lundi 10 août 2020

10 Août 1789 : Décret pour le rétablissement de la sécurité publique et serment des armées.

La nouvelle de l’abolition des privilèges n’étant pas encore parvenue dans tous les recoins du royaume, ou alors ses bienheureux destinataires n’ayant pas tous été vraiment convaincus, de sérieux troubles continuent d’éclater çà et là, qui inquiètent grandement les députés de l’Assemblée nationale, et ce, d’autant plus que certains possèdent de jolis château qu’ils ne voudraient pas voir partir en fumée.

    Il y a donc urgence à rétablir l’ordre ! Raison pour laquelle le décret sur le rétablissement de la tranquillité publique est à l’ordre du jour de cette séance de l’assemblée nationale.

« Monsieur Target en donne lecture au nom du comité de rédaction.

M. Dupont juge convenable qu'on établisse une formule pour avertir le peuple qu'on agira contre ceux qui fomenteront et participeront à des mouvements séditieux comme contre les rebelles. Il cite le bill de mutiny publié en pareil cas en Angleterre, et il réclame l'exécution de formes semblables dans la proclamation proposée.

M. le duc du Châtelet appuie cette proposition ; il ajoute qu'elle produit en Angleterre les effets les plus prompts pour dissiper les attroupements, puisqu'après la promulgation de cette loi cinq personnes trouvées ensemble sont arrêtées et condamnées à mort.

Un Marquis explique que dans diverses provinces, le peuple, non content de brûler les chartriers des seigneurs, porte ses excès jusque sur les personnes. Il propose donc d'ajouter à la proclamation que tous les habitants d'une paroisse répondront des incendies, à moins qu'ils ne prouvent que ces désordres ont été commis par des étrangers. »

    J’espère que vous aurez apprécié le contenu des 2 dernières mesures. Si cinq personnes se rassemblent, il faut les condamner à mort, et tous les habitants d’une paroisse répondront d’un incendie, à moins qu’ils ne fassent la preuve que celui-ci a été commis par des étrangers. Je vous laisse juges…

Procès-verbal ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4826_t2_0376_0000_7

    Ce projet de décret comprend également un serment que les soldats et leurs officiers devront prêter. Ce qui donne lieu à une discussion au sein de l’assemblée. Nous avons en effet pu constater lors des événements de juillet que les troupes n’étaient pas toutes fiables, ce qui d’ailleurs, avait plutôt bien arrangé les députés de ladite assemblée. Mais voici qu’à présent ceux-ci craignent qu’elles ne deviennent dangereuses.

    Un intervenant dont le nom ne figure pas au procès-verbal, a me semble-t-il, une position intelligente et surtout très critique concernant ce serment. Écoutons-le :

"Je trouve deux inconvénients à la formule du serment proposé. Le premier, que le serment devait se prêter devant Je corps entier. Le second, qu'en ajoutant : sur la réquisition des municipalités, il faut distinguer celles qui ne sont pas électives, parce que celles qui ne le sont pas sont dans la dépendance du Roi.

Quelle que soit la formule du serment que l'on fasse faire aux troupes, ce serment ne doit et ne peut jamais engager ni lier le soldat au point de le faire agir contre les devoirs de l'homme et du citoyen. Trop longtemps on a regardé le soldat comme un automate fait pour suivre simplement l'impulsion qu'on lui donne. Dans le siècle de la philosophie, dans ce siècle de lumières, où tous les devoirs de l'humanité sont connus, le soldat doit être regardé comme un homme et comme citoyen.

Où en serions-nous, grand Dieu ! Si les gardes-françaises n'eussent pas eu assez de raison, assez de philosophie, pour préférer les devoirs sacrés de l'homme et du citoyen aux lois rigides du code militaire ? Ils eussent fait main-basse sur leurs concitoyens ; Versailles et Paris eussent été inondés de sang ; la France serait aujourd'hui le théâtre d'une guerre civile d'autant plus funeste, que le despotisme aurait voulu écraser et faire trembler des êtres qui tous voulaient recouvrer leurs premiers droits, les droits imprescriptibles de la liberté.

Pourquoi donc aujourd'hui vouloir encore lier le soldat citoyen par une formule de serment qui aurait entraîné les plus grands malheurs si le soldat s'y était conformé ? Et pourquoi croire lier l'officier par une formule de serment qu'il saura, quand il lui plaira, faire plier devant ses intérêts et son ambition ? On peut conclure, et non sans raison, qu'un serment, n'importe la forme sous laquelle on le fait prêter, est absolument inutile. Peut-on croire en effet que l'homme méchant, que l'homme traître, se fera un scrupule de fausser son serment ? Ces être-là, pour qui le crime a des attraits, et qui sont prêts à sacrifier le sacré et le profane à leurs intérêts particuliers, à leur passion dominante, ne seront jamais arrêtés par un serment ; au contraire, violer leur parole, trahir leur conscience, est une aiguillon de plus pour les porter à faire le mal.

L'homme vertueux, n'importe l'état qu'il professe dans la société, se gardera bien de dépasser le but marqué par les premiers devoirs, les premiers droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, quelque tournure que l'on donne à la formule du serment qu'on lui fera prêter, son cœur lui dira toujours, lui criera sans cesse qu'il doit rester immobile, et ne point écouter la voix impérieuse d'un scélérat qui lui commande le crime.

Le maréchal de Broglie, ce général qui a pour jamais souillé et terni les lauriers qu'il avait cueillis à la retraite de Prague, est un exemple frappant de ce que j'avance,

Trop sensé pour avoir accepté le commandement du dernier camp sans pénétrer les raisons de la cour, il est chargé et sera toujours chargé, aux yeux des générations présentes ; et futures, de l'exécution de la conspiration infernale formée contre la patrie.

Ce coupable général, pour sonder les dispositions de ses soldats leur rappela leur serment ; n'avez-vous pas juré, leur dit-il, fidélité au Roi ? Je compte sur votre parole. « Nous la tiendrons, répondirent les troupes ; mais sachez qu'en promettant fidélité au Roi, jamais nous n'avons entendu nous engager à nous souiller du sang de nos frères. »

Une connaissance des droits et des devoirs de l'homme, mise à la portée de tous les citoyens, bien sentie d'un chacun, vaudrait infiniment mieux que toutes les tournures et formules de serment.

L'une, en quelque façon, préviendrait le crime, en apprenant à l'homme jusqu'où il peut aller et où il doit s'arrêter. Les autres ne sont que des précautions inutiles contre l'homme subalterne, accoutumé au crime, auquel il se livre d'autant plus volontiers, qu'il voit un des chefs lui en donner l'exemple."

    Monsieur Barnave écartera cet avis raisonnable en rétorquant que la proclamation proposée n'est point une loi générale, mais un décret provisoire relatif aux circonstances. Selon lui, le serment des troupes est indispensable dans un moment où tous les liens de la subordination paraissent rompus, où les troupes elles-mêmes pourraient devenir dangereuses. L'arrêté proposé confie la force aux personnes qui ont joui de plus de confiance, en la conférant aux tribunaux et aux municipalités.

    Ce décret dont vous trouverez le texte en son entier par le lien ci-dessous, sera bien sûr voté.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4827_t2_0378_0000_3

    Les députés espèrent que le peuple sera tenu en respect par la publication de ce décret. Nous verrons par la suite qu’ils rencontreront bientôt un problème de taille avec l’armée, quand l’autorité du roi commencera à poser question.

    En effet, c’était la noblesse qui contrôlait totalement l’armée, depuis la mise en application de l’Édit de Ségur (du nom du secrétaire d'État de la Guerre Philippe Henri de Ségur), du 22 mai 1781, qui avait fermé l’accès aux carrières d'officiers aux roturiers (non-nobles). Il fallait prouver quatre degrés de noblesse ou d’être officiers de fortune ou fils d’officiers titulaires de la croix de Saint-Louis pour pouvoir postuler un poste d’officier. Les historiens désignent cela sous le nom de « réaction nobiliaire », une sorte de reprise du pouvoir accaparé par le roi depuis Louis XIV.

    Une ordonnance du 17 mars 1788 avait encore davantage fermé l’armée.

    Le cours de la révolution changeant peu à peu de direction, beaucoup d’officiers nobles feront défection, allant jusqu'à quitter le pays pour constituer une armée contre révolutionnaire.

    Nous en reparlerons le temps venu. D’ici là, si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire ce document traitant de ladite réaction nobiliaire :

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1974_num_29_1_293452

    L'image ci-dessous provient du site de Romans-sur-Isère, où le serment fut prêté le 15 novembre 1789...




 

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Bertrand