dimanche 29 août 2021

Les cris de Paris, cris des vieux métiers, cris du petit peuple.

 Article mis à jour le 08/07/2023

    J'ai découvert un autre moyen de vous montrer le Peuple de Paris tel qu'il était au 18ème siècle ! Les estampes que j'ai coutume de vous présenter représentent souvent le peuple d'une façon quelque peu caricaturale ou alors dans des situations ou circonstances particulières. Les gravures que je vous propose à présent sont différentes.


François Guérard, Les Cris de Paris (1700)

    Mon souci est de vous montrer ceux que l'on ne voit pas, ceux qui n'étaient "rien". Celles-et ceux qui travaillaient durement pour gagner les quelques sous qui les feraient survivre. Celles et ceux que l'on reconnaissait de loin, par les cris qu'ils poussaient. Ces cris informaient les passants des produits et services que ces vendeurs de rues proposaient

Louis Sébastien Mercier

    Louis-Sébastien Mercier dans son ouvrage "le Tableau de Paris", avait bien évoqué les cris de ces gens, mais il manquait des illustrations. La chance a fait que j'ai découvert à la BNF le livre "Etudes prises dans le bas peuple ou les cris de Paris", recueillant les gravures réalisées par Edmé Bouchardon. Vous pourrez bien sûr consulter ce livre en entier, au bas de cet article dans une fenêtre donnant sur le merveilleux site de la BNF. Mais en plus des illustrations de ce livre, j'en ai déniché d'autres que je partage avec vous sur cette page.

Edmé Bouchardon

    A l'époque, comme de nos jours, Paris était une France miniature au sein de laquelle travaillaient des milliers de provinciaux.

    On y croisait des enfants ramoneurs venus à pieds de Savoie, ainsi que des Savoyardes et des Normandes réputées bonnes nourrices, des bonnes venues de Bretagne ou de Guyenne, des concierges et serruriers de Lyon, des chiffonniers alsaciens, des vitriers du Piémont, des cuisiniers de Montpellier, des montreurs d'ours et des rémouleurs des Pyrénées, des pelletiers venus de la Creuse, couverts de peaux de lapins et occasionnellement dépeceurs de chats, des maçons du Limousin, des chapeliers auvergnats, à noter que les Auvergnats que l'on appelait aussi des Bougnats, s'étaient fait la spécialité de tenir des commerces de vins et charbons ! (Je dois beaucoup au livre de Graham Robb, pour les informations sur ce paragraphe).

Découvrons ensemble ces personnages surgis un instant pour nous du passé.

    Je vais commencer par cette pauvre femme portant du bois sur son dos, dont la légende indique "cotterets". On la retrouve sur quelques sites, dont celui de la BNF, portant toujours cette légende étrange. Cherchez vous-même dans des dictionnaires et vous ne trouverez pas la signification de ce mot.

    Cependant, si vous faites la supposition que j'ai faite, c'est à dire de penser que le graveur avait fait une faute d'orthographe, ce qui était on ne peut plus courant à l'époque, et que vous lisez alors "colteret", vous aurez une chance de trouver la signification de ce mot qui a disparu. Les colterets étaient des ramilles ou branches d'arbres laissées au sol, qui n'étaient bonnes qu'à mettre dans les fagots.

Définition

La vendeuse de colterets

Pommes cuites au four

Cureur de puits

Piégeur de rats


"De la belle Fayance"
Je ne puis croire que cette petite fille puisse porter un tel fardeau.
J'espère qu'elle ne fait qu'attendre sa mère.

Marchand de Lanternes

Vendeur de "Caffé"

Tailleur de Pierres
(Remarquez le titre du livre, gravé sur la pierre)

Chaudronnier Auvergnat

Crocheteur
(En ce temps-là, il s'agissait d'un porteur de lourdes charges s'aidant de crochets)

Vendeur de Moulins.
Pour amuser les enfants où éloigner les oiseaux ?

Balayeuse

Vendeuse de Balais

Des couteaux des ciseaux et des peignes,
mais aussi des lunettes si vous regardez bien.

Garçon Boulanger

Lanterne en Hiver, l'Eau en Eté
(Vous avez une idée ?)

Montreuse de Lanterne Magique

Joueur de Vielle

Orgue de Barbarie devant et Lanterne Magique derrière

La Revendeuse (ou regrattière, voir plus bas)

Fille de la Charité, servant les Malades

Vendeur de livres ambulant

Amuseur publique du Pont Neuf

"Voici le portrait à l'éloge
De ce Chantre Fameux
Nommé Guillaume de Limoge
Surnommé le Gaillard Boiteux"
(Remarquez les graffitis sur le muret)

Marchand d'encre (Ancre à l'époque)

La Blanchisseuse

La Charbonnière

Le Barbier

Italien vendeur de coupes en verre.

Vendeur de vin

Malheureux unijambiste, vendeur de vieux souliers

Porteur de Pierres

Terrassier

Vendeur d'eau, fraiche ou chaude

Colleur d'Affiches

"La Vie, La Vie"
(Vendeuse d'eau de vie ?)

Marchand de Lacets

Marchand de Lanternes

Marchand de Caffé (café)

Savetier

Crieur d'eau de vie

Raccommodeur de soufflets et de vieux seaux

Ramoneur
(Je vous raconterai un jour l'incroyable histoire de ces enfants qui,
 dès l'âge de 5 à 6 ans, quittaient les Alpes pour monter exercer ce dur métier à Paris)

Savoyarde
(Probablement une nourrice)

Vendeur de peaux de lapins (et de chats ?)

Vendeuse d'œillets

Lecteur de Gazette

    Gageons que ces lecteurs de gazette exercèrent une sacrée influence sur nombre d'événements révolutionnaires !

    Pour le métier suivant, il ne s'agit pas d'un cri, mais d'un bruit, celui de la cliquette !

La cliquette était le nom du petit instrument à percussion composé de deux lattes de bois, que le maître de poste ou son commis agitait pour annoncer son arrivée.
Vous remarquerez que c'était le destinataire qui payait le port et non l'envoyeur.

La cliquette

    Voici encore un petit métier, que je trouve assez révélateur de la société de cette époque, celui de "regratier", s'écrivant aussi regratiér, regrattier ou regrettier, mot qui voulait dire "revendeur".

Les regratiers vendaient les restes des repas des riches


Celui-ci revendait aux pauvres les restes
 des repas des riches de Versailles,

Cette estampe date de 1845, mais ce métier de revendre
 les restes de nourriture des riches exista encore longtemps.
On les appelait aussi "Marchands d'Arlequins"


Il y avait encore des Marchands d'Arlequins à Paris en 1910 !

Ils vendaient les restes des tables bourgeoises et des restaurants


    N'y voyez pas malice de ma part, mais ce petit métier si particulier me fait penser à ce que les économistes appellent "la théorie du ruissellement". Très orientée politiquement, celle-ci explique que plus on laisse les riches s'enrichir (moins d'impôts, etc.) plus l'économie produit de biens consommables et plus les pauvres en profitent.
(Remarquez combien j'ai mis les formes pour vous expliquer cette théorie de plus en plus controversées)



    Veuillez me pardonner mon excessive sensibilité. Cette rubrique se termine en effet sur une note amère. Mais voici comme promis le beau livre d'Edmé Bouchardon entreposé parmi les trésors de la BNF.




Post Scriptum au 08/07/2023 : Je viens de découvrir cet article intéressant traitant des métiers sous la Révolution : "Histoires des métiers au XVIIIe siècle ou la lutte entre les corporations et la liberté du commerce."



samedi 28 août 2021

Destin historique d'une chanson de poissarde



Chanson "poissarde"

    Au XVIIIème siècle certains airs de musique devenus très populaires pouvaient servir à plusieurs chansons aux paroles fort différentes. C'est le cas de cet air que je vous présente aujourd'hui pour inaugurer ma nouvelle rubrique sur la Musique sous la Révolution.

    Vous allez commencer par découvrir cette chanson "poissarde", populaire sous les règnes de Louis XV et Louis XVI. Poissarde parce que probablement chantée du côté des Halles de Paris par des poissonnières réputées pour leur langage cru, les "Poissardes". 


    Elle s'intitule :"Dans la rue Chiffonnière"

    Attention, les paroles sont explicites, comme on dit aujourd'hui. Mais vous allez voir ensuite quel glorieux destin elle va avoir !


Je pense que vous avez bien mémorisé l'air. Ce genre de refrain se retient facilement !


Chanson révolutionnaire !

    Les paroles changent mais l'air de musique reste le même ! La voici devenue une chanson guerrière ! "On va leur percer le flanc", elle sera chantée de bon cœur par les soldats des armées révolutionnaires. Attention, l'intro dure plus d'une minute !




Chanson guerrière sous l'Empire ! (Les paroles ont changé)

    Cette chanson fut bien sûr adoptée ensuite par les troupes de l'Empire, puisque la plupart était issues des armées révolutionnaires. Elle fut très prisée entre autres par la garde consulaire puis impériale.

    Dans l'extrait suivant du film "Austerlitz" d'Abel Gance (1960) elle est entonnée par la vieille garde qui se lance sans ordres dans la bataille (2 Décembre 1805). Les plus vieux d'entre nous reconnaîtrons le grand acteur Michel Simon.




Quelle étrange destinée pour une chanson de "poissarde" ne trouvez-vous pas ?


Voici les paroles de la version "Empire" :

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

ah c’que nous allons rire
ran plan tire lire

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

le p’tit tondu s’ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

ça lui f’ra bien plaisir
ran plan tire lire

le p’tit tondu s’ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

Et car c’est de c’la que dépend . (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

le salut de l’empire
ran tan tire lire

on va leur percer le flanc (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

couplet subversif

pour lui plaire il faut du sang (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

ah c’que nous allons rire
ran tan tire lire

pour lui plaire il faut du sang (bis)
ran tan plan tire lire lan plan




    Comme je sais que des Napoléoniens me font l'honneur de suivre avec bienveillance ma chronique sur la Révolution. Je leur offre ci-dessous les minutes mémorables du chef d'œuvre d'Abel Ganse sur la bataille d'Austerlitz (en 2 parties).