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Rouget de Lisle interprétant le Chant de l'Armée du Rhin. Tableau d'Isidore Pils de 1849. |
Préambule
Dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, le capitaine du génie Claude-Joseph Rouget de Lisle, né à Lons-le-Saunier dans le Jura en 1760, compose un chant guerrier, "le Chant de l’Armée du Rhin", qui deviendra peu après "La Marseillaise"...
La Marseillaise a elle aussi été victime du révisionnisme historique dont a été victime la Révolution française. Elle a parfois été injustement associée à une forme de nationalisme (ceux qui auraient dû la défendre l'ayant abandonnée parfois à des ennemis de la République) et le sens de ses paroles à été souvent détourné par des gens qui volontairement ou pas, oubliaient le contexte dans lequel elle avait été écrite.
Le nationalisme, dans sa forme la plus négative, est une invention du 19ème siècle, pas de la Révolution française, fraternelle et universaliste. L’historien Jean-Paul Bertaud, dans son livre « Valmy, la démocratie en arme » a très bien décrit ce qu’était la nation en 1792, quand la Marseillaise fut créée par Rouget de Lisle :
« En 1792, la Nation est, pour ceux qui y sont attachés, la communauté des hommes libres et égaux, vivant sous des lois qu’ils se sont donnés par l’intermédiaire de leurs députés, de « leurs mandataires ». L’étranger qui vit, travaille et accepte les lois françaises est reconnu comme Français. »
Voici comment est née La Marseillaise et comment elle est devenue l’hymne national de la France.
Naissance du Chant de l'Armée du Rhin (qui deviendra la Marseillaise)
25 avril 1792, le maire de Strasbourg (officiellement « prêteur royal »), le baron Philippe-Frédéric de Dietrich, lassé d’entendre chantés à tue tête les « ça ira, ça ira ! », et informé des talents de compositeurs du capitaine Claude-Joseph Rouget de Lisle stationné en ville avec son régiment du génie depuis un an, demande à celui-ci d’écrire un chant patriotique. Rouget veut se dérober, mais il cède au maire et aux officiers qui insistent.
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Baron Philippe Frédéric Dietrich |
De retour chez lui, Rouget de Lisle se saisit de son son violon et en tire quelques arpèges tandis que les propos échangés la veille lui inspirent les premiers couplets. Il travaille ainsi une bonne partie de la nuit.
Le lendemain 26 avril, dès l’aube, il se rend
chez le maire, qui, surpris de tant de rapidité, découvre le chant
et l’apprécie. Le Baron convoque alors les officiers présents la
veille et d’une voix forte de ténor, accompagné au clavecin par
son épouse Louise, il entonne le chant guerrier : "Allons enfants de la patrie" à
la grande satisfaction de tous les présents. C’est cette scène
qui est représentée sur le tableau peint en 1849 par Isidore Pils.
Le chant est alors baptisé « Chant de l’Armée du Rhin ».
Claude Joseph Rouget de Lisle |
Le Chant de l'Armée du Rhin sera exécuté publiquement sur la place d’Armes de Strasbourg le 29 avril, en présence de huit bataillons alignés pour la revue de départ. Les soldats présents seront galvanisés par ce formidable chant guerrier. Il sera de nouveau exécuté le 14 juillet 1792 (second anniversaire de la fête de la Fédération) au camp de Hoensingue. Il se diffusera alors rapidement en Alsace sous forme manuscrite ou imprimée, avant d’être repris par de nombreux éditeurs parisiens.Très vite, il sera connu de Paris à Marseille ; Marseille où le régiment de fédérés en partance pour la capitale l’adoptera. Ceux-ci l’entonneront lors de la prise des Tuileries à laquelle ils participeront aux côtés des Sans-culottes parisiens le 10 août 1792. Il prendra alors le nom de « Marseillaise ».
Contrairement à ce qui est écrit sur de nombreuses sources officielles, la Marseillaise ne sera pas décrétée « chant national » par le Décret du 26 messidor an III (14 juillet 1795), mais, avec d’autres chants civiques « qui ont contribué au succès de la Révolution » le décret impose qu’elle soit exécutée par les corps de musique des gardes nationales et des troupes de ligne ; le Comité militaire étant également chargé de les faire exécuter chaque jour à la garde montante du Palais national.
Interdite sous l'Empire et la Restauration, la Marseillaise fut remise à l'honneur lors de la Révolution de 1830. Hector Berlioz en élabora alors une orchestration qu'il dédia à Rouget de Lisle. Le roi Louis Philippe lui préféra un autre hymne plus modéré, la Parisienne.
C’est la IIIe République qui choisira la Marseillaise en 1879 comme hymne national, sans définir d’harmonisation d’officielle. Le ministère de la guerre se chargera en 1887, d’établir une version de références.
En septembre 1944, une circulaire du ministère de l'Éducation nationale préconisera de faire chanter la Marseillaise dans les écoles pour « célébrer notre libération et nos martyrs ». Son caractère d'hymne national sera réaffirmé dans l’article 2 des constitutions de 1946 et de 1958.
Il existe tant de version ! J'ai choisi presque au hasard cette version, celle d'Hector Berlioz.
Et voici un extrait du film La Révolution française réalisé par Robert Enrico pour le bicentenaire de la Révolution en 1989. On y découvre les volontaires de 1792 montant au front et chantant La Marseillaise :
Souhaitez-vous en savoir un peu plus ?
Une fois n'est pas coutume, je vous propose ci-dessous un beau texte de Christian Marcadet qui a rédigé avec beaucoup d'érudition un livret accompagnant un coffret de 3 CD de chansons de la Révolution française produit par EPM Musique. Vous pouvez vous procurer ledit coffret en cliquant sur l'image ci-dessous :
Voici le texte de François Marcadet sur La Marseillaise :
(J'espère qu'il ne m'en voudra pas. Je lui fait de la pub.)
Le chant emblématique
Initialement dénommée Chant de guerre pour l’Armée du Rhin, la Marseillaise est sans doute la meilleure illustration du pouvoir symbolique des chansons de la Révolution et des polémiques suscitées. Depuis deux siècles, l’hymne national français est périodiquement l’objet d’accusations qui reposent sur une argumentation sortie du contexte de l’époque. Rappelons quelques faits : oui, la Marseillaise est bien un chant guerrier, qui a été écrit par un militaire, poète à ses heures, en une seule nuit, quand une situation d’urgence l’exigeait. A cette heure, en avril 1792, la Révolution est aux abois, attaquée de toutes parts : de l’intérieur par des factions réactionnaires et par des royalistes qui souhaitent le retour à l’Ancien régime, mais surtout attaquée de l’extérieur quand la Prusse et l’Autriche menacent de franchir les frontières pour venir au secours de la royauté menacée. Six mois plus tard, la victoire inattendue de Valmy viendra mettre un frein aux ardeurs des monarchies européennes liguées contre la Révolution française. Oui, la Marseillaise est un chant national – et non nationaliste -, dans la mesure où pour les révolutionnaires, la nation c’est le peuple et non des personnes investies de droit divin ou des héros providentiels. Et, en dépit de quelques formulations malheureuses immergées dans un texte de circonstance, il convient de préciser que la Marseillaise est très vite devenue un chant universel, qui exalte les valeurs nouvelles de liberté, d’égalité et de fraternité, qu’aucune nation n’avait revendiquées comme telles jusqu’à ces journées mémorables de 1789.
Désormais, c’est le peuple de France, celui des roturiers au sang impur, qui va verser son sang pour défendre la nation. Et les ennemis de la France, ce sont alors tous les ennemis de la liberté et des idéaux républicains, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur. Plus qu’un territoire, qui résulte des aléas de l’histoire, ce sont des valeurs, toute une philosophie de l’humanité qui est menacée et c’est cette mission émancipatrice que ce chant exalte dans ses couplets.
Certaines modifications sont intervenues depuis ce jour où elle a été chantée pour la première fois dans le salon du maire de Strasbourg : un « marchons » collectif à remplacé le comminatoire « marchez » et, moins heureusement, « féroces (soldats) » a été substitué à « farouches », puis on lui a vite adjoint un 7ème couplet à la paternité disputée (celui dit « des enfants » ; « Nous entrerons dans la carrière... »), mais c’est surtout le traitement musical et l’harmonisation de Gossec qui lui ont donné sa forme définitive, entraînante et glorieuse.
On compte plus d’une centaine de parodies connues de la Marseillaise (combien oubliées?), en Français et dans les langues régionales, sans compter les nombreuses adaptations faites à l’étranger. Les parodies et autres contre-Marseillaises ou chansons qui commentent La Marseillaise ou la citent, toutes d’une certaine façon lui rendent hommage et toujours subsiste en arrière plan la petite musique de la Révolution. Combattue et bâillonnée souvent, reniées ou accaparée parfois, dans un objectif patriotard ou électoraliste, victime de l’oublie à certaines périodes, toujours elle renaît aussitôt que la patrie est en danger. Ainsi, lors des journées de Juillet 1830, lors des heures glorieuses de la Commune, aux jours sombres de l’occupation en France de 1940 à 1944, et tout récemment quand elle est reprise et réactivée par les Français après les attentats qui ont endeuillé la France en 2015 et 2016.
C’est encore elle qui sert d’hymne officiel russe dans les premiers temps de la Révolution bolchevique, d’hymne de substitution au tout début de la Seconde République espagnole en 1931, qui est chantée dans les écoles élémentaires de nombreux pays comme le Brésil et la Chine, qui est jouée dans le Chili socialiste de Salvador Allende, avant le coup d’état de Pinochet, et c’est elle encore qui est brandie place Tian’anmen à Pékin, en 1989. Ce formidable engouement, qui traverse les époques et les frontières, n’est possible que parce que La Marseillaise est devenue le chant symbolique de la liberté, de la fraternité et de l’émancipation des peuples.
« (…) Français ! En guerriers magnanimes
Portez ou retenez vos coups,
Épargnez ces tristes victimes
A regret s’armant contre nous…
Liberté, liberté chérie
Combats avec tes défenseurs... »