dimanche 7 juin 2020

Juin 1789 : Un Louis XVI mal habillé, un Gustave III égaré et une Marie-Antoinette avisée

Gustave III, rois de Suède


















Source

    J'ai trouvé cette curieuse anecdote dans le livre de Charles Kunstler "Fersen et son secret", (que vous pouvez découvrir en bas de page). Mais c'est dans l'ouvrage de Mathieu Auguste Geffroy "Gustave III et la cour de France" que j'ai trouvé le plus d'explications concernant le contexte politique du séjour du roi Gustave III de Suède à la Cour de France. Cette anecdote s'est produite obligatoirement après l'arrivée de Gustave III à Paris le 7 juin 1789. Mais n'oublions pas que cette date correspond également à la mort tragique du fils ainé de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Louis Joseph Xavier François.

 Visite incognito du roi de Suède à Paris

    Lors de son séjour à Venise, le roi de Suède Gustave III avait décidé d’aller en France (Gustave III était un souverain francophile et réformateur. Il avait été adepte de la philosophie des Lumières, au début de son règne). Il s'était séparé d’une partie de sa suite et n'avait gardé auprès de lui qu’Axel de Fersen, Armfelt, Peyron et Franc. Ils arrivèrent le 7 juin, à Paris.
    Le roi de Suède – ou plutôt le comte de Haga, car Gustave avait décidé de garder l’incognito – descendit chez le baron de Staël, son ambassadeur, qui demeurait rue du Bac. Le baron de Staël était également l’époux de la fille du ministre Jacques Necker. Puis Gustave III se rendit à Versailles.

Un roi de France avec un talon rouge et l'autre noir.

    Louis XVI chassait à Rambouillet. Averti par M. de Vergennes (1), il revint en toute hâte. On ne trouva point la clé de son appartement, ni ses valets de chambre. Les premiers venus l’habillèrent. Si bien que le roi de France parut devant son hôte « avec un soulier à talon rouge et un autre à talon noir, une boucle d’or et une autre d’argent, et ainsi du reste »

Chaussures d'homme du 18ème siècle

.    Gustave soupa dans les petits appartements avec Louis XVI et Marie-Antoinette. Afin d’être plus libre, il refusa le logement qu’on lui avait préparé au château et logea en ville, chez Touchet, le baigneur. 
    A partir de ce moment-là, ce ne furent, pour le comte de Haga et sa suite (au sein de laquelle figurait Fersen, le tendre ami de la reine), que réjouissances de toutes sortes. Le plus souvent, le souverain dînait et soupait au château de Versailles et, presque chaque soir, il assistait à deux ou trois représentations, au cours desquelles un public enthousiaste l’applaudissait et l’acclamait. L’opéra monta pour lui Armide, la Caravane, de Gréty, les deux Iphigénie, de Gluck, le Seigneur bienfaisant, Atys, Didon.

(1) De quel Vergenne s'agit-il ? Car le Vergen, ennemi de Necker était mort le 13 février 1787.


Un roi qui se perdit par la musique

Source du timbre commémoratif
    Gustave III était connu pour son goût des cérémonies et des spectacles ; ce goût avait même dégénéré en une passion qu’il lui fallait satisfaire à tout prix. Il en était venu en Suède à exercer une véritable tyrannie envers la noblesse de sa cour pour que rien ne manquât à ses fêtes. Il fallait que, sur son ordre, des jeunes filles de haute naissance, des mères, des vieillards, quittassent leurs familles pour paraître sur le théâtre, où il se montrait lui-même. On risquait la ruine de tout crédit et le renversement de toute fortune, si l’on tardait de complaire à de bizarres caprices qui donnaient au règne de Gustave III un fâcheux air de ridicule despotisme. C’était à l’Opéra que les ministres étrangers pouvaient entretenir le roi des intérêts de leurs cours, et l’ambassadeur de France regardait comme un solide avantage d’y avoir sa loge à côté de la sienne. 

Le ministre de Danemark avait écrit en 1781 :

 « Tel jeune cavalier de la noblesse suédoise, qui autrefois passait ses matinées à lire l’Esprit des Lois ou les oraisons de Cicéron, les emploie maintenant à faire des entrechats et des cabrioles. Le peuple, qui s’assemblait anciennement pour disserter des affaires de l’état, court actuellement en foule aux comédies pour voir représenter les parodies des opéras qui se donnent aux théâtres de la cour, et les troupes de comédiens qui se forment de toutes parts dans les provinces, ainsi que les institutions de bals, assemblées et mascarades, prouvent assez que le goût du spectacle et des amusements se répand à l’excès par tout le royaume. »

Un ambassadeur désapprobateur

    Le baron de Staël, cachait mal dans sa correspondance diplomatique, des opinions bien différentes de celles de son maître Gustave III. Bien qu’il lui fût redevable de sa charge d’ambassadeur à Paris et de son mariage avec la fille du ministre Necker, le baron ne craignait pas, dans ses dépêches, de désigner la reine Marie Antoinette « comme l’unique auteur de tous les maux qui affligeaient la France ». Mieux encore, il s’efforçait de la noircir aux yeux de Gustave III. « La Reine, mécontente du parti que votre Majesté a pris de déclarer la guerre à la Russie, lui écrivait-il, m’a dit, à plusieurs reprises, que ce n’était pas son opinion. »

Le baron de Staël

La perfide Albion...

    Le roi de Suède Gustave III avait été poussé à déclarer cette guerre par l’Angleterre et la Prusse, alliées depuis le récent avènement de Frédéric-Guillaume, successeur de Frédéric II.     Le but général de la ligue anglo-prussienne était de tenir en échec la Russie et l’Autriche (pays natal de Marie-Antoinette), en suscitant contre elles la Suède, la Pologne et les Turcs. Par ailleurs, la Suède avait perdu ses dominions baltes pendant la grande guerre du Nord avec la Russie entre 1700 et 1721 et comptait les récupérer par cette guerre. L’Angleterre cherchait particulièrement l’occasion de se venger du secours prêté par la France aux colonies d’Amérique. Déjà, en mettant aux prises les Russes et les Turcs, elle avait causé un grand embarras à la France, amie de ces deux peuples ; elle essayait cette fois de nuire davantage encore à la France en détournant d’elle Gustave III. On avait compris à Versailles d’où venait le coup, et l’on essaya en vain de retenir le roi de Suède.

    Marie-Antoinette avait compris cela. Mais qu’est-ce que Louis XVI, avec ses chaussures dépareillées, avait compris à cette affaire ?

Marie-Antoinette représentée par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1788


Fersen et son secret :

samedi 30 mai 2020

30 Mai 1789 : Le Duc d'Antraigues essaie de donner une leçon d'histoire au Tiers État.

Le Duc d'Antraigues

    Pour évoquer cette journée du 30 mai 1789, je vous propose d’écouter cette intervention de l’historien Guillaume Mazeau, spécialiste de la Révolution, diffusée sur France Culture le 23 décembre 2016.

    Guillaume Mazeau, est Maître de conférences en histoire moderne à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du conseil scientifique des Catacombes. Je vous conseille d'écouter ses autres interventions radiophoniques via le lien suivant :
https://www.radiofrance.fr/personnes/guillaume-mazeau

Cliquez sur la flèche ci-dessous pour écouter le podcast :

 

    Voici également le texte de cette intervention. (Sa lecture vous évitera la publicité pénible en début du podcast...)

    Le 30 mai 1789, à 6 heures du soir, ceux qui entrent à l’hôtel de la Chancellerie, à Versailles, savent qu’ils s’apprêtent à jouer une partie de l’avenir du royaume. Envoyés par le Tiers État, le clergé et la noblesse, qui sont alors réunis séparément à l’hôtel des Menus Plaisirs, ces commissaires sont censés débloquer une situation lourde de menaces.

    Et pourtant, malgré la gravité du moment, le comte d’Antraigues, se lance dans un extravagant point d’histoire : les États Généraux de « 1560, 1576, 1588 et 1614 portent le témoignage que la vérification des pouvoirs y fut faite par ordre », affirme-il. Remontant jusqu’à ceux de 1356, il rappelle que, je le cite encore, « dans les deux procès-verbaux de ces États, les principales séances furent tenues en trois lieux divers, pour chacun des trois ordres ». Chargé de documents, le représentant du Tiers État lui répond point par point, arguant que les habitudes ne valent rien face à la raison qui, par l’examen des faits historiques, ne permet pas de prouver que la séparation des trois ordres dans des salles différentes tient davantage de la loi que des simples habitudes.

    Sans vainqueur, les champions se séparent.

    Pour mieux comprendre ce qui se noue autour de cette querelle, il faut replonger dans une histoire qui nous semble bien connue et qui, pourtant, se révèle bien plus exotique que l’on croit généralement : celle des débuts de la Révolution française.

    Depuis le 6 mai, les 1177 députés convoqués par le roi s’opposent frontalement. Trois semaines après le discours d’ouverture de Louis XVI les sommant de résoudre le plus vite possible la grave crise financière, ceux-ci n’ont en réalité même pas commencé à donner le moindre avis, occupés à une bataille en apparence des plus étranges, portant sur des questions de procédures électorales.

    Le Tiers État réunit 663 députés. 663, c’est deux fois plus que ceux de la noblesse et du clergé. Et pourtant, ces hommes vêtus de noir demeurent sous-représentés par rapport à leur importance réelle dans la société française, dont ils rassemblent, en réalité, plus de 98%. En outre, ce n’est qu’après une longue bataille qu’ils ont obtenu, cinq mois plus tôt, leur doublement.

    Malgré cette victoire, certains députés du Tiers affichent leur volonté d’aller plus loin. Pour le moment, le doublement du Tiers ne lui assure aucun poids supplémentaire dans les décisions qui seront prises à l’issue des États Généraux : les votes sont en effet comptés par ordre et non par individu, ce qui, compte tenu de l’alliance des privilégiés, réduit le Tiers Etat, même plus nombreux, à l’impuissance. Le vote par tête devient dès lors l’enjeu politique principal.

    D’autre part, les interminables discours de Barentin, le Garde des Sceaux, et de Necker, le ministre d’État, ont indigné les plus patriotes. Alors qu’ils étaient arrivés chargés de nombreuses doléances, appelant à d’amples changements, les voilà sommés de ne discuter, et le plus promptement possible, que de la question des finances publiques. Investis de puissantes attentes, ils réalisent, médusés, qu’ils ne sont là que pour faire ce que l’on attend d’eux : acquiescer à la réforme de l’impôt. Contrairement à leurs espérances, le roi leur ordonne en outre de se réunir en trois chambres séparées, afin de respecter la hiérarchie des ordres du royaume.

    Le piège politique s’est ainsi refermé : en insistant sur l’imminence de la banqueroute de l’Etat, les ministres ont su imposer le discours de la nécessité et faire croire qu’il pas d’autre choix que de se plier à l’agenda pressé des créanciers du Trésor Public et de reporter, voire de laisser là les projets de profonde régénération de la nation.

    En séparant les trois ordres dans des chambres distinctes, le message est limpide : ces États Généraux ne sont rien d’autre que ce qu’ils ont été dans l’histoire du royaume : une assemblée consultative, destinée à se séparer après avoir « consenti » à l’impôt, euphémisme signifiant, dans le langage de la monarchie absolue, « obéir ».

    Indignée, la partie la plus radicale des députés du Tiers choisit alors une stratégie décisive, dans laquelle les grands discours ne leur sont, dans l’immédiat, d’aucune utilité. C’est, contrairement à l’impression que le grand roman de la Révolution nous a souvent laissée, par une lutte acharnée sur les questions les plus arides et tatillonnes de procédures électorales, que ces députés vont, en quelques semaines, réussir à faire exploser un des États les plus autoritaires d’Europe.

    A peine réunis, assumant le risque de désobéir, ces députés entrent dans une résistance inattendue : alors qu’ils sont censés au plus vite commencer à vérifier la légalité des procédures électorales, ils décident de ne pas le faire, faisant du vote par tête et de la vérification en commun une condition préalable au début des débats. Délibérer en commun, réunir ensemble les députés des trois ordres dans un même lieu, c’est, en effet, transformer les États Généraux en Assemblée représentative de toute la nation, c’est-à-dire, en Assemblée nationale. C’est, en somme, par une simple question de procédure, amorcer une révolution politique.

    Cela, les députés des ordres privilégiés le savent parfaitement. C’est pourquoi dès le début, s’appuyant sur l’autorité de « traditions » non écrites et à interprétation variable, ils acceptent, parce qu’ils y ont intérêt, l’agenda de l’urgence installé par le roi et ses ministres, afin de pousser le Tiers à la faute.

    Pétris de courage, taraudés par la peur, les députés du Tiers tentent, quant à eux, de ralentir le tempo imposé. C’est grâce à ce refus d’obéir aux nécessités d’une histoire déjà en marche, c’est grâce cette volonté de se saisir du temps et à imposer leur propre rythme que les députés du Tiers réussissent à, littéralement, « prendre le temps » de la monarchie.

    Un mois plus tard, au début du mois de juin, les États Généraux qui avaient été présentés comme la dernière chance d’éviter la crise, n’ont toujours pas commencé et pourtant la catastrophe annoncée n’est pas arrivée. En revanche, ce temps interminable a permis à ceux qui occupent de fait la salle commune des États Généraux, de parler, de débattre, de s’affronter, de s’organiser : c’est en somme dans ce temps volé à l’histoire jusqu’ici écrite par le pouvoir et les élites privilégiées que s’est inventée la parole politique moderne, révélant enfin combien les obscures controverses sur l’histoire des procédures électorales était, en vérité, un combat fondamental pour la souveraineté.

 

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/petit-precis-dhistoire-lusage-des-candidats/prendre-le-temps-prendre-le-pouvoir-etats

30 Mai 1789, 18 heures, Hôtel de la Chancellerie, Versailles : Joute verbale.

Hôtel de la Chancellerie, Versailles.

    Je vous invite à écouter ce podcast diffusé par Radio France le 23 décembre 2016 ou à lire le texte correspondant retranscrit ci-dessous. Il raconte la confrontation qui a eu lieu lors de la Conférence organisée le 30 Mai 1789 à l'Hôtel de la Chancellerie de Versailles et en expose brillamment les enjeux. 

Cliquer sur l'image ci-dessous pour accéder au podcast,


Ou lisez le texte suivant :

"Une nouvelle histoire de vote ce matin avec l'historien Guillaume Mazeau".

Avec Guillaume Mazeau Historien

Le 30 mai 1789, à 6 heures du soir, ceux qui entrent à l’hôtel de la Chancellerie, à Versailles, savent qu’ils s’apprêtent à jouer une partie de l’avenir du royaume. Envoyés par le Tiers État, le clergé et la noblesse, qui sont alors réunis séparément à l’hôtel des Menus Plaisirs, ces commissaires sont censés débloquer une situation lourde de menaces.

Et pourtant, malgré la gravité du moment, le comte d’Antraigues, se lance dans un extravagant point d’histoire : les États Généraux de « 1560, 1576, 1588 et 1614 portent le témoignage que la vérification des pouvoirs y fut faite par ordre », affirme-il. Remontant jusqu’à ceux de 1356, il rappelle que, je le cite encore, « dans les deux procès-verbaux de ces États, les principales séances furent tenues en trois lieux divers, pour chacun des trois ordres ». Chargé de documents, le représentant du Tiers État lui répond point par point, arguant que les habitudes ne valent rien face à la raison qui, par l’examen des faits historiques, ne permet pas de prouver que la séparation des trois ordres dans des salles différentes tient davantage de la loi que des simples habitudes.

Sans vainqueur, les champions se séparent.

Pour mieux comprendre ce qui se noue autour de cette querelle, il faut replonger dans une histoire qui nous semble bien connue et qui, pourtant, se révèle bien plus exotique que l’on croit généralement : celle des débuts de la Révolution française.

Depuis le 6 mai, les 1177 députés convoqués par le roi s’opposent frontalement. Trois semaines après le discours d’ouverture de Louis XVI les sommant de résoudre le plus vite possible la grave crise financière, ceux-ci n’ont en réalité même pas commencé à donner le moindre avis, occupés à une bataille en apparence des plus étranges, portant sur des questions de procédures électorales.

Le Tiers État réunit 663 députés. 663, c’est deux fois plus que ceux de la noblesse et du clergé. Et pourtant, ces hommes vêtus de noir demeurent sous-représentés par rapport à leur importance réelle dans la société française, dont ils rassemblent, en réalité, plus de 98%. En outre, ce n’est qu’après une longue bataille qu’ils ont obtenu, cinq mois plus tôt, leur doublement.

Malgré cette victoire, certains députés du Tiers affichent leur volonté d’aller plus loin. Pour le moment, le doublement du Tiers ne lui assure aucun poids supplémentaire dans les décisions qui seront prises à l’issue des États Généraux : les votes sont en effet comptés par ordre et non par individu, ce qui, compte tenu de l’alliance des privilégiés, réduit le Tiers État, même plus nombreux, à l’impuissance. Le vote par tête devient dès lors l’enjeu politique principal.

D’autre part, les interminables discours de Barentin, le Garde des Sceaux, et de Necker, le ministre d’État, ont indigné les plus patriotes. Alors qu’ils étaient arrivés chargés de nombreuses doléances, appelant à d’amples changements, les voilà sommés de ne discuter, et le plus promptement possible, que de la question des finances publiques. Investis de puissantes attentes, ils réalisent, médusés, qu’ils ne sont là que pour faire ce que l’on attend d’eux : acquiescer à la réforme de l’impôt. Contrairement à leurs espérances, le roi leur ordonne en outre de se réunir en trois chambres séparées, afin de respecter la hiérarchie des ordres du royaume.

Le piège politique s’est ainsi refermé : en insistant sur l’imminence de la banqueroute de l’État, les ministres ont su imposer le discours de la nécessité et faire croire qu’il pas d’autre choix que de se plier à l’agenda pressé des créanciers du Trésor Public et de reporter, voire de laisser là les projets de profonde régénération de la nation.

En séparant les trois ordres dans des chambres distinctes, le message est limpide : ces États Généraux ne sont rien d’autre que ce qu’ils ont été dans l’histoire du royaume : une assemblée consultative, destinée à se séparer après avoir « consenti » à l’impôt, euphémisme signifiant, dans le langage de la monarchie absolue, « obéir ».

Indignée, la partie la plus radicale des députés du Tiers choisit alors une stratégie décisive, dans laquelle les grands discours ne leur sont, dans l’immédiat, d’aucune utilité. C’est, contrairement à l’impression que le grand roman de la Révolution nous a souvent laissée, par une lutte acharnée sur les questions les plus arides et tatillonnes de procédures électorales, que ces députés vont, en quelques semaines, réussir à faire exploser un des États les plus autoritaires d’Europe.

À peine réunis, assumant le risque de désobéir, ces députés entrent dans une résistance inattendue : alors qu’ils sont censés au plus vite commencer à vérifier la légalité des procédures électorales, ils décident de ne pas le faire, faisant du vote par tête et de la vérification en commun une condition préalable au début des débats. Délibérer en commun, réunir ensemble les députés des trois ordres dans un même lieu, c’est, en effet, transformer les États Généraux en Assemblée représentative de toute la nation, c’est-à-dire, en Assemblée nationale. C’est, en somme, par une simple question de procédure, amorcer une révolution politique.

Cela, les députés des ordres privilégiés le savent parfaitement. C’est pourquoi dès le début, s’appuyant sur l’autorité de « traditions » non écrites et à interprétation variable, ils acceptent, parce qu’ils y ont intérêt, l’agenda de l’urgence installé par le roi et ses ministres, afin de pousser le Tiers à la faute.

Pétris de courage, taraudés par la peur, les députés du Tiers tentent, quant à eux, de ralentir le tempo imposé. C’est grâce à ce refus d’obéir aux nécessités d’une histoire déjà en marche, c’est grâce cette volonté de se saisir du temps et à imposer leur propre rythme que les députés du Tiers réussissent à, littéralement, « prendre le temps » de la monarchie.

Un mois plus tard, au début du mois de juin, les États Généraux qui avaient été présentés comme la dernière chance d’éviter la crise, n’ont toujours pas commencé et pourtant la catastrophe annoncée n’est pas arrivée. En revanche, ce temps interminable a permis à ceux qui occupent de fait la salle commune des États Généraux, de parler, de débattre, de s’affronter, de s’organiser : c’est en somme dans ce temps volé à l’histoire jusqu’ici écrite par le pouvoir et les élites privilégiées que s’est inventée la parole politique moderne, révélant enfin combien les obscures controverses sur l’histoire des procédures électorales était, en vérité, un combat fondamental pour la souveraineté.


mardi 19 mai 2020

19 Mai 1789 : Le roi autorise les journaux à rendre compte des États Généraux.

 

Imprimerie au 18ème siècle
Extrait de l'encyclopédie de Diderot et D'Alembert.

    Charles Poitevin de Maissemy, Maître des Requêtes et Directeur Général de la Librairie de France, écrit aux Auteurs du Journal de Paris pour les informer de la décision suivante :

"La juste impatience du Public, MM. , ayant porté le Roi à trouver bon que toutes les Feuilles périodiques & tous les Journaux autorisés rendissent compte de ce qui se passe aux États Généraux, en se bornant aux faits dont ils pourront se procurer la connaissance exacte, sans se permettre aucune réflexion ni aucun commentaire, M. le Garde des Sceaux m'a chargé de vous notifier les intentions de Sa Majesté.

J'ai l'honneur d'être, Etc.

Signé De Maissemy."

 Le Journal de Paris publiera cette décision le lendemain, dans son numéro 140 du mercredi 20 mai 1789. Voir ci-dessous :

 

vendredi 8 mai 2020

8 Mai 1789 : Le Journal de Paris, instrument du pouvoir royal contre la Presse.

Allégorie de la presse bâillonnée sous l'Ancien régime.
Vue par Gemini, l'IA de Google.

Une presse bâillonnée.

    La Presse n’était pas libre sous l’Ancien régime, n’en déplaise à ses nostalgiques qui nous content de belles histoires de nos jours

    La liberté de la presse constitua d’ailleurs l'une des demandes les plus fréquentes figurant dans les fameux cahiers de doléances rédigés partout en France pour les États généraux, (après celles concernant les taxes et l'autorité politique). La préoccupation d'un encadrement légal de cette liberté se retrouve dans 380 des 427 cahiers (89% des cahiers dans lesquels la presse est mentionnée).

Lire l'excellent article de Charles Walton sur le sujet en cliquant sur l'image ci-dessous :

    C'est la raison pour laquelle la liberté de la presse fera l’objet de l’article 11 de la future déclaration des Droits de l’Homme et près de 400 journaux nouveaux paraîtront à Paris entre juillet1789 et 1792 ! La Révolution marquera le début de l’ère de la Presse.

    Si vous voulez savoir à quoi ressemble une presse muselée, je vous invite à consulter le numéro du Journal de Paris en date du 8 mai 1789. Vous y découvrirez, entre autres, la météo de l’avant veille, la hauteur de la Seine, le discours du roi aux États généraux, 2 arrêts du Conseil d’État du Roi, l’annonce d’un mariage l’avant veille, une pub pour un cours de mathématique, une pub pour des partitions de musique, le programme des spectacles à Paris, des infos de la veille concernant la Bourse et la cour des changes, et une petite rubrique nécrologique…

    Concernant les 2 arrêts figurant en page 2 et 3 de ce journal, celui du 6 mai interdit de publier quoi que ce soit sans la permission de Sa Majesté et celui du 7 mai condamne la publication de la brochure publiée par Mirabeau, chez le libraire le Jay fils, brochure traitant de ce qui se dit aux États généraux.

    Lorsqu’il parle d’autre chose que de la météo, des spectacle ou de la Bourse, le Journal de Paris n'est donc rien d'autre que le porte voix de l’arbitraire du pouvoir royal. Mais n'accablons pas ce journal qui fut le premier quotidien publié dans la Capitale à partir de 1777 pour la somme modique de 2 sous. Car on risquait gros à l'époque si l'on voulait écrire autre chose que ce qui ne dérangeait pas le roi !

 

Liseur de journaux, pour ceux qui ne savaient pas lire.

Rien sur les États généraux !

    Je vous rappelle que depuis le lundi 5 mai, se déroule un évènement d’une importance énorme pour tous les Français, la réunion des États généraux à Versailles ! Mais chut ! On ne doit pas en parler, car ce serait un crime de lèse Majesté !

    Je vous donne à lire ci-dessous les deux arrêts du roi, qui en disent long sur le type de pouvoir qu'il représente, ainsi que sur sa crainte grandissante de ce qui pourrait sortir de ces États généraux :

Source : https://www.retronews.fr/journal/journal-de-paris/08-mai-1789/2/0625936d-2344-42db-a8ef-ab840cc23f2a

Arrêt du Conseil d’État du Roi, qui ordonne l’exécution des Règlements de la Librairie, et qui fait défendre à tous imprimeurs, Libraires, ou autres, d’imprimer, publier, distribuer aucun prospectus, Journal ou autre Feuille périodique, sans la permission de Sa Majesté.

Le Roi, étant informé qu’on distribue dans le public plusieurs Prospectus d’Ouvrages périodiques pour lesquels il n’a été accordé aucunes permissions, a résolu de réprimer un abus aussi contraire au bon ordre qu’Aux Règlements de la Librairie, dont Sa Majesté entend maintenir l’exécution jusqu’à ce que, d’après les observations qui lui seront présentées par les États généraux, Elle ait fait connaître ses intentions sur les modifications dont ces règlements peuvent être susceptibles. A quoi voulant pourvoir, ouï le rapport, le Roi étant en son Conseil, de l’avis de M. le Garde des Sceaux, a ordonné & ordonne que les Règlements rendus sur la police de la Librairie seront exécutés selon leur forme & teneur, jusqu’à ce que, par Sa Majesté, il en ait été autrement ordonné ; fait en conséquence, Sa Majesté, très expresses inhibitions & défenses à tous les Imprimeurs, Libraires ou autres, d’imprimer, publier ou distribuer aucun Prospectus, Journal ou autre Feuille périodique, sous quelque d »nomination que ce soit, à mois qu’ils n’en aient obtenu une permission expresse de Sa Majesté ; Défend pareillement, Sa Majesté, à tous les Imprimeurs et Libraires de recevoir aucune souscription pour lesdits Ouvrages périodiques, publiés sans souscription, sous peine d’interdiction de leur état, & même de plus grande peine si il y échoit. Enjoint, Sa Majesté, au Sieur Lieutenant-Général de Police à Paris, & aux Sieurs Intendants & Commissaires départis dans les Provinces, de tenir la main, chacun en droit soi, à l’exécution du présent Arrêt partout où besoin sera, & transcrit sur les Registres de toutes les Chambres Syndicales du Royaume. Fait au Conseil d’État du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le six Mai mil sept cent quatre-vingt-neuf.


Arrêt du Conseil d’État du 6 de ce mois qui supprime le N°1er d'une Feuille périodique ayant pour titre États Généraux, & qui fait défense d'en publier la suite.


Le Roi, par son Arrêt du 6 de ce mois, en ordonnant l’exécution des Règlements de la Librairie, a défendu l’impression, publication & distribution de tous les Prospectus, Journaux ou autres Feuilles périodiques qui ne seraient pas revêtus de sa permission expresse ; mais Sa Majesté étant informée qu’on a osé répandre dans le Public, en vertu d’une souscription ouverte sans aucune autorisation, & sous la forme d’un Ouvrage périodique, un Imprimé portant N°1er, & ayant pour titre, États généraux, daté de Versailles du 2 Mai 1789, commençant par ces mots : avant de parler de la Cérémonie, &finissant par ceux-ci ; le simple récit des faits exige trop de place ; dont la souscription est annoncée chez Jay fils, Libraire à Paris, a cru devoir marquer particulièrement son improbation dur un écrit aussi condamnable au fond qu’il est répréhensible dans la forme. A quoi voulant pourvoir, ouï le Rapport & tout considéré, le Roi étant en son Conseil, de l’avis de M. le Garde des Sceaux, a supprimé & supprime ledit Imprimé, comme injurieux & portant avec lui, sous l’apparence de la liberté, tous les caractères de la licence ; défend à tous les imprimeurs, Libraires, Colporteurs & autres, de vendre, publier ou distribuer ledit Imprimé, sous peine d’interdiction de leur état : ordonne Sa Majesté à toutes personnes qui pourraient en avoir des exemplaires de les porter au Greffe du Conseil pour y être supprimés ; fait Sa Majesté très expresses inhibitions & défendes sous peine d’interdiction, & même de plus grande peine s’il y échoit, au nommé le Jay fils, Libraire à Paris & à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de recevoir aucune souscription pour ladite Feuille périodique ; comme aussi d’imprimer, publier ou distribuer aucun numéro qui pourrait en être la suite. Enjoint S.M. au Sir Intendant & Commissaires répartis dans les Provinces de tenir la main chacun en droit soi à l’exécution du présent Arrêt, lequel sera imprimé, publié & affiché partout où besoin sera, & notamment dans les villes de Paris & de Versailles, & transcrit sur les registres de toutes les Chambres Syndicales du Royaume. Fait au Conseil d’État du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le 7 Mai 1789.
 

Vendeuse de Journaux sous la Révolution.
Estampes commentée sur cette page : 2ème vidéo

Plus d'infos en vidéos ?

    En cliquant sur l'image ci-dessous, vous pourrez accéder à 3 vidéos sur le même sujet de la presse que j'ai sélectionnées pour vous :


 

    Vous pouvez également lire cet article intéressant sur le site Gallica de la BNF :
https://gallica.bnf.fr/accueil/fr/html/la-liberte-de-la-presse-lepreuve-des-regimes-politiques-1789-1881