Il y a quelques jours, j'ai acquis cette estampe d'époque (1792), représentant la prise des Tuileries, le 10 août 1792 (début de la seconde
Révolution française). Cette gravure a une particularité. Il s'agit d'une vue
d'optique. Vous connaissez ?
En quoi est-elle différente des autres gravures ou estampes
? Comme les estampes classiques, les vues d'optiques étaient gravées à l'eau forte sur plaques de cuivre, puis colorées au pochoir. Leur taille était d'environ 23 cm
par 40 cm. Elles étaient vendues elles-aussi par des boutiquiers et des colporteurs.
Cependant, elles étaient destinées à être regardées au travers d'un
appareil d'optique très particulier qui les grossissait et qui leur donnait de
la profondeur, le zograscope ! (Vous comprenez mieux à présent pourquoi sur ces gravures,
certains détails sont si petits !)
Zograscope ?
Le nom de cet appareil étrange se décompose en 3 mots d'origine grecque. On reconnaît la racine "zo" (Zoo) la vie ; le
préfixe des mots relatifs à l'écrit "grapho" et le verbe scopein "observer, voir". On pourrait donc traduire zograscope ainsi : "voir et enregistrer (écrire) la vie". Il était également connu sous le nom
de miroir diagonal, de machine à pilier optique ou
de machine diagonale optique.
Voici à quoi cela ressemblait, une sorte de visionneuse ou
de rétroprojecteur. L'observateur regardait au travers d'une lentille double
convexe, l'image posée à plat, reflétée par un miroir incliné à 45° placé
devant la lentille (on parle alors de vision catoptrique).
Le zograscope |
Regardez dans le zograscope, via cette vidéo !
Et lisez cet article évoquant une exposition du musée Paul Dupuy de Toulouse, d'où vient la vidéo ci-dessus : Un voyage dans l'œil du zograscope.
- En 1677, l'écrivain allemand Johann Christoph Kohlhans avait décrit l'effet produit par une lentille convexe dans une camera obscura (chambre obscure) comme si le sujet apparaissait « nu devant l'œil en largeur, familiarité et distance ». Cette découverte était promise à un riche avenir !
- En 1692, William Molyneux avait écrit dans son "Dioptrica Nova" comment « Des parties de perspective semblaient naturelles et fortes au travers de lunettes convexes dûment appliquées ».
C'est aux Pays-Bas, au 17ème siècle, que ces expériences débouchèrent sur une application destinée au public. Cette nouveauté enthousiasma aussi bien la bonne société que le petit peuple.
On appelait "peep show", "peep boxe", "raree show" ou "rarity show" (spectacle rare), le spectacle extraordinaire produit par cet appareil optique si spécial.
Beaucoup de gens étaient si émerveillés, si désorientés par ce phénomène qu'ils ne comprenaient pas, qu'ils considéraient cela comme de la magie ! Heureusement que les Hollandais Protestants, renommés pour leur tolérance, ne brûlaient pas ces montreurs d'images magiques !
Montreur de Peep show (1835 Adolph Glasbrenner Guckkästner) |
Dans le monde des arts, certains artistes de la peinture hollandaise de l'âge d'or du XVIIe siècle, comme Pieter Janssens Elinga et Samuel Dirksz van Hoogstraten, inventèrent eux aussi un type de peep-show avec une illusion de perception de la profondeur en manipulant la perspective de la vue.
Boite à perspective d'Elinga (Musée de La Haye) |
Beaucoup de ces "boîtes de perspective" ou "optiques" étaient déjà équipée (comme le zograscope), d'une lentille biconvexe de grand diamètre et d'une petite dioptrie pour une perspective exagérée, donnant une plus forte illusion de profondeur. La plupart des images montraient des sujets architecturaux et topographiques avec des perspectives linéaires.
Jusqu'au bout du monde !
Les Hollandais étant d'aussi grands commerçants que de
grands voyageurs, raisons pour laquelle ils exportèrent vers leurs comptoirs commerciaux au Japon (l'autre pays des estampes) ces
boîtes à images. Les Japonais appelèrent les zograscope : 和蘭眼鏡
(Oranda megane, "lunettes hollandaises") ou 覗き眼鏡
(nozoki megane "lunettes voyeuses"), quant aux images ils les
appelèrent 眼鏡絵 ( megane-e , « image optique ») ou 繰絵
(karakuri-e "image délicate").
Estampe japonaise représentant une mère et son enfant, devant un zograscope. |
L'arrivée en France du zograscope
C'est en 1730 qu'apparurent à Paris les premiers
zograscopes, alors appelés "optiques". Ils incorporaient un miroir mais
manquaient du moyen simple de faire varier la distance de l'objectif à l'image.
En 1745, les premières versions anglaises de ces appareils ont
commencé à se diffuser et bientôt de nombreuses vues en perspective ont été
imprimées pour répondre à la demande du public, principalement des vues d'architecture urbaine (au début). La
plus ancienne référence connue du dispositif anglais se trouve dans une
publicité d'un journal anglais d'avril 1746. Le terme machine
diagonale optique date de 1750.
Ci-dessous des "zograscopeurs".
Les zograscopes devinrent rapidement très populaires au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, aussi bien dans les beaux salons du grand monde, que sur les places de villages du petit peuple. Transportés à dos d’homme par les colporteurs, les zograscopes constituaient un formidable vecteur de diffusion d’images dans les provinces et les campagnes.
Sur cette image extraite du "Transparent" de Carmontelle, le montreur d'optique se situe au pieds du premier arbre situé à gauche. (Je vais évoquer Carmontelle plus bas) |
- Vue et Perspective de la Trinité à Vienne. A Paris chez Chereau rue St Jacques au Coq. Gravure collée sur carton, avec nombreuses découpes et rubans de couleurs collés au dos pour l'effet de nuit.
Verso de la gravure, avec les rubans de couleurs sur les découpes. |
Dans ce XVIIIe siècle si inventif, dont nous découvrons ensemble la seconde partie turbulente, ce succès des spectacles de vues d’optique répondait à la curiosité grandissante de l’ensemble de la société envers le monde.
Les gens avaient toujours aimé, voire adoré, les images. Mais celles-ci, en dehors des églises et des châteaux, avaient été jusque-là fort rares.
Comme l'imprimerie, qui au 16ème siècle avait favorisé la Réforme protestante, (sans laquelle elle aurait échoué, comme les autres tentatives de réformes auparavant), l'évolution des moyens de fabrication et de diffusion des images allait bouleverser la société de l'ancien régime et faire entrer nos ancêtres dans la société des images.
Images colorées, lumineuses, animées, ça ne vous fait penser à rien ? Sur quoi lisez-vous cet article ?
Vous remarquerez au passage que le 18ème siècle vole la vedette au 19ème siècle, quant aux premiers spectacles publics d'images animées !
Pourquoi je parle d'images animées ? Continuez votre lecture 😉
Porcelaine du 18ème siècle. Enfants devant une boite à image. |
De l'usage des images
Les éditeurs d'images donnèrent bien sûr une place importante aux sujets d’actualité, souvent dramatiques : guerres, catastrophes naturelles et industrielles, événements politiques, etc. Mais ils n'oublièrent pas de faire rêver leur public avec l’évocation d’un passé magnifié, telles les grandes compositions consacrées à l’histoire antique et aux Merveilles du monde.
Rome au temps de son antique splendeur |
La ville et de la tour de Babel (1761) (Source Gallica) |
Genre populaire par excellence, le spectacle de vues
d’optique était aussi un outil très efficace au service du pouvoir. Les
montreurs d’images diffusaient en province une vision heureuse et idyllique de
la monarchie : bals masqués, fêtes privées ou officielles, feux d’artifice,
mariages royaux, étaient autant d'occasions de fédérer le peuple autour du souverain,
mais aussi de diffuser en province les modes de la Cour et de la haute société.
Vue d'optique du feu d'artifice donnée le 30 mai 1770, en l'honneur du future Louis XVI et de Marie Antoinette. |
La mode des vues d’optique satisfaisait également le goût du voyage et de l’exotisme si caractéristique du 18ème siècle, en montrant des représentations de villes, de monuments ou de paysage de l'étranger.
Voulez-vous voyager un peu ?
Alhambra de Grenade |
L'antique cité de Palmyre (Source) |
La ville de Nanquin, en Chine. |
La Sibérie |
Le Maroc |
La Martinique |
Ce Parisien était un portraitiste et un paysagiste. Il créa des jardins pour Philippe
d'Orléans et le Duc de Chartres (le parc Monceau) et organisa des fêtes. Il était
également connu comme écrivain pour ses "Proverbes dramatiques",
petites pièces théâtrales que les aristocrates jouaient entre eux.
Cette vidéo de 22 minutes présente l'œuvre graphique de Carmontelle :
Le "Transparent" de Carmontel
C'est en 1798 que Carmontelle présenta au Domaine de Sceaux son
"Transparent".
L'ensemble comprenait un coffre dans lequel un rouleau de quarante-deux mètres, constitué de 119 dessins réalisés sur feuilles de papier collées bout à bout, se déroulait et s'enroulait. Le panorama était éclairé à contre-jour, ou par des bougies.
Au cours de cette séance de cinéma avant l'heure, le public émerveillé découvrit les paysages de l'île de France qui s'animèrent alors sous les yeux de ces spectateurs amateurs de jeux optiques. La représentation fut accompagnée de musique de chambre, de bruitages et d'historiettes.
Sur le thème des quatre saisons, le transparent
illustrait des scènes de la vie campagnarde où les paysans et les aristocrates
vaquaient à leurs occupations. Les paysans moissonnaient le blé, sciaient
du bois, pêchaient dans l'étang, transportaient des vivres vers les châteaux, etc.
Source : Blog de Catherine Alice Palagret
Voici un extrait de ce Transparent (sans musique, hélas) :
Pendule de 1810, portant un zograscope. (Source) |
Sur le site Stringfixer :Sur le site Proantic :Présentation très complète sur tous les systèmes d'optiques :Sur le blog Machines du Fantasmagore :
Documents PDF :
Sur le site du Ministère de la Culture :Sur le site de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier :Sur le site Researchgate.net (En Anglais) :Le livre complet (492 pages) de Laurent Mannoni :