Affichage des articles triés par pertinence pour la requête Sieyès. Trier par date Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par pertinence pour la requête Sieyès. Trier par date Afficher tous les articles

mardi 22 septembre 2020

22 Septembre 1789 : Les boulangers s'énervent, mais Bailly n'est pas dupe !

 

Boulangerie au 18ème siècle

Voici les suites de l'affaire que nous évoquions le veille (21 septembre).

Les boulangers de Paris écrivent une lettre à la Commune de Paris.

Source (pages page 64, 65, 66.) :

https://ia903402.us.archive.org/10/items/actesdelacommune02lacruoft/actesdelacommune02lacruoft.pdf

Représentation de la communauté des maitres-boulangers de la Ville de Paris, aux soixante et un district composant ladite Ville (8 p. in-4°)

22 septembre 1789

Messieurs,

Notre zèle, notre amour pour nos concitoyens, et la dure nécessité de repousser les propos injurieux tenus contre les membres qui composent notre communauté, nous obligent à rompre enfin le silence. Qui d'entre nous eut pu s'attendre à devenir la victime de la cupidité et de la malice des monopoleurs, qui sans cesse cherchent à surprendre la religion des officiers municipaux ?

Cependant, la disette menace de jour en jour la capitale. Quelle fut l'origine de ces malheurs inouïs, et comment y remédier ? Voilà le but principal de notre députation vers votre assemblée.

Daignez, Messieurs, écouter notre justification.

Notre empressement à courir à la Halle chercher des farines est un des plus puissants moyens de reproches employés contre nous. " Si leurs gains n'étaient point excessifs, — répand-on dans le public, — ils ne s'en tiendraient point aux farines rares de la Halle ; ils ne s'y donneraient point autant de peine pour en avoir et chercheraient à se pourvoir ailleurs. »

Quelle injustice criante ! Veut-on semer le désespoir parmi nous, détruire et abattre entièrement notre courage qui ne se soutient que par le plus pur patriotisme ? Comment peut-on avancer inconséquemment des faits sans preuves ? Où est donc ce gain si excessif, lorsqu'il est démontré que, sur le poids seul des sacs de 217 livres venant du Havre, il y avait 41 et 45 livres de déchet, sans les frais du travail de pulvérisation ?

Citoyens que l'erreur et les agents du malheur public ont prévenus coutre nous, désabusez-vous ! Prêtez une seule fois l'oreille attentive aux malheureux boulangers. Nous n'avons jamais appris à en imposer au peuple par une éloquence aussi pernicieuse qu'insinuante.

La capitale manque de farine : cependant, ou accorde aux boulangers, meuniers et fermiers toute espèce de permissions ; des brevets même leur sont délivrés à l'Hôtel de Ville, et il est sorti en leur faveur un arrêt du Conseil d'État du Roi du 1 septembre. « Ils sont donc coupables, — se permet-on de dire, — si l'approvisionnement de la capitale souffre. »

Citoyens, désabusez-vous ! Les laboureurs, intéressés à entretenir leurs denrées à un prix excessif, ne se pressent point, au mépris de cet arrêt, de battre leurs grains, et, d'un autre côté, le peu de grains qui s'amène aux marchés publics se lève tant par le peuple que par la municipalité de Paris, sans même aucune concurrence avec les boulangers qu'on se permet d'en expulser. Il est possible de vous donner d'autres preuves de notre zèle. Le plus grand nombre des boulangers de Paris n'a-t-il pas, mais inutilement, parcouru et visité les campagnes ? Les boulangers se sont présentés, il y a quelques jours, chez un fermier : celui-ci leur a répondu « qu'il n'avait pas de blé à vendre et que sa vie serait exposée s'il en vendait. » Le procès-verbal de ce refus a été déposé à l'Hôtel de Ville, où il est mis en oubli. Qu'en devons-nous conclure, lorsque ce fermier a déclaré qu'il lui était défendu de vendre ? De qui donc tenait-il sa défense ?

En voilà assez pour vous témoigner de nos efforts. D'ailleurs, notre sensibilité répugne à citer des anecdotes qui font rougir l'humanité même.

Non contents de nous imputer la cause de la disette, nos ennemis nous reprochent d'empoisonner nous-mêmes nos farines en y mêlant de la chaux, et pour (et pour nous ôter tous moyens de défenses ils ont surpris la religion des officiers municipaux en obtenant une affiche qui défend de vendre les farines vicieuses qui se trouvaient à la Halle. Vous le voyez comme nous, Messieurs : elles existaient donc ces farines vicieuses ! On nous les a donc amenées, et on nous les a donc amenées, toutes mêlées de chaux à la Halle, puisque c'est de la Halle que nous les tirons. Et le dessein de l'Hôtel de Ville n'a-t-il pas été de les vendre, puisque les officiers commis à la Halle les ont taxées à 36 livres, puisqu'il existe au bureau de chaque facteur un bulletin imprimé de l'Hôtel de Ville qui fixe la taxe des différentes farines suivant leurs qualités, dans lequel bulletin sont comprises celles dont il est ici question.

Si la crainte d'exposer sa vie en ne fabriquant aucune espèce de pain a forcé quelques boulangers à employer de ces farines vicieuses et exposées en vente, puisqu'elles sont taxées, faut-il que le sieur de Luchet ait l'âme assez criminelle pour les déclarer, par la voie de l'impression (allusion au Journal de la Ville), coupables d'Un crime qui fait frémir l'humanité, et les désigner au peuple comme les seules victimes qu'il ait à « chercher dans ces moments de révolution ? D'ailleurs, serions-nous les seuls coupables ? L'Hôtel de Ville de Paris n'a-t-elle (sic) pas prié certain nombre de boulangers de fabriquer du pain à son compte, pour en faire la distribution, tant dans les rues que dans les différents marchés de la Ville ?

Combien de faits n’aurions-nous pas encore à citer pour prouver les difficultés que nous éprouvons dans notre commerce ?

Lorsqu'aucune compagnie ne se mêlait de faire le commerce de grains et farines, lorsque les meuniers, fariniers et boulangers faisaient seuls ce commerce utile, la Ville de Paris a-t-elle jamais éprouvé une aussi grande disette ?

C'est dans ces circonstances que notre communauté supplie l'assemblée de choisir parmi ses membres un député pour, concurremment avec semblable députation de chaque district, en présence des syndics et adjoints de notre communauté, se rendre le lendemain matin à la Halle aux farines, à l'effet de les examiner pour en permettre ou en défendre la vente selon ce qu'il appartiendra et, du tout, dresser procès-verbal ; la suppliant, en outre, de déclarer, par une affiche apposée à la porte des boulangers, l'article du Journal de la Ville du 18 septembre présent mois, rédigé par Pierre de Luchet injurieux et calomniateur contre les membres de notre communauté, et de demander, au nom du district et de la communauté, que les boulangers, meuniers et fariniers soient seuls autorisés à acheter sur les marchés en justifiant d'un brevet signé des officiers de districts.

Signé : Bonnard, Thomas, Plicque, Huchon. Boudier. etc. (Au total, quarante-deux signatures).

Bailly n'est pas dupe.

Bailly, après avoir raconté dans ses Mémoires l'incident de la séance du 24 septembre, soir, ajoute les réflexions suivantes (t. II, p. 389) :

« Il est bien sûr qu'on avait des intentions perverses, et que le but était d'indisposer le peuple contre la Commune. J'observai alors que ce que j'avais annoncé était vérifié : les boulangers étaient soumis au Comité (des subsistances) avant que l'Assemblée (des Représentants) eût appelé à elle l'administration des subsistances, qui devait rester renfermée dans ce Comité; aussitôt que les boulangers ont aperçu une autorité supérieure, ils sont venus y porter des plaintes, dans l'espérance d'égarer plus facilement une Assemblée qu'un Comité; et l'Assemblée, après avoir souffert que son Comité fût compromis devant elle avec les boulangers, n'ayant pu leur accorder finalement que Justice, ce qui n'a pu les satisfaire, a été traînée elle-même devant les districts où les boulangers dominaient facilement et qu'ils ont invoqués comme une autorité supérieure, et plus aisée encore à égarer. »

    On peut consulter aux Archives nationales deux dossiers (Y 10002 et Y 10033) signalés par M. Tuetey (Répertoire général, t. 1, n°3210), contenant l'interrogatoire par le commissaire Beauvallet des sieurs Bonnard et Boudier, boulangers, arrêtés en vertu des ordres du Comité de police de l'Hôtel de Ville, pour avoir fait imprimer et distribuer dans les districts « des écrits tendant à soulever le peuple (25 septembre), et l'information ouverte contre le sieur Boudier (8 octobre).

Sylvain Bailly, maire de Paris


Conclusion ?

    Rien n'est simple dans ces affaires. Il y a effectivement des boulangers indélicats. Mais que dire de ces fermiers qui ne veulent ou ne peuvent vendre leur blé ou de ces meuniers qui ne veulent ou ne peuvent le moudre ? Qui leur interdit ? Leur interdit-on vraiment où la situation de crise les pousse-t-elle à le garder en attendant des jours meilleurs ? N'oublions surtout pas non plus les accapareurs, les monopoleurs qui achètent et stockent de grosses quantités pour vendre quand les prix seront au plus fort ! Nous verrons même qu'en situation de pénurie, du blé est vendu à l'étranger !

   La faim fait perdre la raison et rend violent. De nouvelles émeutes vont éclater, des boulangers seront pendus, des fournisseurs seront inquiétés. Ce problème de l'Ancien régime perdurera durant toute la Révolution, et ce, jusqu'à la fin de celle-ci, le 27 juillet 1794.


Attention, le paragraphe ci-dessous vous raconte la fin de la Révolution... 😉


La Révolution s'achèvera sans avoir pu apporter le pain pour tous.

    Après la seconde Révolution du 10 août 1792, une fois que la 1ère République aura été instaurée, des mesures plus vigoureuses seront prises pour satisfaire les besoins en pain. Le 15 novembre 1793 (26 brumaire An II selon le calendrier républicain), un décret sera promulgué par la Convention qui imposera pendant un temps un pain unique, le “pain de l’égalité”. Le texte stipulera que tous les Français doivent manger le même pain : « La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : Le Pain Égalité ».

    A forte teneur en son, et composé d'un mélange de trois quarts de froment et d'un quart de seigle : “tous les boulangers seront tenus, sous peine d’incarcération, de faire une seule et bonne espèce de pain”.

    La même année, le four banal, toujours en usage dans les campagnes et qui appartenait au seigneur local, devient un four communal, en conservant néanmoins un système de taxe. Les grandes fermes seront également autorisées à avoir leur propre four.

    La Convention montagnarde, sous la pression des masses populaires menacera de peine de mort les accapareurs le 26 juillet 1793. Il s’agissait des commerçants qui ne déclaraient pas et n’affichaient pas sur leur porte la liste de leurs stocks d’aliments. Cette loi promulguée dans un contexte de guerre ne sera jamais pleinement appliquée. La Convention créera aussi des greniers publics par districts le 9 août et mettra les récoltes en réquisition le 17 août. Enfin, l’une des mesures symboliques sera la loi du Maximum général à l’échelle nationale, votée le 29 septembre 1793, qui limitera les prix des denrées de première nécessité dont la viande fraîche et salée, le lard, le beurre, l’huile, le savon, le bois de chauffage, les souliers et surtout le pain. La loi du Maximum touchera ensuite les salaires.

    Pour les Montagnard et les robespierristes ces mesures reposaient sur un projet institutionnel basé sur le droit inaliénable aux subsistances primaires et le refus de l’autonomie de la sphère économique.

    Une fois que les armées contre-révolutionnaires auront été repoussées hors du territoire français durant l’été 1794 notamment après la bataille de Fleurus (26 juin 1794), le programme de l’An II commencera à être remis en cause. Il prendra effectivement fin après l’élimination de Robespierre, des Montagnards et de leurs alliés à la Commune de Paris.

Suite à la mort de Robespierre, aura lieu ce que les historiens appellent la « réaction thermidorienne ». La Convention opèrera petit à petit un détricotage de la législation dirigiste et sociale puis une répression s’abattra sur la base populaire et les députés montagnards. Le 24 décembre 1794, la loi du Maximum sera définitivement supprimée par la Convention, celle-ci voulant opérer un retour à une vision libérale sur le Commerce des grains.

    Malheureusement, par suite d'un hiver rigoureux et au rétablissement du libre commerce des grains, le printemps 1795 verra le retour de terribles disettes, voire de famines, dans le Bassin parisien ainsi que dans le nord de la France où se répandront des brigands. Cette crise alimentaire verra ressurgir les contestations populaires dans la capitale où la Convention, en parallèle du marché libre, ne parviendra pas à mettre en place des rations de pain suffisantes pour les plus pauvres. 

    Le 1er avril 1795 des manifestants avec une majorité de femmes envahiront la Convention pour demander plus d’accès au pain. 

    Le 20 mai 1795 une insurrection parisienne des faubourgs populaires envahira à nouveau la Convention en demandant « du pain et la constitution de 1793 ». Mais quelques jours plus tard la troupe militaire qui n’était pas intervenue dans la Capitale depuis le début de la Révolution française réprimera le mouvement et arrêtera 2 000 révolutionnaires considérés comme « terroristes », d’après une loi du 21 mars rédigée par l’Abbé Sieyès. Quelques jours plus tard les derniers députés Montagnards seront mis en accusation, emprisonnés, et pour certains condamnés à mort. Cela sonnera alors comme le chant du cygne du mouvement populaire parisien pour établir une législation populaire sur l’accès aux biens de subsistance primaires comme le pain tandis que le recours à l’armée par la Convention thermidorienne préfigurera le régime césariste de Napoléon Bonaparte. 

    Enfin, en octobre 1795 sera mis en place le Directoire qui niera la référence au droit naturel et aux principes de 1789 avec une constitution fondée sur le libéralisme économique et le suffrage censitaire. Boissy d’Anglas, grand théoricien de la Constitution du Directoire désire mettre en œuvre le « Gouvernement des meilleurs » et rêve d’une « réconciliation entre les riches et les pauvres », tout en stigmatisant les « mauvais citoyens qui ne possédant rien et ne voulant point travailler pour acquérir, ne vivent que dans le désordre et ne subsistent que de rapines ».

La Révolution française venait de se terminer.


Sources pour la dernière partie : 

https://lvsl.fr/la-revolution-francaise-et-la-conquete-du-pain/

https://www.radiofrance.fr/franceculture/prix-de-la-baguette-quand-le-cours-du-pain-etait-fixe-par-l-etat-7602312


mardi 29 septembre 2020

29 Septembre 1789 : Découpage du territoire en parts égales et des français en parts inégales

 

Carte de France divisée selon le projet du comité

    Monsieur Thouret présente ce jour à l’Assemblée le rapport rédigé par son comité, concernant d’une part la nouvelle division territoriale et administrative du royaume, et d’autre part les bases de la représentation des citoyens, entre actifs et passifs selon leur degré de fortune.

    Le comité chargé de cette tâche était constitué des membres suivants : Thouret , l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun (Talleyrand), Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

    La logique qui a présidé à la réalisation de ce rapport reposait d'une part, sur l’organisation d’un gouvernement représentatif, dont la justice et la stabilité dépendraient, selon ses rédacteurs, de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections. D'autre part, sur la création d’un nouveau système d'administration municipale et provinciale reposant également sur une base représentative proportionnelle.

Jacques Guillaume Thouret
    La similitude entre les deux objets justifiait selon le comité de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l'administration municipale et provinciale.

    Le comité fera également en sorte que la proportion des contributions directes d’une province ait jusqu’à un certain point, une correspondance avec le nombre de ses représentants élus, augmentant ainsi l’influence politique de ladite province. La province concernée serait alors intéressée non seulement à la perception des impôts de ses administrés, mais aussi aux améliorations intérieures susceptibles de développer son économie et par la même ses rentrées fiscales.

    Ce gouvernement représentatif reposera sur un suffrage censitaire. C’est-à-dire que seuls pourront voter et être élus les citoyens payant une certaine somme aux impôts. Pas question de suffrage universel, bien sûr (il faudra attendre la constitution de 1793).

    Pour avoir le droit de voter, il faudra être un (et pas une) contribuable en impositions directes, au taux local de 3 journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales, et à 10 journées pour être éligible.

     Ce système de sélection par l’argent et le sexe, fera que sur 26 millions de français, seuls 4.4 millions auront le droit de voter.

    A l’issue de sa présentation devant les députés de l’Assemblée, M. de Richier demandera qu'il soit fait une carte suivant le nouveau projet de division de la France, afin qu’elle puisse être distribuée et examinée dans les bureaux, et que chaque membre puisse offrir ses réflexions.

Guy Jean-Baptiste Target

    M. Target lui répondra que cette idée avait déjà été saisie par le comité. Cette carte, dans laquelle seront marquées les nouvelles divisions, sera soumise aux membres de l'Assemblée et envoyée aux provinces pour être corrigée d'après leurs vœux. Il ajoutera que : « On suivra, d'ailleurs, pour l'amélioration de ce plan toutes les idées de bien public que chaque citoyen voudra communiquer ».

    Le projet présenté ce jour par Monsieur Thouret se concrétisera par la publication du décret du 22 décembre 1789, relatif à la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives.

    Le nombre exact (83) des départements et leurs limites seront fixés le 26 février 1790 et leur existence prendra effet le 4 mars suivant.


Vous trouverez, ci-dessous, la première partie de la longue présentation du rapport, et bien sûr les liens pour lire la totalité.

Sources :

Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4

Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2


Rapport de M. Thouret sur les bases de la représentation proportionnelle, lors de la séance du 29 septembre 1789


M. Thouret au nom du nouveau comité de constitution, fait à l'Assemblée nationale un rapport sur les bases de la représentation proportionnelle.

Messieurs, le travail que votre nouveau comité a l'honneur de vous soumettre, tient, par un double rapport, à deux grandes parties de la Constitution.

D'une part, vous organisez le gouvernement représentatif, le seul qui convienne à un peuple libre ; mais sa justice et sa stabilité dépendent de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections.

D'autre part, vous voulez fonder un nouveau système d'administration municipale et provinciale. Cette administration, également représentative exige de même, et la représentation proportionnelle, et un ordre pour les élections.


Cette similitude entre les deux objets établit, par la nature de la chose même, l'importance de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l'administration municipale et provinciale.

Cette vérité, si propre tout à la fois, à affermir les différentes parties de la Constitution, en les liant l'une à l'autre, et à faciliter pour toujours l'exécution en la simplifiant, est la première qui nous a frappés. En suivant le fil qu'elle présente, nous sommes arrivés à la conviction que l'organisation de chaque grand district du royaume doit être constituée de manière qu'elle serve en même temps et à la formation du Corps législatif, et à celle des diverses classes d'assemblées administratives. C'est ainsi que d'un ressort commun partiront tous les mouvements du corps politique ; par-là, la conservation de ce ressort unique sera d'autant plus chère au peuple, qu'en le perdant il perdrait tous les avantages de sa Constitution ; par-là, sa destruction deviendrait plus difficile à l'autorité, qui ne pourrait le rompre qu'en désorganisant entièrement l'Etat.

Le comité a pensé que les bases de la représentation doivent être, autant qu'il est possible, en raison composée du territoire, de la population et des contributions. Avant de dire comment ces trois bases peuvent se combiner pour établir entre les divers districts électeurs la juste proportion de leurs députations, il est nécessaire de présenter, sur chacune des trois, quelques développements particuliers.

Base territoriale.

Le royaume est partagé en autant de divisions différentes qu'il y a de diverses espèces de régimes ou de pouvoirs : en diocèses, sous le rapport ecclésiastique ; en gouvernements, sous le rapport militaire ; en généralités, sous le rapport administratif ; en bailliages, sous le rapport judiciaire.

Aucune de ces divisions ne peut être ni utilement ni convenablement appliquée à l'ordre représentatif. Non-seulement il y a des disproportions trop fortes en étendue de territoire, mais ces antiques divisions, qu'aucune combinaison politique n'a déterminées, et que l'habitude seule peut rendre tolérables, sont vicieuses sous plusieurs rapports tant publics que locaux.

Mais puisque l'ordre que la Constitution va établir est une chose nouvelle, pourquoi l'asservi-rions-nous à des imperfections anciennes qui en contrarient l'esprit, et qui en gêneraient les effets, lorsque la raison et l'utilité publique commandent d'éviter ce double écueil ? Le comité a donc pensé qu'il est devenu indispensable de partager la France, dans l'ordre de la représentation, en nouvelles divisions de territoire égales entre elles autant qu'il serait possible.

Le plan de ces nouvelles divisions est projeté figurativement sur une carte du royaume ; vous y verrez, Messieurs, qu'on a respecté, autant qu'il a été possible, les anciennes limites, et la facilité des communications.

En suivant ce plan, la France serait partagée, pour les élections, en quatre-vingts grandes parties qui porteraient le nom de départements.

Chaque département serait d'environ 324 lieues carrées, ou de 18 lieues sur 18. On procéderait à cette division, en partant de Paris comme du centre, et en s'éloignant de suite, et de toutes parts, jusqu'aux frontières.

A ces quatre-vingts départements, il en faudrait ajouter un de plus, formé du district central où se trouve la ville de Paris. Cette grande cité mérite en effet, par son titre de métropole, par son énorme population, et par sa forte contribution, d'avoir le titre et le rang de département.

Chaque département serait divisé en neuf districts, sous le titre de communes, chacun de trente-six lieues carrées, et de six lieues sur six. Ces grandes communes seraient les véritables unités ou éléments politiques de l'empire français. Il y en aurait en tout 720.

Chaque commune serait subdivisée en neuf fractions invariables par le partage de son territoire en neuf cantons, de quatre lieues carrées, ou de deux lieues sur deux ; ce qui donnerait en tout 6,480 cantons. Chacune de ces fractions pourrait contenir des quantités variables, eu égard à la population et aux contributions.

La France contient environ 26,000 lieues carrées.

Or, 80 départements, de 324 lieues carrées ;

720 communes, de 36 lieues carrées

6,480 cantons, de quatre lieues carrées ; chacune de ces divisions remplit les 26,000 lieues du royaume.

Base personnelle, ou de population,

La véritable base personnelle, pour la représentation, sera dans le premier degré des assemblées qu'on peut appeler primaires.

Le comité s’est occupé d'établir une juste proportion, d'abord entre ces assemblées primaires, qui seront celles des citoyens de chaque canton ; ensuite entre les assemblées communales, composées des députés des cantons ; enfin entre les assemblées de département, formées par la réunion des députés élus dans les communes.

Le nombre des individus, en France, est d'environ 26 millions ; mais d'après les calculs qui paraissent les plus certains, le nombre des citoyens actifs, déduction faite des femmes, des mineurs, et de tous ceux que d'autres causes légitimes privent de l'exercice des droits politiques, se réduit au sixième de la population totale. On ne doit donc compter en France qu'environ 4 millions 400,000 citoyens en état de voter aux assemblées primaires de leur canton.

Si la population était égale à chaque canton, les 26 millions d'individus répartis sur 26, 000 lieues carrées qui composent l'étendue du royaume, donnerait 1,000 individus par lieue carrée, et par conséquent 4,000 individus par canton, dont le sixième en citoyens actifs formerait le taux moyen d'environ 680 votants par canton. Nous avertissons que par l'expression de citoyens votants, nous entendrons toujours non-seulement ceux qui seront présents, et voteront en effet, mais encore tous ceux qui auront de droit la faculté de voter.

La population étant inégalement répartie, on ne doit pas douter qu'elle sera dans un grand nombre de cantons au-dessous de 4,000 individus, et de 680 votants ; mais ce qui manquera au taux moyen dans les cantons moins peuplés, se retrouvera en excédant dans ceux qui le seront davantage, et sera employé au moyen de la formation de doubles, triples ou quadruples assemblées primaires dans ces cantons plus peuplés. On sent que Paris est l'extrême en ce genre.

Le comité a pensé que les assemblées primaires doivent être établies au taux moyen de 600 votants, afin d'éviter les inconvénients des assemblées trop nombreuses.

Il y aurait toujours une assemblée primaire en chaque canton, quelque faible que fût la population ; mais il ne pourrait y en avoir deux que quand le nombre des volants se trouverait élevé à 900. En ce cas seulement l'assemblée d'un canton se partagerait en deux, afin qu'il pût y avoir toujours au moins 450 votants dans chaque assemblée primaire.

Si par la suite un nouvel accroissement de population élevait encore une de ces assemblées au nombre de 900, il faudrait qu'avant de pouvoir former une troisième assemblée dans le canton, elle reversât une partie de ses membres sur l'autre assemblée qui n'aurait pas le taux moyen de 600 votants, jusqu'à ce que celle-ci eût atteint ce taux moyen. Réciproquement, si la population diminuée réduisait une des assemblées au-dessous de 450 votants lorsque l'autre ne serait pas élevée au-dessus de ce taux, elles seraient obligées de se réunir, puisque le nombre des votants produit par cette réunion serait moindre de 900.

Il arriverait ainsi, dans le premier cas, qu'à quelque nombre que les assemblées primaires pussent être portées dans un canton, il n'y en aurait jamais que deux qui pourraient être au-dessous du taux moyen de 600 votants, ou qu'une seule qui pourrait l'excéder ; et dans le second cas, qu'il n'y aurait jamais qu'une seule assemblée dans un canton, quand il fournirait moins que 900 votants.

Il résulte de ce qui précède les trois conséquences suivantes :

La première, que si le nombre des cantons est invariable, il n'en est pas ainsi des assemblées primaires ;

La deuxième, qu'au lieu de fixer le nombre des assemblées primaires à 6,480, à raison du nombre des cantons, il est vraisemblable qu'elles se trouveront plus nombreuses, parce qu'elles suivront les vicissitudes de la population ;

La troisième, qu'un citoyen qui ne changera ni de canton ni de domicile, pourra cependant se trouver dans le cas de changer d'assemblée, lorsqu'il deviendra nécessaire démultiplier ou de réduire celles de son canton.

Base de contribution.

Le comité a pensé que la proportion des contributions directes devait entrer jusqu'à un certain point dans celle des députations.

Il est juste que le pays qui contribue le plus aux besoins et au soutien de l'établissement public, ait une part proportionnelle dans le régime de cet établissement.

Il est encore d'une sage prévoyance d'intéresser par-là les provinces à l'acquit des contributions, et aux améliorations intérieures qui n'augmenteront pour elles la matière de l'impôt, qu'en augmentant en même temps leur influence politique.

Ces premières considérations n'ont pas seules déterminé l'opinion du comité. Il a senti la nécessité d'avoir égard aux contributions directes, pour rectifier l'inexactitude de la base territoriale, qui n'est établie que sur l'égalité des surfaces. Un arpent de 50 livres de rapport, et taxé sur ce taux, est réellement double d'un arpent de 25 livres de revenu, qui n'est taxé que sur ce moindre produit. Ainsi, l'égalité des territoires par leur étendue superficielle, n'est qu'apparente et fausse si elle n'est pas modifiée par la balance des impositions directes qui rétablit l'équilibre des valeurs ; et c'est par là que la base de contribution tient essentiellement à la base territoriale, et en fait partie.

Le rapport des contributions est nul sans doute, lorsqu'il s'agit de balancer les droits politiques d'individu à individu, sans quoi l'égalité personnelle serait détruite, et l'aristocratie des riches s'établirait ; mais cet inconvénient disparaît en entier, lorsque le rapport des contributions n'est considéré que par grandes masses, et seulement de province à province. Il sert alors à proportionner justement les droits réciproques des cités, sans compromettre les droits personnels des citoyens.

Formation des assemblées graduelles pour le Corps législatif.

I. Tous les citoyens actifs d'un canton se formeront en une ou plusieurs assemblées primaires, suivant leur nombre, comme il a été dit ci-dessus, pour envoyer leurs députés à l'assemblée communale.

Le comité pense que pour ce premier degré des assemblées, élément fondamental de toute la représentation, il ne faut avoir égard qu'à la seule population. Chaque homme, dès qu'il est citoyen actif, doit jouir pour en premier acte, de toute la valeur de son droit individuel.

Le district d'une assemblée primaire est d'ailleurs trop borné, et la prépondérance des hommes puissants y serait trop immédiate, pour qu'on doive y mettre en considération, soit le territoire, soit les contributions. Ainsi, le nombre des députés à élire par les assemblées primaires, ne serait réglé que par le nombre des votants, à raison d'un députe par 200 votants.

D'après la donnée des 4,400,000 citoyens actifs, il y aurait environ 22,000 députés élus par la totalité des assemblées primaires, et envoyés en nombre inégal à 720 communes.

Le comité propose que les qualités nécessaires pour entrer, à titre de citoyen actif, dans l'assemblée primaire de son canton, soient :

1° d'être Français, ou devenu Français ;

2° d'être majeur ;

3° d'être domicilié dans le canton, au moins depuis un an ;

4° d'être contribuable en impositions directes, au taux local de trois journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales ;

5° de n'être pas pour le moment, dans un état servile (1), c'est à-dire, dans des rapports personnels, trop incompatibles avec l'indépendance nécessaire à l'exercice des droits poli¬ tiques.

(1) L'état servile, exclu ici, ne peut s'entendre, sous aucun rapport, des anciens mainmortables, dont la servitude a d'ailleurs été abolie par le décret de l'Assemblée nationale du 4 août dernier.

Pour être éligible, tant à l'assemblée de la commune qu'à celle de département, il faudra réunir les conditions ci-dessus, à la seule différence qu'au lieu de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail, il en faudra payer une de la valeur de dix journées.

Les députés nommés par les assemblées primaires se réuniront au chef-lieu de la commune, et puisque nous avons considéré les communes comme étant les premières unités politiques qui doivent concourir et se balancer pour former la législation, il faut que les trois éléments de la représentation proportionnelle entrent dans la composition de leurs députations.

C'est ici le lieu d'expliquer comment les trois bases du territoire, de la population et de la contribution peuvent être combinées avec autant de justice dans les résultats que de facilité dans le procédé.

La base territoriale est invariable, et supposée égale ; celles de la population et des contributions sont variables, et d'un effet inégal dans chaque commune. On peut donc attribuer à chacune des neuf communes une part de députation égale et fixe, à raison de leur territoire, attacher deux autres parts de députation, l'une à la population totale du département, l'autre à la masse entière de sa contribution directe, et faire participer chaque commune à ces deux dernières parts de députation, à proportion de ce qu'elle aurait de population, et de ce qu'elle payerait de contribution.

Ainsi, en supposant que l'assemblée générale de département qu'il s'agit ici de former, dût être composée de 81 députés des communes, il faudrait en attacher invariablement le tiers, montant à 27, au territoire du département, et par conséquent 3 au territoire de chaque commune ; chacune des 9 assemblées communales nommerait donc également 3 députés, à raison de son territoire.

Il faudrait ensuite attribuer 27 députés à la population totale du département, et diviser cette population en 27 parts, de manière que chaque commune nommerait autant de députés qu'elle aurait de vingt-septièmes parties de population.

Les 27 autres députés seraient attachés à la contribution en impôts directs et celte contribution étant divisée de même en 27 parts, donnerait autant de députés à chaque commune, qu'elle payerait de vingt-septièmes dans la masse totale des impositions directes.

La population de chaque département sera facilement connue, puisque celle de chaque commune sera constatée par le nombre des députés qui y seront arrivés des assemblées primaires. La contribution sera également connue, puisque les départements et les communes auront l'administration de l'impôt dans leurs territoires. Au moment de la première formation des assemblées, les communes qui n'auraient pas ces connaissances pourront aisément les acquérir en se communiquant respectivement ces éclaircissements avant de procéder aux élections.

Les assemblées de département nommeraient par le même procédé les députés à l'Assemblée nationale, à raison de 9 députés par département ; ce qui porterait 720 députés à l'Assemblée nationale.

Des 720 députés nationaux, le tiers montant à 240 serait attaché au territoire, et donnerait invariablement trois députés par département.

Le second tiers de 240 serait réparti sur la population totale du royaume, qui, divisée en deux cent-quarante parts, donnerait autant de députés à chaque département qu'il aurait de deux cent quarantièmes parties de population.

Enfin, les 240 autres députés seraient accordés à la contribution, de manière qu'en divisant la masse totale des impositions directes du royaume en deux cent-quarante parts, chaque département aurait un député à raison du payement d'une deux cent quarantième parties.

Le comité pense que pour être éligible à l'Assemblée nationale, il faut payer une contribution directe, équivalente à la valeur d'un marc d'argent.

Il croit encore qu'il est d'une prévoyance sévère au premier coup d'œil, mais sage et nécessaire, qu'aucun représentant ne puisse être élu pour la seconde fois, qu'après l'intervalle d'une législature intermédiaire, afin d'éviter l'aristocratie des familles en crédit, qui parviennent à se perpétuer dans les emplois, même électifs. L'expérience de tous les temps et de tous les pays démontre ce danger.

Le plan qui vient d'être exposé pour la formation des assemblées et des élections graduelles a réuni les suffrages de votre comité, parce qu'il lui a paru produire trois grands avantages.

Le premier est d'établir de la manière la plus sûre, et par les principes les plus justes, une représentation exactement proportionnelle entre toutes les parties du royaume, en y faisant entrer tous les éléments dont elle doit nécessairement se composer.

Le second est de fixer pour le maintien de la proportion établie un mode constitutionnel, dont le principe demeurant inaltérable et permanent se prêtera toujours dans l'application à toutes les variations de la population et des contributions.

Le troisième est de pouvoir appliquer la même méthode à la formation des assemblées provinciales ; en sorte qu'un mouvement uniforme fasse arriver la représentation nationale au Corps législatif, et la représentation provinciale aux assemblées administratives.

Cette première partie de notre travail ne se borne pas à vous offrir le supplément qui vous était nécessaire pour compléter la Constitution dans l'ordre législatif ; elle vous présente encore des dispositions toutes préparées, pour hâter l'établissement du régime intérieur des provinces : et c'est maintenant à cette seconde partie de notre plan que nous allons passer.

Projet d'arrêté relatif à cette première partie du travail.

Art. 1er. La France sera partagée en divisions de 324 lieues carrées chacune, c'est-à-dire, de dix-huit sur dix-huit, autant qu'il sera possible, à partir de Pans, comme centre, et en s'éloignant en tous sens jusqu'aux frontières du royaume. Ces divisions s'appelleront départements.

Art. 2. Chaque département sera partagé en neuf divisions de 36 lieues carrées de superficie, c'est-à-dire, de six sur six, autant qu'il sera possible. Ces divisions porteront le nom de communes.

Art. 3. Chaque commune sera partagée en neuf divisions, appelées cantons, de quatre lieues carrées, c'est-à-dire, de deux sur deux.

(1) La lieue adoptée est la lieue commune de 2,400 toises.

Art. 4. Tous les citoyens actifs, c'est-à-dire, tous ceux qui réuniront les qualités suivantes :

1° d'être né Français, ou devenu Français ;

2° d'être majeur ;

3° d'être domicilié dans le canton au moins depuis un an ;

4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ;

5° de n'être pas alors dans une condition servile, auront droit de se réunir pour former dans les cantons les assemblées primaires.

Art. 5. Nul citoyen ne pourra exercer les droits de citoyen actif dans plus d'un endroit, et dans aucune assemblée personne ne pourra se faire représenter par une autre.

Art. 6. Dans tout canton il y aura au moins une assemblée primaire.

Art. 7. Tant que le nombre des citoyens actifs d'un canton ne s'élèvera pas à 900, il n'y aura qu'une assemblée dans ce canton ; mais dèsle nombre 900, il s'en formera deux de 450 chacune au moins.

Art. 8. Chaque assemblée tendra toujours à se former autant qu'il sera possible au nombre de 600, qui sera le taux moyen ; de telle sorte néanmoins que, s'il y a plusieurs assemblées dans un canton, la moins nombreuse soit au moins de 450. Ainsi, au-delà de 900, mais avant 1,050, il ne pourra y avoir une assemblée complète de 600, puisque la seconde aurait moins de 450. Dès le nombre 1,050 et au-delà, la première assemblée sera de 600, et la deuxième de 450, au plus. Si le nombre s'élève à 1,400, il n'y en aura que deux, une de 600 et l'autre de 800 ; mais à 1,500 il s'en formera trois, une de 600 et deux de 450 ; et ainsi de suite, suivant le nombre de citoyens actifs de chaque canton.

Art. 9. Toutes les assemblées primaires de chaque canton députeront directement à l'assemblée de leur commune.

Art. 10. Pour être éligible à l'assemblée communale, ainsi qu'à celle de département, il faudra réunir aux conditions d'électeur, c'est-à-dire de citoyen actif, celle de payer une contribution directe plus forte : cette contribution se montera au moins à la valeur locale de dix journées de travail.

Art. II. Chaque assemblée primaire députera à fa commune à raison d'un membre sur 200 votants.

Art. 12. L'assemblée communale, formée des députés des assemblées primaires, choisira ses députés pour le département, parmi tous les citoyens éligibles de la commune.

Art. 13. Chaque assemblée de département sera composée de 81 membres, dont un tiers, c'est-à-dire 27, sera député par les 9 communes du département, à raison du territoire ; ce sera donc 3 députés par commune, puisque les territoires des communes sont égaux entre eux, étant composés d'un égal nombre de cantons égaux.

Art. 14. Le second tiers formant 27 députés sera envoyé par les 9 communes, à raison de la population active de chaque commune. Ainsi, la somme totale de la population des 9 communes ou du département sera divisée en 27 parts ; et chaque commune aura autant de députés qu'elle contiendra de ces vingt-septièmes.

Art. 15. Le troisième tiers se distribuera par une semblable opération en raison de la contribution respective des 9 communes. La somme totale des contributions directes des 9 communes, ou du département, sera divisée en 27 ; et chaque commune enverra un député pour chaque vingt-septième qu'elle payera.

Art. 16. Ces deux dernières opérations donnant lieu nécessairement à des fractions, les fractions ne pouvant être que faibles ne seront pas comptées, parce qu'elles se compensent entre elles.

Art. 17. Les assemblées de département formeront par leurs députés l'Assemblée nationale, qui sera composée de 720 membres.

Art. 18. Le tiers de ce nombre, c'est à-dire 240, sera envoyé par les départements à raison du territoire ; 240 à raison de la population, et 240 à raison de la contribution respective, ainsi qu'il a été dit ci-dessus relativement aux communes, mais en divisant entre les départements la population du royaume et la masse entière de la contribution directe en 240 parts.

Art. 19. Nul membre de l'Assemblée nationale ne pourra être réélu pour l'Assemblée suivante. Il sera nécessaire qu'entre deux élections de la même personne, il y ait au moins une Assemblée d'intervalle.

Signé : Thouret, l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun, Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

Source :

Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4

Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2







mercredi 19 août 2020

19 Août 1789 : Le travail sur la déclaration des droits de l'homme progresse enfin.

 

Stanislas Clermont-Tonnerre

    De nombreux projets étaient en cours d'étude concernant la déclaration des droits de l’homme, qui devait servir de préambule à la future constitution.

    Différents bureaux de l'Assemblée s'étaient attelés à la tâche. Mais ce 19 août 1789, sous la présidence de Stanislas Clermont-Tonnerre, l’Assemblée va retenir le projet, dit du sixième bureau, dont les membres sont plutôt "conservateurs".

    Je vous donne à lire ci-dessous, un long extrait du procès-verbal de la séance de ce 19 août, dont certains passages sont passionnants.

    Mais pour vous aider à mieux comprendre les conditions de l’accouchement difficile de cette déclaration, je vous propose de lire un article très intéressant daté de l’été 1988, dont voici le lien : https://www.lhistoire.fr/les-six-jours-des-droits-de-lhomme

    Pour les plus studieux d’entre vous, voici donc l’extrait du procès-verbal :

La discussion sur la déclaration des droits, présentée par le comité des cinq, est reprise.

M. l'abbé Bonnefoy :

"Après avoir comparé les divers plans de déclaration des droits avec celle de M. de Lafayette, j'ai vu que cette dernière est le texte dont les autres ne forment que le commentaire. Je trouve dans le plan de M. Mounier les mêmes maximes augmentées de plusieurs autres. Je conclus pour celui de M. de Lafayette, qui est simple et clair, et qui réunit en peu de mots les droits primitifs de l'homme. Je désire seulement qu'on y ajoute : « que l'homme a un droit sacré à sa conservation et à sa tranquillité, et que l'Etre suprême a fait les hommes libres et égaux en droits."

M. Pellerin :

"Le principe de toute société consiste dans la propriété et dans la liberté.

L'homme perd de cette liberté à raison de ce que la loi lui défend.

L'homme perd de sa propriété par les contributions qu'il doit à la chose publique.

Telles sont les restrictions que l'on doit apporter aux principes fondamentaux.

Il semble, au surplus, que c'est les reconnaître que de promettre à chacun liberté, sûreté et propriété.

Si les principes sont certains, si chacun connaît ses droits, il paraît qu'il est plus facile de les concevoir que de les exprimer ; chacun de nous a senti que si c'était notre devoir d'éclairer nos concitoyens sur leurs droits, il n'était pas moins prudent de les éclairer sur l'exercice de ces mêmes droits ; c'est un flambeau salutaire dans les mains de l'homme sage et paisible, qui devient une torche incendiaire dans les mains d'un furieux.

Sans doute tous les principes que l'on nous a présentés sont vrais en eux-mêmes ; mais il a fallu étayer les conséquences qui pouvaient devenir dangereuses.

Aussi cette méthode a-t-elle gêné tous les auteurs ; tantôt il a fallu taire des principes, tantôt il a fallu les circonscrire. C'est ainsi qu'il a fallu prévenir les fausses interprétations. C'est à vous à guider le peuple dans les routes obscures où il serait entraîné. C'est à vous à l'instruire.

Vous allez lui indiquer ses droits ; mais ces droits supposent des devoirs : il est incontestable que les uns ne peuvent exister sans les autres ; ils ont entre eux des idées relatives. Il est incontestable, en effet, qu'aucun citoyen n'a de droits à exercer, s'il n'y a pas un autre citoyen qui ait des devoirs à remplir envers lui.

Il faut donc établir que les droits ne peuvent exister sans les devoirs ; ainsi, lorsque nous établissons que la vie de l'homme, son honneur, son travail, forment sa propriété, il convient cependant de dire qu'il en doit une portion à la patrie. Ainsi il convient encore d'ajouter que, lorsque l'on porte atteinte à ses droits, il ne doit pas repousser la force par la force, mais recourir à la justice.

Nous n'oublierons pas surtout de rappeler à l'homme qu'il ne tient pas la vie de lui-même ; que les vertus sont récompensées. C'est par la méditation de ces vérités que l'on rétablit la morale et que l'on parvient à rendre les hommes vertueux.

Un membre a présenté un projet qui, dans deux colonnes, renferme les droits de l'homme et les devoirs du citoyen. Cette forme éprouvera peut-être des difficultés ; mais jamais on ne doit renoncer au mieux. Et si l'Assemblée n'en reconnaît pas la nécessité, elle ne peut se refuser à celle d'y céder.

Je demande donc une déclaration qui renferme les droits et les devoirs de l'homme en société."

M. le vicomte de Mirabeau :

"Pour trancher le nœud gordien, je propose qu'à la place d'une déclaration des droits, on mette simplement à la tête de la Constitution : pour le bien de chacun et de tous, nous avons arrêté ce qui suit, etc."

M. Guiot :

"Vous avez deux grands inconvénients à éviter : le premier, de vous traîner sur les pas des préjugés ; le second, de vous égarer dans les détails obscurs de la métaphysique, et de substituer des maximes artificielles aux vérités simples de la nature : il faut remonter au principe générateur et en suivre les conséquences. Il existe, et il doit en exister un qui embrasse tous les droits et tous les devoirs de l'homme ; c'est celui de veiller à la conservation de son être ; les autres n'en sont que la suite naturelle."

Monsieur le Président propose d'aller aux voix pour admettre ou rejeter la discussion du projet proposé par le comité des cinq, article par article.

Il est arrêté presque unanimement de ne pas s'en occuper.

Il fallait cependant un projet quelconque, comme un canevas sur lequel l'Assemblée rédigerait une déclaration.

M. le marquis de Bonnay, voyant qu'on refusait la proposition de choisir un des projets présentés, réfute avec beaucoup de précision les objections qu'on lui avait faites la veille, sur le danger à opiner pour ce choix dans les bureaux. La forme de l'appel des voix, dit-il, est une opération fatigante et défectueuse. L'ennui des lectures pourrait faire adopter par lassitude un projet qui ne serait pas le meilleur. Dans les bureaux, au contraire, chacun jouira de son suffrage et de sa liberté, en indiquant le nom de l'auteur et le titre du projet ; les listes des bureaux ne seront pas des résultats, mais de simples résumés ; les membres sont plus rapprochés, et les inexactitudes moins fréquentes. Cette méthode est plus courte que celle de l'appel en assemblée générale, puisque dans les bureaux on appellera trente membres à la fois.

M. Desmeuniers représente que l'Assemblée a rejeté d'avance la manière de prendre les voix par bureaux. Il regarde comme une subtilité de dire que les résumés des bureaux n'étaient pas des résultats.

M. de Castellane oppose le règlement qui ne permet pas d'autre forme de délibérer que par assis ou levé et par l'appel des voix en cas de doute sur la majorité ; ce qui exclut l'appel des voix par bureaux.

M. Pétion s'y oppose aussi, et dit qu'il désire qu'on mette en délibération les différents projets proposés.

M. Pérez de Lagesse fait valoir en faveur des projets de déclarations proposés par les membres du comité de Constitution la même considération qui avait fait délibérer sur le projet proposé par le comité des cinq.

M. de Lally-Tollendal :

L'Assemblée nationale a décrété qu'une déclaration des droits de l'homme serait mise en tête de la Constitution à établir : ainsi il n'y a plus à revenir sur cette question.

Ce serait peut-être un argument pour ceux qui trouvaient quelques inconvénients à celte déclaration que la difficulté que nous éprouvons à en arrêter une, la diversité de celles qui nous ont été présentées, les débats qui s'élèvent sur les textes, sur le sens de la plupart, sur leur trop grande étendue ou sur leurs bornes trop circonscrites, sur la profondeur de l'une, que l'on appelle obscurité, et sur la simplicité de l'autre, que l'on traite de faiblesse.

Si, entre douze cents que nous sommes, nous avons tant de peine à nous réunir sur la manière d'entendre cette déclaration, croirons-nous que l'intelligence de vingt-quatre millions d'hommes s'y fixe d'une manière uniforme ?

"Les Anglais, c'est-à-dire le peuple du monde entier qui entend le mieux la science du gouvernement, je ne crains pas de le dire, j'avais besoin de le dire, et lorsque nous naissons à peine à cette science, en vérité il y a trop de témérité à nous de prétendre rabaisser ceux que des siècles de méditation et d'expérience ont éclairés, et que la nature n'a pas doués inégalement entre tous les hommes de la faculté de penser et de recueillir ; les Anglais, dis-je, ont plusieurs actes qui constatent leurs droits et qui sont les fondements de leurs libertés. Dans tous ces actes, soit sous leur grande charte sous le roi Jean, soit dans leurs différentes pétitions, et sous les trois Edouard, sous Henri IV, soit dans leurs pétitions des droits sous Charles 1er, soit enfin dans leur Bill du droit et dans leur acte déclaratoire sous Guillaume, ils ont constamment écarté toutes ces questions métaphysiques, toutes ces maximes générales susceptibles de dénégation, de disputes éternelles, et dont la discussion atténue toujours plus ou moins le respect dû à la loi qui les renferme; mais ils y ont substitué de ces vérités de fait qu'on ne peut entendre que d'une manière, qu'on ne peut réfuter d'aucune, qui n'admettent ni discussion ni définition, et qui réduise la mauvaise foi elle-même au silence. Ainsi, quand ils ont dit qu'aucun homme ne soit emprisonné ou arrêté que par un jugement légal de ses pairs, la liberté des Anglais est devenue un axiome, personne n'a eu besoin de raisonner, personne n'a osé disputer, chacun a su qu'il était maître de lui, et que la loi seule pouvait entreprendre sur sa liberté, et que c'était de lui que la loi tenait ce pouvoir.

C'est sans doute une grande et belle idée que celle d'exposer tous les principes pour en tirer toutes les conséquences ; de faire remonter tous les hommes à la source de leurs devoirs ; de les pénétrer de la dignité de leur être avant de leur assurer la jouissance de leurs facultés, et de leur montrer la nature avant de leur donner le bonheur.

Mais je demande, et c'est le seul objet du rapprochement que je viens de faire, je demande ce que j'ai déjà demandé il y a longtemps, que l'on écarte de cette idée le mal qui peut se placer à côté du bien dans les meilleurs institutions ; je demande que celte déclaration de droits soit aussi courte, aussi claire, aussi réduite qu'il se pourra; que, le principe posé, on se hâte d'en tirer la véritable conséquence, pour que d'autres n'en tirent pas une fausse, et que, après avoir transporté l'homme dans les forêts, on le reporte sur le-champ au milieu de la France.

J'ai lu toutes ces déclarations ; j'ai admiré la profondeur des unes, la sagacité des autres. Le projet proposé par M. Mirabeau est satisfaisant sous un rapport ; c'est un de ceux, qui ont le plus écarté toutes ces subtilités métaphysiques. Plusieurs articles peuvent et doivent remplir toutes les vues ; mais d'autres sont trop vagues : plusieurs principes, justes en eux-mêmes, mais trop généralisés, pouvaient entraîner des conséquences effrayantes ; l'article 3, par exemple, pourrait entraîner des dangers incalculables.

J'avoue qu'aucune ne m'a paru aussi claire, aussi simple, aussi sévèrement conformes aux principes, et cependant aussi sagement adaptée aux convenances, aux lieux et aux temps, que celle projetée par M. Mounier. J'y trouve celle de M. de Lafayette, dont je fais un grand cas, et je l'y trouve encore perfectionnée. Je crois qu'on pourrait même la réduire, y faire quelques changements, y joindre le début de celle qu'a proposée hier M. de Mirabeau. Je l'inviterai surtout à y joindre un article que j'ai trouvé dans celle de M. Pison du Galand, sur le rapport de l'homme avec l'Etre suprême ; qu'en parlant de la nature on parle de son auteur, et qu'on ne croie pas pouvoir oublier, en formant un gouvernement, cette première base de tous les devoirs, ce premier lien des sociétés, ce frein le plus puissant des méchants, et cette unique consolation des malheureux L'article de M. du Galand est applicable à tous les cultes, à toutes les religions ; j'insiste pour qu'il fasse partie de la déclaration ; j'insiste pour que M. Mounier soit invité à corriger, d'ici à demain, son projet de déclaration, et à le mettre sous les veux de l'Assemblée.

Si cette déclaration devait encore entraîner plus de débats, je me joindrais à l'avis qui a été ouvert hier de marcher en avant sur les points de la Constitution, sauf à revenir ensuite sur les principes généraux dont nous les faisions précéder. Je ne serai point effrayé de l'inconséquence qu'on voudrait reprocher à cette marche. Les principes de fait que nous avons à établir sont indépendants des principes de raisonnement d'où nous voulons les faire dériver.

Ces principes de fait sont les seuls qui nous soient tracés, qui nous soient dictés par tous nos commettants ; notre fidélité est comptable de ceux-là ; c'est notre zèle qui a voulu rechercher les autres. Enfin le peuple attend, le peuple désire, le peuple souffre ; ce n'est pas pour son bonheur que nous le laissons plus longtemps en proie aux tourments de la crainte, aux fléaux de l'anarchie, aux passions mêmes qui le dévorent et qu'il reprochera un jour à ceux qui les ont allumées. Il vaut mieux qu'il recouvre plus tôt sa liberté, sa tranquillité ; qu'il recueille plus tôt les effets, et qu'il connaisse plus tard les causes.

M. Lanjuinais :

"Il y a deux manières de voter ; elles sont fixées par le règlement ; c'est la voie de l'appel nominal, ou le vote par assis et levé."

M. Desmeuniers : "Je m'oppose au vote dans les bureaux qui a été demandé."

M. Pétion :

"Je propose d'aller aux voix par assis et levé sur chaque projet de déclaration des droits en suivant l'ordre de leur présentation, et d'accepter celui qui aura réuni le plus de suffrages."

Monsieur le Président :

"Sera-t-il procédé par la voie de l’appel au choix d’une des déclarations des droits de l’homme et du citoyen, soumise à l’Assemblée, sous la réserve expresse que la déclaration préférée sera ensuite discutée article par article ?"

Cette question est résolue affirmativement.

En conséquence il a été procédé à l’appel des voix pour choisir la déclaration de droits dont les articles seront d’abord discutés. La pluralité des suffrages s’est réunie en faveur de celle qui a pour titre : Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, discutée dans le sixième bureau de l’Assemblée nationale. La déclaration de Monsieur l’abbé Sieyès a obtenu le plus de voix après celle-ci.

La suite des échanges porte sur une demande de l’imprimeur qui a demandé un emplacement plus vaste. Le président invite ensuite le comité des rapports à s’assembler à cinq heures, celui des subsistances à six heure : ainsi que les trente membres désignés pour former les deux comités des matières ecclésiastiques et civiles, afin de se distribuer dans ces deux comités.

La séance de l’Assemblée nationale reprendra à sept heure du soir.

Source du procès-verbal :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4867_t2_0457_0000_11

Gravure de Claude Niquet en 1789.
(On voit sous celle-ci, le despotisme foudroyé.)