vendredi 24 avril 2020

24 Avril 1789 : Émeute de la faim à Orléans racontée par Jeanne-Victoire Dellezigne, apprentie et ouvrière.

 Article publié le 24/04/2025. L'insertion d'images générées par IA constitue un test.

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    Elle s’appelait Jeanne-Victoire Dellezine. C’était une femme du peuple, une ouvrière. Le 22 avril 1789, elle commença un journal qu’elle tient jusqu’au 15 avril 1797, journal qui est conservé aux archives du département du Loiret. Le style est maladroit et l’orthographe souvent fantaisiste comme c’est souvent le cas à l’époque (y compris chez les plus éduqués), mais ce document est précieux, car bien peu de gens de sa modeste condition ont laissé de tels témoignages de l’époque révolutionnaire.

    Son journal est conservé aux archives du département du Loiret, qui en publie quelques extraits en ligne. Vous pouvez y accéder en cliquant sur l'image ci-dessous :

 

Contexte historique.

    La notice présentant le document ne semble pas s’étonner du fait qu’une femme d’une condition si modeste puisse laisser un tel témoignage. C’est pourtant assez exceptionnel. Même si Orléans se trouve dans l’une des quelques régions de France où un plus grand nombre de gens savaient lire et un peu écrire (85 % de la population était analphabète sous l’Ancien régime), la plupart des témoignages que l’on a conservé viennent plutôt de bourgeois (majoritairement masculins).

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    La notice précise où elle habitait, au 41 rue du Tabour, non loin des lieux évoqués dans l'extrait (place du Martroy, rue du Bœuf-Saint-Paterne…), mais pas où elle travaillait. Orléans était en effet une ville ouvrière en 1789. Le Duc d’Orléans, cousin du roi Louis XVI, y avait créé en 1787 une importante usine de filature qui avait employé jusqu’à 800 personnes. A noter qu’en 1790, sur 400 ouvriers qui y travaillaient 45 % étaient des enfants de 5 à 16 ans. On imagine mal ces ouvriers travaillant 12h par jour, avoir le loisir de tenir un journal. Jeanne Victoire était peut-être uen apprentie ouvrière chez un petit artisan ?

    Lire cet article sur les réalisations industrielles du Duc D’Orléans : "Capitaine d'industrie, le Duc d'Orléans achète aux frères Milne les droits sur leurs machines."

Plan de la ville d'Orléans en 1705
La Grand Rue deviendra la rue du Tabourg (tambour)
Un second pont sera construit sera construit entre 1748 et 1763.

Émeutes frumentaires.

    Cet extrait de son journal relate plusieurs journée d’émeutes frumentaires qui ont eu lieu du 24 au 28 avril à Orléans. Les émeutes frumentaires étaient des émeutes de la faim provoquées par le manque de grains et parfois même par la simple peur du manque. L’historien Hyppolite Taine a dénombré plus de 900 émeutes frumentaires en France entre 1786 et l’été 1789, dont 300 depuis le début de l’année 1789 ! Le pain manque en effet et quand il y en a, il est bien trop cher. En 1789, le repas quotidien d’un ouvrier parisien étant composé d’une miche de pain de 4 livres (2 kg), qui ne coûtait plus 8 sols, comme en 1750, mais 14 sols. Pour se nourrir les 365 jours de l’année, l’ouvrier avait donc besoin de 5 110 sols. Son salaire étant de 20 sols par jour, en travaillant 207 jours, il gagnait 4 140 sols. Bien qu’il travaillât 25 jours de plus qu’en 1750, pour se nourrir chaque jour, il lui manquait 970 sols ! 

Émeute frumentaire
(Image généré par l'IA Gemini de Google)

    Ce manque de grain, cause de disettes et de révoltes fut un problème récurant de la fin du 18ème siècle, et le principal élément déclencheur de la Révolution française. Plusieurs problèmes en étaient la cause, de mauvaises conditions climatiques (hivers exceptionnellement rigoureux et orage dévastateur du 13 juillet 1788), mais aussi une agriculture aux rendement médiocres (En France on ne récoltait que 5 grains pour 1 semé, alors qu’en Angleterre on en récoltait 12 pour 1 semé) et une gestion politique et économique défaillante (alors qu’il fallait 15,25 livres pour acheter un quintal de blé en 1750, il en fallait 29 en 1789, soit une hausse de 90,2 %). A noter également que de 1700 à 1789, la population du royaume était passée de 21 à 28,6 millions d’habitants, soit une hausse de 36,2 % !

    Voici les 5 premières pages du journal, publiées sur le site des archives départementales du Loiret (La retranscription suit en-dessous.) 


    Retranscription proposée sur le site des archives départementales (quelque peu modernisée afin d’en faciliter la lecture).

"Journal Orléanois Commencé le vingt deux avril Mil sept cent quatre vingt neuf Année de tristesse de partout.

Quatre vingt huit (1788) a été bien triste et bien fâcheux.

Au mois de juillet, à cause d'un orage qu'il y a eu un dimanche au matin, cet orage était mêlé de grosse grêle qui a couché tous les blés

de plusieurs paroisses, impossible d'en retirer la paille.

Son hiver a été bien frais et bien neigeux car la rivière a été glacée toute entière pendant quelques jours…

Quatre vingt neuf (1789) a été aussi froid, la rivière a été aussi glacée mais bien plus forte(ment) car la glace avait quatre pieds (1m20 environ) de profondeur ; le dix-huit de janvier, la (débâcle) est venue par une grande crue qui a fait fendre la glace et l'a jetée sur le rivage qui a crevé les levées à plusieurs endroits et a inondé plusieurs bourgs et villages, surtout Saint-Denis-en-Val, Mareau, Olivet, Saint-Mesmin qui y avait tout perdu leurs biens sans pouvoir le retirer.

En attendant que le cours des eaux fut passé, plusieurs sont venus en ville avec leurs vaches et loger chez leur bourgeois et ceux qui n'en avaient pas allaient chez ceux de leur connaissance ou bien à l'Hôpital Général.

« Tournez la feuille sil vous plai »

Mademoiselle Bourdier qui était notre voisine est morte le vingt deux avril, âgée de 52 ans, a été enterrée le 23 du même mois et le pain valait 29 sous les 9 livres et pour ce sujet la révolte a commencé le vendredi à 4 heures du soir qui était le 24 avril par des charrettes que l'on a arrêtées sur le pont, chargées de blé dans des poches à charbon ; là dessus, toute la populace s'est révoltée en disant qu'il y avait du blé dans les greniers puisqu'il le faisait passer en contrebande dans des poches à charbon … et dans mille autres choses imaginables ; aussitôt que le lieutenant de Paultre a su ça, (il) a été au devant de cette troupe, leur a dit : « mes enfants, suivez-moi, je m'en vais vous montrer tous les greniers » ; aussitôt on (est allé) chez plusieurs marchands de blé qui n'ont pas refusé l'entrée de leur maison ni les clés de leur grenier pour en faire perquisition …

Ils ont été chez un nommé Rime, marchand de blé et de farine, la plus belle et la plus fine, qui a refusé de donner les clés et l'entrée de sa maison, en fermant ses portes et ses croisées, est venu paraître par une de ses croisées avec deux pistolets chargés qu'il tenait dans ses mains et les a tirés sur ceux qui lui demandaient l'entrée de sa maison ; sitôt que la populace a vu qu'il agissait de la sorte, on (a) commencé par forcer les croisées et on (est) entré malgré lui où ils ont brisé, cassé tous les meubles et détruit un si beau jardin ; après ils ont trouvé du blé et de la farine en quantité, plein des greniers jusqu'à la cave ainsi que bien d'autres marchandises qui étaient de l'eau-de-vie et du vin et les révoltés, voyant cette si grande abondance de biens, se mirent en colère et en rage de ce qu'ils jeûnaient pendant qu'il y avait tant de blé et de farine, burent l'eau-de-vie et du vin autant qu'ils en voulurent, les marchands de blé disaient qu'il n'y avait pas de blé pour (plus) de trois semaines pendant que chez ce Rime il y en avait pour plus d'un an.

Le lendemain qui était le samedi jour du marché, toutes les boutiques ont été fermées pour ce sujet et les révoltés ont mené le blé et la farine au Martroy (place principale d'Orléans) et pour descendre la farine des greniers ….

« Tournez la feuille et suivez toujour jus qua la fin »

Ils la jetaient par les croisées et en tombant sur les pavés, les poches se déchiraient et on foulait la farine au pied car la rue était semée de farine comme du sable, mais le Martroy était garni de blé et de farine comme on (ne) l'avait jamais vu, mais les révoltés emportaient en traînant la farine chez eux et en vendaient aux gens de (la) campagne 3 livres 4 francs la poche de farine ; mais voyant que les révoltés ne voulaient pas quitter la maison la maison du Sieur Rime (avant) qu'elle ne fut détruite et rasée toute entière, les Messieurs de villes (les magistrats municipaux) ont fait venir les cavaliers de la maréchaussée et leur ont commandé de tirer sur les révoltés s'ils ne voulaient pas finir mais ils ont tiré sur eux parce que ces gens qui avaient bu étaient acharnés davantage à cette maison ; on les a fait finir en s'emparant de la maison parce que les bourgeois ont pris les armes mais pour tâcher d'apaiser la révolte du samedi, on avait diminué (de) 7 sous (le prix) du pain de 9 livres, (ce qui faisait) 22 sous les 9 livres.

Mais (cela) n'avait servi de rien ; après on a ordonné que la farine qui avait été emportée fut rapportée sous peine de punition mais il y'en a qui l'ont rendue et d'autres qui l'ont perdue.

Le 26, on a pris plusieurs révoltés que l'on a mis en prison ; le 27 on a fait venir des dragons des cavaliers de la maréchaussée, le 28 du même mois on a fait venir 400 soldats du régiment royal Comtois qui était à Blois que nous avons logés jusqu'à nouvel ordre ainsi que plusieurs détachements d'autres régiments ; le 2 mai, on a fait mettre toutes les troupes armes chargées, le même jour on a mis une fille au carcan pour avoir encouragé les révoltés à aller chez les Chartreux pour en faire autant qu'à la maison du Sieur Rime et a été exposée trois jours de marché et le troisième jour a été fouettée et marquée.

Le même jour on a remis le pain à 28 sous 6 deniers... »

Source du document :
https://www.archives-loiret.fr/espace-pedagogique/notre-offre-pedagogique/activites-interdisciplinaires/epi-dire-la-revolution-le-journal-de-jeanne-victoire-dellezigne


mercredi 1 avril 2020

1er Avril 1789, le jour où Louis XVI a failli mourir en tombant d'une échelle !

 


    Il s'est bien sûr passé beaucoup d'autres choses ce jour-là, mais une information concernant Louis XVI attire plus l'attention, et quelle information ! Que serait-il arrivé si Louis XVI n'avait pas été retenu par un ouvrier maçon et qu'il était tombé de 18 mètres de hauteur, depuis l'échelle donnant accès aux combles qu'il voulait visiter ?

    J'ai trouvé cette information étonnante dans le "Journal d'un Bourgeois de Paris pendant la Révolution française", écrit par Hippolyte Monin, Docteur ès lettres et professeur au collège Rollin, publié en 1889 (stocké à la bibliothèque du collège d'Harvard et scanné par l'ami Google)

    Il s'agit d'un journal fictif, écrit près de 100 ans après les faits. Mais son auteur s'est inspiré de quelques vrais journaux rédigés par des bourgeois de 1789. Le but d'Hippolyte Monin, exposé dans sa préface, était de rendre vivante et familière une grande époque, d'en faciliter l'étude scientifique et approfondie, d'éveiller dans l'esprit la curiosité de l'histoire pure et des textes originaux.

Il apporte également les quelques précisions suivantes, à propos de son ouvrage :

"Je ne saurais garantir l'absolue vérité de toutes les anecdotes, de tous les faits divers qu'il renferme : autant de partis, en pareille matière, autant de versions. Mais le cadre même que j'ai choisi m'imposait, sous peine d'invraisemblance, un respect scrupuleux de l'histoire dans le récit des grands événements, dans l'exposé des discussions politiques les plus remarquables, enfin dans l'analyse plus délicate du développement successif des idées révolutionnaires. C'est pourquoi, sans multiplier outre mesure les annotations critiques et les références, je ne me suis pas cru dispensé de leur faire une certaine place."

    Néanmoins, si vous cliquez sur le lien de son nom, vous constaterez qu'il a écrit de nombreux ouvrages et que l'on peut le qualifier de spécialiste de la Révolution française. 

    Dans cette préface, rédigée en juin 1889, il explique avoir entendu dire, ces dernières années, que "1789 n'était plus à la mode", mais que la mode venait de tourner, raison pour laquelle il ajoute :

"Profitons-en bien vite, et tâchons que la mode dure : car c'est celle de l'honneur, des justes lois, de la liberté politique et de l'indépendance nationale."

 


Je vous invite à lire la page du journal concernant le 1er avril 1789 :

"Union parfaite des trois ordres du bailliage de Senlis : assaut de générosité, de désintéressement. « Le rochet, le manteau ducal, l'habit simple du laboureur et du bourgeois ne couvraient qu'une même espèce d'hommes : des Français ... Otez les titres des trois cahiers, et vous pourrez les attribuer à tel ou tel ordre indistinctement ... »

Voilà du moins ce qu'on lit dans la plus optimiste de nos gazettes (Lire plus bas) : mais nous sommes le 1er avril, les petits mensonges sont permis. De fait, le comte de Lameth a été couvert de huées à Senlis, sur la proposition qu'il a faite que le tiers jurât de respecter les prérogatives du clergé et de la noblesse. L'opinion publique l'emporte : les privilégiés jouent forcés.

M. Duval d'Épréménil , l'abbé Lecoigneux de Bélabre, M. de Sémonville ont échoué dans les bailliages mêmes où ils ont leurs fiefs. A Bordeaux, Mgr de Cicé se considérait comme président de droit : il a fallu le détrôner presque de force. A Beauvais, on dit qu'un meunier est entré dans la chambre de la noblesse ; il a demandé que lorsqu'un gentilhomme serait dégradé, on en fit quelque chose, parce que le tiers état se refusait à recueillir ce genre d'épaves.

Troubles et révoltes à Toulouse et Nancy, à cause de la cherté du pain : le détail des événements n'est connu que par des lettres particulières, dont l'administration s'efforce d'empêcher la publicité.

Le Roi a failli périr. Ayant voulu surveiller des travaux de réparations, il s'est aventuré jusqu'aux combles du château, sur une échelle mal assurée ; il a glissé, et il serait tombé de 60 pieds de hauteur (18 mètres) sans la présence d'esprit d'un ouvrier. Sa Majesté a donné sa bourse au brave homme qui lui avait sauvé la vie et, de plus, il lui accorde une pension viagère, mais à condition qu'il garde son état de maçon."

 

Dessin de Leonhard Baldner, 1666

Petits mensonges ?

 "Nous sommes le 1er avril, les petits mensonges sont permis", nous dit ce bourgeois imaginé par Hippolyte Monin. Mais vous remarquerez qu'il précise cela pour le fait rapporté par "la plus optimiste de nos gazettes", à savoir la préparation des états généraux dans le Baillage de Senlis et nullement pour l'événement royal faisant le titre de mon article !


Carte du Beauvaisis, où se situe le baillage de Senlis
Source BNF


La plus optimiste des gazettes !

    A n'en point douter, cette gazette optimiste est le Journal de Paris, dont j'ai retrouvé pour vous le numéro du 1er avril 1789 ! Il est consultable dans la fenêtre ci-dessous :



    Peut-être aurez-vous remarqué que ce journal donne la météo du temps qu'il a fait le 30 Mars et non du temps qu'il fera le 1er Avril ? Si vous voulez savoir le temps qu'il fit le 1er Avril 1789, il vous faut consulter le numéro du vendredi 3 Avril 1789 !

Météo du 1er Avril 1789


Conclusion

    Vous imaginez-vous quel tour étrange aurait plus prendre l'histoire de France si ce brave maçon n'avait pas empêché Louis XVI de chuter ? Dix-huit mètres de chute, c'est la mort assurée ! Une nouvelle régence ? Une Révolution sans roi ? Qui veut écrire une uchronie sur ce sujet ?


Post Scriptum :

    Il est dangereux de monter sur une échelle sans prendre quelques précautions. C'est ce que vous apprendrez en cliquant sur l'image ci-dessus, qui vous mènera sur le site où j'ai pris le dessin. Le site n'est pas sécurisé en https parce qu'il est vieux, mais il est sans danger. 😉



dimanche 15 mars 2020

Mars 1789 : Patience, les plumes du paon tomberont

Louis-Antoine de Gontaut, Duc de Biron

Une histoire de paon

    J'ai choisi ce magnifique tableau représentant le Duc de Biron sous la forme d'un paon, pour illustrer la petite histoire publiée dans La Gazette des gazettes de Mars 1789, que je vous rapporte ci-dessous. Elle est savoureuse...

"On cite le trait d'un paysan qui a arrangé, à s'en souvenir, un orgueilleux Haubereau. Le rustre était meunier ; il conduisait trois ânes, sur l'un desquels il faisait route. Le gentilhomme qui donnait la main à des Dames, leur a dit plaisamment : "Laissez passer Messieurs du Tiers Etat". Le paysan a répliqué :"Patience, les plumes du paon tomberont." Le noble a couru sur le vilain ; il avait l'épée nue ; il a voulu l'en frapper. Le jouvenceau, qui a de bons poings, a pu lui arracher son arme, la casser, le défigurer avec la poignée, et le laisser pour mort sur la place. Puis il s'est sauvé dans l'île de Jersey ; mais comme on lui donne raison, même parmi la noblesse, il est sans doute de retour à son moulin."

Source

La Gazette des gazettes, ou Journal Politique, (dite également "Journal de Bouillon"). 

    "La Gazette des gazettes" avait commencé de paraître en 1764. Elle était rédigée par un officier en retraite, Jacques Renéaume de la Tache, un homme recommandable par une diction aisée et le talent de l'analyse" (Ozeray, éd de 1827, p 247). Paraissant chaque quinzaine, elle traitait surtout de politique internationale et évoquait également la vie littéraire. Celle-ci connu un vif succès puisqu'elle eut de nombreux souscripteurs.

Souscription: 9 £ puis 12 £ par an à Bouillon (en Belgique), 14 puis 18 £ par an en France.

    Bouillon. Editeur: «directeur du bureau des ouvrages périodiques à Bouillon»; à Paris, Lutton, Rue Sainte-Anne, Butte Saint-Roch.

    Les armes de la ville de Bouillon, où vivait Jacque Renéaume de la Tache, figuraient en couverture de chaque numéro.


Portrait du Biron en paon

La page du Ministère de la Culture, sur laquelle j'ai trouvé ce portrait nous dit que celui-ci est pour le moins inhabituel.

"C’est qu’il s’agit d’une caricature, un portrait charge, qui vise à ridiculiser le personnage. Toutefois, s’il est impossible de connaître les raisons précises d’une telle représentation, on peut imaginer une commande de l’un de ses détracteurs au sein de la noblesse. Gontaut-Biron est en effet connu pour son fort caractère. Une anecdote veut qu’il ait renvoyé un noble anglais de chez lui en payant ses dettes, après que ce dernier l’eut offusqué en minimisant les forces navales françaises et en lui assurant qu’il pourrait fort bien les vaincre: « Partez, Monsieur. Allez essayer de remplir vos promesses; les Français ne veulent se prévaloir des obstacles qui vous empêchent de les accomplir. »

L’association au paon pourrait alors être une référence à son assurance, à sa superbe et à sa propension à pavaner; peut-être faut-il y voir un lien avec les Fables de La Fontaine, alors très populaires, et plus particulièrement au Geai paré des plumes du paon, où l’oiseau, après avoir emprunté le ramage d’un autre et paradé dans un rôle qui n’était pas le sien, est reconnu, ridiculisé par ceux auxquels il s’était mêlé et rejeté par les siens. Pour autant, cette œuvre est inédite par son iconographie et tout à fait surprenante pour son temps."

Source : Le Duc de Biron en paon - Carambolages : les secrets des œuvres

mardi 3 mars 2020

3 Mars 1789, le Cardinal de Bernis demande du blé au Pape.

 

François Joachim de Pierre de Bernis

Trente mille rubbio de grains

    Nous pouvons lire en page 54 du numéro de mai 1789 du journal La Gazette des Gazettes, l'entrefilet suivant :

"On est instruit aussi que le 3 mars dernier, le cardinal de Bernis demanda, au nom du roi, au Saint Père, l'extraction pour la Provence, de 30 mille rubbio de grains ; le rubbio équivaut à environ 500 de nos livres (1). Déjà l'on apprend de la Provence & du Languedoc qu'il est arrivé dans les ports de ces provinces plusieurs bâtiments chargés de ces grains ; on en attend encore de la Sardaigne d'où, à la demande du roi, Sa Majesté Sarde a permis d'en tirer une certaine quantité."

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f54.item

Accès à la Gazette des gazettes :


(1) Le rubbio était une unité de mesure en usage sur les terres pontificales. Le document suivant donne plus d'explications (page 281) :
 Olivier_Reguin_Anciennes_mesures_agraires 2021.pdf



Le pain !

    Le pain, encore le pain. Le pain sera l’un des personnages principaux de cette année 1789. Nous en reparlerons souvent, car en cette terrible 1789, le pain va briller par son absence ou sa rareté. Comment un pays aussi riche de terres cultivables, comme l’est la France, pouvait-il se retrouver en situation de pénurie de grains ? La France manquait-elle d’ailleurs vraiment de grains, ou bien ceux-ci étaient-ils stockés en attendant que les prix montent, ou alors exportés à l’étrangers ? Pourquoi se retrouvait-on à importer du grain d’Italie, de Sicile, ou même d’Algérie comme nous le verrons plus tard ? De nombreux articles traiteront de ce sujet.



Le cardinal de Rubis en quelques mots...

    Pour le moment, attardons-nous sur le cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis. Cet homme exceptionnel est un bel exemple du type de personnalités étonnantes qu’a pu produire l’Ancien régime. De Bernis était en effet un poète libertin, un homme politique, un ambassadeur, un Duc et un cardinal.

    Tout comme l’évêque d’Autun qui deviendra célèbre sous le nom de Talleyrand, le cardinal de Bernie était athée. Tout au moins le demeurera-t-il jusqu’à l’année 1789 qui s’avérera propice à sa révélation de la foi. L’athéisme, le théisme ou le scepticisme étaient courants à l’époque dans les hautes sphères du clergé constituée par la noblesse. La foi était plutôt l’apanage du miséreux bas clergé. De Bernis était entré dans les faveurs du Pape en s’opposant aux Jésuites qui lui avaient gâché sa jeunesse (je vous laisse deviner comment…). Il fera d’ailleurs une longue et brillante carrière de diplomate à Rome.

    Ce cardinal étonnant avait fait ses débuts en entrant dans les bonnes grâce d’Antoinette Poisson, plus connue sous le nom de Marquise de Pompadour et maitresse de Louis XV. C’est ainsi qu’il deviendra ambassadeur, puis ministre d’état, qu’il recevra le Cordon bleu des mains du roi à Paris et qu’il obtiendra l’abbaye de Saint-Médard de Soissons qui lui rapportera 30.000 livres de rente par an…

    De ses talents de poète, on retiendra que le facétieux Voltaire le surnommait « Babet la bouquetière », ou « Belle Babet », en référence au côté floral ou champêtre de ses vers et au nom d’une marchande de fleurs alors célèbre à Paris.

    Libertin, il le fut assurément, puisqu’il partagea avec Giacomo Casanova la même maitresse, une religieuse, familière du septième ciel…

    Des hagiographes nostalgiques de l’ancien régime s’extasieront du fait qu’il n’hésita pas, à la dernière heure, de choisir sa foi plutôt que les plaisirs mondains. Mais en quoi cela était-ce étonnant ? C’est le fonds de commerce du catholicisme depuis ses débuts ! Menez une vie de débauche et quand vous n’aurez plus la force de vos excès, repentez-vous sincèrement et devenez religieux, le paradis vous attend ! A l’instar d’Augustin d'Hippone, qui après une vie d’immoralité et d’excès, devint l’un des pères de l’église (Saint-Augustin) et inventa même le concept horrible du péché originel qui fait de vous un coupable dès la naissance ! Passons…

    Ne jugeons pas ce brave cardinal. Il était né dans la société malade de l’ancien régime. Il ne pouvait devenir autre que ce qu’il fut. Rendons lui grâce d’avoir intercédé auprès du souverain pontife afin d’obtenir du grain pour nourrir les Français.






lundi 27 janvier 2020

27 Janvier 1789 : Fonte des glaces et débâcles catastrophiques de la Seine, de la Loire et du Rhône.

Intrépidité d'un jeune homme de 20 ans, près d'Orléans
(Source Paris Musées)


L’hiver le plus terrible depuis plusieurs siècles

    L’hiver 1788-1789 a été terrible. La France a connu une vague de froid sans précédent et sans équivalent jusqu'à nos jours ! La vague de froid a commencé le mardi 25 novembre 1788 et s’est terminé le 17 janvier 1789. 

    Le 31 décembre 1788, on a relevé -21.8° à Paris et -31° à Mulhouse. Le mois de décembre 1788 a été, tous mois confondus, le mois le plus froid à Paris depuis des siècles et pour des siècles encore ! Dans les derniers jours de décembre 1788, le froid est devenu si fort que la mer elle-même a commencé à geler. Tous les ports de la Manche ont été bloqués, emprisonnant les navires dans une banquise que les marées rendaient chaotique sans parvenir à la disloquer. On traversait le port d'Ostende à pied, et même à cheval. Dans les campagnes, le sol a gelé jusqu'à 50 cm de profondeur et l'eau gelait aussi au plus profond des puits.

Photo de la Seine gelé à Paris en 1880

La débâcle

    Tous les fleuves et rivières ont été pris par les glaces. A Paris, la Seine a été recouverte de glace 56 jours de suite ! Quand les températures ont commencé de se radoucir, il y a eu alors ce que l’on appelle la débâcle, c’est-à-dire la rupture soudaine de la couche de glace dont les morceaux ont été emportés par le courant. 

    Les blocs de glaces étaient si gros par endroits qu’ils se sont amoncelés sur les ponts allant jusqu’à briser tout ou partie de certains. Ces barrages de glaces ont également fait déborder les fleuves, en particulier la Loire, causant ainsi la mort de milliers de victimes.

Débâcle de la rivière Saint François au Québec en 1989

Témoignage d’un avocat parisien

Dans son courrier en date du 27 Janvier 1789, adressé à son ami de Province, l’avocat parisien Adrien Joseph Colson écrit ceci :

(…) La débâcle de la Seine a commencé une heure après que la dernière lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire a été mise à la poste. Elle a écrasé, brisé et mis en pièce quantité de bateaux lesquels heureusement n’avaient pas de cargaison. La Marne qui se jette dans la Seine deux lieues au-dessus de Paris n’a débâclé que depuis et je n’ai pas ouï dire qu’elle ait causé des dommages. La nouvelle est arrivé ici ces jours-ci qu’à Orléans, la Loire, arrêtée par des glaçons d’une grandeur et d’une épaisseur énorme qui s’étaient amoncelés, a reflué et s’est élevée à une hauteur extraordinaire et presque jusqu’aux toits des maisons, dans un faubourg et aux environs de cette ville, qu’elle y a détruit beaucoup de maisons, qu’un grand nombre d’habitants qui s’étaient réfugiés sur les toits y ont passé trois jours sans aucune subsistance et que dans ce malheureux événement il est péri 500 et selon d’autres 2000 personnes.

Témoignage d’un curé de Berry

    Selon le curé de Menetou-Râtel, dans le Berry, le dégel de la Loire commença la semaine de l’Epiphanie, c’est-à-dire le 6 janvier 1789 et l’on vit sur la Loire « … des morceaux de glace larges comme deux boisselées de terre » - « … de la hauteur de 20 à 25 pieds ».

Source : http://www.archives18.fr/article.php?laref=132&titre=fiche-n-l-annee-1789-a-menetou-ratel-

Articles de presse

Journal de Paris n°24 du 24 Janvier 1789, page 111 : Débâcle et crue de la Loire le 19 Janvier à Orléans.

Journal de Paris, n°25 du 25 Janvier 1789, page 115 : Débâcle du Rhône le 14 Janvier à Lyon.

Journal de Paris n°31 du 31 janvier 1789, page 140 : Débâcle de la Loire des 25 et 26 Janvier à Tours (4 arches du pont effondrées le 26)

 

              


 

vendredi 24 janvier 2020

24 Janvier 1789 : Le roi fait joindre une carte de France à la convocation aux Etats Généraux

 

    Le roi a fait joindre cette carte à la convocation adressée aux délégués des trois ordres le 24 janvier 1789. C’est une bien étrange carte si l’on y regarde bien. La vidéo ci-dessous vous explique pourquoi, ainsi que le texte qui lui succède.

Source texte, image et vidéo : https://histoire-image.org/etudes/carte-france-1789



Contexte historique

Auteur : Cécile Souchon.

Une organisation administrative désuète

Événement oublié depuis 1614, la réunion des états généraux (organisée pour trouver de l’argent) est annoncée pour le 5 mai 1789 à Versailles. Le roi a fait joindre cette carte à la convocation adressée aux délégués des trois ordres le 24 janvier 1789. Sans utilité géographique, elle porte, sous des couleurs qui en facilitent la lecture, les subdivisions administratives du royaume, rassemblant dans le ressort des généralités familier aux sujets d’alors, les découpages désuets (bailliages, prévôtés) hérités du passé.

La carte de France de 1789

Cette carte gravée rapidement, de petites dimensions (23 cm x 18 dans un cadre orné de 29 cm x 24), est placée sous l’égide de la couronne et des fleurs de lis royales. Elle est construite dans un cadre gradué en degrés, sur le canevas des parallèles et des méridiens organisés relativement à celui de l’Observatoire de Paris, suivant les indications de l’Académie des sciences : on est au siècle des Lumières. Elle porte nombre de renseignements, mais pas toujours ceux que l’on attend d’une carte aujourd’hui : sur l’image elle-même, espace réduit, les seuls noms des généralités écrits en tous sens, les principales villes (dont Paris mais pas Versailles), aucune rivière, aucune route, des chaînes de montagnes, Pyrénées et Alpes, en taupinières ; hors carte, à droite, une publicité pour la grande carte administrative de France vendue 3 livres chez le même éditeur, l’échelle dans un cartouche (env. 1/6 000 000), la liste des villes administratives trop nombreuses des zones frontières du nord et de l’est, et à gauche, un portrait anonyme du ministre Jacques Necker en médaillon, souligné de quatre vers.

L’éditeur, Louis-Charles Desnos, tient deux boutiques (au Globe et à l’Image Saint-Séverin) rue Saint-Jacques, artère de Paris spécialisée dans le commerce des cartes et instruments scientifiques. Sa production connue (atlas historiques et ecclésiastiques, guides) montre son intérêt pour la géographie historique de la France.

Necker, l’homme providentiel

Les vers de Pierre Louis Moline (1740-1820) à l’éloge du financier Necker (1732-1804), Premier ministre qui a volé la vedette à Louis XVI, constituent une clé pour comprendre ce document. Leurs allusions à Colbert (grand administrateur, objet d’un Eloge de Necker couronné par l’Académie française en 1773 !),à Euclide (grand mathématicien grec réputé « éminemment utile pour la résolution des problèmes les plus compliqués »), à Minerve (déesse pleine de force, d’astuce et de sagesse) et Sully (grand ministre d’un roi admiré) constituent le programme même assigné aux états généraux par l’opinion publique inquiète : le royaume a besoin d’une bonne administration, d’une solution à ses problèmes, de force et de discernement ; Necker a droit à la reconnaissance de tous les députés du pays, lui qui a poussé à la réunion des états généraux ainsi qu’au doublement du nombre des délégués du tiers état. L’expérience avortée des assemblées provinciales créées en 1787 à son initiative, trop courte pour avoir dépassé l’inventaire des problèmes du royaume, est encore dans toutes les mémoires : Necker a de la suite dans les idées, et ses idées, filles de l’Intelligence, sont dans la suite de celles des plus grands administrateurs du pays.

 Auteur : Cécile Souchon.


24 Janvier 1789 : Réglement des États généraux fait par le roi

 

Louis XVI

    Ce 24janvier 1789, le roi Louis XVI adresse à tous les gouverneurs des provinces, une lettre accompagnée du règlement stipulant l’organisation des États généraux dont la tenue est prévue le lundi 27 avril 1789.

Je vous donne à lire ci-dessous, la lettre et le règlement :

Lettre du Roi du 24 janvier 1789 pour la convocation des États généraux à Versailles, 26 avril 1789 (adressée à tous les gouverneurs des provinces).

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1879_num_1_1_2947

DE PAR LE ROI.

Notre amé et féal, nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons, relativement à l'état de nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes 1rs parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre royaume. Ces grands motifs nous ont déterminé à convoquer l'assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour nous conseiller et. nous assister dans toutes les choses qui nous seront mises tous les yeux, que pour faire connaître les souhaits et les doléances de nos peuples : de manière que, par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l’État, et que les abus de tout genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique, et qui nous rendent à nous, particulièrement, le calme et la tranquillité dont nous sommes privé depuis si longtemps.

A ces causes, nous vous avertissons et signifions que notre volonté est de commencer à tenir les États libres et généraux de notre royaume, au lundi 27 avril prochain, en notre ville de Versailles, où nous entendons et désirons que se trouvent aucuns des plus notables personnages de chaque province, bailliage et sénéchaussée. Et pour cet effet vous mandons et très expressément enjoignons qu'incontinent, la présente reçue, vous ayez à convoquer et assembler en notre ville de dans le plus bref temps que faire se pourra tous ceux des trois États du bailliage (ou sénéchaussée de...) pour conférer et pour communiquer ensemble, tant des remontrances, plaintes et doléances, que des moyens et avis qu'ils auront à proposer en l'assemblée générale de nos dits États ; et ce fait, élire, choisir et nommer sans plus de chaque ordre, tous personnages dignes de cette grande marque de confiance, par leur intégrité et par le bon esprit dont ils seront animés : lesquelles convocations et élections seront faites dans les formes prescrites pour tout le royaume par le règlement annexé aux présentes lettres ; et seront lesdits députés munis d'instructions et pouvoirs généraux et suffisants pour proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’État, la réforme des abus, l'établissement d'un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l'administration, la prospérité générale de notre royaume, et le bien de tous et chacun de nos sujets : les assurant que de notre part ils trouveront toute volonté et affection pour maintenir et faire exécuter ce qui aura été concerté entre nous et lesdits États, soit relativement aux impôts qu'ils auront consentis, soit pour l'établissement d'une règle constante dans toutes les parties de l'administration et de l'ordre public ; leur promettant de demander et d'écouter favorablement leurs avis sur tout ce qui peut intéresser le bien de nos peuples, et de pourvoir sur les doléances et propositions qu'ils auront faites, de telle manière que notre royaume, et tous nos sujets en particulier, ressentent pour toujours les effets "salutaires qu'ils doivent se promettre d'une telle et si notable assemblée.

Donné à Versailles, le vingt-quatre janvier mil sept quatre-vingt-neuf.


Signé LOUIS,
et plus bas Laurent de VILLEDEUIL (Conseiller d'État)

 

    Le détail des états, instructions, ordonnances, arrêts et règlements relatifs à l’organisation des États généraux est accessible par ce lien :
https://www.persee.fr/issue/arcpa_0000-0000_1879_num_1_1?sectionId=arcpa_0000-0000_1879_num_1_1_2947

Carte des bailliages, sénéchaussées
et juridictions assimilées, en 1789.
Source : Wikipédia.

Règlement fait par le roi pour l'exécution des lettres de convocation du 24 janvier 1789

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8glement_des_%C3%89tats_g%C3%A9n%C3%A9raux_de_1789

Le roi, en adressant aux diverses provinces soumises à son obéissance des lettres de convocation pour les États généraux, a voulu que ses sujets fussent tous appelés à concourir aux élections des députés qui doivent former cette grande et solennelle assemblée ; Sa Majesté a désiré que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu'à elle ses vœux et ses réclamations ; Sa Majesté ne peut souvent atteindre que par son amour à cette partie de ses peuples que l’étendue de son royaume et l’appareil du trône semblent éloigner d’elle, et qui, hors de la portée de ses regards, se fie néanmoins à la protection de sa justice et aux soins prévoyants de sa bonté.

Sa Majesté a donc reconnu, avec une véritable satisfaction, qu’au moyen des assemblées graduelles ordonnées dans toute la France pour la représentation du tiers-état, elle aurait ainsi une sorte de communication avec tous les habitants du son royaume, et qu’elle se rapprocherait de leurs besoins et de leurs vœux d’une manière plus sûre et plus immédiate.

Sa Majesté a tâché de remplir encore cet objet particulier de son inquiétude, en appelant aux assemblées du clergé tous les bons et utiles pasteurs qui s’occupent de près et journellement de l’indigence et de l’assistance du peuple, et qui connaissent plus intimement ses maux et ses appréhensions. Le roi a pris soin néanmoins que dans aucun moment les paroisses ne fussent privées de la présence de leurs curés, ou d’un ecclésiastique capable de les remplacer ; et dans ce but Sa Majesté a permis aux curés qui n’ont point de vicaires de donner leur suffrage par procuration.

Le roi appelle au droit d’être élus pour députés de la noblesse tous les membres de cet ordre indistinctement, propriétaires ou non propriétaires : c’est par leurs qualités personnelles, c’est par les vertus dont ils sont comptables envers leurs ancêtres, qu’ils ont servi l’État dans tous les temps et qu’ils le serviront encore ; et le plus estimable d’entre eux sera toujours celui qui méritera le mieux de le représenter.

Le roi, en réglant l’ordre des convocations et la forme dus assemblées, a voulu suivre les anciens usages autant qu’il était possible. Sa Majesté, guidée par ce principe, a conservé, à tous les bailliages qui avaient député directement aux États généraux en 1614, un privilège consacré par le temps, pourvu du moins qu’ils n’eussent pas perdu les caractères auxquels cette distinction avait été accordée ; et Sa Majesté, afin d’établir une règle uniforme, a étendu la même prérogative au petit nombre de bailliages qui ont acquis des titres pareils depuis l’époque des derniers États généraux.

Il est résulté de cette disposition que de petits bailliages auront un nombre de députés supérieur à celui qui leur aurait appartenu dans une division exactement proportionnée à leur population ; mais Sa Majesté a diminué l’inconvénient de cette inégalité, eu assurant aux autres bailliages une députation relative à leur population et à leur importance ; et ces nouvelles combinaisons n’auront d’autre conséquence que d’augmenter un peu le nombre général des députés. Cependant le respect pour les anciens usages et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l’ensemble de l’organisation des prochains États généraux, et toutes les dispositions préalables, très difficiles et souvent imparfaites. Cet inconvénient n’eût pas existé si l’on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l’équité ; mais Sa Majesté a cru mieux répondre aux vœux de ses peuples, en réservant à l’assemblée des États généraux le soin de remédier aux inégalités qu’on n’a pu éviter, et de préparer pour l’avenir un système plus parfait.

Sa Majesté a pris toutes les précautions que son esprit de sagesse lui a inspirées, afin de prévenir les difficultés, et de fixer toutes les incertitudes ; elle attend, des différents officiers chargés de l’exécution de ses volontés, qu’ils veilleront assidûment au maintien si désirable de l’ordre et de l’harmonie ; elle attend surtout que la voix de la conscience sera seule écoutée dans le choix des députés aux États généraux.

Sa Majesté exhorte les électeurs à se rappeler que les hommes d’un esprit sage méritent la préférence, et que par un heureux accord de la morale et de la politique, il est rare que dans les affaires publiques et nationales les plus honnêtes gens ne soient aussi les plus habiles.

Sa Majesté est persuadée que la confiance due à une assemblée représentative de la nation entière empêchera qu’on ne donne aux députés aucune instruction propre à arrêter ou à troubler le cours des délibérations. Elle espère que tous ses sujets auront sans cesse devant les yeux, et comme présent à leurs sentiments, le bien inappréciable que les États généraux peuvent opérer, et qu’une si haute considération les détournera de se livrer prématurément à un esprit de défiance qui rend si facilement injuste, et qui empêcherait de faire servir à la gloire et à la prospérité de l’État la plus grande de toutes les forces, l’union des intérêts et des volontés.

Enfin, Sa Majesté, selon l’usage observé pur les rois, ses prédécesseurs, s’est déterminée à rassembler autour de sa demeure les États généraux du royaume, non pour gêner en aucune manière la liberté des délibérations, mais pour leur conserver le caractère le plus cher à son cœur, celui de conseil et d’ami.

En conséquence, Sa Majesté a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. Ier. Les lettres de convocation seront envoyées aux gouverneurs des différentes provinces du royaume, pour les faire parvenir, dans l’étendue de leurs gouvernements, aux baillis et sénéchaux d’épée, à qui elles seront adressées, ou à leurs lieutenants.
Art. II. Dans la vue de faciliter et de simplifier les opérations qui seront ordonnées par le présent règlement, il sera distingué deux classes de bailliages et de sénéchaussées. Dans la première classe seront compris tous les bailliages et sénéchaussées auxquels Sa Majesté a jugé que ses lettres de convocation devaient être adressées, conformément à ce qui s’est pratiqué en 1614. Dans la seconde classe seront compris ceux des bailliages et sénéchaussées qui, n’ayant pas député directement en 1614, ont été jugés par Sa Majesté devoir encore ne députer que secondairement et conjointement avec les bailliages ou sénéchaussées de la première classe ; et dans l’une et l’autre classe l’on entendra par bailliages ou sénéchaussées tous les sièges auxquels la connaissance des cas royaux est attribuée.
Art. III. Les bailliages ou sénéchaussées de la première classe seront désignés sous le litre de bailliages principaux ou de sénéchaussées principales. Ceux de la seconde classe le seront sous celui de bailliages ou sénéchaussées secondaires.
Art. IV. Les bailliages principaux ou sénéchaussées principales, formant la première classe, auront un arrondissement dans lequel les bailliages ou, sénéchaussées secondaires, composant la seconde classe, seront compris et répartis, soit à raison de leur proximité des principaux bailliages ou des sénéchaussées principales, soit à raison de leur démembrement de l’ancien ressort desdits bailliages ou sénéchaussées.
Art. V. Les bailliages ou sénéchaussées de la seconde classe seront désignés à la suite des bailliages et des sénéchaussées de la première classe, dont ils formeront l’arrondissement, dans l’état mentionné ci-après, et qui sera annexé au présent règlement.
Art. VI. En conséquence des distinctions établies par les articles précédents, les lettres de convocation seront adressées aux baillis et sénéchaux des bailliages principaux et des sénéchaussées principales ; et lesdits baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, en enverront des copies collationnées, ainsi que du présent règlement, aux bailliages et sénéchaussées secondaires.
Art. VII. Aussitôt après la réception des lettres de convocation, les baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, les feront, sur la réquisition du procureur du roi, publier à l’audience, et enregistrer au greffe de leur siège ; et ils feront remplir les formes accoutumées pour leur donner la plus grande publicité.
Art. VIII. Les officiers du siège pourront assister à la publication, qui se fera à l’audience, des lettres de convocation, mais ils ne prendront aucune part à tous les actes, jugements et ordonnances que le bailli ou le sénéchal ou son lieutenant, ou en leur absence le premier officier du siège, sera dans le cas de faire et de rendre pour l’exécution desdites lettres. Le procureur du roi aura seul le droit d’assister le bailli ou sénéchal, ou son lieutenant ; et il sera tenu, ou l’avocat du roi en son absence, de faire toutes les réquisitions ou diligences nécessaires pour procurer ladite exécution.
Art. IX. Lesdits baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, feront assigner, à la requête du procureur du roi, les évêques et les abbés, tous les chapitres, corps et communautés ecclésiastiques rentes, réguliers et séculiers, des deux sexes, et généralement tous les ecclésiastiques possédant bénéfice ou commanderie, et tous les nobles possédant fief, dans toute l’étendue du ressort ordinaire de leur bailliage ou sénéchaussée principale, à l’effet de comparaître à rassemblée générale du bailliage ou sénéchaussée principale, au jour qui sera indiqué par l’assignation, lequel jour ne pourra être plus tard que le 16 mars prochain.
Art. X. En conséquence, il sera tenu dans chaque chapitre séculier d’hommes une assemblée qui se séparera en deux parties, l’une desquelles, composée de chanoines, nommera un député à raison de dix chanoines présents, et au-dessous ; deux au-dessus de dix jusqu'à vingt, et ainsi de suite ; et l’autre partie, composée de tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, attachés par quelque fonction au service du chapitre, nommera un député à raison de vingt desdits ecclésiastiques présents, et au-dessus ; deux au-dessus de vingt jusqu'à quarante, et ainsi de suite.
Art. XI. Tous les autres corps et communautés rentés, réguliers, des deux sexes, ainsi que les chapitres et communautés de filles, ne pourront être représentés que par un seul député ou procureur fondé, pris dans l’ordre ecclésiastique séculier ou régulier. Les séminaires, collèges et hôpitaux étant des établissements publics à la conservation desquels tous les ordres ont un égal intérêt, ne seront point admis à se faire représenter.
Art. XII. Tous les autres ecclésiastiques possédants bénéfices, et tous les nobles possédant fief, seront tenus de se rendre en personne à l’assemblée, ou de se faire représenter par un procureur fondé pris dans leur ordre. Dans le cas où quelques-uns desdits ecclésiastiques ou nobles n’auraient point été assignés, ou n’auraient point reçu l’assignation qui doit leur être donnée au principal manoir de leur bénéfice ou fief, ils pourront néanmoins se rendre en personne à l’assemblée, ou se faire représenter par des procureurs fondés, qui justifieront de leurs litres.
Art. XIII. Les assignations qui seront données aux pairs de France le seront au chef-lieu de leurs pairies, sans que la comparution desdits pairs à la suite des assignations puisse en aucun cas, ni d’aucune manière, porter préjudice aux droits et privilèges de leurs pairies.
Art. XIV. Les curés des paroisses, bourgs et communautés des campagnes, éloignés de plus de deux lieues de la ville où se tiendra l’assemblée du bailliage ou sénéchaussée à laquelle ils auront été assignés, ne pourront y comparaître que par des procureurs pris dans l’ordre ecclésiastique, à moins qu’ils n’aient dans leurs cures un vicaire ou desservant résidant en état du remplir leurs fonctions, lequel vicaire ou desservant ne pourra quitter la paroisse pendant l’absence du curé.
Art. XV. Dans chaque ville tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres et non possédant bénéfice seront tenus de se réunir chez le curé de la paroisse sur laquelle ils se trouveront habitués ou domiciliés ; et là, de choisir des députés a raison d’un sur vingt ecclésiastiques présents, et au-dessous ; deux au-dessus de vingt jusqu'à quarante, et ainsi de suite, non compris le curé, à qui le droit de venir à l’assemblée générale appartient à raison de son bénéfice.
Art. XVI. Tous les autres ecclésiastiques engagés dans les ordres, non résidants dans les villes, et tous les nobles non possédant fief, ayant la noblesse acquise et transmissible, âgés de vingt-cinq ans, nés Français ou naturalisés dans le ressort du bailliage, seront tenus, en vertu des publications et affiches des lettres de convocation, de se rendre en personne à rassemblée des trois états du bailliage ou sénéchaussée, sans pouvoir se faire représenter par procureur.
Art. XVII. Ceux des ecclésiastiques ou des nobles, qui possèderont des bénéfices ou des fiefs situés dans plusieurs bailliages ou sénéchaussées, pourront se faire représenter, à l’assemblée de ces trois états de chacun de ces bailliages ou sénéchaussées, par un procureur fondé pris dans leur ordre ; mais ils ne pourront avoir qu’un suffrage dans la même assemblée générale de bailliage ou sénéchaussée, quel que soit le nombre des bénéfices ou fiefs qu’ils y possèdent.
Art. XVIII. Les ecclésiastiques engagés dans les ordres, possédant des fiefs non dépendants de bénéfices, se rangeront dans l’ordre ecclésiastique, s’ils comparaissent en personne ; mais s’ils donnent une procuration ils seront tenus de la donner à un noble, qui se rangera dans l’ordre de la noblesse.
Art. XIX. Les baillis et commandeurs de l’ordre de Malte seront compris dans l’ordre ecclésiastique. Les novices sans bénéfice seront compris dans l’ordre de la noblesse ; et les servants qui n’ont point fait de vœux, dans l’ordre du tiers état.
Art. XX. Les femmes possédant divisément, les filles et les veuves, ainsi que les mineurs jouissant de la noblesse, pourvu que lesdites femmes, filles, veuves, et mineurs possèdent des fiefs, pourront se faire représenter par des procureurs pris dans l’ordre de la noblesse.
Art. XXI. Tous lés députés et procureurs fondés seront tenus d’apporter tous les mémoires et instructions qui leur auront été remis par leurs commettants, et de les présenter lors de la rédaction des cahiers, pour y avoir tel égard que de raison. Lesdits députés et procureurs fondés ne pourront avoir, lors de ladite rédaction et dans toute autre délibération, que leur suffrage personnel ; mais pour l’élection des députés aux États généraux, les fondés de procuration des ecclésiastiques possédant bénéfices, et des nobles possédant fiefs, pourront, indépendamment de leur suffrage personnel, avoir deux voix, et ne pourront en avoir davantage, quel que soit le nombre de leurs commettants.
Art. XXII. Les baillis et sénéchaux principaux. ou leurs lieutenants, feront, à la réquisition du procureur du roi, notifier les lettres de convocation, ainsi que le présent règlement, par un huissier royal, aux officiers municipaux des villes, maires, consuls, syndics, préposés, ou autres officiers des paroisses et communautés de campagne, situées dans l’étendue de leur juridiction pour les cas royaux, avec sommation de faire publier lesdites lettres et ledit règlement au prône des messes paroissiales ; et, à l’issue desdites messes, à la porte de l’église, dans une assemblée convoquée en la forme accoutumée.
Art. XXIII. Les copies des lettres de convocation du présent règlement, ainsi que la sentence du bailli ou sénéchal seront imprimées et notifiées sur papier non timbré. Tous les procès-verbaux et autres actes relatifs aux assemblées et aux élections, qu’ils soient ou non dans le cas d’être signifiés, seront pareillement rédigés sur papier libre ; le prix de chaque exploit sera fixé à douze sous.
Art. XXIV. Huitaine au plus tard après la notification et publication des lettres de convocation, tous les habitants composant le tiers-état des villes, ainsi que ceux des bourgs, paroisses et communautés de campagne, ayant un rôle séparé d’impositions, seront tenus de s’assembler dans la forme ci-après prescrite, à l’effet de rédiger le cahier de leurs plaintes et doléances, et de nommer des députés pour porter ledit cahier aux lieu et jour qui leur auront été indiqués par l’acte de notification et sommation qu’ils auront reçu.
Art. XXV. Les paroisses et communautés, les bourgs ainsi que les villes non comprises dans l’état annexé au présent règlement, s’assembleront dans le lieu ordinaire des assemblées, et devant le juge du lieu, ou en son absence devant tout autre officier public ; à laquelle assemblée auront droit d’assister tous les habitants composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés.
Art. XXVI. Dans les villes dénommées en l’état annexé au présent règlement, les habitants s’assembleront d’abord par corporation, à l’effet de quoi les officiers municipaux seront tenus de faire avertir, sans ministère d’huissier, les syndics ou autres officiers principaux de chacune desdites corporations, pour qu’ils aient à convoquer une assemblée générale de tous les membres de leur corporation. Les corporations d’arts et métiers choisiront un député à raison de cent individus et au-dessous, présents à l’assemblée ; deux au-dessus de cent ; trois au-dessus de deux cents, et ainsi de suite. Les corporations d’arts libéraux, celles des négociants, armateurs et généralement tous les autres citoyens réunis par l’exercice des mêmes fonctions, et formant des assemblées ou des corps autorisés, nommeront deux députés à raison de cent individus et au-dessous ; quatre au-dessus de cent ; six au-dessus de deux cents, et ainsi de suite. En cas de difficultés sur l’exécution du présent article, les officiers municipaux en décideront provisoirement, et leur décision sera exécutée, nonobstant opposition ou appel.
Art. XXVII. Les habitants composant le tiers-état desdites villes, qui ne se trouveront compris dans aucun corps, communauté ou corporation, s’assembleront à l’hôtel de ville au jour qui sera indiqué par les officiers municipaux et il y sera élu des députés dans la proportion de deux députés pour cent individus et au-dessous, présents à ladite assemblée ; quatre au-dessus de cent, six au-dessus de deux cents, et toujours en augmentant ainsi dans la même proportion.
Art. XXVIII. Les députés choisis dans les différentes assemblées particulières formeront à l’hôtel de ville, et sous la présidence des officiers municipaux, l’assemblée du tiers-état de la ville, dans laquelle assemblée ils rédigeront le cahier des plaintes et doléances de ladite ville, et nommeront des députés pour le porter aux lieu et jour qui leur auront été indiqués.
Art. XXIX. Nulle autre ville que celle de Paris n’enverra de députés particuliers aux États généraux, les grandes villes devant en être dédommagées, soit par le plus grand nombre de députés accordé à leur bailliage ou sénéchaussée, à raison de la population desdites villes, soit par l’influence qu’elles seront dans le cas d’avoir sur le choix de ces députés.
Art. XXX. Ceux des officiers municipaux qui ne seront pas du tiers-état n’auront dans l’assemblée qu’ils présideront aucune voix, soit pour la rédaction des cahiers, soit pour l’élection des députés ; ils pourront néanmoins être élus, et il en sera usé de même à l’égard des juges des lieux ou autres officiers publics qui présideront les assemblées des paroisses ou communautés dans lesquelles ils ne seront pas domiciliés.
Art. XXXI. Le nombre des députés qui seront choisis par les paroisses et ; communautés de campagne, pour porter leurs cahiers, sera de deux, à raison de deux cents feux et au-dessous ; de trois au-dessus de deux cents feux ; de quatre au-dessus de trois cents feux, et ainsi de suite. Les villes enverront le nombre de députés fixé par l’état général annexé au présent règlement ; et, à l’égard de toutes celles qui ne s’y trouvent pas comprises, le nombre de leurs députés sera fixé à quatre.
Art. XXXII. Les actes que le procureur du roi fera notifier aux officiers municipaux des villes et aux syndics, fabriciens ou autres officiers de bourgs, paroisses et communautés des campagnes, contiendront sommation de se conformer aux dispositions du règlement et de l’ordonnance du bailli ou sénéchal, soit pour la forme de leurs assemblées, soit pour le nombre de députés que lesdites villes et communautés auront à envoyer, suivant l’état annexé au présent règlement, ou d’après ce qui est porté par l’article précédent.
Art. XXXIII. Dans les bailliages principaux ou sénéchaussées principales, auxquels doivent être envoyés des députés du tiers-état des bailliages ou sénéchaussées secondaires, les baillis ou sénéchaux, ou leurs lieutenants en leur absence, seront tenus de convoquer, avant le jour indiqué pour rassemblée générale, une assemblée préliminaire des députés du tiers-état des villes, bourgs, paroisses et communautés de leur ressort, à l’effet, par lesdits députés, d’y réduire leurs cahiers en un seul, et de nommer le quart d’entre eux pour porter ledit cahier à l’assemblée générale des trois états du bailliage ou sénéchaussée, et pour concourir avec les députés des autres bailliages secondaires, tant à la réduction en un seul de tous les cahiers desdits bailliages ou sénéchaussées, qu’à l’élection du nombre des députés aux États généraux fixé par la lettre du roi. La réduction au quart ci-dessus ordonnée dans lesdits bailliages principaux et secondaires ne s’opèrera pas d’après le nombre des députés présents, mais d’après le nombre de ceux qui auraient dû se rendre à ladite assemblée, afin que l’influence que chaque bailliage doit avoir sur la rédaction des cahiers et l’élection des députés aux États généraux, à raison de sa population et du nombre des communautés qui en dépendent, ne soit pas diminuée par l’absence de ceux des députés qui ne se seraient pas rendus à l’assemblée.
Art. XXXIV. La réduction au quart des députés des villes et communautés peur l’élection des députés aux États généraux, ordonnée par Sa Majesté dans les bailliages principaux, auxquels doivent se réunir les députés d’autres bailliages secondaires, ayant été déterminée par la réunion de deux motifs, l’un, de prévenir les assemblées trop nombreuses dans ces bailliages principaux ; l’autre, de diminuer les peines et les frais de voyages plus longs et plus multipliés d’un grand nombre de députés, et ce dernier motif n’existant pas dans les bailliages principaux qui n’ont pas de bailliages secondaires, Sa Majesté a ordonné que, dans lesdits bailliages principaux n’ayant point de bailliages secondaires, l’élection des députés du tiers-état aux États généraux sera faite immédiatement, après la réunion des cahiers de toutes lés villes et communautés en un seul, par tous les députés desdites villes et communautés qui s’y sont rendus, à moins que le nombre desdits députés n’excédât celui de deux cents ; auquel cas seulement lesdits députés seront tenus de se réduire audit nombre de deux cents pour l’élection des députés aux États généraux.
Art. XXXV. Les baillis et sénéchaux principaux auxquels Sa Majesté aura adressé ses lettres de convocation, ou leurs lieutenants, en feront remettre des copies collationnées, ainsi que du règlement y annexé, aux lieutenants des bailliages et sénéchaussées secondaires, compris dans l’arrondissement fixé par l’état annexé au présent règlement, pour être procédé par les lieutenants desdits bailliages et sénéchaussées secondaires, tant à l’enregistrement et à la publication desdites lettres de convocation et dudit règlement, qu’il la convocation des membres du clergé, de la noblesse par-devant le bailli ou sénéchal principal, ou son lieutenant, et du tiers-état par-devant eux.
Art. XXXVI. Les lieutenants des bailliages et sénéchaussées secondaires, auxquels les lettres de convocation auront été adressées par les baillis ou sénéchaux principaux, seront tenus de rendre une ordonnance conforme aux dispositions du présent règlement, en y rappelant le jour fixé, par l’ordonnance des baillis ou sénéchaux principaux, pour la tenue de l’assemblée des trois états.
Art. XXXVII. En conséquence lesdits lieutenants des bailliages ou sénéchaussées secondaires feront assigner les évêques, abbés, chapitres, corps et communautés ecclésiastiques rentés, réguliers et séculiers, des deux sexes, les prieurs, les curés, les commandeurs, et généralement tous les bénéficiers et tous les nobles possédant fiefs dans l’étendue desdits bailliages ou sénéchaussées secondaires, à l’effet de se rendre à l’assemblée générale des trois états du bailliage ou de la sénéchaussée principale, aux jour et lieu fixés par les baillis ou Sénéchaux principaux.
Art. XXXVIII. Lesdits lieutenants des bailliages ou sénéchaussées secondaires feront également notifier les lettres de convocation, le règlement et leur ordonnance aux villes, bourgs, paroisses et communautés situés dans l’étendue de leur juridiction. Les assemblées de ces villes et communautés s’y tiendront dans l’ordre et la forme portés au présent règlement, et il se tiendra devant les lieutenants desdits bailliages ou sénéchaussées secondaires, et au jour par eux fixé, quinzaine au moins avant le jour déterminé pour l’assemblée générale des trois états du bailliage ou sénéchaussée principale, une assemblée préliminaire de tous les députés des villes et communautés de leur ressort, à l’effet de réduire tous leurs cahiers en un seul, et de nommer le quart d’entre eux pour porter ledit cahier à l’assemblée des trois états du bailliage ou sénéchaussée principale, conformément aux lettres de convocation.
Art. XXXIX. L’assemblée des trois états du bailliage ou de la sénéchaussée principale sera composée des membres du clergé et de ceux de la noblesse qui s’y seront rendus, soit en conséquence des assignations qui leur auront été particulièrement données, soit en vertu de la connaissance générale, acquise par les publications et affiches des lettres de convocation ; et des différents députés du tiers-état qui auront été choisis pour assister à ladite assemblée. Dans les séances, l’ordre du clergé aura la droite, l’ordre de la noblesse occupera la gauche, et celui du tiers-état sera placé en face. Entend, Sa Majesté, que la place que chacun prendra en particulier dans son ordre ne puisse tirer à conséquence dans aucun cas, ne doutant pas que tous ceux qui composeront ces assemblées n’aient les égards et les déférences que l’usage a consacrés pour les rangs, les dignités et l’âge.
Art. XL. L’assemblée des trois ordres réunis sera présidée par le bailli ou sénéchal, ou son lieutenant ; il y sera donné acte aux comparants de leur comparution, et il sera donné défaut contre les non comparants ; après quoi il sera passé à la réception du serment que feront les membres de l’assemblée, de procéder fidèlement à la rédaction du cahier général et à la nomination des députés. Les ecclésiastiques et les nobles se retireront ensuite dans le lieu qui leur sera indiqué pour tenir leur assemblée particulière.
Art. XLI. L’assemblée du clergé sera présidée par celui auquel l’ordre de la hiérarchie défère la présidence ; celle de la noblesse sera présidée par le bailli ou sénéchal, et en son absence par le président qu’elle aura élu ; auquel cas l’assemblée qui se tiendra pour celte élection sera présidée par le plus avancé en âge. L’assemblée du tiers-état sera présidée par le lieutenant du bailliage ou de la sénéchaussée, et à son défaut pur celui qui doit le remplacer. Le clergé et la noblesse nommeront leurs secrétaires ; le greffier du bailliage sera secrétaire du tiers.
Art. XLII. S’il s’élève quelques difficultés sur la justification des titres et qualités de quelques-uns de ceux qui se présenteront pour être admis dans l’ordre du clergé ou dans celui de la noblesse, les difficultés seront décidées provisoirement par le bailli ou sénéchal, et eu son absence par son lieutenant, assisté de quatre ecclésiastiques pour le clergé, et de quatre gentilshommes pour la noblesse, sans que la décision qui interviendra puisse servir ou préjudicier dans aucun autre cas.
Art. XLIII. Chaque ordre rédigera ses cahiers, et nommera ses députés séparément, à moins qu’il ne préfère d’y procéder en commun, auquel cas le consentement des trois ordres, pris séparément, sera nécessaire.
Art. XLlV. Pour procéder à la rédaction des cahiers, il sera nommé des commissaires qui y vaqueront sans interruption et sans délai ; et, aussitôt que leur travail sera fini, les cahiers de chaque ordre seront définitivement arrêtés dans l’assemblée de l’ordre.
Art. XLV. Les cahiers seront dressés et rédigés avec le plus de précision et de clarté qu’il sera possible ; et les pouvoirs dont les députés seront munis devront être généraux et suffisants pour proposer, remontrer, aviser et consentir, ainsi qu’il est porté aux lettres de convocation.
Art. XLVI. Les élections des députés, qui seront successivement choisis pour former les assemblées graduelles ordonnées par le présent règlement, seront faites à haute voix ; les députés aux États généraux seront seuls élus par la voie du scrutin.
Art. XLVII. Pour parvenir à cette dernière élection, il sera d’abord fait choix au scrutin de trois membres de l’assemblée, qui seront chargés d’ouvrir les billets, d’en vérifier le nombre, décompter les voix, et de déclarer le choix de l’assemblée. Les billets de ce premier scrutin seront déposés, par tous les députés successivement, dans un vase placé sur une table au-devant du secrétaire de l’assemblée, et la vérification en sera faite par ledit secrétaire, assisté des trois plus anciens d’âge. Les trois membres de l’assemblée qui auront eu le plus de voix seront les trois scrutateurs. Les scrutateurs prendront place devant le bureau, au milieu de la salle de l’assemblée, et ils déposeront d’abord dans le vase à ce préparé leurs billets d’élection, après quoi tous les électeurs viendront pareillement, l’un après l’autre, déposer ostensiblement leurs billets dans ledit vase. Les électeurs ayant repris leurs places, les scrutateurs procèderont d’abord au compte en recensement des billets ; et si le nombre s’en trouvait supérieur à celui des suffrages existants dans l’assemblée, en comptant ceux qui résultent des procurations, il serait, sur la déclaration des scrutateurs, procédé à l’instant à un nouveau scrutin et les billets dit premier scrutin seraient incontinent brûlés. Si le premier billet portait plusieurs noms, il serait rejeté sans recommencer le scrutin ; il en serait usé de même dans le cas où il se trouverait un ou plusieurs billets qui fussent en blanc. Le nombre des billets étant ainsi constaté, ils seront ouverts, et les voix seront vérifiées par lesdits scrutateurs, à voix basse. La pluralité sera censée acquise par une seule voix au-dessus de la moitié des suffrages de l’assemblée. Tous ceux qui auront obtenu cette pluralité seront déclarés élus. A défaut de ladite pluralité, on ira une seconde fois au scrutin, dans la forme qui vient d’être prescrite ; et, si le choix de l’assemblée n’est pas encore déterminé par la pluralité, les scrutateurs déclareront les deux sujets qui auront réuni le plus de voix, et ce seront ceux-là seuls qui pourront concourir à l’élection qui sera déterminée par le troisième tour de scrutin, en sorte qu’il ne sera dans aucun cas nécessaire de recourir plus de trois fois au scrutin. En cas d’égalité parfaite de suffrages entre les concurrents dans le troisième tour de scrutin, le plus ancien d’âge sera élu. Tous les billets, ainsi que les notes des scrutateurs, seront soigneusement brûlés après chaque tour de scrutin. Il sera procédé au scrutin autant de fois qu’il y aura de députés à nommer.
Art. XLVIII. Dans le cas où la même personne aurait été nommée député aux États généraux par plus d’un bailliage dans l’ordre du clergé, de la noblesse ou du tiers-état, elle sera obligée d’opter. S’il arrive que le choix du bailliage tombe sur une personne absente, il sera sur-le-champ procédé, dans la même forme, à l’élection d’un suppléant pour remplacer ledit député absent, si à raison de l’option ou de quelque autre empêchement, il ne pouvait point accepter la députation.
Art. XLIX. Toutes les élections graduelles des députés, y compris celles des députés aux États généraux, ainsi que la remise qui leur sera faite, tant des cahiers particuliers que du cahier général, seront constatées par les procès-verbaux qui contiendront leurs pouvoirs.
Art. L. Mande et ordonne, Sa Majesté, à tous les baillis et sénéchaux, et à l’officier principal de chacun des bailliages et sénéchaussées compris dans l’état annexé au présent règlement, de procéder à toutes les opérations et à tous les actes prescrits pour parvenir à la nomination des députés, tant aux assemblées particulières qu’aux États généraux, selon l’ordre desdits bailliages et sénéchaussées, tel qu’il se trouve fixé par ledit état, sans que desdits actes et opérations, ni en général d’aucune des dispositions faites par Sa Majesté, à l’occasion de la convocation des États généraux, ni d’aucune des expressions employées dans le présent règlement, ou dans les sentences et ordonnances des baillis et sénéchaux principaux, qui auront fait passer les lettres de convocation aux officiers des bailliages ou sénéchaussées secondaires, il puisse être induit ni résulter en aucun autre cas aucun changement ou novation dans l’ordre accoutumé, de supériorité, infériorité ou égalité desdits bailliages.
Art. LI. Sa Majesté, voulant prévenir tout ce qui pourrait arrêter ou retarder le cours des opérations prescrites pour la convocation des États généraux, ordonne que joutes les sentences, ordonnances et décisions qui interviendront sur les citations, les assemblées, les élections, et généralement sur toutes les opérations qui y sont relatives, seront exécutées par provision, nonobstant toutes appellations et oppositions en forme judiciaire, que Sa Majesté a interdites, sauf aux parties intéressées à se pourvoir par-devers elle par voie de représentation et par simples mémoires.


Fait et arrêté par le roi, étant en son conseil, tenu à Versailles le vingt-quatre janvier mil sept cent quatre-vingt-neuf.
 
Signé LOUIS,
et plus bas Laurent de VILLEDEUIL (Conseiller d'État)