dimanche 6 septembre 2020

6 Septembre 1789 : « Fermentations » parisiennes à propos du projet de droit de véto pour le roi.

Monsieur Véto, représenté sous la forme
d'un géant effrayant (par respect pour le roi)

    Nous avons vu dans les articles concernant les jours précédents, que l'agitation ne retombait pas à Paris.

    Le 30 août, Camille Desmoulins et Saint-Huruge ont essayé de lever une foule de Parisiens, pour marcher sur Versailles et ramener à Paris la famille royale ainsi que l'Assemblée nationale. (Lire l'article).

Les "Motionnaires" du Palais royal

    Le 31 août les 12.000 indigents que l'on faisait travailler à construire une route sur la Butte Montmartre ont été expulsés de Paris "manu militari".  (Lire l'article)

Les carrières de plâtre de Montmartre

    Le 2 septembre, l'Assemblée nationale a pris les mesures "militaires" concernant les troubles à Paris. (Lire l'article)

La Garde nationale parisienne

Un droit de Véto qui passe mal !

    Depuis le 1er septembre, se discute à l’Assemblée nationale, la possibilité pour le roi de pouvoir faire usage d'un droit de sanction absolue et de rejeter ainsi toutes les lois qui ne lui plairaient pas, quand bien même elles auraient le vœu de l’Assemblée nationale. Il s’agit en fait du droit de véto, dont on va reparler très souvent à l'avenir. (Lire l'article).

Qu'en disent les bourgeois de Paris ? (Électeurs du Tiers Etats)

    Allons voir ce que dit de tout cela notre ami Colson, cet avocat du barreau de Paris qui décrit régulièrement la situation à Paris dans les lettres qu'il adresse à son ami de Province

    Nous le découvrons inquiet de cette nouvelle « fermentation » qui semble parcourir Paris et qui inquiète la bourgeoisie parisienne.

Colson a écrit le 1er septembre dans une de ses lettres à son ami de Province, que :

« Beaucoup de monde s’est rassemblé au Palais Royal. Il en est parti 1500 hommes, tous pour la plupart armés, pour aller à Versailles. Colson raconte que l’avant-garde de ce groupe était déjà arrivée à la barrière de la Conférence, prête à sortir de Paris, lorsque monsieur de La Fayette est survenu et que, par ses remontrances, il les a déterminés à retourner. Colson est très inquiet et pense qu’il va y avoir du danger à Versailles pour ceux qui ont donné leur avis pour le droit de sanction absolu. »

    Pour information, la barrière de la Conférence, aussi appelée barrière de Passy parce qu’elle se situait à la limite du village de Passy, marquait le début du chemin menant à Versailles. Elle avait été l’une des premières barrières de l’Octroi, à être incendiée dans la nuit du 13 au 14 juillet. (Lire l'article, (absolument))

Incendie de la barrière de la Conférence.

Ce 6 septembre, dans son courrier, Colson fait part de son étonnement d’être encore en vie. Lisons-le :

« Nous existons encore ! Et, quoique le jour où l’on annonçait qu’il devait se répandre beaucoup de sang, il y eût une fermentation sourde et une infinité de bruits sinistres qui se croisaient et se contredisaient, je crois qu’il n’y eu de danger que pour Versailles où grand nombre de mauvais sujets de Paris projetaient d’aller ouvrir des scènes sanglantes à l’Assemblée nationale et, sous prétexte d’y sacrifier ceux qui se déclaraient pour le véto royal, d’y sacrifier au contraire ceux qui le combattaient. (NDA : Je trouve cette information étonnante). Mais heureusement il ne s’est rien exécuté de cet infernal projet. Depuis quelques jours qu’on a mis de fortes patrouilles au Palais Royal, l’on a dissipé les attroupements qui brassaient ces abominables complots. L’on n’y voit plus de pelotons et l’on n’y entend plus de discours incendiaires. Cependant l’on ne regarde pas pour cela le calme pour bien rétabli dans Paris, les seigneurs n’y revenant pas encore et beaucoup de personnes, entre autres sept ou huit de la maison de la Rochefoucault, venant de partir encore ces jours-ci. Il est à croire, Monsieur, que l’absence de ces personnes fait grand tort au commerce de Paris mais, ce qui le réduit à l’extinction presque totale où il est, c’est que, par le ralentissement survenu, depuis environ un an au paiement des rentes de l’Hôtel de Ville, il se trouve peut-être plus de cent millions de moins de répandus dans cette capitale seule. Ce qui nous inquiétait encore plus que ce fâcheux état du commerce, c’est la disette du pain qu’on ne pouvait avoir que livre à livre et avec beaucoup de peine. Mais pour la seconde fois on a recommencé hier à en avoir aisément par pains de quatre livres. (…) »

    Le témoignage de Colson est intéressant, parce qu’il représente l’opinion des électeurs du Tiers état, c’est-à-dire de la bourgeoisie. Il semble ignorer, ou préfère ne pas en parler, les autres intrigues qui se jouent dans les salons dorés, autrement plus « efficaces » celles-ci. Que ce soit dans l’entourage du Duc d’Orléans, dans celui du roi (sans oublier celui de la reine), ou dans les bureaux de quelques banquiers. Nous parlerons de ces manœuvres plus tard. N’oublions jamais que le peuple n’est la plupart du temps qu’un pantin, qui plus est, tenaillé par la faim.

    Que ceux qui se perdent en imprécations malveillantes sur les malheureux parisiens écrasés de misère et de faim, se demandent ce qu’ils auraient fait à leur place. Ou bien qu'ils lisent, s'ils en ont le courage, ce livre : « Paris capitale des pauvres : quelques réflexions sur le paupérisme parisien entre XVIIe et XVIIIe siècle. »

En voici un extrait, il s’agit du témoignage d’un étranger :

« L'auteur anonyme des "Letters on the French nation by a Sicilian gentleman residing at Paris17", éditées à Londres en 1749 remarque : « Je doute qu'il puisse exister sur terre un enfer plus terrible que d'être pauvre à Paris, que de se voir continuellement au centre de tous les plaisirs sans jamais pouvoir en goûter aucun. Parmi cette profusion d'abondance, on peut voir un nombre infini de pauvres hères qui mendient sur un ton de mélopée comme s'ils chantonnaient ; ils semblent en hiver figés par le froid, et au printemps ils vous proposent des fleurs pour solliciter votre compassion »

Source : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934

(Vous pouvez également lire mon article sur la misère au 18ème siècle)

    Concernant le fameux véto royal, j’aime assez l’avis donné par un intervenant dont le nom n’a pas été consigné dans le procès-verbal de la séance du 5 septembre, à l’Assemblée nationale. Le voici :

« Un autre membre prend la parole : après s'être déterminé pour la permanence, après avoir adopté le système du préopinant sur le lieu de la session, il s'est expliqué sur le veto.

Il est inconnu parmi nous, a-t-il dit : nos annales n'en font point mention ; il n'est connu que depuis la révolution d'Angleterre. Il est trois principes incontestables. Le pouvoir de la souveraineté réside dans le peuple ; il n'y a que le droit naturel qui soit au-dessus.

Le second principe est que le peuple est le maître de se faire à lui-même les lois que bon lui semble.

Le troisième enfin est que la confusion du pouvoir législatif et exécutif produit le despotisme. De là résulte que l'on ne peut admettre que le veto suspensif.

L'on objecte les cahiers. Les cahiers ne sont que de simples instructions ; ils se contrarient tous, et dans mon bailliage l'ordre de la noblesse accorde au Roi le pouvoir législatif que les communes s'attribuent spécialement. Ainsi, je pense que les districts doivent s'assembler dans un délai déterminé ; que les bailliages s'assembleront ensuite pour nommer leurs députés.

Je pense que l'on ne doit admettre qu'une seule Chambre, avec des modifications nécessaires ; et quant au veto, il est contraire à nos principes ; il ne peut être admis qu'autant que vous penserez que la volonté particulière doit l'emporter sur la volonté générale. J'ai pu donner dans des erreurs, mais au moins je ne me reprocherai point de remords. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4946_t2_0579_0000_5

 

    Députés de l’Assemblée nationale, bourgeois de Paris, cour du roi, peuple, etc. Autant de tourbillons qui naissent çà et là de mondes bien différents, qui donneront peu à peu naissance à une tempête dont une première rafale soufflera le 11 septembre prochain.


A suivre…



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Bertrand