mardi 14 juillet 2020

14 Juillet 1789, la date vous dit quelque chose ?

 Article mis à jour le 14 juillet 2023

Prise de la Bastille, gravée par Le Campion.
(En vente chez Basset)
Source : Musée Carnavalet

Que s'est-il vraiment passé le mardi 14 juillet 1789 ?

    En toute honnêteté, il est vraiment impossible de faire un récit circonstancié des événements de cette journée du mardi 14 juillet 1789. Plus on consulte de sources et plus on a de versions différentes ; Tout comme avec les témoignages dans une enquête policière. L'enquête est d'ailleurs la signification du mot grec Ἱστορία / Historía, donné à son œuvre par Hérodote, le tout premier historien. 

    Ce qui fait souvent le succès d'un historien, tout comme d'ailleurs celui d'un personnage historique, c'est sa capacité à faire le récit (je n'ai pas dit une fable), d'une série d'événements improbables jaillissant du chaos de la vie ; l'esprit humain ayant un besoin inné de donner du sens à tout, y compris à ce qui n'en a pas (Tolstoï parle de cela mieux que moi).

    Vous vous poserez donc inévitablement quelques questions en découvrant certains détails du compte rendu que j'ai essayé de faire de cette journée historique. Ce sera là le signe de mon honnêteté envers vous 😊. (Lire également mon article :"L'histoire, la vérité, le bien, le mal et toutes ces sortes de choses très relatives")

    Alors, allons-y ! Sus à la Bastille ! Attaquons-nous au récit de cet événement fondateur qui étonna le monde !

Abbildung der Einnahme von der Bastille
(Illustration de la prise de la Bastille)

L'émeute de trop ? 

    L'historien Hyppolite Taine a méticuleusement compté qu'il y avait eu 300 émeutes en France depuis le début de l'année 1789, avant la prise de la Bastille ! (Taine, Révolution, t. I, ch. I.). Pire ! Plus de 900 émeutes ont été dénombrées à travers tout le pays depuis 1786 ! Emeutes frumentaires, il faut le préciser. C'est-à-dire des émeutes provoquées par le manque de pain et la faim.

    La prise de la Bastille est-elle une émeute spontanée qui aurait pris un tour imprévu ? Ou bien est-ce un peu plus compliqué que ça ? Si vous avez lu l'article concernant la journée du 13 juillet, je gage que vous vous posez déjà quelques questions.

    En effet, vous avez vu agir ou réagir des populations bien diverses : le petit peuple de Paris qui souffre de la faim et cherche partout de la farine ou du pain, provoquant çà et là émeutes et pillages ; les petits bourgeois et les grands bourgeois électeurs du Tiers Etat, qui s’inquiètent des revirements du roi, de l’agitation du peuple et du renvoi du populaire ministre Necker ; la noblesse qui prend peur et recommande au roi la sévérité ; les troupes amenées sur Paris qui agissent dans le désordre et refusent d’obéir pour certaines ; et puis dans l’ombre, tout un petit monde qui s’agite et complote, tant du côté de la cour, que de celui du Tiers état. 

    Au matin de ce mardi 14 juillet 1789, s'élèvent encore dans le ciel les fumées des incendies des 40 barrières de l’octroi (péages des fermiers généraux) qui ont été incendiés durant la nuit (lire l'article du 13 juillet). C’est un événement considérable que cette révolte contre ces péages qui taxaient toute marchandise pénétrant dans Paris.

    Dans les faits, la Révolution a plutôt commencé le 12 juillet 1789, du moins pour ce qui concerne les actes "violents". Mais c’est la prise de la Bastille qui a le plus marqué les esprits, probablement en raison du récit que les historiens (et les politiques) en ont fait, le fameux récit national, la jolie légende dorée qui contribue à cimenter le contrat social... 

    A noter que durant la nuit du 13 au 14 ont déjà eu lieu quelques échanges de coups de fusils devant a forteresse.

    La Bastille était la suite logique des événements de la veille, puisque l'on avait appris qu'elle abritait une réserve de poudre noire et des fusils.

Vue de la Bastille et de la porte Saint-Antoine en 1749

Inquiétude et sombres préparatifs à Versailles

    A Versailles, l’Assemblée nationale a repris ses travaux sur le projet de constitution, mais l’inquiétude grandit. 

    La matinée passe. On apprend que le roi aurait l’intention de partir dans la nuit et que l’Assemblée va être livrée à plusieurs régiments étrangers.

    On a vu les princes, la duchesse de Polignac et la reine, se promenant à l’Orangerie, flattant les officiers et les soldats, et leurs faisant distribuer des rafraichissements.

    Il se dit qu’un grand dessein a été conçu pour la nuit prochaine ; que Paris devrait être attaqué sur sept points, le Palais-Royal encerclé, l’Assemblée dissoute, et qu’enfin, il devrait être pourvu aux besoins du Trésor par la banqueroute et les billets d’Etat. 

Château de Versailles, côté cour.

    Adolphe Thiers, dans son histoire de la Révolution française, précise dans son récit des événements qu’il est certain que les commandants des troupes avaient reçu l’ordre de s’avancer du 14 au 15, que les billets d’Etat avaient été fabriqués, que les casernes des Suisses étaient pleines de munitions, et que le gouverneur de la Bastille avait déménagé, ne laissant dans la place que quelques meubles indispensables.

    Le Tiers état, du petit peuple aux grands bourgeois, craignait donc à juste raison, un coup de force de Versailles.

Ne pas oublier la nuit du 13 au 14 juillet !

    Dans la nuit du 13 au 14, on nous dit que le petit peuple de Paris a incendié 40 octrois sur les 54 du mur des fermiers généraux qui entourait Paris. Les fermiers généraux étaient des banquiers qui proposaient au roi de faire rentrer une partie des contributions qu’ils percevaient sur l’entrée de chaque marchandise pénétrant dans Paris (une trentaine de millions dont ils reversaient la moitié au roi). Ce mur long de 24 km percé de portes faisant office de péages, avait été érigé à partir de 1785 (achevé en 1790). Il était particulièrement haï des Parisiens.

Prises des barrières du 12 au 13 juillet 1789

Lire également cet article :"La Révolution aux barrières : l’incendie des barrières de l’octroi à Paris en juillet 1789"

    Cet assaut est souvent oublié, voire minimisé par les historiens, au détriment de la prise de la Bastille le lendemain. Mais il est le premier acte vraiment révolutionnaire des Parisiens.

   Certains disent qu’il fut organisé par des fraudeurs. D’autres expliquent que, curieusement, la prise du mur fut la première action opérée par la milice bourgeoise dès sa première garde à 21h00(Etonnant, non ?)


Cliquez sur l'image

Ce matin du 14 juillet, les Parisiens se préparent de nouveau à agir.

    A noter qu'en ce mardi 14 juillet 1789, le prix d’un pain permettant de nourrir une petite famille a atteint 14 sous et demi, alors que le salaire d’un journalier est de 15 à 20 sous...



La rue Saint-Antoine, le matin du 14 Juillet 1789
A droite, l'église Saint-Paul, au loin, la Bastille.

La rue Saint Antoine au même endroit en 2019...

    A Paris, dans la matinée, une foule de 8.000 à 10.000 personnes, conduite par l’abbé Lefebvre (*), s’est rendu aux Invalides pour prendre les armes qui y sont conservées, plus de 30,000 fusils et quelques 24 canons. Le marquis de Sombreuil qui dirige les Invalides cède à la foule qui enlève les canons et une grande quantité de fusils.

(*) L'Abbé Lefèvre ou le boucher Legendre ? Wikipédia nous dit que ce fut Legendre le 13 juillet, mais cette estampe d'époque valide la date du 14 juillet. J'incline plutôt sur l'abbé Lefèvre...

 

    Les troupes de Besenval, (impliqué dans l'incident dramatiques des Tuileries le 12 juillet), qui étaient stationnées tout près de là sur le Champs de Mars, n’interviennent pas. C’est pour le moins étonnant. Est-ce que parce que l’heure n’est pas encore venue d’intervenir ? Est-ce parce que, comme certains historiens le disent, elles ont été achetées ? Peut-être par le Duc d’Orléans, ou par l’un des banquiers du Tiers Etat dont nous avons parlé hier ? De nombreux soldats d’origine étrangère, des mercenaires Allemands et Suisses commencent même à déserter l’armée du roi.


Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt

    Un comité insurrectionnel constitué de bourgeois du Tiers état, est installé au Palais-Royal. Rappelons que le Palais-Royal, ce point de ralliement de tous les contestataires, appartient au Duc d'Orléans dont l'ombre plane sur tous les événements.


Gouache de Claude Cholat, qui participa à la prise de la Bastille.

Le siège de la Bastille.

    Une rumeur dit que la Bastille renferme de la poudre. Les Parisiens se rendent alors en masse vers la forteresse. Celle-ci est commandée par le gouverneur de Launay qui dispose d’une faible garnison de 32 soldats suisses du régiment Salis-Samade de 82 gardes des invalides et de 30 canons.

Le Marquis Bernard-René Jourdan De Launay

    Le député d’un district obtient l’autorisation d’entrer dans la forteresse pour parlementer. Il reçoit la parole de la garnison de ne pas faire feu si elle n’est pas attaquée.

    Pendant les pourparlers, la foule assemblée aux pieds des murailles commence à s’agiter, du fait de la trop longue absence de son député. Au point que celui-ci est obligé de se montrer pour l’apaiser. Il finit par quitter la forteresse à 11h du matin.

Le brave Stanislas Marie Maillard
allant chercher la proposition des assiégés

    Notre ami l'avocat Colson, dont nous avons déjà parlé ces derniers jours, nous donne une version très différente dans le courrier adressé le 19 juillet suivant à son ami de province :

« La foule se présente à la Bastille et fait avertir le gouverneur qu'elle désire des fusils, celui-ci répond qu'il consent de les lui remettre et lorsqu'elle se présente pour aller les chercher, il fait baisser le pont-levis et fait arborer le pavillon blanc sur son rempart en signe de sentiments pacifiques. Mais dès qu'elle entre, il fait relever le pont-levis et fait tirer sur la foule. »

 Mais l'Histoire n’a pas retenu cette version. Pourquoi ?...

Gravure de Jean-François Janinet (1790)

Source gravure ci-dessus : Musée Carnavalet

    Du haut des remparts de la Bastille, la confiance des assiégés est si grande que l'un de ceux qui servent le canon, montre ses fesses nues à deux reprises. Il sera pendu à un réverbère après la prise de la Bastille.

Les assiégeants décident d’aller chercher des canons à l'hôtel de ville...

"Prise de la Bastille par les bourgeois et les
braves gardes françaises de la bonne ville de Paris."

Attaque du premier pont-levis.

Un renfort inattendu...?

    C’est alors qu'arrivent en renfort, deux colonnes organisées comme des troupes régulières, l’une dirigée par le sergent des gardes suisses Pierre-Augustin Hulin (28 ans d’armée) et comprenant une soixantaine de gardes françaises, l’autre par le sous-lieutenant Elie du Régiment de la Reine (22ans de service). Elles commencent aussitôt une attaque en règle.

Ci-dessous, Hulin, qui deviendra comte sous l'empire et Jacques Jacob Elie.

 

    Cela fait déjà plusieurs fois depuis le mois de juin 1789, que l’on observe des soldats du régiment des Gardes Françaises, intervenir du côté du peuple. Est-ce spontané ? Préparé ? En tout cas, cela semble n'étonner personne...

    A noter que le dénommé Pierre Augustin Hulin, (encore un Suisse), qui conduit les Gardes françaises, est tout de même un personnage un peu trouble, qui se trouve être en relation avec le banquier suisse Perrégaux dont nous parlions hier. Etonnant, non ?

    Hulin fera même don par la suite à Louis XVI, d’un morceau de pierre de la Bastille, afin de lui montrer que ce n’était pas contre lui, mais au nom de l’idéal du bon roi, qu’il avait fait chuter la prison d’État. Ben voyons...

Pierre de la Bastille offerte par Hulin à Louis XVI


Le pavillon du régiment des Gardes Françaises

Les gardes françaises (Reconstituteurs)

    
    On trouvera tout de même parmi les assaillants de la Bastille, des gens moins "troubles", comme le boucher Louis Legendre et l'abbé Claude Fauchet qui deviendront des révolutionnaires plutôt honorables par la suite. (Je parle de cet abbé dans l'article du 6 décembre 1789).

 


Concours de circonstances favorables

    Il semble que le peuple en colère bénéficie vraiment en ce jour mémorable, d’un concours de circonstances on ne peut plus favorables !

    Voici à présent qu’un ingénieur se trouve également là (comme par hasard) et propose son aide pour le siège de la forteresse ! Il conseille d’abattre une petite maison accolée à Bastille, qui gêne les opérations. Comme il est impossible aux assiégés de pointer leur canon vers le pied du rempart, il conseille aux assiégeants d'y placer le leur. Il les engage alors à creuser afin de redresser le fût de leur canon. Il faut presque le pointer à la verticale. Lorsque le canon est bien orienté, ledit ingénieur indique aux assiégeants qu’ils peuvent faire feu. Les premiers coups de ce canon portent sur le canon des assiégés et le rendent inopérant.

    Colson rapporte dans son courrier décrivant les événements qu'un autre coup de canon, adroit ou heureux rompit la chaîne du pont-levis, lequel, par cette fracture, s'abaissa.

Le gouverneur De Launay s'impatiente.

    Pendant ce temps-là, à l’hôtel de ville, on a intercepté un billet du Baron de Besenval,  lieutenant des gardes Suisses, adressé à De Launay, le commandant de la Bastille. Il l’engage à résister, lui assurant qu’il sera bientôt secouru, ce qui confirme les rumeurs d’un coup préparé par la Cour, pour la nuit prochaine.

    Colson rapporte que Jacques de Flesselles, le prévôt des Marchands aurait demandé à De Launay de prolonger le siège, dans l'attente d'un renfort de 20.000 soldats qui arriverait durant la nuit par un sous-terrain venant du Donjon du château de Vincennes !

Jacques de Flesselles

    Constatant que les secours n'arriveront pas à temps, De Launay veut faire sauter la place, mais la garnison d’y oppose et l’oblige à se rendre. Un pont est alors abaissé par lequel la foule se précipite (voir plus haut l'incident de la chaîne !).

    Les gardes suisses parviennent à s’échapper et les gardes des invalides sont protégés de la fureur de la foule par les gardes françaises.

Prise rapide.

    En tout et pour tout, le siège de cette forteresse « imprenable » sur laquelle Charles VII puis Henri IV s'étaient cassés les dents, n'aura duré deux heures et demie selon les uns, trois heures ou quatre heures selon les autres. La Bastille fut donc prise très rapidement, surtout à coup de canons.

    Notons tout de même, que ni Charles VII ni Henri IV ne disposaient des canons de l'ingénieur Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval qui firent "merveilles" ensuite, sur les champs de batailles de la Révolution et de l'Empire.


Siège de la Bastille prise en 2 heures et demie

Prise en 4 heures selon cette estampe.

Prise en 3 heures selon celle-ci.

Premier bilan.

    Le peuple s'empare de la Bastille qui détenait bien un stock de 250 barils de poudre que l'ancien colonel d'artillerie Edmé Antoine du Puget d'Orval, Lieutenant du Roi et adjoint du gouverneur De Launay, avait fait transférer récemment. A noter que ce Pierre-François de Rivière du Puget sera le seul rescapé de l'état-major de la Bastille. Je vous engage à lire cet article sur la vie de cet homme étonnant : Un geôlier réformateur.

Libération des prisonniers de la Bastille

    La Bastille renfermait également sept prisonniers : 4 faussaires, un libertin, le comte de Solages, et 2 fous, Whyte et Tavernier. Les Solages étaient une grande famille d’entrepreneurs des mines de Carmaux. Ce Solage était suspecté de meurtre, et sa famille avaient prié le roi de l’enfermer à la Bastille pour lui éviter la pendaison ou la décapitation. 

    Parmi les assaillants, 96 seront tués et 60 seront blessés.

Monument en mémoire des morts pour la Bastille.


Exécutions du gouverneur de la Bastille et du prévôt des marchands.

Bernard-René Jourdan De Launay

Colson nous rapporte ainsi la mort du Gouverneur (Dans son courrier du 19 juillet 1789)

La Marquis Delaunay
conduit à la Ville
"Lorsque les assiégés étaient en train de mettre bas les armes, le garde française qui avait pénétré le premier dans le fort est monté seul dans une tour ou le gouverneur, le lâche et indigne gouverneur monsieur Delaunay s'était retiré et, prenant cet indigne officier par le collet, il l'a fait descendre et l'a conduit à l'Assemblée des électeurs à l'Hôtel de Ville. Là, cet officier a été obligé d'avouer sa perfidie, ses lâches cruautés, et a accusé le prévôt des marchands d'avoir été d'intelligence avec lui et de lui avoir écrit que, s'il pouvait soutenir le siège jusqu'à la nuit, cette résistance sauverait la Bastille et qu'elle donnerait les moyens de faire entrer une armée dans Paris pour le subjuguer. Quand l'Assemblée des électeurs a eu suffisamment interrogé le gouverneur, elle lui a déclaré qu'elle ne pouvait prendre sur elle de le sauver et de le mettre en liberté, et qu'elle le laissait au peuple pour en ordonner ce qu'il jugerait à propos. Le peuple, le voyant rendu entre ses mains, n'avait pas la patience qu'il fut descendu en place de Grève pour satisfaire sa vengeance : il le meurtrissait de mille coups. Enfin, l'ayant étendu à terre d'un coup de crosse de fusil à la poitrine, quelqu'un lui coupa la tête."


Arrestation du gouverneur De Launay
Arrestation du Gouverneur de Launay
(Tableau de Jean-Baptiste Lallemand)

Jacques de Flesselles

    Peu de temps après l'exécution du Gouverneur De Launay, le Prévôt des Marchands, Jacques de Flesselles est lui aussi assassiné dans les mêmes conditions atroces.

    Une version raconte qu'il a été abattu quai Pelletier, d’un coup de pistolet tiré par un inconnu sorti de la foule. Il venait, nous dit-on, de quitter l’Hôtel de Ville sans être inquiété, pour aller à la rencontre d’un envoyé du comité insurrectionnel.


    Colson nous donne une tout autre version. Il nous dit que "la populace était devenue furieuse" en apprenant que De Launay avait accusé Flesselles de complicité et qu'elle "emmena Flesselles en Grève pour satisfaire sa vengeance, en l'accablant de reproches et d'injures". Puis, "quelqu'un l'ayant tiré par derrière par les épaules et lui ayant donné un coup de genou, l'étendit à terre, et un autre lui tira un coup de pistolet à l'oreille".

   Jacques de Flesselles avait été nommé la veille par acclamation, président de comité permanent qui venait d'être établi. Mais il s’était rendu impopulaire, après avoir plusieurs fois trompé les Parisiens. Il avait fait distribuer des cartouches mouillées qui ne prenaient pas bien. Il avait envoyé chercher des munitions où il savait qu'il n'y en avait pas et quand il envoyait où il y avait, ils donnaient des clés qui n'ouvraient pas !

    On prétendit avoir trouvé sur le gouverneur de la Bastille, une lettre de Flesselles dans laquelle il lui disait : « Tenez bon, tandis que j’amuse les Parisiens avec des cocardes. »

Massacre de Jacques de Flesselles
(Tableau de Jean-Baptiste Lallemand)


Jourdan "coupe-tête"

    Concernant cette odieuse décapitation du gouverneur De Launay, il semble que la responsabilité en revienne à un certain Mathieu Jouve Jourdan, un cabaretier, que l'on retrouvera le 22 juillet perpétrer le même acte horrible. Il sera bientôt surnommé "Jourdan Coupe-Tête". Selon certains historiens, ce monstre aurait été un homme de main du Duc d'Orléans. Etonnant, non ?

L'immonde Jourdan coupe-tête représenté sur une gouache de Lesueur.
Combien de psychopathes comme lui ont sali des révolutions de leurs crimes ?


Paris en état de siège

    Donnons une dernière fois pour aujourd'hui la parole à Adrien-Joseph Colson, notre témoin contemporain, l'avocat au barreau de Paris qui relate les faits à son ami de Province, dans son courrier du 19 juillet 1789. Il y relate d'autres faits s'étant déroulés le même jour dans Paris :

"Cette journée glorieuse devait bien rabattre de l'espérance et de la joie qu'avaient les aristocrates du soulèvement du peuple, et leur faire craindre qu'il tournât contre eux. Mais comme ceux de Versailles n'étaient pas instruits de la réduction de la Bastille, on jugea qu'ils pourraient venir former une attaque la nuit suivante. L'on se crut même instruit que monsieur le comte d'Artois devait venir avec une armée attaquer à la porte Saint Martin. Sur cette nouvelle on illumina toutes les rues pour découvrir les surprises en cas qu'on en voulut tenter. On s'empara des hauteurs de Montmartre et on les garnit de canons dont en partie celui qu'on venait de prendre à la Bastille. Il courut avec beaucoup d'intrépidité et d'empressement plus de 20.000 hommes à la porte Saint-Martin. L'on y conduisit également du canon, et l'on barra les rues avec des tombereaux remplis de terre. On barra aussi quelques autres rues avec des tonneaux et l'on poussa des patrouilles à 3 ou 4 lieues loin de tous les côtés, à la découverte. Les patrouilles vinrent faire leurs rapports à une heure après minuit qu'elles n'avaient rien découvert, ce qui fit juger que les commandants des troupes, ayant enfin appris que la Bastille était prise, et n'ayant plus de secours à attendre par les souterrains de cette forteresse ni à se retirer sous son canon au cas qu'ils fussent obligés de plier, avaient renoncé à leur entreprise."

Porte Saint Martin


Démolir la Bastille au plus vite

    La Bastille, placée sous le commandement d'un électeur de Paris, le citoyen Prosper Soulès, sera aussitôt vouée à une "démolition sans délai" confiée au patriote Palloy, un entrepreneur fortuné du faubourg Saint-Antoine. 


Pierre-François Palloy, dit le patriote.

    Celui-ci invitera quelques personnalités, La Fayette, Mirabeau, Beaumarchais, l'archevêque de Paris, aux premiers coups de pioches. De même que lors de la démolition du mur de Berlin 200 ans plus tard, il sera fait un commerce des pierres de la Bastille dont certaines seront même montées en bijoux.


Une des reproductions de la Bastille, réalisée dans une pierre de la Bastille,
envoyée par Palloy aux ministres, aux 83 départements, 
à Louis XVI et même à des personnalités étrangères, comme Washington.

Gouache de Lesueur d'une maquette de la Bastille portée en procession civique.


Gouache de Lesueur, représentant quelques individus
 du millier de démolisseurs de ce chantier qui dura 2 ans.

Démolition de la Bastille
Démolition de la Bastille, dessinée le 12 Août 1789

Démolition de la Bastille
Démolition de la Bastille

La milice bourgeoise est officialisée.

    L’Assemblée nationale fut informée dans la nuit, par les électeurs du Tiers état de Paris, que la Bastille avait été prise, et la séance fut suspendue.

    Pendant ces événements, à Versailles, le député Bancal des Issarts (futur Girondin), était monté à la tribune pour féliciter le comité permanent constitué la veille à Paris et il avait déclaré : « Il n’y a que la milice bourgeoise qui puisse nous sauver ! ».

    Ladite milice (déjà projetée le 10 juillet) sera officiellement créée le lendemain 15 juillet. Il s'agira réellement d'une milice bourgeoise, car La Fayette décidera que ne pourront entrer dans la garde nationale que ceux qui seront capable de se payer un uniforme dont le coût s’élève à 4 Louis, soit plus de 240 sous, sachant qu'un pain nourrissant une famille pour une journée coûtait 14 sous et que le salaire moyen d'un journalier en juillet 1789 se situait entre 15 et 20 sous.

    Il faut savoir également que dès le lendemain, des patrouilles civiques se répandront dans Paris pour tenter de reprendre à la populace les fusils qui avaient été soit saisis dans les arsenaux, soit généreusement distribués par les bourgeois. Ces fusils seront même rachetés jusqu’à 4 ou 5 Livres, c’est-à-dire de quoi vivre plusieurs jours. 

Serez-vous étonnés d'apprendre que tous les fusils ne seront pas rendus ?

Le fusil d'infanterie de l'ingénieur Gribeauval, modèle 1777.


Petit aparté

    Vous trouverez de nombreux récits de la prise de la Bastille. Je vous en propose d'ailleurs un en bas de cette page. N’oubliez pas que beaucoup ont été écrits après que la révolution fut terminée et surtout vaincue pour ne pas dire reniée...

    Le brave banquier suisse, un peu comploteur, qui a contribué à armer des Parisiens affamés, Jean-Fredéric Perregaux, repose au Panthéon en toute discrétion.

    L’homme de main, Pierre Augustin Hulin, bénéficie d'une page élogieuse sur Wikipedia et sur le site de la Ville de Paris.

Médaillon représentant Hulin, gravé par David.

    De nombreux ouvrages et sites web pleurent sur la mort du gouverneur De Launay et beaucoup plus encore maudissent la violence du peuple. (Lire cet article sur la violence révolutionnaire).

    Le peuple ? Vraiment ? Est-ce vraiment le peuple qui est à l'origine de tout cela ? Qui a remis le gouverneur De Launay entre les mains du peuple ? Qui a payé les soldats ? Qui a distribué des armes les 13 et 14 Juillets ?

    Les gens du Peuple n'étaient-ils pas que de malheureux pions, sur l’échiquier de cette partie qui se jouait entre un pouvoir naissant et un pouvoir finissant ?

    Tout le monde a oublié jusqu’aux noms des 96 (ou 98) pions tués et 73 (ou 60) blessés ce jour-là, certains étaient là uniquement parce qu’ils avaient faim. N'oublions pas les autres pions de l'échiquier, les défenseurs de la Bastille, 107 prisonniers et 7 tués.

    Je ne juge pas. C'est ainsi que fonctionne l'humanité...


Epidémie de bastilles

    Sachez que des prises de Bastilles, il va y en avoir dans tout le pays dans les jours qui vont suivre dès que la nouvelle sera connue, et que bientôt commencera « La Grande Peur ». La peur de quoi ? la peur de qui ? A suivre...


Quelques estampes.


"Récit mémorable du siège de la Bastille"
(A Orléans, chez Letourmi)
Estampe "Adieu Bastille"
"Adieu Bastille"


"Le réveil du Tiers état."

"Destruction de la Bastille"

Allégorie de la Liberté sur fond de Bastille, dessinée bien plus tard.
Vous remarquerez, foulés aux pieds, un personnage couronné et un ecclésiastique.

Un témoignage.

    Comme je vous l'ai dit plus haut. On trouve beaucoup de témoignages. Je vous propose à titre d'exemple celui de L. G. Pitra, électeur de Paris en 1789 :




Le petit jeu des erreurs ! 😉

    Un ami Facebook a partagé le 14 juillet 2022 l'image ci-dessous. Je partage son enthousiasme et je le remercie pour ce partage. Mais cette image comporte plusieurs erreurs. Cherchez-les ! (Réponses en dessous).



Le drapeau bleu blanc rouge n'existait pas le 14 juillet 1789.

  • C'est le 15 février 1794, ou plutôt le 27 pluviôse An II, que la Convention décrètera le drapeau tricolore, emblème national pour les vaisseaux de la Marine, afin d'uniformiser les étendards de ses vaisseaux. Le peintre David prendra en charge son dessin « bleu au mât, blanc au centre, et rouge flottant ». 

La cocarde bleu blanc rouge n'existait pas non-plus.
  • Même si les trois couleurs deviennent populaires ce 14 juillet, le port de la cocarde tricolore ne se généralisera que plus tard, jusqu'à même devenir obligatoire (pour les hommes le 8 juillet 1792, pour les femmes le 21 septembre 1793). Une des raisons de la popularité de ces trois couleurs, serait que c'étaient celles des uniformes des Gardes Françaises qui prirent rapidement parti pour le Peuple. Nous verrons le Roi porter cette cocarde tricolore pour la première fois, le 17 juillet 1789.
Le bonnet phrygien rouge n'était pas encore porté par les révolutionnaires.
  • Je précise "rouge avec une cocarde", car le bonnet était couramment porté par les gens du peuple et celui-ci avait différentes couleurs. Il ressemblait à un simple bonnet de marin. A noter qu'il n'avait pas ces sortes de caches-oreilles pendants que l'on voit sur une multitude de représentations, dont celle ci-dessus. Même les Phrygiens de l'antiquité n'étaient pas affublés de ces oreilles pendantes ! Ces artifices ont été ajoutés par la suite sur quelques bonnets, probablement pour faire références aux casques antiques équipés de paragnathides (protèges-joues). La majorité des bonnets portés étaient vraiment de simples bonnets, comme on peut le voir ci-dessous. Le port du bonnet rouge avec une cocarde ne deviendra à la mode qu'à partir de 1791.
Vrais bonnets d'époque :



Représentations de bonnet phrygiens :

Président du comité révolutionnaire

Pierre-Nicolas-Louis Leroy


Caricature de Louis XVI, dit "le dernier" (1792)

Phrygien et son bonnet :

Mêmes sur les images d'Epinal !

    J'ai retrouvé ces deux images d'Epinal publiées en 1880 et vous pouvez remarquer dessus le même anachronisme "drapeau, bonnet, cocarde"...


La vidéo !

    Si vous êtes arrivés jusqu'ici et que vous avez tout lu, je vous remercie chaleureusement et je vous propose de regarder la vidéo ci-dessous, extraite du film "La Révolution française" de Robert Enrico et Richard T. Heffron, sorti en 1989 à l'occasion du bicentenaire.

    Si vous avez bien lu cet article et les précédents, vous remarquerez les imperfections. L'extrait commence par l'intervention de Camille Desmoulins au Palais Royal, qui a eu lieu le 12 et pas le 14. On voit aussi le pillage des arquebuseries qui a eu lieu dans la nuit du 12 au 13. Mais peu importe, cela donne une bonne idée de l'ambiance ! 💖



Bertrand Tièche, alias le Citoyen Basset


Le Citoyen Basset fête le 14 juillet !


   




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Bertrand