Le Serment du Jeu de Paume, peint par Jacques-Louis David |
Que s’est-il passé le 20 juin 1789 (et non-pas le 19 comme l’indique l'estampe ci-dessous) ? L’évènement a marqué les esprits. Il a fait l’objet de nombreuses représentations artistiques et de commentaires enthousiastes. Il s’agit du serment du Jeu de Paume !
Le "Serment", curieusement daté du 19 juin. |
Wikipedia présente cette journée ainsi :
« Le serment du Jeu de paume est l’engagement solennel d’union dans le but de mettre fin à l'Ancien Régime pris le 20 juin 1789 dans la salle du Jeu de paume, à Versailles, par 576 députés français qui prennent à cette occasion le nom d'Assemblée nationale. »
L’article se termine même en désignant les députés présents sous le nom de "conjurés" !
C’est peut-être un peu exagéré ! En vérité le serment acte les deux décisions suivantes :
- « rien ne peut
empêcher qu'elle (l’Assemblée) ne continue ses délibérations dans quelque lieu
qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin partout où ses membres sont
réunis, là est l'Assemblée nationale »
- « de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides »
Le serment rappelle même l’objectif de l’Assemblée, soit : « fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie ». On ne peut pas dire que cela corresponde à la volonté de mettre fin à l’ancien régime.
Précisons également que la désignation de l’auguste assemblée des députés envoyés aux États généraux, sous le nom d’Assemblée nationale, ne date pas du jour de ce fameux serment mais du 17 juin ! (Elle était aussi désignée sous l’appellation de "Communes" depuis le 6 mai 1789).
L'Assemblée nationale |
Drôles de "conjurés" !
Drôles de conjurés, toujours aussi épris de leur bon roi
Louis, comme nous le verrons dans les semaines à venir. Pour se donner une idée de cet amour, il faut lire l'intervention de Monsieur Chapelier qui juge :"essentiel de faire porter au Roi la douleur
de l'Assemblée nationale dans la circonstance. Il veut que l'adresse apprenne à
Sa Majesté que les ennemis de la patrie obsèdent sans cesse le Trône, et que
leurs conseils tendent à placer le monarque à la tête d'un parti."
Acte courageux malgré tout.
Ne minimisons pas ! Il ne faut pas oublier en effet les dizaines de milliers de militaires qui campent autour de Paris et qui n'attendent qu'un mot du roi pour remettre tout le monde au pas. Vous remarquerez également que la salle où devaient initialement se réunir les députés, était gardée par de nombreux soldats. La séance royale, dont les préparatifs sont cause de la fermeture, aura bien lieu le 23 juin, et Louis XVI essaiera vainement de rappeler à l'ordre les députés.
Un autre roi que Louis XVI, Louis XIV par exemple, aurait depuis longtemps envoyé les Dragons sabrer ces insolents députés. Louis XVI ne cessera pas d'hésiter. Il fait venir des armées. Celles-ci se préparent à la répression. Et jamais rien n'arrive. C'est à croire - et certains historiens le croient - que Louis XVI a voulu cette Révolution...
De quoi penser...
Comme à mon habitude, je ne vous dis pas quoi penser. Mais je vous donne de quoi penser ! Je vous propose pour ce faire de lire les procès-verbaux de cette journée mémorable, précieux documents que l’on trouve sur l'indispensable site www.persee.fr
Jean Sylvain Bailly Président de la séance du 20 Juin 1789 |
Voici les P.V.
Communes : empêchement de la tenue de la séance du 20 juin 1789 en raison de la préparation d'une séance royale
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4521_t2_0137_0000_6
À neuf heures du matin, heure indiquée pour la séance de l'Assemblée nationale, le président et les deux secrétaires se sont présentés à la porte de l'entrée principale ; ils l'ont trouvée gardée par des soldats, et ils ont vu un grand nombre de députés qui ne pouvaient entrer : M. le président a demandé l'officier de garde. M. le comte de Vassan s'est présenté, et a dit qu'il avait ordre d'empêcher l'entrée de la salle, par rapport aux préparatifs qui s'y faisaient pour une séance Royale.
M. le Président lui a dit qu'il protestait contre l'empêchement mis à l'ouverture de la séance indiquée le jour d'hier à l'heure présente, et qu'il la déclarait tenante.
M. le comte de Vassan ayant, ajouté qu'il était autorisé à laisser entrer les officiers de l'Assemblée, pour prendre les papiers dont ils pouvaient avoir besoin, M. le président et les secrétaires sont entrés, et ont vu en effet que la plus grande partie des bancs de la salle étaient enlevés, et que toutes les avenues étaient gardées par un grand nombre de soldats.
Comte Jean de Vassan Source |
Communes : affiches annonçant une séance royale, lors de la séance du 20 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4521_t2_0137_0000_8
Ils ont remarqué dans la cour et à la porte extérieure plusieurs affiches conçues en ces termes : «États généraux. De par le Roi. Le Roi ayant résolu de tenir une séance royale aux États généraux, lundi 22 juin, les préparatifs à faire dans les trois salles qui servent aux Assemblées des ordres exigent que ces Assemblées soient suspendues jusqu'après la tenue de ladite séance. Sa Majesté fera connaître par une nouvelle proclamation l'heure à laquelle elle se rendra lundi à l'Assemblée des États. À Versailles, de l'imprimerie Royale, 1789. »
Communes : réunion de l'Assemblée dans un autre local, au jeu de Paume, lors de la séance du 20 juin 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4521_t2_0137_0000_9
M. le Président et les deux secrétaires étant sortis, ils se sont transportés dans le jeu de paume de la rue du Jeu de Paume, où les membres de l'Assemblée se sont successivement réunis. — Signé, Bailly, président ; Camus, secrétaire ; Pison du Galland fils, secrétaire.
C’est Guillotin qui a suggéré cette salle du Jeu de paume, située dans le quartier Saint-Louis à Versailles.
Joseph Ignace Guillotin |
Communes : ouverture de la séance du 20 juin 1789 dans la salle du Jeu de Paume.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0137_0000_11
Du même jour, dix heures et demie du matin, dans la salle du Jeu de Paume, rue du Jeu de Paume.
Communes : lettre de M. le marquis de Brézé, datée du 20 juin 1789, sur la tenue d'une séance royale.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0137_0000_12
L'Assemblée étant formée, M. le Président a rendu compte de deux lettres qu'il a reçues ce matin de M. le marquis de Brézé, grand-maître des cérémonies. La première est de la teneur suivante :
«Versailles , ce 20 juin 1789.
«Le Roi m'ayant ordonné, Monsieur, de faire publier par des hérauts l'intention dans laquelle Sa Majesté est de tenir, lundi 22 de ce mois, une séance royale, et en même temps la suspension des Assemblées que les préparatifs à faire dans les trois salles des ordres nécessitent ; j'ai l'honneur de vous en prévenir. Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et très obéissant serviteur, le marquis de Brézé.
«P.S. Je crois qu'il serait utile, Monsieur, que vous voulussiez bien charger MM. les secrétaires du soin de serrer les papiers, dans la crainte qu'il ne s'en égare.
«Voudriez-vous bien aussi, Monsieur, avoir la bonté de me faire donner les noms de MM. les secrétaires, pour que je recommande qu'on les laisse entrer, la nécessité de ne point interrompre le travail pressé des ouvriers ne permettant pas l'accès des salles à tout le monde ? »
Henri Evrard de Dreux Brézé |
Communes : réponse du Président à la lettre de M. le marquis de Brézé, datée du 20 juin 1789, sur la tenue d'une séance royale.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0138_0000_2
M. le Président a dit qu'il avait répondu à cette lettre dans les termes suivants :
«Je n'ai reçu encore aucun ordre du Roi, Monsieur, pour la séance royale, ni pour la suspension des Assemblées ; et mon devoir est de me rendre à celle que j'ai indiquée pour ce matin à huit heures. Je suis, etc. »
Communes : seconde lettre de M. le marquis de Brézé, datée du 20 juin 1789, sur la tenue d'une séance royale.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0138_0000_3
En réponse à cette lettre, M. le marquis de Brézé lui a écrit la seconde dont la teneur suit :
Versailles, ce 20 juin 1789.
«C'est par un ordre positif du Roi que j'ai eu l'honneur de vous écrire ce matin, Monsieur, et de vous mander que Sa Majesté voulant tenir lundi une séance royale qui demande des préparatifs à faire dans les trois salles d'assemblée des ordres, son intention était qu'on n'y laisse entrer personne, que les séances fussent suspendues jusqu'après celle que tiendra Sa Majesté. Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur, le marquis de Brézé. »
Communes : lecture du procès-verbal, lors de la séance du 20 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0138_0000_6
Après la lecture de ces lettres, M. le Président a rendu compte des faits portés au procès-verbal de ce jour, et il en a été fait lecture.
Communes : remarque de M. Mounier sur l'empêchement fait à l'Assemblée d'accéder à la salle des Etats généraux, lors de la séance du 20 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0138_0000_7
M. Mounier présente une opinion qui est appuyée par MM. Target, Chapelier, Barnave, il représente combien il est étrange que la salle des États généraux soit occupée par des hommes armés ; que l'on n'offre un autre local à l'Assemblée nationale ; que son président ne soit averti que par des lettres du marquis de Brézé, et les représentants nationaux que par des placards ; qu'enfin ils soient obligés de se réunir au Jeu de Paume, rue du Vieux-Versailles, pour ne pas interrompre leurs travaux ; que blessés dans leurs droits et dans leur dignité, avertis de toute la vivacité de l'intrigue et de l'acharnement avec lequel on cherche à pousser le Roi à des mesures désastreuses, les représentants de la nation doivent se lier au salut public et aux intérêts de la patrie par un serment solennel.
Cette proposition est approuvée par un applaudissement unanime.
Jean Joseph Mounier |
Communes : décret du 20 juin 1789 sur la nécessité de ne pas se séparer avant de donner une Constitution au royaume et annonçant le serment du Jeu de Paume.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0138_0000_8
L'Assemblée ayant délibéré a pris, sur la proposition de M. Target, l'arrêté suivant à l'unanimité des voix, moins une :
«L'Assemblée nationale, considérant qu'appelée à fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu'elle ne continue ses délibérations dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale.
«Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront, à l'instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ; et que ledit serment étant prêté, tous les membres et chacun d'eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable. »
Communes : serment du Jeu de Paume du 20 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0138_0000_9
Lecture faite de l'arrêté, M. le Président a demandé pour lui et pour les secrétaires, à prêter le serment les premiers ; ce qu'ils ont fait à l'instant ; ensuite, l'Assemblée a prêté le même serment entre les mains de son président.
M. le Président avant rendu compte à l'Assemblée que le bureau de vérification avait été unanimement d'avis de l'admission provisoire de douze députés de Saint-Domingue, l'Assemblée nationale a décidé que lesdits députés seraient admis provisoirement ; ce dont ils ont témoigné leur vive reconnaissance. En conséquence, ils ont prêté le serment, et ont été admis à signer l'Arrêté.
M. le marquis de Gony, député de Saint-Domingue, prenant la parole, a dit :
La colonie de Saint-Domingue était bien jeune quand elle s'est donnée à Louis XIV ; aujourd'hui plus brillante et plus riche, elle se met sous la protection de l'Assemblée nationale.
La prestation de serment a été suivie des cris réitérés et universels de vive le Roi ; et aussitôt l'appel des bailliages, sénéchaussées, provinces et villes a été fait suivant l'ordre alphabétique ; et chacun des membres présents, en répondant à t l'appel, s'est approché du bureau, et a signé.
S’en suit la liste de tous les signataires.
Procès-verbal du serment du jeu de paume |
Communes : discussion suite au refus du député Martin d'Auch de signer le Serment du Jeu de Paume, lors de la séance du 20 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0139_0000_4
M. Camus. J'annonce à l'Assemblée que M. Martin d'Auch, bailliage de Castelnaudary, a signé opposant.
Un cri général d'indignation se fait entendre.
M. Blailly. Je demande que l'on entende les raisons de l'opposant.
M. Martin. Je déclare que je ne crois pas pouvoir jurer d'exécuter des délibérations qui ne sont pas sanctionnées par le Roi.
M. le Président. L'Assemblée a déjà publié les mêmes principes dans ses adresses et dans ses délibérations, et il est dans le cœur et dans l'esprit de tous ses membres de reconnaître la nécessité de la sanction du Roi pour toutes les résolutions prises sur la constitution et la législation.
L'opposant persiste dans son avis, et l'Assemblée arrête qu'on laissera sur le registre la signature pour prouver la liberté des opinions.
Communes : discussion sur l'adresse à envoyer au Roi pour lui rendre compte du Serment du Jeu de Paume, lors de la séance du 20 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0140_0000_2
M. Chapelier prend la parole pour faire sentir qu'il est non-seulement nécessaire, mais même essentiel de faire porter au Roi la douleur de l'Assemblée nationale dans la circonstance. Il veut que l'adresse apprenne à Sa Majesté que les ennemis de la patrie obsèdent sans cesse le Trône, et que leurs conseils tendent à placer le monarque à la tête d'un parti.
Ces expressions paraissent trop fortes à beaucoup de membres.
M. Mounier représente que l'adresse de M. Chapelier ne remplit pas les vues de l'Assemblée. Il dit qu'il convient que les formes ont été blessées, qu'on y a même mis peu de décence ; qu'aucuns motifs, aucuns prétextes ne peuvent enchaîner l'Assemblée nationale ; mais, qu'à cet égard, elle s'est bien vengée du manque de procédés dont elle a à se plaindre ; que sur le fond, le préopinant va trop loin en se servant des termes d'ennemis de la patrie, avant de connaître le résultat de la séance royale ; il pense qu'il convient de ménager ces armes pour en faire usage dans une occasion plus opportune ; il propose une adresse plus modérée, dans laquelle l'Assemblée témoignerait sa surprise et sa sensibilité de s'être vue refuser la porte de la salle destinée à l'Assemblée nationale, au moment où la réunion du clergé allait s'opérer.
MM. Barnave et de Gouy-d'Arcy proposent également une autre version. L'assemblée ne juge pas à propos de prendre une délibération à ce sujet.
Communes : conclusion de la séance du 20 juin 1789 et suspension des séances
jusqu'au 22 juin 1789.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4522_t2_0140_0000_3
L'Assemblée s'ajourne à lundi 22, heure ordinaire, et elle arrête en outre que si la séance royale a lieu dans la salle nationale, tous les membres y demeureront après que la séance sera levée, pour continuer les délibérations et les travaux ordinaires.
La séance est levée à six heures.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand