François Joachim de Pierre de Bernis |
Trente mille rubbio de grains
Nous pouvons lire en page 54 du numéro de mai 1789 du journal La Gazette des Gazettes, l'entrefilet suivant :
"On est instruit aussi que le 3 mars dernier, le cardinal de Bernis demanda, au nom du roi, au Saint Père, l'extraction pour la Provence, de 30 mille rubbio de grains ; le rubbio équivaut à environ 500 de nos livres (1). Déjà l'on apprend de la Provence & du Languedoc qu'il est arrivé dans les ports de ces provinces plusieurs bâtiments chargés de ces grains ; on en attend encore de la Sardaigne d'où, à la demande du roi, Sa Majesté Sarde a permis d'en tirer une certaine quantité."
Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f54.item
Accès à la Gazette des gazettes :
Olivier_Reguin_Anciennes_mesures_agraires 2021.pdf
Le pain !
Le pain, encore le pain. Le pain sera l’un des
personnages principaux de cette année 1789. Nous en reparlerons souvent, car en
cette terrible 1789, le pain va briller par son absence ou sa rareté. Comment
un pays aussi riche de terres cultivables, comme l’est la France, pouvait-il se
retrouver en situation de pénurie de grains ? La France manquait-elle d’ailleurs
vraiment de grains, ou bien ceux-ci étaient-ils stockés en attendant que les
prix montent, ou alors exportés à l’étrangers ? Pourquoi se retrouvait-on
à importer du grain d’Italie, de Sicile, ou même d’Algérie comme nous le
verrons plus tard ? De nombreux articles traiteront de ce sujet.
Pour le moment, attardons-nous sur le cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis. Cet homme
exceptionnel est un bel exemple du type de personnalités étonnantes qu’a pu produire
l’Ancien régime. De Bernis était en effet un poète libertin, un homme politique,
un ambassadeur, un Duc et un cardinal.
Tout comme l’évêque d’Autun
qui deviendra célèbre sous le nom de Talleyrand, le cardinal de Bernie était
athée. Tout au moins le demeurera-t-il jusqu’à l’année 1789 qui s’avérera propice
à sa révélation de la foi. L’athéisme, le théisme ou le scepticisme étaient
courants à l’époque dans les hautes sphères du clergé constituée par la
noblesse. La foi était plutôt l’apanage du miséreux bas clergé. De Bernis était
entré dans les faveurs du Pape en s’opposant aux Jésuites qui lui avaient gâché
sa jeunesse (je vous laisse deviner comment…). Il fera d’ailleurs une longue et
brillante carrière de diplomate à Rome.
Ce cardinal étonnant
avait fait ses débuts en entrant dans les bonnes grâce d’Antoinette Poisson,
plus connue sous le nom de Marquise de Pompadour et maitresse de Louis XV. C’est
ainsi qu’il deviendra ambassadeur, puis ministre d’état, qu’il recevra le
Cordon bleu des mains du roi à Paris et qu’il obtiendra l’abbaye de Saint-Médard de Soissons qui lui rapportera 30.000 livres de rente par an…
De ses talents de
poète, on retiendra que le facétieux Voltaire le surnommait « Babet
la bouquetière », ou « Belle Babet », en référence au côté
floral ou champêtre de ses vers et au nom d’une marchande de fleurs alors
célèbre à Paris.
Libertin, il le fut assurément, puisqu’il partagea avec
Giacomo Casanova la même maitresse, une religieuse, familière du septième ciel…
Des hagiographes nostalgiques de l’ancien régime s’extasieront
du fait qu’il n’hésita pas, à la dernière heure, de choisir sa foi plutôt que
les plaisirs mondains. Mais en quoi cela était-ce étonnant ? C’est le fonds
de commerce du catholicisme depuis ses débuts ! Menez une vie de débauche
et quand vous n’aurez plus la force de vos excès, repentez-vous sincèrement et devenez
religieux, le paradis vous attend ! A l’instar d’Augustin d'Hippone,
qui après une vie d’immoralité et d’excès, devint l’un des pères de l’église (Saint-Augustin)
et inventa même le concept horrible du péché originel qui fait de vous un
coupable dès la naissance ! Passons…
Ne jugeons pas ce brave cardinal. Il était né dans la
société malade de l’ancien régime. Il ne pouvait devenir autre que ce qu’il
fut. Rendons lui grâce d’avoir intercédé auprès du souverain pontife afin d’obtenir
du grain pour nourrir les Français.