La Liberté armée du spectre de la raison foudroie le fanatisme et l'ignorance. |
Destruction des symboles de l'oppression, illustration de la nuit du 4 août 1789 |
Ressentiment révolutionnaire
Du vandalisme, il y en eut, bien sûr, tant de ressentiment
s'était accumulé au fil des siècle de l'Ancien régime ! Mais comment aurait-on
pu inspirer le respect des monuments, des arts et des lettres à une population qui avait été
volontairement privée d'instruction ? L'Ancien régime récoltait ce qu'il avait
semé, comme l'écrivait Babeuf en juillet 1789 à propos de la violence :
Dès les débuts de la Révolution, des mesures furent prises pour lutter contre les dégradations. Le décret du 23 octobre 1790 confia
les monuments à la nation, celui du 3 mars 1791 « préserva de la fonte les
objets d’orfèvrerie », celui du 4 septembre 1792 proposa de dresser un
inventaire des richesses artistiques de la nation, celui du 24 octobre 1793
demanda de dénoncer « aux autorités constituées les provocateurs et les
auteurs des dilapidations et déprédations », celui du 25 juin 1794 énonça
que : « Tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts, aux heures
et jours qui seront fixés, communication des pièces qu’ils renferment ;
elle leur sera donnée sans frais et sans déplacement et avec les précautions
convenables de surveillance ».
Durant l'été 1793, des Conventionnels s'alarmèrent de
certains excès commis, ce qui provoqua la mise en œuvre de trois rapports de
l'abbé Grégoire dont celui du celui du 4 fructidor an II (31 août 1794).
"La grande peur" en juillet 1789 |
Vandalisme
C'est dans les Procès-Verbaux du Comité d’instruction
publique de la Convention nationale, plus précisément dans le rapport du 21
nivôse an II (10 janvier 1794) que l'abbé Grégoire recourut à ce néologisme qui
devait faire fortune : « Quant aux monuments actuels, la Convention
nationale a sagement ordonné la destruction de tout ce qui portait l’empreinte
du royalisme et de la féodalité... A ces mesures de sagesse, la Convention nationale
doit en joindre d’autres, pour assurer la conservation des inscriptions
antiques. L’on ne peut inspirer aux citoyens trop d’horreur pour ce vandalisme qui
ne connaît que la destruction... »
Le 26 mai 1794, Barère de Vieuzac exprima dans un discours l'opposition
entre les nations éclairées et les Vandales : « Les révolutions des
peuples barbares détruisent tous les monuments et la trace des arts semble
effacée. Les révolutions des peuples éclairés les conservent, les embellissent
et les regards féconds du législateur font renaître les arts qui deviennent
l’ornement de l’empire dont les bonnes lois font la véritable gloire »
La réalité de la bêtise
Dans son rapport sur la bibliographie, présenté le 22
germinal an II (11 avril 1794), l'abbé Grégoire condamna les ennemis de la
culture : « On voyait des sots calomnier le génie pour se consoler
d’en être dépourvu et avancer gravement sans distinction de talents utiles ou
nuisibles, qu’un savant est un fléau dans un Etat ».
Le 14 fructidor an II (31 août 1794), dans son exposé sur les destructions opérées, Grégoire attribua à Dumas, président du tribunal révolutionnaire le mot d’ordre : « Il faut guillotiner tous les hommes d’esprit » et dans son discours du 24 frimaire an II (14 décembre 1794), la réponse à Lavoisier sollicitant un sursis pour achever ses expériences : « Nous n’avons pas besoin de chimistes » ; selon d’autres récits, ce serait le juge Jean-Baptiste Coffinhal qui aurait répliqué : « La République n’a pas besoin de savants ».
Des imbéciles comme ces odieux personnages, sont bien sûr devenus pain béni pour les détracteurs de la Révolution.
L'esprit des Lumières
Marie-Joseph de Chénier |
Le 22 octobre 1793, le poète Marie-Joseph Chénier avait été applaudi lorsqu’il avait proclamé : « Il est impossible que les représentants du peuple ne soient pas convaincus que c’est aux livres que nous devons la Révolution Française ». Les initiateurs de la Révolution, devenus conventionnels, étaient en effet en grande majorité empreints de la philosophie des Lumières.
La Révolution ne devait pas devenir ce contre quoi elle luttait.
Elle combattait l'asservissement et l'obscurantisme. Raison pour laquelle il fallait
lutter contre le vandalisme sous toutes ses formes. C'est ce qu'elle s'efforça
de faire en votant des lois pour protéger monuments et bibliothèques et en créant
l'instruction publique. Car un esprit éclairé par l'instruction risque moins de
devenir un vandale.
Voici le lien pour accéder au livre :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62142605.langFR
Vous pouvez également le consulter dans la fenêtre à la fin de cet article.
Rendre justice au travail de la Convention
- L'enseignement primaire,
- L'enseignement secondaire et supérieur,
- Les écoles centrales,
- L'école normale,
- L'école des langues orientales,
- L’école polytechnique, (Fondée en 1794 par la Convention nationale sous le nom d'École centrale des travaux publics. Civile et gratuite sous la Révolution, elle devient militarisée et payante en 1804 par la volonté de Napoléon Ier.)
- Le muséum d’histoire naturelle,
- Le conservatoire des arts et métiers,
- Les écoles de droit,
- L'école de médecine,
- L'Institutions pour les sourds-muets et les aveugles,
- L’Institut,
- Le musée national des beaux-arts,
- Le musée des monuments français,
- Les bibliothèques,
- Les archives nationales,
- Le conservatoire de musique,
- Sans oublier tous les travaux scientifiques de la Convention !
- Le télégraphe,
- Les aérostats,
- Le bureau des longitudes,
- L’unité des poids et mesures (que le peuple demandait au roi depuis les états généraux de 1576 !),
- La mise en place de la propriété intellectuelle,
- Les pensions aux savants et aux gens de lettres (accordées selon les mérites et non par protection ou favoritisme).
C’est dans cette même période de guerre que les départements et les communes furent créés, que la citoyenneté fut accordée aux Juifs et que la liberté fut donnée aux esclaves ! (Robespierre préférait perdre les colonies, disait-il, plutôt que de renoncer à l’idée de donner la liberté aux noirs, alors que le despotique Napoléon se chargea bien vite de rétablir l’esclavage).
Le livre de Despois est écrit sans haine, dans le beau style du 19ème siècle, avec érudition et élégance. Mais je n’ai pu m’empêcher de songer avec amertume à toutes les ignominies que j’ai pu lire et entendre depuis des années sur la Révolution française, y compris au sein de l’école publique dont elle est la fille bien souvent ingrate.
Tandis que j’écrivais la première version de cet article en 2013, une énième niaiserie télévisée était diffusée sur une chaîne publique (les malheurs de la Pompadour). Les Français semblent avoir plus de tendresse pour les représentants d’une noblesse qui a maintenu durant des siècles leurs ancêtres dans la misère, l’ignorance et la servitude, qu’envers ceux qui se sont battus pour instaurer Liberté Egalité et Fraternité.
Peu de temps auparavant avait été rediffusé un "chef d’œuvre" de révisionnisme destiné à faire pleurer dans les chaumières sur le prétendu "génocide" vendéen ! Une plainte avait même été déposée au CSA à l’encontre de cette forgerie révisionniste, mais le CSA dans sa grande inculture avait répondu que tous les points de vue avaient le droit de s’exprimer. A quand un documentaire pour défendre avec compassion les points de vue de la milice et des collabos sous l’occupation ?
Il ne faut donc plus s’étonner si les Français en sont venus à confondre leurs ancêtres Sans-culottes (2807 condamnations à mort durant les 17 mois de la "Terreur") avec les Khmers rouges ! (3.000.000 de morts).
Pourquoi ne pas comparer les 17 mois de terreur révolutionnaire, avec la terreur de l'ancien régime, qui elle dura des siècles ?
Juste un exemple pour vous donner une idée :
- Le tribunal révolutionnaire de Paris a jugé et condamné à la peine capitale 2.627 personnes en 17 mois. (A noter que ledit tribunal a acquitté plus d'inculpés sur cette période qu'il n'en a condamné).
- Le massacre de la saint-Barthélémy ordonné par le roi Charles IX, a causé la mort de plus de 3.000 Protestants en une seule nuit !
On pourrait résumer ainsi : La terreur révolutionnaire est à jamais impardonnable car elle est issue du peuple. La terreur monarchique est normale, parfois même auréolée de gloire, quand elle n'est pas justifiée par des motifs divins !
Carte postale montrant au Tonkin la destruction des anciennes divinités remplaçées par la Vierge Marie... |
Voici les extraits choisis du livre de Dépois. (Qui a dit :"Enfin !")
DESTRUCTIONS DIVERSES.
Je ne prétends pas d'ailleurs qu'il n'y ait pas eu un moment où de nombreux actes de dévastation furent commis à Paris et ailleurs : ce fut lorsque le culte de la liaison fut inauguré, le 10 novembre, par la Commune, grâce aux efforts d'Hébert et de Chaumette. Mais on oublie que ce culte baroque ne dura que quelques jours ; que dès les premiers jours, quand l'évêque de Paris, Gobel, vint avec ses vicaires abjurer le catholicisme, un autre évêque, Grégoire, protesta et fut appuyé par Robespierre ; qu'à quelques jours de là, aux Jacobins, le 21 novembre, Robespierre renouvelait ses protestations contre ces farces ridicules, et déclarait que la volonté de la Convention était « de maintenir la liberté des cultes qu'elle avait proclamée, et, en même temps, de réprimer quiconque en abuserait pour troubler l'ordre public » ; et que, le 26 du même mois, des députations de communes apportant les dépouilles de leurs églises, et des ci-devant prêtres venant abjurer leur caractère ecclésiastique devant la Convention, Danton s'écria avec dégoût : « Si nous n'avons pas honoré le prêtre de l'erreur et du fanatisme, nous ne voulons pas plus honorer le prêtre de l'incrédulité ; nous voulons servir le peuple. Je demande qu'il n'y ait plus de mascarades anti-religieuses au sein de la Convention. » Et il proposait qu'on cessât de recevoir de pareilles députations. « La proposition de Danton, dit le Moniteur, est décrétée au milieu des applaudissements. » Inutile d'ajouter que les mascarades anti-religieuses cessèrent aussitôt dans Paris. Le Comité de salut public ne s'en tint pas là, et, pour prévenir le retour de tous ces scandales, qui dérangeaient d'ailleurs ses vues politiques, même à l'égard de l'étranger, Robespierre rédigea au nom de ce Comité un rapport et une « réponse au manifeste des rois coalisés contre la République ». Toutes ces dévastations étaient mises sur le compte de la contre-révolution, et attribuées, selon l'usage, « aux agents des puissances étrangères, qui détournaient notre attention des véritables dangers et des besoins pressants de la République pour la tourner tout entière vers les idées religieuses, osaient abuser du nom de la Convention pour justifier les extravagances réfléchies de l'aristocratie déguisée sous le manteau de la folie, et faisaient dénoncer la France à l'univers comme un peuple de fous et d'athées ». «Nos ennemis, ajoutait-il, se sont proposé un double but, en imprimant ce mouvement violent contre le culte catholique : le premier, de recruter la Vendée, d'aliéner les peuples de la nation française, et de se servir de la philosophie pour détruire la liberté ; le second, de troubler la tranquillité de l'intérieur, et de donner ainsi plus de force à la coalition de nos ennemis". Le lendemain, 6 décembre 1793 (16 frimaire an II), la Convention décrétait :
- Art. 1er. Toutes violences et mesures contraires à la liberté des cultes sont défendues.
- Art. 2. La surveillance des autorités constituées et l'action de la force publique se renfermeront à cet égard, chacune en ce qui les concerne, dans les mesures de police et de sûreté publique. »
Nul doute que ce mouvement passager n'ait été à Paris, centre de l'agitation révolutionnaire, plus violent que partout ailleurs. On voit pourtant qu'il y a été combattu dès le début par des voix que le parti populaire avait l'habitude de respecter. Le même mouvement a été, dans les départements, encore moins sérieux.
Il existe aux Archives un certain nombre de procès-verbaux des communes qui avaient institué chez elles le culte de la Raison, et qui ont soin de s'en vanter auprès du pouvoir central. Le petit nombre de ces adresses prouve que ce mouvement fut bien loin d'être général, comme on affecte de le croire, et l'on vient de voir qu'il fut aussi beaucoup plus court qu'on ne le suppose généralement.
Quant aux édifices religieux détruits pendant la Révolution, il est aisé d'en préciser le nombre pour Paris.
Ce travail a été fait par un écrivain très au fait de l'histoire de Paris comme de celle de la Révolution, M. Frédéric Lock, qui veut bien me le communiquer. C'est une statistique à laquelle il est malaisé de répondre.
Après avoir rappelé que l'Assemblée constituante avait ordonné la suppression d'un certain nombre de paroisses et des monastères (non la destruction des édifices, bien entendu), il a trouvé que 130 édifices religieux ont été détruits depuis 1790 jusqu'en 1861, savoir :
- 1 en 1791,
- 9 en 1792,
- 4 en 1793,
- Aucun en 1796,
- 3 en 1795,
- 9 en 1796,
- 18 en 1797,
- 8 en 1798,
- 5 en 1799,
- 26 de 1800 à 1814,
- 31 de 1814 à 1830,
- 11 de 1830 à 1848,
- 23 de 1848 à 1861.
(Quelques-uns ont été détruits depuis.)
De sorte que la part de l'ère conventionnelle dans cette œuvre de destruction est justement la moins forte de toutes !
Quand donc on a essayé d'intéresser contre la Convention le zèle de l'archéologie et le goût de l'architecture du moyen âge, on s'est totalement trompé. Tous les gouvernements, — je dis tous — depuis la Convention, sont plus criminels à cet égard, si crime il y a. Il faut en prendre son parti : les chiffres sont là.
Voilà pour les édifices religieux.
Malheureusement les sculptures sont plus faciles à anéantir que les monuments, et le simple plaisir de briser, le besoin de détruire, a eu naturellement plus de part que le fanatisme aux dévastations de cette époque comme de toutes les autres. Mais ce qu'il importe de constater ici, c'est le soin que mit la Convention à prévenir les actes de ce genre, la sévérité qu'elle déploya contre les auteurs de ces mutilations ; on peut même trouver dure la pénalité qu'elle établissait à cet égard, par son décret du 4 juin 1793 :
« La Convention nationale, ouï le rapport de son comité d'instruction publique, décrète la peine de deux ans de fers contre quiconque dégradera les monuments des arts dépendants des propriétés nationales » (1)
(1) Le rapport est encore de Lakanal. Le mot vandalisme s'y trouve, et c'est la première fois, ce me semble, qu'il fut employé pour flétrir des excès que la Révolution a réprimés plus sévèrement qu'aucun régime.
M. le marquis de Laborde écrit pourtant dans son ouvrage sur les Archives : « Un seul de ces Vandales, vertement fustigé sur la place de l'église qu'il avait déshonorée, aurait suffi pour arrêter cette sauvagerie. La Convention a continué à encourager la destruction, en prenant quelques mesures insignifiantes pour organiser administrativement ce saccage et en conserver les débris ».
C'est de cette façon, je ne me lasserai pas de le répéter, que s'écrit l'histoire de la Révolution. Deux ans de fers, quel encouragement !
Ce début de chapitre aurait pu s’intituler "Le parti des indifférents". Vous allez comprendre.
Le 5 octobre 1789, au moment où le peuple de Paris, Maillard en tête, se ruait à Versailles, Louis XVI se livrait à son plaisir favori, la chasse. Prévenu de ce qui se passait, il revint à Versailles ; mais le soir, comme c’était un prince fort méthodique et fort rigoureux observateur des petites habitudes dont il s’était fait un devoir, il eut soin d’écrire dans son journal : Tiré à la porte de Châtillon, tué quatre-vingt-une pièces. INTERROMPU PAR LES EVENEMENTS.Une grande partie de la population parisienne n’en eût pu dire autant. Rien ne vint interrompre ses habitudes frivoles, et, même après le 10 août, même après le 21 janvier, jusque dans les moments les plus sombres de la terreur, les théâtres, les lieux de plaisir, toujours remplis d’une foule empressée, semblaient témoigner que rien n’était changé en France : la frivolité de l’ancien régime avait survécu à ce régime même.L’Almanach des Muses, l’Almanach des Grâces, paraissaient comme ci-devant, toujours bourrés de petits vers badins et pimpants. Ce dernier recueil nous donne, par exemple, la récolte des pièces galantes écloses pendant l’année 1793, et commence l’Annuaire des Grâces pour 1794 par le couplet suivant, où le contraste caractéristique du passé et du présent se marque même entre le titre de la chanson et l’indication de l’air.A la citoyenne *** (air de la Baronne).A la plus belleL’amour destine ce recueil.A ces ordres je suis fidèle,Et je la porte avec orgueilA la plus belle.De son côté, l’Almanach des Muses se croit obligé de joindre aux fadeurs obligées de ces sortes de recueils, soit la Marseillaise, soit l’Hymne à la Liberté, récité au lycée par le citoyen La Harpe.Mais malgré ces légers sacrifices aux graves préoccupations du moment, il n’en est pas moins vrai que le fond du recueil se compose du bagage ordinaire : madrigaux, épigramme, impromptus et autres délassements des temps les plus paisibles. Rien n’a pu effaroucher la muse légère ou la déterminer à changer de ton.Quant à la littérature dramatique, c’est de 1793 que date surtout le développement extraordinaire du vaudeville."Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie !"Qui donc alors s’abandonnait à cette joie égoïste et à cette indifférence, plus féroce peut-être en des temps si graves que les frénésies les plus extrêmes du fanatisme ?Hélas ! C’était au moins une notable partie de la population de Paris, puisque vingt théâtres ne suffisaient point à satisfaire la curiosité du public. Sans doute les pièces de circonstance abondaient alors, beaucoup moins pourtant qu’on ne semble le croire. Sur le théâtre du Vaudeville, par exemple, récemment ouvert, on ne compte pas moins de quarante pièces représentées pendant l’année 1793, et si j’en juge par les titres donnés dans l’Almanach des Spectacles pour 1794, je ne vois guère qu’une dizaine de pièces à intentions républicaines. Néanmoins, l’Almanach des Spectacles vante le caractère patriotique de ce théâtre et des pièces que l’on y joue. « C’est, ajoute-t-il, surtout depuis le Révolution que le Vaudeville a repris sa force et son véritable caractère. » Le répertoire des autres théâtres ne semble pas en général annoncer des préoccupations plus élevées.Ce singulier phénomène a frappé les contemporains. Saint-Just, qui a passé sa courte et sombre jeunesse à s’étonner de ne point vivre à Lacédémone, se demande la cause de cette assiduité aux théâtres les plus vulgaires, et il la trouve surtout dans les facilités accordées aux membres des sections et dans le grand nombre d’agents que le gouvernement centralisé à Paris était contraint d’y entretenir. « La Feuille villageoise et la Décade philosophique, dit M. Baron, donnent une explication en plusieurs points conforme à celle de Saint-Just. Elles y ajoutent les fortunes créées par l’agiotage sur les assignats et par les spéculations sur les biens nationaux. » Tout cela explique bien comment il se trouvait un public nombreux pouvant aller au théâtre, mais n’explique nullement ni l’intérêt léger qu’il y portait, ni le caractère frivole des pièces qu’on lui servait au milieu d’événements dont le tragique spectacle semblait de nature à absorber, non pas seulement les convictions sincères, mais la plus égoïste curiosité. Peut-être l’explication la plus simple de ce fait étrange est-elle dans l’invincible force des habitudes, et dans cette légèreté d’esprit dont tant d’épreuves diverses ont quelque peu corrigé notre race, sans la modifier autant qu’il le faudrait.Voltaire écrivait le 2 août 1761 : « Je m’imagine toujours, quand il arrive quelque grand désastre, que les Français seront sérieux pendant six semaines. Je n’ai pu encore me corriger de cette idée. » Voltaire eût pu ici faire un retour sur lui-même. Quelle que soit son incontestable et sérieuse persévérance que dissimulait en partie la légèreté de ses propos et quelquefois de sa conduite, lui-même était très Français en ce point, et c’est ce qui explique son influence énorme et sur ses contemporains et sur la France actuelle. Sa puissance a été surtout de rester une conviction sérieuse servie par des défauts qui sont les nôtres.On n’imagine point d’ailleurs combien, dans une nation habituée à demeurer étrangère aux événements publics, il restait de gens se tenant à l’écart, à l’heure même où les événements publics semblaient toucher à toutes les existences et intéresser par force les esprits les plus rebelles à toute préoccupation patriotique. En temps ordinaire, ce qu’on appelle l’opinion publique est toujours celle d’une minorité. C’est l’erreur incurable des esprits convaincus ou tout au moins absorbés par une préoccupation constante, d’attribuer à tout le monde les idées qui les intéressent, et de diviser leurs contemporains en trois ou quatre catégories, parmi lesquelles ils oublient toujours de compter la plus nombreuse, celle qui, à un moment donné, déjoue tous les calculs des politiques et fait pencher la balance dans un sens inattendu, je veux dire le parti des indifférents. Cette classe de gens, qui n’assiste parfois aux plus terribles événements que comme à un spectacle, et qui, même aux jours les plus navrants de 1814 et 1815 n’a guère vu qu’un défilé d’uniformes inaccoutumés, était sans doute moins nombreuse en 1793 qu’à toute autre époque : elle n’en existait pas moins. Elle devait triompher plus tard, au temps du Directoire : mais, en attendant, elle subsistait en dehors du grand courant qui semblait emporter la société toute entière. Le mouvement des grands fleuves d’Amérique n’est sensible et violent qu’à leur centre ; mais le long de leurs rives indécises ils laissent, à moitié cachés sous une végétation abondante et parée de fleurs, d’inertes marécages et des étangs immobiles, au milieu desquels l’énorme masse passe sans remuer.
Par la fenêtre ci-dessous, vous pouvez découvrir "Le Vandalisme Révolutionnaire".
"Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop important, trop mêlé aux intérêts de l’humanité, et d’une influence trop vaste sur toutes les parties du monde pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l’occasion de certaines circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre.""Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français."
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Bien cordialement
Bertrand