c'est un souverain qui parle
en maître, quand il devrait consulter. Que les aristocrates triomphent ; ils
n'ont qu'un jour : le prince sera bientôt éclairé. La grandeur de notre courage
égalera la grandeur des circonstances. Il faut mourir pour la patrie. Vous avez
pris, Messieurs, des délibérations sages : un coup d'autorité ne doit pas vous
effrayer.
M. l'Abbé Sieyès. Messieurs, nous sommes aujourd'hui ce que
nous étions hier. Délibérons.
MM. Pétion de Villeneuve, Buzot, Garat l'aîné et l'abbé
Grégoire appuient avec énergie le parti proposé.
M. l'abbé Sieyès (1). Messieurs, quelque orageuses que
paraissent les circonstances, nous avons toujours une lumière pour nous guider.
Demandons-nous quels pouvoirs nous exerçons et quelle mission nous réunit ici
de tous les points de la France. Ne sommes-nous que des mandataires, des
officiers du Roi ? nous devons obéir et nous retirer. Mais, sommes-nous les
envoyés du peuple, remplissons notre mission, librement, courageusement.
Est-il un seul d'entre nous qui voulût abjurer la haute
confiance dont il est revêtu et retourner vers ses commettants, leur dire :
j'ai eu peur, vous aviez remis dans de trop faibles mains les destinées de la
France ; envoyez à ma place un homme plus digne de vous représenter ?
Nous l'ayons juré, Messieurs, et notre serment ne sera pas
vain, nous avons juré de rétablir le peuple français dans ses droits.
L'autorité qui vous a institués pour cette grande entreprise, de laquelle seule
nous dépendons, et qui saura bien , nous défendre, est, certes, loin encore de
nous crier : c'est assez ; arrêtez-vous. Au contraire, elle nous pousse, et
nous demande une constitution. Et qui peut la faire sans nous ? qui peut la
faire, si ce n'est nous ? Est-il une puissance sur terre qui puisse vous ôter
le droit de représenter vos commettants ?
(Ce discours est couvert d’applaudissements) .
On prend les voix par assis et levé, et l'Assemblée
nationale déclare unanimement qu'elle persiste dans ses précédents arrêtés.
(1) Le discours de M, Sieyès n'a pas été inséré au Moniteur,
Motion de M. le comte de Mirabeau sur l'inviolabilité des députés, à l'issue de
la séance royale du 23 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4537_t2_0147_0000_2
M. le comte de Mirabeau. C'est aujourd'hui que je bénis la
liberté de ce qu'elle mûrit de si beaux fruits dans l'Assemblée nationale.
Assurons notre ouvrage, en déclarant inviolable la personne des députés aux
États généraux. Ce n'est pas manifester une crainte : c'est agir avec prudence
; c'est un frein contre les conseils violents qui assiègent le trône.
Arrêté du 23 juin 1789 déclarant inviolables les membres de
l'Assemblée nationale
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4538_t2_0147_0000_3
Après un court débat, cette motion est adoptée à la
pluralité de 493 voix contre 34 ; et l'Assemblée, se sépare après avoir pris
l'arrêté suivant :
«L'Assemblée nationale déclare que la personne de chaque
député est inviolable ; que tous particuliers, toutes corporations, tribunal,
cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session,
poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un
député, pour raison d'aucunes propositions, avis, opinions, ou discours par lui
faits aux États généraux ; de môme que toutes personnes qui prêteraient leur
ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu'ils fussent ordonnés,
sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital.
L'Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les
mesures nécessaires pour rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les
auteurs, instigateurs ou exécuteurs (1). »
(1) Il a été imprimé diverses versions de l’arrêté pris par
l’Assemblée nationale, le 23 juin 1789, après la séance royale. Nous avons
reproduit le texte du procès-verbal, comme le seul authentique. Néanmoins, nous
insérons ici, à titre de document un paragraphe que nous trouvons dans l’une
des versions dont nous venons de parler. Il est ainsi conçu :
« Arrête pareillement que toutes poursuites civiles et
criminelles, contre lesdits députés, seront interdites à toutes personnes, en
quelque qualité qu’elles soient, et à tous tribunaux pendant la session, si
elles ne sont pas expressément autorisées par l’Assemblée nationale. »
Le lendemain 24 juin, arrivée de la majorité des députés du
clergé pour siéger avec les députés des communes, lors de la séance du 24 juin
1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4546_t2_0149_0000_9
La délibération sur la motion : de M. Mounier est
interrompue par l'arrivée du clergé, précédé et annoncé par son huissier.
Cent cinquante-un ecclésiastiques formant la majorité, à la
tête desquels sont MM. les archevêques de Vienne et de Bordeaux, les évêques
de Coutances, Chartres et Rhodez, avancent au milieu de la salle, qui retentit
d'applaudissements et d'acclamations universels.
Un secrétaire porte devant eux les pouvoirs qui avaient été
vérifiés dans le comité assemblé le lundi précédent.