dimanche 7 juin 2020

Juin 1789 : Un Louis XVI mal habillé, un Gustave III égaré et une Marie-Antoinette avisée

Gustave III, rois de Suède


















Source

    J'ai trouvé cette curieuse anecdote dans le livre de Charles Kunstler "Fersen et son secret", (que vous pouvez découvrir en bas de page). Mais c'est dans l'ouvrage de Mathieu Auguste Geffroy "Gustave III et la cour de France" que j'ai trouvé le plus d'explications concernant le contexte politique du séjour du roi Gustave III de Suède à la Cour de France. Cette anecdote s'est produite obligatoirement après l'arrivée de Gustave III à Paris le 7 juin 1789. Mais n'oublions pas que cette date correspond également à la mort tragique du fils ainé de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Louis Joseph Xavier François.

 Visite incognito du roi de Suède à Paris

    Lors de son séjour à Venise, le roi de Suède Gustave III avait décidé d’aller en France (Gustave III était un souverain francophile et réformateur. Il avait été adepte de la philosophie des Lumières, au début de son règne). Il s'était séparé d’une partie de sa suite et n'avait gardé auprès de lui qu’Axel de Fersen, Armfelt, Peyron et Franc. Ils arrivèrent le 7 juin, à Paris.
    Le roi de Suède – ou plutôt le comte de Haga, car Gustave avait décidé de garder l’incognito – descendit chez le baron de Staël, son ambassadeur, qui demeurait rue du Bac. Le baron de Staël était également l’époux de la fille du ministre Jacques Necker. Puis Gustave III se rendit à Versailles.

Un roi de France avec un talon rouge et l'autre noir.

    Louis XVI chassait à Rambouillet. Averti par M. de Vergennes (1), il revint en toute hâte. On ne trouva point la clé de son appartement, ni ses valets de chambre. Les premiers venus l’habillèrent. Si bien que le roi de France parut devant son hôte « avec un soulier à talon rouge et un autre à talon noir, une boucle d’or et une autre d’argent, et ainsi du reste »

Chaussures d'homme du 18ème siècle

.    Gustave soupa dans les petits appartements avec Louis XVI et Marie-Antoinette. Afin d’être plus libre, il refusa le logement qu’on lui avait préparé au château et logea en ville, chez Touchet, le baigneur. 
    A partir de ce moment-là, ce ne furent, pour le comte de Haga et sa suite (au sein de laquelle figurait Fersen, le tendre ami de la reine), que réjouissances de toutes sortes. Le plus souvent, le souverain dînait et soupait au château de Versailles et, presque chaque soir, il assistait à deux ou trois représentations, au cours desquelles un public enthousiaste l’applaudissait et l’acclamait. L’opéra monta pour lui Armide, la Caravane, de Gréty, les deux Iphigénie, de Gluck, le Seigneur bienfaisant, Atys, Didon.

(1) De quel Vergenne s'agit-il ? Car le Vergen, ennemi de Necker était mort le 13 février 1787.


Un roi qui se perdit par la musique

Source du timbre commémoratif
    Gustave III était connu pour son goût des cérémonies et des spectacles ; ce goût avait même dégénéré en une passion qu’il lui fallait satisfaire à tout prix. Il en était venu en Suède à exercer une véritable tyrannie envers la noblesse de sa cour pour que rien ne manquât à ses fêtes. Il fallait que, sur son ordre, des jeunes filles de haute naissance, des mères, des vieillards, quittassent leurs familles pour paraître sur le théâtre, où il se montrait lui-même. On risquait la ruine de tout crédit et le renversement de toute fortune, si l’on tardait de complaire à de bizarres caprices qui donnaient au règne de Gustave III un fâcheux air de ridicule despotisme. C’était à l’Opéra que les ministres étrangers pouvaient entretenir le roi des intérêts de leurs cours, et l’ambassadeur de France regardait comme un solide avantage d’y avoir sa loge à côté de la sienne. 

Le ministre de Danemark avait écrit en 1781 :

 « Tel jeune cavalier de la noblesse suédoise, qui autrefois passait ses matinées à lire l’Esprit des Lois ou les oraisons de Cicéron, les emploie maintenant à faire des entrechats et des cabrioles. Le peuple, qui s’assemblait anciennement pour disserter des affaires de l’état, court actuellement en foule aux comédies pour voir représenter les parodies des opéras qui se donnent aux théâtres de la cour, et les troupes de comédiens qui se forment de toutes parts dans les provinces, ainsi que les institutions de bals, assemblées et mascarades, prouvent assez que le goût du spectacle et des amusements se répand à l’excès par tout le royaume. »

Un ambassadeur désapprobateur

    Le baron de Staël, cachait mal dans sa correspondance diplomatique, des opinions bien différentes de celles de son maître Gustave III. Bien qu’il lui fût redevable de sa charge d’ambassadeur à Paris et de son mariage avec la fille du ministre Necker, le baron ne craignait pas, dans ses dépêches, de désigner la reine Marie Antoinette « comme l’unique auteur de tous les maux qui affligeaient la France ». Mieux encore, il s’efforçait de la noircir aux yeux de Gustave III. « La Reine, mécontente du parti que votre Majesté a pris de déclarer la guerre à la Russie, lui écrivait-il, m’a dit, à plusieurs reprises, que ce n’était pas son opinion. »

Le baron de Staël

La perfide Albion...

    Le roi de Suède Gustave III avait été poussé à déclarer cette guerre par l’Angleterre et la Prusse, alliées depuis le récent avènement de Frédéric-Guillaume, successeur de Frédéric II.     Le but général de la ligue anglo-prussienne était de tenir en échec la Russie et l’Autriche (pays natal de Marie-Antoinette), en suscitant contre elles la Suède, la Pologne et les Turcs. Par ailleurs, la Suède avait perdu ses dominions baltes pendant la grande guerre du Nord avec la Russie entre 1700 et 1721 et comptait les récupérer par cette guerre. L’Angleterre cherchait particulièrement l’occasion de se venger du secours prêté par la France aux colonies d’Amérique. Déjà, en mettant aux prises les Russes et les Turcs, elle avait causé un grand embarras à la France, amie de ces deux peuples ; elle essayait cette fois de nuire davantage encore à la France en détournant d’elle Gustave III. On avait compris à Versailles d’où venait le coup, et l’on essaya en vain de retenir le roi de Suède.

    Marie-Antoinette avait compris cela. Mais qu’est-ce que Louis XVI, avec ses chaussures dépareillées, avait compris à cette affaire ?

Marie-Antoinette représentée par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1788


Fersen et son secret :

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Bertrand