dimanche 29 novembre 2020

Basset, graveur et marchand d’estampes, religieuses puis révolutionnaires !

Paul-André Basset, représenté en haut, à gauche

La Révolution en images !

Introduction très personnelle 😉

    Je me demande toujours si mon site est visité et si mes articles sont lus, car j'ai bien peu de retours. Malgré mes 759 abonnés, j'ai très peu de "likes" sur ma page Facebook (régulièrement censurée par Facebook qui refuse même que je lui paye des publicités pour ma page, sous prétexte que celle-ci est politique !)

    Imaginez donc, quelle ne fut pas ma joie, quand un lecteur m'a contacté en janvier 2023 pour me dire qu'il s'intéressait depuis longtemps au petit monde des marchands d'estampes de la rue Saint-Jacques et plus particulièrement à Paul-André Basset. C'est lui qui m'a gentiment signalé l'existence de l'estampe ci-dessus, sur laquelle sont représentés tous les marchands d'estampes de la rue Saint-Jacques, dont Paul-André Basset qui figure en haut à gauche. Je l'en remercie chaleureusement !

Paul-André Basset,
représenté à la droite de Le Clerc.

Comment j'ai rencontré Basset.

    J’avais choisi d'interpréter le rôle du marchand d'estampe Paul André Basset à l’occasion du tournage d’une émission de Mac Lesggy sur la chaîne de télévision M6, « L’histoire au quotidien », pour laquelle l’association de reconstitution historique dont j’étais membre avait été sollicitée afin d'y faire de la figuration. Vous trouverez en bas de l'article la vidéo de l'émission.

    J’ai conservé ensuite ce rôle, parce qu’il me permettait de raconter la Révolution française d’une façon originale et amusante lors de nos prestations publiques, rien qu’avec des estampes ! 

    Des estampes, il y en a eu beaucoup durant la Révolution ! On a répertorié plus de 600 modèles différents, rien que sur la période s’étalant entre le printemps 1789 (les états généraux et les débuts de la Révolution) et l’été 1792 (chute de la monarchie et guerres révolutionnaires) et cela continua ensuite, bien sûr !

    Le citoyen Basset était l'un de ces marchands d'estampes, et celle qui illustre cet article nous prouve qu'il a réussi à traverser la Révolution sans trop de soucis, puisqu'elle date de 1806.

    Cet article va non seulement vous le présenter, lui et sa famille, mais il va également évoquer le petit milieu des imagiers de la rue Saint-Jacques, leurs liens avec l’ordre religieux des Trinitaires et plein d'autres choses encore, comme la fabrication des estampes !

Vous avez dit Basset ?

    Paul André Basset était graveur ; fabricant et marchand de papiers peints et d'estampes. Il tenait une boutique rue Saint Jacques à Paris, dont il avait hérité de son père André. Celle-ci se situait en plein cœur du quartier Latin, à l’angle de la rue des Mathurins, juste en face du couvent des Mathurins. Basset avait de l’humour puisqu’il avait choisi de représenter un chien Basset sur l’enseigne à sa boutique.

Détail d'une estampe
(Orthographe d'époque !)

Où trouver sa boutique ?

    La boutique se situait à l'angle de la rue Saint-Jacques et de la rue des Mathurins. Ne cherchez plus cette rue des Mathurins de nos jours, car elle a disparu. Voyez ci-dessous, une planche extraite du plan de Paris que le prévôt des marchands Michel-Etienne Turgot avait fait réaliser entre 1734 et 1739 par Louis Bretez professeur de perspective. Sur cette représentation du quartier Latin, on voit très bien le couvent des Mathurins (en rose), ainsi que l’immeuble de la maison Basset (en vert), juste en face. J’ai même ajouté un agrandissement !

Source BNF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530111615/f15.item


    Je profite de l'occasion pour vous présenter également cette autre jolie vue de Paris de l'époque, sur laquelle j'ai également signalé l'emplacement du couvent et de la maison Basset.

Estampes représentant la boutique de Basset !

    Les trois estampes que je vous présente ci-dessous ont été datées de 1790. Elles évoquent la sécularisation des moines, c’est-à-dire le retour au monde profane de ces pieux citoyens ! 
    Elles présentent l’intérêt de nous donner deux représentations (inversées) de la boutique de la maison Basset, depuis lesquelles nous voyons chaque fois un colporteur franchissant le pas de porte, chargé d’estampes à vendre. Le sujet a dû avoir du succès puisque visiblement il a été copié et que la troisième comporte une légende en anglais.

Le joli moine, profitant de l'occasion.

Le moine qui se fait séculariser.

Le joli moine - The pretty monk.
    
Un mot sur la rue Saint-Jacques.

    Saviez-vous que la rue Saint Jacques était le cardo maximus, c'est-à-dire la rue centrale et principale de la Lutèce Gallo-romaine ?

Le couvent des Mathurins.

    Depuis le 13ème siècle, le couvent des Mathurins accueillait dans son cloître les assemblées de l'université toute proche (jusqu'en 1764, date à laquelle, après l'expulsion des jésuites, elles furent transférées dans le collège Louis-le-Grand). Il abritait aussi au Moyen Âge la halle aux parchemins, où ceux-ci étaient entreposés avant d'être vendus. La bibliothèque des Mathurins détenait au 18ème siècle entre cinq à six mille ouvrages, parmi lesquels quelques manuscrits précieux.

Couvent des Mathurins au XVIIe siècle
Source : La Dormeuse

Les confréries.

    Cinq confréries du quartier Saint-Jacques étaient hébergées dans le couvent : celle de saint Jean l'Évangéliste pour les libraires, imprimeurs et papetiers (dits « suppôts de l'Université ») ; celle de saint Charlemagne pour les messagers-jurés de l'université ; celle de sainte Barbe pour les paumiers (fabricants de balles pour le jeu de Paume) et tripotiers (tenanciers des « tripots », qui étaient à l'origine les salles de jeu de paume) ; celle de saint Nicolas pour les huiliers et chandeliers ; et celle de la sainte Trinité et Rédemption des Captifs. 

    Cette dernière dépendait de l'ordre religieux des Trinitaires, qui avait été créée en 1198 par Jean de Matha et Félix de Valois, avec pour objectif de réunir d’importantes sommes d’argent afin de racheter dans les états barbaresques d’Afrique du Nord les chrétiens qui y étaient maintenus en esclavage. 

    Cette mise en esclavage des chrétiens par les musulmans, qui dura plusieurs siècles, s’est quelque peu perdue dans les mémoires semble-t-il. Mais ne polémiquons pas, ce n’est que de l’histoire et n’étaient-ce pas les chrétiens qui avaient commencé à chapouiller les musulmans avec les croisades ? Et ne parlons surtout pas non-plus des treize siècles de traite négrière par les Musulmans, c'est hors sujet et politiquement très incorrect. Mais de grâce, ne vous méprenez pas sur mon propos, toutes les cultures sans exception, ont de semblables dossiers dans leurs archives ! 😈

Rachat d'esclaves chrétiens
Source : La Dormeuse.
Les Trinitaires.

    L’ordre religieux des Trinitaires est aussi remarquable pour l’intérêt qu’il portait précisément aux estampes. C’est ce que j’ai découvert en lisant une soutenance d’Emmanuelle Bermès, une docteure en histoire travaillant à présent à la BNF, intitulée « Le couvent des Mathurins de Paris et l’estampe au XVIIIe siècle ». Je vous en conseille bien sûr la passionnante lecture.

    Emmanuelle Bermès explique que cet intérêt des Trinitaires pour les images « correspondait à une préoccupation caractéristique du temps : depuis le concile de Trente, les estampes faisaient l’objet d’une attention toute particulière de la part de la hiérarchie ecclésiastique. L’utilisation de l’estampe pour établir le contact entre les religieux et les fidèles pouvait prendre une telle ampleur qu’il n’est pas excessif de parler de propagande. » Les religieux avaient en effet compris avant bien d’autres, le formidables pouvoir des images sur les fidèles. On prêtait même des guérisons miraculeuses à des estampes appliquées sur le corps de malades ! (Sans commentaire).

    Le couvent Saint-Mathurin, la maison parisienne de cet ordre, se trouvait, explique-t-elle « rue Saint-Jacques, dans un quartier où, au XVII e siècle, les graveurs et les marchands d’estampes rejoignaient les libraires et imprimeurs qui y étaient déjà installés en raison du voisinage de l’Université. »

    Les religieux possédaient également plusieurs maisons tout autour de leur couvent et dans le quartier environnant : en 1634, ils avaient seize maisons dans leur censive, et possédaient vingt-deux autres maisons et boutiques qu'ils louaient à des particuliers, notamment des artisans. Les derniers religieux de l'ordre quittèrent les lieux en août 1792. Les bâtiments conventuels furent vendus à des particuliers en 1799. Quant à l'église elle-même, elle fut démolie en 1863 en même temps que les bâtiments claustraux situés contre l'Hôtel de Cluny au moment de l'aménagement de la rue de Cluny.

Graveur d'estampe en 1643

La période pieuse des Basset. 😇

    On peut imaginer que les Basset aient fait partie à une époque de la confrérie de saint Jean l'Évangéliste, celles des « suppôts de l'Université ». Il est même fort probable que leur boutique ait appartenu aux Trinitaires. Ce qui est sûr en revanche, c’est que les Basset, père et fils, ont bien gravé et vendu des estampes religieuses. Une exposition leur a même été consacrée par le musée de l’Image de la ville d’Epinal ! Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder. En revanche je ne sais pas si certaines de leurs estampes ont permis des guérisons miraculeuses. 😉


La période révolutionnaire des Basset ! 😈

    Les Basset ont donc su s’adapter à l’esprit du temps, puisqu’ils ont laissé de côté les estampes religieuses dès 1789, pour "coller au plus près de l’actualité" et illustrer la Révolution ! La maison Basset fut en effet très active durant la période révolutionnaire. Malgré une perquisition qui eut lieu dans son magasin le 16 janvier 1794, pour y chercher des "signes de féodalité", Paul André Basset traversa la Révolution sans trop d’encombres, puisqu’il prit sa retraite en 1819. La petite entreprise des Basset fut reprise successivement par divers membres de la famille, toujours à la même adresse, rue Saint Jacques avant de disparaître après 1865.

Parlons des estampes.

Estampes, eaux fortes ou aquatinte ?

Ces trois mots désignent des techniques d'impressions légèrement différentes.

Estampes ?

    
Les estampes sont la plupart du temps directement gravées sur une plaque de cuivre par le graveur. Celui-ci utilise un outil à graver en métal trempé appelé burin, avec lequel il creuse des rainures dans la planche habituellement de cuivre. Cette méthode dite « à la pointe sèche » exige souvent des efforts considérables de la part du graveur et permet de réaliser des traits fins.

Eaux fortes ?

Eau-forte coloriée
    
Pour réaliser une eau-forte, le graveur prépare la planche de métal en la recouvrant d’un produit cireux de réserve. À l’aide d’un outil ressemblant à une aiguille, il gratte un motif sur la surface cireuse, exposant ainsi le métal en dessous. Le graveur immerge ensuite la planche dans un bain d’acide qui mord doucement le métal exposé, créant les creux et les rainures désirés. Plus le temps d’immersion est long, plus les creux seront profonds et plus les traits seront foncés à l’impression. Le produit cireux de réserve est ensuite enlevé, la planche est encrée et la gravure est réalisée au moyen d’une presse. A noter que les textes et légendes devaient être gravés à l’envers sur les plaques, ce qui donnait lieu parfois à quelques oublis sur certaines estampes qui étaient néanmoins tirées (avec des mots à l’envers). Les couleurs étaient ensuite appliquées avec des pochoirs.

Aquatintes ?

Aquatinte, 1785.
    L’aquatinte ou aquateinte est un dérivé de l’eau-forte où l’on utilise également des acides pour mordre la planche de métal. Au lieu de se servir d’un outil ressemblant à une aiguille pour gratter un produit cireux de réserve, le graveur vaporise, verse, saupoudre ou brosse une réserve antiacide en poudre ou en liquide directement sur la planche. En variant l’épaisseur et l’intensité de la teinte de la résine, le graveur peut obtenir des zones avec des variations de ton subtiles ou spectaculaires. Après le bain d’acide, la planche de métal est encrée et le papier est imprimé comme dans le cas d’une eau-forte ou d’une estampe normale. Les aquatintes permettent d’obtenir des variations de tons très subtiles.

Source utilisée pour ces 3 paragraphes : Musée canadien de l'histoire.

Comment s'y retrouver ?

    Beaucoup des images que je montre sur ce site sont des eaux fortes bien qu'on les appelle communément des estampes. Mais on y trouve aussi des aquatintes, des lithographies, des gravures au pointillé, des manières noires...

    Dans un autre article que je vous conseille, je vous parle des "vues d'optiques", ces images que l'on regardait au travers d'un zograscope...

    En résumé, le terme « estampe », venant de l'italien « stampa » qui signifie « presse », on désigne en fait sous ce nom toute impression réalisée à l'encre sur un support souple à partir d'une matrice qu'on grave ou sur laquelle on dessine.

Graveurs en taille-douce, au burin et à l'eau forte.
Abraham Bosse, 1643
La valeur et le prix.

    Les estampes de chez Basset n’étaient pas vraiment des œuvres d’art, comme celles de Joseph Longueuil dont j’ai parlé le 16 novembre. Longueil était un véritable artiste, spécialisé dans la reproduction d’œuvres de peintres et dessinateurs célèbres. La gravure de Longueil imprimée en noir et blanc que je vous avais présentée, étaient vendue 3 livres, c’est-à-dire 60 sols (ou sous).

    Les estampes gravées chez Basset étaient plus modestes et même parfois proches de la caricature que de l’œuvre d’art, du moins à l’époque révolutionnaire. Les graveurs d’estampes étaient rétribués de 5 à 10 sous la plaque gravée.

Une presse à estampes et un graveur à droite

    Chaque exemplaire imprimé était ensuite vendu entre 9 et 15 sous, soit dans la boutique, soit par des colporteurs comme celui que nous voyons sur ces trois estampes.

    Même si les estampes de chez Basset étaient moins chères que celle des maîtres graveurs, tout le monde ne pouvait pas se les offrir. En 1789, le salaire d’un travailleur journalier parisien variait entre 12 et 20 sous (plus souvent 15), et celui d’un artisan variait entre 20 et 50 sous.

    Pour vous donner une meilleure idée, sachez que le 14 juillet 1789, une miche de pain coûtait 14 sous (de 1 à 3 sous la livre selon la qualité du pain). Entre janvier 1787 et juillet 1789, le prix du pain avait augmenté de 75%...

    Vous apprendrez dans la vidéo que je vous propose ci-dessous, que comparés au revenu actuel d'un travailleur, ces 14 sous équivalaient à plus de 56 de nos euros actuels !

La vidéo !

    Voici la vidéo de l'émission qui avait été diffusé sur la chaîne de télévision M6 en octobre 2015. La qualité est médiocre, mais le contenu est plutôt bien, si on le compare à celui d'autres émissions abordant le thème devenu si délicat de la Révolution française.


Quelques photos de la "réincarnation" de Basset ! 😉

Le bonhomme à droite, c'est Basset !

Au fond, l'échoppe de Basset
et Basset dansant la Carmagnole 😂

La "start-up" de Basset, sur le tournage.

Liens utiles vers quelques articles intéressants sur le sujet :

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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand