mercredi 21 septembre 2022

Valmy ? Quelques précisions s'imposent.

 Article mis à jour le 21 septembre 2023

Le Duc de Chartres, futur roi Louis-Philippe, et son frère, le Duc de Montpensier, rendent compte de la bataille de Valmy au Maréchal de Rochambeau, près du moulin de Saint-Sauve, le 20 septembre 1792.
Peinture d'Éloi Firmin Féron, ministère de la Défense.

La bataille de Valmy n'est pas vraiment finie.

    Chaque fois que je publie mon article sur Valmy, j'ai droit à un ou deux petits commentaires gentils ou pas, minimisant l'importance de cette première victoire de l'armée révolutionnaire le 20 septembre 1792.

    Cela n'a pas manqué hier, quand quelqu'un m'a dit que cela n'avait été qu'une petite canonnade et que l'issue de la bataille avait été arrangée entre Francs-maçons des deux camps.

"Petite canonnade"

La "petite canonnade, ou le mythe chevaleresque des belles morts.

    Effectivement, Valmy n'a été principalement "qu'une canonnade". Mais vous comprendrez mieux en lisant le texte ci-dessous, pourquoi une victoire par canonnade ne pouvait pas impressionner les contemporains de Valmy. Il est extrait d'un document rédigé par Élise Meyer, intitulé "Valmy, la victoire à contretemps", publié aux Annales historiques de la Révolution française. Le document est contemporain, documenté et critique, ce qui devrait plaire à ceux qui me reprochent parfois l'ancienneté de mes sources. 😉

Extrait du texte :

"Or Valmy n'a été qu'une canonnade. Malgré la modernité de cet affrontement à l'artillerie de plusieurs heures, l'utilisation de cette dernière est peu mise en valeur dans la rhétorique patriotique : la guerre doit être gagnée par des hommes qui ont vécu dans leur chair le combat, qui ont donné des coups et qui en ont reçu. Cela est confirmé par les parades de blessés, ainsi que par la célébration des martyrs ou perçus comme tels, comme Beaurepaire lors la campagne de l'Argonne. Outre la manière dont s'est déroulé l'affrontement, celui-ci n'a de plus occasionné que peu de morts, ce qui ne fait donc guère impression sur les contemporains. Néanmoins, cette mythologie guerrière du combat sanglant à l’arme blanche s’imbrique dans un système idéologique plus large, dont les racines remontent selon Hervé Drévillon aux valeurs issues des romans de chevalerie comme le goût de la prouesse et du coup d’éclat. Le rejet des armes à feu explique selon lui l’irrationnalité de certaines décisions militaires françaises jusqu’à la fin du XIXe siècle, comme le sacrifice inutile des cuirassiers à Reichshoffen en 1870. Au moment de Valmy, le décalage entre les valeurs militaires chevaleresques et le perfectionnement des armes à feu est donc particulièrement perceptible au sein de l’opinion, puisqu’elle ne peut considérer un combat à l’artillerie comme un événement décisif."

Source : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03628732/document

    Ce texte évoque la charge inutile de Reichshoffen du 6 août 1870. Cela m'a aussi fait penser à la bataille de Rossignol, le 22 août 1914, quand l'état-major envoya mourir inutilement 27.000 soldats français en les faisant archaïquement charger à la baïonnette, en pantalons rouges, devant les modernes mitrailleuses allemandes.

La charge des cuirassiers à Reichshoffen.


    L'armée française a souvent été en retard d'une guerre. A Valmy, ce fut le contraire grâce aux canons de l'ingénieur Gribeauval, les meilleurs canons de l'époque, qui firent souvent la différence sur les champs de batailles révolutionnaires et napoléoniennes.

Canon "Gribeauval"

La légende noire (ou la forgerie en histoire).

    Il faudra un jour prochain que je rédige un article dédié à la construction de la légende noire de la Révolution française. A noter que cette légende noire servit de terreau, ou plutôt de fumier, pour nombre de nos théories complotistes contemporaines, mettant régulièrement en accusation les Francs-Maçons et les Juifs. Mon article du 20 juillet 1789 en donne tout de même un bon aperçu.

    N'oublions pas que ce sont d'abord des historiens royalistes qui les premiers ont écrit sur la Révolution, et ce, dans un esprit de revanche, bien sûr. L'objectif principal était de salir le souvenir de la Révolution. Ils ont vraiment bien travaillé puisque la légende noire qu'ils ont forgée continue de subjuguer les héritiers ingrats de ladite Révolution. Quelques histrions en font même leurs choux gras en faisant pleurer le bon peuple sur les malheurs de l'aristocratie, grâce à de complaisantes émissions de télévisions et de livres mal écrits !

    Autant de raisons pour lesquelles, chaque fois que j'évoque Valmy, quelqu'un me parle soit de Francs-maçons, soit de l'achat de la victoire par Danton avec les bijoux volés de la couronne de France. Je m'attends à ce qu'un jour quelqu'un évoque aussi les Juifs, les Illuminati ou les Reptiliens !

Volontaires en route vers Valmy

Résistance nationale.

    Lorsqu'on lit le tome 2, "Valmy" de la série d'ouvrages concernant "Les guerres de la Révolution" de l'historien du 19ème siècle, Arthur Chuquet, on découvre avec surprise la résistance qu'opposèrent aux Prussiens, les paysans des Ardennes !
    Le jeune prince Charles de Ligne évoqua cette résistance imprévue dans une lettre inachevée que l'on trouva sur lui, après qu'il eut été tué en chargeant une batterie française le 14 septembre 1792.

Lisez l'extrait ci-dessous (page 121) :

(…) Ils laissaient au nombre des morts le prince Charles Joseph - Emmanuel de Ligne. Il avait reçu deux balles en chargeant, lui neuvième, une batterie française de trois canons qui s'était portée trop avant, sans être soutenue par l'infanterie. Il tomba de cheval et rendit l'âme presque aussitôt ". On le fouilla ; on trouva dans sa poche une lettre inachevée qui révélait la triste situation de l'armée des alliés ; elle fut publiée dans le Moniteur. « Nous commençons, disait le prince, à être assez las de cette guerre où Messieurs les émigrés nous promettaient plus de beurre que de pain. Mais nous avons à combattre les troupes de ligne dont aucune ne déserte, les troupes nationales qui restent, tous les paysans qui sont armés ou tirent contre nous ou nous assassinent quand ils trouvent un homme seul ou endormi dans une maison. Le temps, depuis que nous sommes en France, est si détestable que tous les jours il pleut à verse et les chemins sont si impraticables que dans ce moment nous ne pouvons retirer nos canons. De plus, la famine ; nous avons tout le mal imaginable pour que le soldat ait du pain, et la viande manque souvent. Bien des officiers sont cinq, six jours sans trouver à manger chaud ; nos souliers et capotes sont pourris, et nos gens commencent à être malades. Les villages sont déserts, et ne fournissent ni légumes, ni eau-de-vie, ni farines. Je ne sais comment nous ferons et ce que nous deviendrons, Quelquefois on se donne le petit plaisir, comme moi ......»

Source : Arthur Chuquet "Les guerres de la révolution" Tome 2, Valmy, page 121 : https://play.google.com/books/reader?id=aSpLAAAAMAAJ&pg=GBS.PA120&hl=fr

Le prince Charles de Ligne

L'attitude de la noblesse française.

    Le Prince Charles de Ligne était Belge, raison pour laquelle je n'accablerai pas ce jeune homme élevé par son père dans le plaisir de guerroyer. Apprenez que celui-ci s'adonnait également au plaisir de l'estampe. (Lire ce document et regarder ici ses eaux fortes).

    Quant à la noblesse française, tous ses représentants n'avaient pas trahi la France en rejoignant les quelques nobles réfugiés à Coblence. Beaucoup furent même dès le début, d'ardents participants de la Révolution.
Estampe caricaturant les nobles émigrés à Coblence

    Le roi Louis-Philippe, par exemple, garda toujours un souvenir ému de cette "affaire de Valmy" comme on l'appela à l'époque (avant de réaliser l'importance de celle-ci).
    Au cours de cette campagne révolutionnaire de septembre 1792, Louis-Philippe était alors Duc de Chartres et il commandait une brigade de cavalerie composée du 14e et du 47e régiment de dragons. Son jeune frère, le Duc de Montpensier lui servait d'aide de camp.


Le jeune Duc de Chartres, futur roi Louis Philippe

    "Le jeune Louis Philippe d'Orléans, duc de Chartres, calme et bien visible sur son cheval au milieu de la tourmente, prêta son concours aux officiers de ligne pour raffermir et reformer leurs bataillons. Âgé de seulement 19 ans, le rang élevé du duc en tant que commandant de division était dû à son statut de fils du duc d'Orléans, l'un des hommes les plus riches de France et le chef de la branche cadette de la famille royale. "Je n'ai jamais vu un général aussi jeune que vous", déclara Dumouriez lors de leur première rencontre. « Je suis le fils de celui qui vous a nommé colonel et je suis entièrement à votre service », répondit le duc."

Source : https://weaponsandwarfare.com/2018/05/18/louis-philippe-dorleans-duke-of-chartres-at-valmy/

Campement militaire au 18ème siècle


    Parmi tous les régiments présents à Valmy, seuls deux étaient des régiments de volontaires et tous les autres étaient des régiments de la vieille armée de ligne de l'ancien régime. Je vous invite à lire ci-dessous ce qu'expliqua le général Blaise Duval au général prussien Christian Karl August Ludwig von Massenbach, venu parlementer.

"Duval retint Massenbach auprès de lui, pendant qu'une ordonnance allait annoncer au quartier général de Grandpré l'arrivée d'un parlementaire. Il causait sur un ton à la fois digne et familier. « Les alliés, dit-il au major, font une folie en intervenant dans les affaires intérieures de la France. Ils n'en ont pas le droit et ils supporteront les conséquences de la lutte qu'ils ont imprudemment engagée sur la foi des présomptueux émigrés. Vous croyez, Monsieur, arriver à Paris : mais moi qui sers depuis quarante-cinq ans, moi qui ai médité sur la guerre, je sais que vous n'irez pas à Paris, tout comme Charles XII n'est pas allé à Moscou. Nous connaissons la force de vos armées et la faiblesse de vos ressources. Vous trouverez quelque part votre Pultava (Défaite du roi de Suède Charles XII devant Poltava en 1709). Alors vous penserez à moi... Comment le roi de Prusse a-t-il pu s'unir à cette perfide Autriche contre une nation dont il est l'allié naturel ? Vous ne pourrez faire en France la contre-révolution, vous rendrez seulement la révolution plus forte et plus puissante. Ne comptez pas que notre armée se range sous vos drapeaux. Nous autres, nous sommes de vrais Français et nous méprisons Lafayette. Ne vous fiez pas aux promesses des émigrés. Ils ont pour la plupart passé leur jeunesse dans les orgies de la cour et les voluptés de la capitale ; ils n'ont ni vertu ni énergie : ils ne connaissent ni l'armée ni le peuple. Si c'étaient des gens de cœur et d'esprit, ils seraient restés dans leur patrie, ils n'auraient pas abandonné au jour du danger et leur poste et leur roi. Je fais des exceptions ; il y a parmi les émigrés des hommes d'honneur, entraînés par la masse et qui rentreront bientôt dans leur pays... On vous a dit, ajoutait Duval, qu'il n'y avait plus de généraux en France, qu'on avait dû donner les commandements aux premiers venus ; mais, Monsieur, n'êtes-vous pas étonné de voir mes cheveux blancs ? Il y a dans notre armée beaucoup d'officiers qui en sont à leur troisième ou quatrième guerre et qui ont quitté leur famille pour défendre la liberté. Savez-vous que Dumouriez était maréchal de camp avant la Révolution ? » (Cette conversation est authentique ; cp . Massenbach, Mémoires, I ,64). Duval se doutait que ses paroles seraient fidèlement rapportées au camp prussien. Il voyait son interlocuteur très attentif, car, dit Massenbach (dans ses mémoires), je devais écouter et je n'étais pas venu pour m'engager dans une polémique et convertir mon homme. Duval parla donc des renforts considérables qu'on attendait, de Beurnonville qui devait arriver le jour suivant, de Kellermann qui n'était qu'à deux marches de Grandpré. La conversation se poursuivit jusqu'à dix heures du soir. Massenbach apprit alors que Dumouriez n'était pas à Grandpré et qu'il ne pourrait le voir ni ce jour-là ni le lendemain. Il prit congé de Duval. Lefort l'accompagna jusqu'au bord de l'Aire, et l'assura que Dumouriez n'imiterait pas Lafayette et qu'« il n'était pas question d'un second Coriolan ». Le major savait désormais qu'il existait une armée française digne de ce nom. Tous les officiers qu'il avait vus dans le camp de Duval, avaient bon air et belle tournure ; j'eus dès lors, écrit - il, une favorable opinion de ces troupes qu'on nous représentait si misérables".


Source : Arthur Chuquet "Les guerres de la révolution" Tome 2, Valmy, page 131 : https://play.google.com/books/reader?id=aSpLAAAAMAAJ&pg=GBS.PA130&hl=fr

    Apprenez pour info, que Dumouriez finit par trahir lui aussi, comme Lafayette.

    Ce texte donne une image différente de l'armée révolutionnaire, au sein de laquelle de vieux soldats de l'ancien régime, y compris des nobles, étaient avant tout fidèles à la France.


Conclusion (provisoire) 😉

    Valmy n'a pas fini de faire parler. Cet événement constitue presque en France une ligne de démarcation politique entre les républicains et leurs adversaires.

    Il y aurait donc encore beaucoup à dire sur Valmy. Je crois vous avoir donné quelques pistes de lectures.


Merci pour votre lecture

Bertrand Tièche, alias le Citoyen Basset.



Post Scriptum :

    Pour revenir, avec humour, sur les théories du complot, voici le diagramme ci-dessous, produit par les abrutis de Q-Anon. Il vous aidera à comprendre tout ce que l'on vous cache, y compris c'est certain, sur la "French revolution"
Plein d'autres diagrammes explicatifs débiles sur ce lien :
https://throughthelookingglassnews.wordpress.com/2017/11/24/q-anon-learn-to-read-the-map/

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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand