Apparition d'Henri IV à Louis XVI, ou la vérité découverte. (Source musée Carnavalet) |
Le Courrier de Versailles de ce 17 Novembre 1789 relate un événement amusant qui a eu lieu au Théâtre de Monsieur (le frère du roi) situé aux Tuileries (Donc pas loin de la nouvelle résidence du roi). Il s'agit d'une joyeuse manifestation populaire qui s'est déroulé à l'occasion d'une représentation de la pièce intitulée "Le Souper d'Henri IV, ou le Laboureur devenu gentilhomme" de Messieurs Boutiller et Desprez de Walmont, jouée depuis le 12 Octobre dernier. Henri IV étant comparé à Louis XVI, le petit peuple de Paris, fort curieusement invité à assister à la pièce, avait manifesté avec effusions son amour immodéré pour Louis XVI (Lisez plus bas l'article dans le journal).
Détail intéressant, le livret de la pièce commence par cette dédicace :
"A tous les bons Français.
Au plus grand des Bourbons quand nous rendons hommage
De nos yeux attendris on voit couler des pleurs,
Et nous sentons combien il est doux pour vos cœurs
De pouvoir l'adorer dans sa vivante image"
Pourquoi Henri IV ?
Cette pièce rencontre un vif à succès à Paris, car le roi
Henri IV est le roi préféré des Français et plus particulièrement des
Parisiens. Mais surtout, en ces temps troublés, Louis XVI est comparé à son
auguste ancêtre Henri IV. Peut-être vous questionnez-vous, quant à l'origine de
cette comparaison des deux monarques. Sachez que la sympathie pour ce jovial souverain
qui sut réconcilier les Français en mettant un terme aux sanglantes guerres de religions, grâce à son Edit de Nantes, édit de tolérance, n'a pas cessé de
grandir tout le long du XVIIIe siècle.
Henri IV |
Du côté du peuple, il semble que celui-ci avait en effet
gardé le souvenir des bienfaits du bon roi Henri. Mais soyons honnête, ce
souvenir était probablement quelque peu entretenu. Henri IV donnait une image
positive de la monarchie et ladite monarchie avait bien besoin de redorer son
blason, si vous voulez bien me passer cette expression ! Raison pour laquelle
étaient diffusées nombre de gravures représentant les deux rois, voire les trois
rois, car était souvent joint à cette adoration Louis XII, connu pour sa modération et un certain souci du peuple, et lui aussi loué par Voltaire dans la Henriade.
Voici quelques exemples :
Tout d'abord cette jolie miniature ronde peinte à la main représentant les portraits alignés de profil des trois Rois de France : "Henri IV roi de France et de Navarre, né en 1553, mort en 1610 - Louis XII Roi de France né en 1462 mort en 1515 - Louis XVI né le 23 aoust 1753", dans un cadre en bois noirci (fin XVIIIème siècle).
Ces quelques estampes :Source : BNF |
Louis XVI, Henri IV et Louis XII, Les (rois) amis du peuple. (Dédié à la Garde nationale de France) Henri IV et Louis XVI Source : Pireneas |
Portraits d'Henri IV et Louis XVI Source : BNF |
Henri IV et Louis XVI Source : Pireneas |
Source : INHA |
Mais que vient faire Mounier dans cette histoire ?
Mounier en fuite. |
Rappelons que ce député de l'Assemblée
nationale s'est enfui par peur des Parisiens dans son Dauphiné natal, d'où il ameute les provinces en prétendant que
ces brigands de parisiens veulent faire un mauvais sort au Roi. Voir l'article
du 26 Octobre 1789.
L'incident relaté par le journaliste tombe vraiment à point
nommé donner une image plus rassurante de ces turbulents parisiens. C'est même à se demander si tout n'a pas été fabriqué. En effet, je ne pense pas
qu'il était courant à cette époque d'offrir des loges de théâtre aux dames de
la Halle ! Ce n'est pas un mystère, les journaux ne servent pas qu'à informer, ils servent aussi dans certains cas à former l'opinion publique, voire à la fabriquer. Lisez l'article reproduit ci-dessous et faites-vous votre opinion.
Les dames de la Halle, tantôt furies égorgeuses, tantôt amatrice de théâtre éperdues d'amour pour le roi. |
Voici l'article publié dans Le Journal de Versailles
Je l'ai retranscrit en gardant l'orthographe de l'époque. Vous aurez même la surprise de découvrir le parler des femmes du peuple.
A la suite du texte, vous trouverez une fenêtre sur le journal en son entier :
Il va paraître, demain ou après, un écrit de M. Mounier, intitulé : Sa Justification. Dans cet écrit assez volumineux, que le hasard met d'avance sous nos yeux, nous trouvons ces mots ! –"On s'est servi du mot Nation pour ameuter la classe la plus pauvre & la moins éclairée…… Tout est maintenant devenu National ; les crimes sont commis au nom de la Nation, les brigands se nomment la Nation, & dans chaque Ville, chaque Village, on retrouve cette Nation exerçant les droits de la souveraineté attachés à ce beau titre, ce qui nous procure assez souvent des souverains un peu féroces……"
M. Le Mounier, dans les motifs de son départ, s'appuie surtout sur l'enlèvement forcé du Roi, de la Reine & de son auguste famille à Paris. Voici comment il peint cet enlèvement forcé :
"Sous le prétexte de la rareté du pain & d'une prétendue orgie des Gardes-du-corps, des femmes & des brigands courent à Versailles, où la Milice Parisienne les suit les armes à la main. Les Gardes-du-Roi sont égorgés sous les yeux de leur Monarque, & jusque dans son palais. La Reine est obligée de s'enfuir de sa chambre pour échapper à la fureur de ces scélérats, & le Roi est forcé de se rendre à Paris avec sa famille". –
Nous allons citer une scène de ces brigands & de ces femmes à l'appui des réflexions de M. le Mounier. –
"Dimanche soir on a donné sur le Théâtre de Monsieur le Souper d'Henri IV. Les Dames de la Halle, & les brigands qui ont été chercher le Roi, ont été invités, & où ils ont occupé les premières loges. Dans l'entracte qui a précédé le souper du bon Henri, ces Dames & leurs Assesseurs se sont mis à chanter des chansons analogues aux circonstances ; toutes ces chansons, qui ont fait verser des larmes à plus d'un spectateur, étaient remarquables par une naïveté piquante ; & le nom de ce bon Roi que j'adorons, & que je sommes si heureux de posséder, était prononcé de la voix du cœur.
A l'instant où l'on allait lever la toile, une voix s'élève du milieu du parterre : "MM., dit-il, je vous supplie d'entendre ma motion, elle sera courte. "Le Roi est adoré de son bon Peuple de Paris ; il le sait : mais qu'il serait doux pour le cœur de ce Prince chéri, qu'il serait doux pour toute son auguste famille d'être témoins d'une scène aussi touchante. Je propose donc, qu'à l'instant même, une députation, présidée par M. le Gentilhomme de la Chambre, ici présent, se transporte au Château, & invite le Roi, la Reine, leurs chers Enfants à venir jouir du délire que l'idée seule de leurs personnes excite en ce moment.
Mille applaudissements, témoignages de la joie & de l'enthousiasme font retentir les voutes de la salle ; on n'avait que la force de crier oui ! oui ! & ce oui, pénétrait l'âme.
A l'instant un soldat de la Garde Nationale propose de voter des remerciements à l'auteur de la motion ; mais il est peu écouté. Un officier de la Cavalerie de la Garde Nationale observe, que sans doute la motion qu'on venait de faire honorait son auteur, mais que son avis était de ne point interrompre Sa Majesté ; en général il approuve le motif, mais il blâme une démarche qui pourrait gêner le Roi…… Le oui ! oui ! se répète avec une nouvelle ardeur ; on brûle que la députation soit partie ; on nomme l'auteur de la motion pour la présider avec le Gentilhomme de la Chambre. La députation part ; elle vole aux Tuileries ; les Dames de la halle y volent avec elle, le cœur palpitant de désir & d'amour. Elles ne chantaient plus, elles n'en avaient point la force. La députation revient au bout d'un quart d'heure (nous avons dit que l'amour lui avait donné des ailes) –
"Nos bons amis, nos chers amis, s'écrient ces braves femmes dès le vestibule, il ne peut pas venir, ce cher Roi de notre cœur ! Le digne homme est au conseil, il s'occupe de nous, de notre bonheur à tretous (tous). Je n'ons pas voulu le déranger. Not bonne Reine se divertit au jeu ; je n'ons pas voulu la déranger non plus ; faut bien qu'alle s'égaie un brin pendant que son honnête homme se casse la tête, & travaille pour son bon peuple…… L'enchantement était universel, & la plus délectable confusions dans ce spectacle…. Cependant la pièce se joue. Au moment du souper, nos dames s'élancent sur la scène & prennent part au festin : on leur présente des verres, ou plutôt elles boivent indifféremment dans ceux qui s'offrent à leurs mains. Santé chères à tous les Français, vous ne fûtes jamais portées avec plus de délices ! on baise le Roi Henri, on baise le père de Florence, & les cris de vive le Roi, avec le bruit des baisers, forment l'accord le plus harmonieux. Les cœurs se serrent, & des larmes coulent de tous les yeux…… O Louis XVI, pourquoi étais-tu au Conseil !...... Nos Dames, cependant, après avoir obéi aux mouvements du délire qui les commandait, remontent à leurs loges : la pièce s'achève, mais une nouvelle scène se prépare.
La toile allait tomber, lorsque le théâtre se remplit de nouveau ; la gaieté & la folie vont former d'autres tableaux. Ces Dames avaient chanté, elles avaient bu à la santé du Roi, elles l'avaient baisé dans l'acteur qui jouait Henri, elles veulent danser maintenant ; le coup d'archet part, & la plus auguste de ces Dames s'empare de l'acteur, dont le jeu les avait enchantées, & danse un menuet avec des grâces qu'on devine. Des quadrilles se forment, & les yeux se sont las que lorsque ces Dames n'ont plus la force de continuer leurs bonds bien supérieurs à ces pas que l'art a inventés pour Vestris. N'oublions pas d'ajouter un fait que nous n'avons omis que pour ne pas interrompre le fil de notre récit. – Un acteur s'est présenté, tenant un rouleau de papier à la main. Mesdames de la Halle ont demandé avec empressement qu'on leur déchiffra c'te lecture, & c'te lecture dégoisait c'te motion.
"Qu'une nouvelle députation se rendrait auprès du Roi, pour lui faire part des scènes intéressantes qui s'étaient passées, & qu'on inviterait Sa Majesté & son auguste famille à honorer de sa présence le théâtre de Monsieur, & que le jour qu'il lui plairait de choisir, on donnerait les mêmes pièces, & l'on inviterait les mêmes spectateurs ".
Provinces, que des écrits insidieux & coupables s'efforcent de tromper pour vous soulever contre une Capitale qui sollicite vos suffrages, et c'est ainsi que les Parisiens honorent un Roi digne de tous nos hommages. Telles sont les chaînes par lesquelles prétendent le retenir, les brigands & les femmes qui l'ont forcé, dit M. Le Mounier(1), à venir au milieu de nous.
Sans doute M. le Mounier a été trompé ; &, mieux instruit, il s'empressera de se rétracter.
Fenêtre sur le journal
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand