mercredi 9 septembre 2020

9 Septembre 1789 : Un débat houleux où il est question d'un "foutre" et de deux chambres.

 Article mis à jour le 9 septembre 2023

François-Henri de Virieu, un "foutu député"...

L'illustration vous étonne ? Lisez plutôt !

    Aujourd'hui l'Assemblée nationale va décréter que la représentation populaire sera permanente. Certains pensent néanmoins qu'il serait bon qu'il y ait également une seconde chambre, une chambre haute (une sorte de Sénat). Mais cette proposition sera rejetée le lendemain par 849 voix contre 89 et 122 abstentions. Il n'y aura pas de bicamérisme. Le bicamérisme ou système des deux chambres (haute et basse) était celui adopté par nos amis Anglais.

Nota : Des explications claires sur le bicamérisme sont à disposition sur le site de l'Université Numérique Juridique Francophone. Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :


Le débat, le débat !

    J'ai choisi de vous donner un extrait des débats de ce 9 septembre 1789, en raison de l'incident étonnant qui y a eu lieu !

    A noter que durant ce mois d'Août 1789, le Président de l'Assemblée était César-Guillaume de la Luzerne, évêque-Duc de Langres et pair de France. En lisant sa biographie sur Wikipédia, vous devinerez aisément qu'il ne devait pas exercer cette noble fonction de gaieté de cœur...

Portrait du Cardinal de la Luzerne

Incident et levée de la séance du 9 septembre 1789 par le Président.

Sources :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4957_t2_0603_0000_5 
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4958_t2_0605_0000_2

(...) 

L'on allait examiner la question suivante, celle de l'unité des pouvoirs législatifs, lorsque M. le comte de Mirabeau fait la motion suivante :

« Attendu, dit-il, que l'Assemblée nationale a décrété qu'elle serait perpétuelle, qu'il est décidé qu'il y aura une Assemblée toujours permanente, et qu'il est jugé par là qu'il n'y aura pas deux Chambres, il n'y a pas lieu à délibérer. »

Celte motion a été applaudie et soutenue avec un succès complet.

M. Dupont est le premier qui s'oppose à celle question préalable. Auteur d'un projet sur l'organisation des deux Chambres, il regrette que son plan soit aussi rapidement pulvérisé.

Il commence par invoquer dans son langage la sagesse de l'Assemblée nationale, et finit par dire qu'il vote pour deux Chambres, quoiqu'il ne veuille pas deux Chambres.

M. le comte de Mirabeau. Il me semble qu'il ne doit pas y avoir lieu à délibérer sur cette question, parce que l'Assemblée, en décrétant la permanence, a décrété l'unité.

M. Regnaud s'élève avec véhémence contre la motion de M. le comte de Mirabeau.

Eh quoi ! S'écrie-t-il, nous touchions au moment de résoudre les grandes questions dont la France attend la solution, et l'on cherche, par des surprises, à éloigner ce moment ! Qui ne s'indignerait contre de pareilles divagations, dont le motif est de nous entraîner toujours loin du but ? On a décrété que l'on suivrait les questions telles qu'elles ont été proposées par M. Camus ; il n'est donc pas permis de mettre en délibération si l'Assemblée suivra ses décrets.

M. le comte de Mirabeau. La division de l'Assemblée en sections égales, et pour quelques travaux particuliers, est un fait de police intérieure. En demandant la question préalable sur la seconde question, je n'ai voulu que faire ressortir le vice de l'énoncé de la première, et la transposition qu'on avait faite, en la traitant avant la seconde ; j'ai voulu dire, d'une manière laconique, à l'Assemblée qui, moins que jamais, aime les longs discours, que son unité existe essentiellement dans sa permanence. Maintenant je déclare que j'ai toujours redouté d'indigner la raison, mais jamais les individus. M. Regnaud, et même le Courrier de Versailles avec lui (1) peuvent donc à présent s'indigner autant que cela leur conviendra ; ils voient bien que peu m'importe.

 (1) Ce journal passait alors pour être inspiré par M. Regnaud de Saint-Jean-d'Angély. (Ce qui était vrai)

M. de Clermont-Tonnerre combat la motion ; mais l'Assemblée commençait à rompre le silence : le président inutilement crie à l’ordre. Un mouvement de conscience, prononcé par M. de Clermont-Tonnerre, fait naître des murmures, et donne plus de courage à l’opinant pour soutenir plus fortement encore ; les murmures s’apaisent. Pressé par ma conscience, dit-il, c’est sur la foi publique que je réclame contre une surprise. Je sais bien que l’on peut interpréter du mot Assemblée nationale l’induction que l’on en voudrait tirer ; mais l’Assemblée nationale a interprété ses sentiments en adoptant l’arrêté de M. Camus; s’il en était autrement, je n’aurais qu’à pleurer sur les ruines de ma patrie. Il est impossible de dire que l’Assemblée, en votant la permanence, a voulu prononcer sur l’unité.

Peu à peu la sensation qu’avait produite la motion de M. de Mirabeau diminue, et M. de Clermont-Tonnerre reçoit des applaudissements. Ils ne sont que le prélude du plus affreux désordre.

M. le comte de Virieu profite d’un moment de silence pour prendre la parole.

Faut-il donc, dit-il, qu’une Assemblée nationale soit emportée par des démagogues et une fougue populaire ?

Non, messieurs ..... — Puis un foutre (1) est sorti de sa bouche.

(1) J'ai ajouté les lettres qui manquaient après le "f" sur le P.V. de la séance. A noter que ce mot de 6 lettres semble avoir été employé au XVIII siècle aussi souvent et dans les mêmes circonstances que notre actuel mot de 5 lettres commençant par la lettre "M"). Nos amis anglosaxons font un même usage du mot "fuck"...

(Ici mille cris opposés s’élèvent de tous côtés ; ce ne sont plus des plaintes, des reproches, c’est un tumulte universel : ici l’on crie à l'ordre ; là on somme le président d'interrompre l’orateur ; plus loin on invoque le règlement.)

M. Biauzat sollicite contre l’orateur la honte d’une censure.

M. de Virieu descend de la tribune.

François-Henri de Virieu
(Militaire, mais "grossier' personnage)

 M. le marquis de Foucault élève la voix et domine les murmures de l’Assemblée ; il invoque le règlement, où toute approbation et toute improbation sont défendues. M. de Virieu n’a pas été entendu, dit-il, je demande qu’il le soit.

Cette motion est appuyée ; mais elle ne peut être jugée.

Le désordre est à son comble.

Le Président montre le règlement : le signe supplée à l’insuffisance de sa voix et apaise les esprits ; l’on se lait, et il est encore interrompu par une voix qui s'écrie qu’il n’est pas plus permis aux nobles d’appeler les représentants des communes démagogues, qu’aux communes d’appeler les nobles aristocrates.

M. le Président vient à bout d’interroger l’Assemblée pour savoir si M. de Virieu parlera ou non. Mais sa peine est longue et pénible ; sans cesse il lutte contre un chœur infatigable, qui crie constamment qu’on rappelle à l’ordre M. de Virieu.

Enfin on va aux voix, et il n’y a pas beaucoup de votants pour refuser la parole à M. de Virieu. Mais il n’en a pas joui. Il allait parier, lorsqu’un des membres des communes, voisin de la tribune, l’accuse d’avoir souillé sa bouche d’un jurement, et d’avoir, d’un geste menaçant, montré une partie de l’Assemblée en prononçant démagogues.

M. de Virieu fait bonne contenance ; il laisse à d’autres le soin de le défendre, et répète les accusations dont le charge son dénonciateur.

Ici des membres se retirent, mais en petit nombre. M. le président arrête l'Assemblée prête à se dissoudre.

Faut-il donc, dit-il, perdre de vue les grands objets qui nous occupent pour nous livrer à des personnalités ?

Le calme renaît pour un instant ; on oublie les reproches faits à M. de Virieu ; après quoi M. le président déclare qu'il a trouvé une de ses expressions trop fortes.

Enfin on rejette la motion de M. de Mirabeau.

A peine est-elle rejetée, que l'on veut aller aux voix sur l'unité du pouvoir législatif.

M. de Lameth observe qu'il faut déclarer avant tout quelle sera l'organisation des deux Chambres, pour savoir si on doit préférer les deux Chambres à une seule.

M. Target veut parler, on l'interrompt. On demande à aller aux voix ; M. le président paraît ne pas entendre. On s'impatiente ; on somme le président de remplir son devoir.

M. de Lally-ToIIendal demande la parole, on la lui refuse.

M. le Président pose ainsi la question :

- Y aura-t-il une ou deux Chambres ?

Mais le trouble recommence ; les objections sur la question posée ainsi rappellent le désordre.

M. de Lally-Tollendal veut encore parler, et l'on accuse M. le président de l'avoir fait prier par un huissier de monter dans la tribune.

Un autre membre le somme de lui déclarer s'il n'est pas las de fatiguer l'Assemblée.

 M. le Président est offensé ; il rompt l'Assemblée, la convoque en bureaux pour nommer un autre président, et se retire.

L'Assemblée reste immobile pendant quelque temps : ensuite on demande un président. D'abord on jette les yeux sur M. le duc de Liancourt. Il monte à la tribune, et dit que c'est à M. Clermont-Tonnerre à accepter, comme dernier président.

M. de Clermont-Tonnerre monte à la tribune, il défend M. le président ; il dit qu'il a été trop offensé, et qu'il n'est pas permis à un individu de le sommer de déclarer s'il n'est pas las de fatiguer l'Assemblée ; que le sentiment de la sensibilité est plus ancien que toutes les constitutions, et que ce sentiment est si puissant sur des Français qu'il les a fait vivre si longtemps sans constitution.

Enfin il prie de regarder l'Assemblée comme rompue, ou qu'il ne montera au bureau que pour offrir une nouvelle démission.

L'Assemblée applaudit à M. de Clermont.

Il prend la place de président, lève, la séance, et l'indique à ce soir sept heures et demie.

Stanislas de Clermont-Tonnerre

L'Assemblée refuse de recevoir la démission du Président, lors de la séance du 9 septembre 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4959_t2_0605_0000_4

M. de Clermont-Tonnerre, ancien président, a ouvert la séance par la lecture d'une lettre de M. de La Luzerne, évêque, duc de Langres, président actuel, qui l'engage à renouveler à l'Assemblée l'offre de sa démission, et à la supplier de l'accepter.

Il a proposé à l'Assemblée de ne point accepter cette démission, et d'engager M. le président à continuer ses fonctions. Cette proposition ayant été adoptée, l'Assemblée a chargé M.de Clermont-Tonnerre d'annoncer à M. le président qu'elle n'accepte pas sa démission, et qu'elle l'engage à continuer les fonctions qu'elle lui a confiées ; et cependant, jusqu'à ce qu'il les ait reprises, elle a invité M. de Clermont-Tonnerre à le remplacer.

Nota : Monsieur de la Luzerne, évêque et Duc de Langres ne siégea que quelques jours et quitta définitivement l'Assemblée nationale constituante après les journées des 5 et 6 octobre 1789. Plus tard, il émigra.


On en parle dans la presse !

Le Courrier de Versailles

    Puisque le Courrier de Versailles a été évoqué plus haut, je vous propose de lire le rendu de cet incident dans le numéro du 10 septembre dudit journal, en cliquant sur l'image ci-dessous :

Extrait du numéro du 10 sept 1789
du Courrier de Versailles.

Le Journal de Paris.

    Le numéro 255 du 12 septembre 1789 relate le débat qui eut lieu lors de la séance du 9 septembre au matin, à propos de la question relative au nombre de chambres. (Cliquez sur les images)

  


Post Scriptum : J'espère que vous n'aurez pas été choqués par cet écart de langage. 😉

Vous risquez d'être plus choqués par le second article concernant cette journée du 9 septembre 1789 !


Bertrand Tièche


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Bien cordialement
Bertrand