![]() |
Deux révolutions !
Il y a bien deux révolutions simultanées. Il y a celle fomentée par la bourgeoisie qui semble avoir été quelque peu préparée, plutôt qu’improvisée. Comment ne pas avoir cette impression lorsque l’on voit des fusils distribués au peuple durant les journées chaudes de juillet ? Comme l’écrira plus tard Antoine Barnave, dans son livre écrit en prison en 1793 "De la Révolution et de la Constitution", qui paraîtra en 1843 sous le titre Introduction à la Révolution française :« Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des pouvoirs ».
C’est bien de cela qu’il s’agit ; Une nouvelle classe sociale, riche, industrieuse et instruite, s’empare d’un pouvoir possédé par une classe sociale obsolète et décadente, la noblesse. La bourgeoisie, cette partie aisée du tiers-état (plus de 10%) ne souhaite rien de plus qu’instaurée une monarchie parlementaire "à l’Anglaise". Elle parlera de Liberté et d’égalité, mais elle prendra bien soin dans la constitution qu’elle rédigera, de conserver l’esclavage (qui a enrichi une partie de celle-ci) et d’écarter du droit de vote, les citoyens de revenus modestes et bien sûr les Femmes...
Nous n'assistons seulement as à une simple révolution de palais se jouant entre Versailles et Paris. Partout en France se déroule une révolution dite "municipale". Le 14 juillet au Havre, des "patriotes" en armes ont arrêté un convoi de grains pour Paris ; le 15 juillet, à Dijon, le gouverneur est arrêté. Partout la bourgeoisie patriote s’organise en comités locaux qui prennent le pouvoir, soit pacifiquement comme à Nantes, soit violemment comme à Rouen. Parfois les nouvelles autorités bourgeoises fusionnent avec les anciennes, comme à Lille ou Orléans.
Mais à coté de cette révolution en perruques et dentelles, il y a la révolution du peuple en haillons. Celle-ci couve depuis longtemps. Il suffit pour s’en assurer de compter le nombre de révoltes qui ont émaillé cette fin du 18ème siècle : 1775, guerre des farines - 1785, révolte des maçons - 1786, révolte des canuts ; ainsi que le nombre d’émeutes : plus de 900 émeutes frumentaires en France entre 1786 et l’été 1789, dont 300 depuis le début de l’année 1789 !
![]() |
"Grande peur et Révolution municipale" Carte extraite de l'indispensable "Atlas de la Révolution française" |
Ces deux révolutions ne cesseront pas de se côtoyer et même de se combattre durant les années à venir. Progressivement le peuple va prendre conscience de sa force et une partie de celui-ci va même s’éduquer politiquement, au travers de clubs et de sociétés politiques. Viendra même un jour où il prendra conscience de la totale inutilité du roi…
![]() |
"Je me suis ruiné pour le gaver" Estampe de 1793. |
Les révolutionnaires au pouvoir s’efforceront souvent de canaliser voir réprimer la violence révolutionnaire du peuple. Un peuple souvent assoiffé de vengeance qui demandera toujours plus de têtes. Danton dira même en mars 1793 : "Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être". Mais ce n’est pas la Révolution qui a fabriqué ce peuple violent. Comme l’écrira si bien Babeuf, suite au drame du 22 juillet :
![]() |
Babeuf |
Retour à l’ordre (nouvel ordre)
![]() |
Guillaume Anne Salomon de la Saugerie |
Je vous propose ci-dessous la retranscription de sa présentation, ainsi que celle du débat qui va s’en suivre. Un député va même évoquer "La guerre des pauvres contre les riches" !
Rapport de M. Salomon au nom du comité des rapports, concernant les moyens de remédier aux refus de paiement des impôts, lors de la séance du 3 août 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4783_t2_0336_0000₃
M. Salomon, au nom du comité des rapports, donne quelques détails de ses premiers travaux.
Par des lettres de toutes les provinces, il paraît que les propriétés, de quelque nature qu'elles soient, sont la proie du plus coupable brigandage ; de tous les côtés les châteaux sont brûlés, les couvents sont détruits, les fermes abandonnées au pillage. Les impôts, les redevances seigneuriales, tout est détruit ; les lois sont sans force, les magistrats sans autorité, la justice n'est plus qu'un fantôme qu'on cherche inutilement dans les tribunaux.
Pour remédier à de tels désordres, le comité des rapports propose l'arrêté suivant :
« L'Assemblée nationale, informée que le payement des rentes, dîmes, impôts, cens, redevances seigneuriales, est obstinément refusé ; que les habitants des paroisses se réunissent et témoignent dans des actes l'engagement de ces refus, et que ceux qui ne veulent pas s'y soumettre sont exposés aux menaces les plus effrayantes, et éprouvent de mauvais traitements ; que des gens armés se rendent coupables de violence, qu'ils entrent dans les châteaux, se saisissent des papiers et de tous les titres, et les brûlent dans les cours ;
« Déclare qu'occupée sans relâche de tout ce qui concerne la constitution et la régénération de l'Etat, elle ne peut, quelque pressants que soient les objets particuliers qui lui sont soumis, détourner ses regards de celui auquel elle est fixée, et suspendre ses travaux dont toute l'importance exige la continuité ;
" Déclare qu'aucune raison ne peut légitimer les suspensions de payement d'impôts et de toute autre redevance, jusqu'à ce qu'elle ait prononcé sur ces différents droits ; déclare qu'aucun prétexte ne peut dispenser de les payer ; qu'elle voit avec douleur les troubles que ces refus occasionnent, et qu'ils sont essentiellement contraires aux principes du droit public que l'Assemblée ne cessera de maintenir. »
La discussion s'ouvre sur ce projet. Il s'élève plusieurs opinions très-opposées. Quelques-uns sont d'avis qu'il n'y a lieu à délibérer, attendu que l'Assemblée n'a pas de preuves légales des désordres qu'on lui annonce, et contre lesquels on lui propose de statuer.
Discussion suite au rapport de M. Salomon concernant les moyens de remédier aux refus de paiements des impôts, lors de la séance du 3 aout 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4783_t2_0336_0000₄
M. Mougins de Roquefort. Je combats cette opinion. L'Assemblée est la sauvegarde de la société ; il suffirait que la tranquillité publique fût seulement menacée, pour qu'elle soit autorisée à prendre toutes les mesures propres à la maintenir.
La notoriété des faits constatés par les lettres des personnes publiques donne des preuves incontestables des troubles qui agitent les provinces et ces preuves ainsi acquises suffisent pour exiger de l'Assemblée un acte d'invitation et de prévoyance, tel que l'arrêté proposé par le comité.
M. l'abbé Grégoire énonce le vœu des curés de son bailliage ; il fait le tableau des persécutions inouies qu'on vient d'exercer en Alsace envers les juifs ; il dit que, comme ministre d'une religion qui regarde tous les hommes comme frères, il doit réclamer dans cette circonstance l'intervention du pouvoir de l'Assemblée en faveur de ce peuple proscrit et malheureux.
M. de Raze observe que la féodalité est une matière délicate, et de toutes les questions la plus importante pour les habitants de la campagne. Il pense qu'il serait dangereux de rien promulguer sur ce point jusqu'après l'achèvement de la constitution.
Quelques membres appuient cette observation. Un député de la noblesse ajoute que l'Assemblée ayant déjà fait une déclaration pour inviter le peuple à la paix, il convient d'en faire une autre pour remettre les anciennes lois en vigueur.
Un membre observe qu'il importe de s'assurer de la vérité des faits.
Le rapporteur répond que les lettres sont bien positives.
Quelques-uns demandent des procès-verbaux ; il n'y en a point.
M. Desmeuniers. J'observe que les faits n'étant point constatés, il ne convient pas à l'Assemblée de faire une déclaration sur des objets douteux ; elle doit être très-circonspecte sur le choix des preuves ; dans les tribunaux, les lettres, les certificats sont rejetés, et une Assemblée aussi solennelle, aussi auguste, ne doit pas montrer moins de scrupule.
M. Robespierre. Je réponds à cette dernière objection, que le pouvoir exécutif, pour prononcer des jugements, a besoin d'une certitude non équivoque ; mais qu'il suffit au pouvoir législatif d'être assuré des faits officiellement ; au surplus, les lettres envoyées au comité des rapports sont suffisantes, puisqu'elles sont émanées de personnes en place, des corps de magistrature, etc.
M. le Président prend la parole, et réduit la question à deux propositions :
1° Adoptera-t-on le plan d'une déclaration ?
2° Adoptera-t-on celle présentée par le comité des rapports, ou la renverra-t-on au comité de rédaction ?
Plusieurs membres interrompent M. le président, l'interrogent, lui reprochent de s'écarter du règlement, qui ordonne que toutes les motions ne seront mises en délibération que le lendemain.
M. Chapelier, avec la plus grande modération, répond à chacun sur le règlement. Il dit qu'il faut distinguer les motions relatives aux impôts, aux finances et à la législation ; que ces seules motions sont celles qui ne doivent être mises en délibération que le lendemain ; qu'au surplus, il demande la volonté de l'Assemblée, pour décider si on mettra sur-le-champ la matière en délibération.
La très-grande majorité vote pour que l'on délibère sur-le-champ.
Malgré ce jugement, les réclamations recommencent, mais peu à peu l'ordre se rétablit, et la discussion continue.
M. Duport propose de renvoyer au bureau. Cette opinion n'a aucun succès.
Plusieurs membres prétendent qu'il ne faut pas de déclaration, les autres que celle présentée par le comité des rapports n'est pas convenable.
M;***. Il ne faut pas appeler droits légitimes des droits injustes, et pour la plupart fondés sur la force et la violence. Il ne faut pas parler des droits féodaux ; les habitants des campagnes en attendent la suppression, la demandent dans les cahiers, et ce serait les irriter que de faire une pareille déclaration.
Un député breton réclame l'exécution de ses cahiers, qui portent que les seigneurs ne pourront forcer leurs censitaires à aucunes déclarations censuelles.
M. le Président observe que cette motion est étrangère à celle que l'on agite.
Un membre propose un arrêté, en disant qu'il faut se hâter de remédier aux maux actuels ; que bientôt la France sera dans le plus grand désordre ; que c'est la guerre des pauvres contre les riches ; et que si l'on n'apporte aucun remède à la suspension du payement des impôts , le déficit sera de plus de 200 millions ; que M. le contrôleur général se plaint du vide de ses caisses. Il lit le projet suivant :
« L'Assemblée nationale, persistant dans son arrêté du 17 juin, ordonne que tous les impôts actuels seront perçus, comme par le passé, jusqu'à ce que l'Assemblée les ait remplacés par d'autres impôts plus justes et moins susceptibles d'inconvénients ; défense à qui que ce soit de s'opposer au payement des impôts, sous peine d'être poursuivi extraordinairement et puni selon la rigueur des ordonnances.
« Tous ceux qui attenteront à la liberté et la propriété de chaque individu seront poursuivis par le procureur du Roi ; enjoint à tous baillis, sénéchaux, prévôts de les poursuivre. »
Ce projet n'a pas de suite.
Après bien des discussions, des contradictions, on admet le plan de la déclaration, et l'on ren voie au comité de rédaction pour en proposer une.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand