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mardi 5 mai 2020

5 Mai 1789, Discours du garde des sceaux Barentin, lors de l'ouverture des Etats Généraux.

 

Charles Louis François de Paule Barentin

Le ministre qui avait senti le danger...

    Charles Louis François de Paule de Barentin, âgé de 51 ans ce 5 Mai 1789, est garde des sceaux (ce qui implique également le statut de ministre de la justice et le contrôle de la "Librairie", c'est-à-dire, la censure). Il est aussi Chancelier de l'Ordre du Saint-Esprit, c’est donc un personnage très important. Il a été auparavant conseiller, puis avocat général au Parlement de Paris de 1757 à 1775, et président de la Cour des Aides de1775 à 1788.

    Barentin craint cette réunion des États Généraux. Il ne voulait pas que ceux-ci se déroulassent à Paris et avait suggéré au roi de les organiser plutôt à Soisson. Barentin redoute la proximité de l’effervescence parisienne…

    Barentin n’apprécie guère le ministre des finance Jacques Necker, qui interviendra après lui. C’est d’ailleurs Necker qui avait tenu à ce que les États Généraux se tinssent à Paris.

    Son discours est intéressant parce qu'il y fait une sorte de bilan du règne en cours de Louis XVI, un bilan très positif, bien sûr. Par deux fois, il va néanmoins inciter les députés à refuser «les innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec les changements heureux nécessaires qui doivent amener la régénération, le premier vœu de Sa Majesté». Barentin, de par sa position, est en effet bien informé. Il n'ignore rien de la fermentation parisienne et des idées qui circulent.

    Barentin sera plus tard accusé d’être le principal responsable du renvoi de Necker. Plus grave encore, le 19 Novembre 1789, il sera accusé de crime de lèse-nation, c'est-à-dire, d'avoir ourdi un complot contre la capitale. Mais le complaisant tribunal du Châtelet l'acquittera, ce qui fera dire aux Parisiens que cette juridiction est "la buanderie de la reine"…

    Il émigrera peu après en Italie. Lors de la fuite du roi le 20 Juin 1791, il attendra Louis XVI à Montmédy, mais le roi ne dépassera pas Varennes où il sera arrêté le 21 Juin.

    Charles Louis François de Paule de Barentin décédera à Paris le 30 Mai 1818 à l’âge de 80 ans.


Discours de Charles Louis François de Paule de Barentin :

M. de Paule Barentin, garde des sceaux, porte ensuite la parole :

Messieurs, il est enfin arrivé ce beau jour si longtemps attendu, qui met un terme heureux à l'impatience du Roi et de toute la France ! Ce jour tant désiré va resserrer encore les nœuds de l'union entre le monarque et ses sujets ; c'est dans ce jour solennel que Sa Majesté veut établir la félicité générale sur cette base sacrée, la liberté publique.

L'ambition, ou plutôt le tourment des rois oppresseurs est de régner sans entraves, de franchir les bornes de toute puissance légitime, de sacrifier les douceurs du gouvernement paternel aux fausses jouissances d'une domination illimitée, d'ériger en loi les caprices effrénés du pouvoir arbitraire : tels ont été ces despotes dont la tyrannie fournira toujours à l'histoire des contrastes frappants avec la bonté de Louis XII, la clémence de Henri IV, et la bienfaisance de Louis XVI.

Vous le savez, Messieurs, le premier besoin de Sa Majesté est de répandre des bienfaits ; mais pour être une vertu royale, cette passion de faire des heureux doit prendre un caractère public et embrasser l'universalité de ses sujets. Des grâces versées sur un petit nombre de courtisans et de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas la grande âme du Roi.

Depuis l'époque heureuse où le ciel vous l'a donné pour maître, que n'a-t-il point entrepris, que n'a-t-il point exécuté pour la gloire et la prospérité de cet empire dont le bonheur reposera. toujours sur la vertu de ses souverains ! C'est la ressource des nations dans les temps les plus difficiles, et cette ressource ne peut manquer à la France sous le monarque citoyen qui la gouverne.

N'en doutez pas, Messieurs, il consommera le grand ouvrage de la félicité publique. Depuis longtemps ce projet était formé dans son cœur paternel ; il en poursuivra l'exécution avec cette constance qui, trop souvent, n'est réservée qu'aux princes insatiables de pouvoir et de la vaine gloire des conquêtes.

Qu'on se retrace tout ce qu'a fait le Roi depuis son avènement au trône, et l'on trouvera dans cet espace assez court une longue suite d'actions mémorables : la liberté des mers et celle de l'Amérique assurées par le triomphe des armes que l'humanité réclamait ; la question préparatoire proscrite et abolie, parce que les forces physiques d'un accusé ne peuvent être une mesure infaillible de l'innocence ou du crime ; les restes d'un ancien esclavage détruits, toutes les traces de la servitude effacées et l'homme rendu à ce droit sacré de la nature que la loi n'avait pu lui ravie, de succéder à son père et de jouir en paix du fruit de son travail ; le commerce et les manufactures protégés, la marine régénérée, le port de Cherbourg créé, celui de Dunkerque rétabli, et la France ainsi délivrée de cette dépendance où des guerres malheureuses l'avaient réduite.

Vos cœurs se sont attendris, Messieurs, au récit de la sage économie de Sa Majesté, et des sacrifices généreux dont elle a donné tant d'exemples récents, en supprimant, pour soulager son peuple, des dépenses que ses ancêtres avaient toujours cru nécessaires à l'éclat et à la dignité du premier trône de l'univers.

Quelle jouissance vos âmes doivent éprouver en la présence d'un roi juste et vertueux ! Nos aïeux ont regretté sans doute de n'avoir pu contempler Henri IV au milieu de la nation assemblée. Les sujets, de Louis XII avaient été plus heureux, et ce fut dans cette réunion solennelle qu'il reçut le titre de Père du peuple. C'est le plus cher, c'est le premier des titres pour les bons rois, s'il n'en restait un à décerner au fondateur de la liberté publique.

Si les États généraux ne furent point assemblés sous Henri IV, ne l'attribuez qu'aux justes craintes que les discordes civiles devaient inspirer à un prince qui plaçait avant tout la paix et le bonheur de ses peuples. Il voulut suppléer à cette convocation générale par une assemblée de notables ; il y demanda des subsides extraordinaires, et sembla lui transmettre ainsi les droits des véritables représentants de la nation.

Dans une position moins difficile, le Roi n'appela autour de lui l'élite des citoyens, ou du moins une portion de cette élite, que pour préparer avec eux le bienfait qu'il destinait à la France.

Une première assemblée de notables n'avait eu d'autre motif que de soumettre à leurs lumières un plan vaste de finance et d'économie, et de les consulter sur l'établissement patriotique des administrations provinciales , établissement qui signalera ce règne, puisqu'il a pour objet que l'impôt soit désormais mieux réparti, les charges plus également supportées, l'arbitraire banni, les besoins des villes et des provinces mieux connus.

Cependant le long espace écoulé depuis les derniers États généraux, les troubles auxquels ils furent livrés, les discussions si souvent frivoles qui les prolongèrent , éveillèrent la sagesse royale, et l'avertissaient de se prémunir contre de tels inconvénients.

En songeant à vous réunir, Messieurs, elle a dû se tracer un plan combiné qui ne pouvait admettre cette précipitation tumultueuse dont l'impatience irréfléchie ne prévoit pas tout le danger. Elle a dû faire entrer dans ce plan les mesures anticipées qui préparent le calme des décisions, et ces formes antiques qui les rendent légales.

Le vœu national ne se manifestait point encore ; Sa Majesté l'avait prévenu dans sa sagesse. À peine ce vœu a-t-il éclaté, qu'elle s'empresse de le remplir, et les lenteurs que la prudence lui suggère ne sont plus que des précautions de sa bienfaisance toujours active, mais toujours prévoyante sur les véritables intérêts de ses peuples.

Le Roi a désiré connaître séparément leurs besoins et leurs droits. Les municipalités, les bailliages, les hommes instruits dans tous les états, ont été invités à concourir par leurs lumières au grand ouvrage de la restauration projetée. Les archives des villes et celles des tribunaux, tous les monuments de l'histoire étudiés, approfondis et mieux développés, leur ont ouvert des trésors d'instruction ; de grandes questions se sont élevées ; des intérêts opposés, toujours mal entendus quand ils se combattent en de pareilles circonstances, ont été discutés, débattus, mis dans un jour plus ou moins favorable ; mais enfin un cri presque général s'est fait entendre pour solliciter une double représentation en faveur du plus nombreux des trois ordres, de celui sur lequel pèse principalement le fardeau de l'impôt,

En déférant à cette demande, Sa Majesté, Messieurs, n'a point changé la forme des anciennes délibérations : et quoique celle par têtes, en ne produisant qu'un seul résultat, paraisse avoir l'avantagé de faire mieux connaître le désir général, le Roi a voulu que cette nouvelle forme ne puisse s'opérer que du consentement libre des États généraux, et avec l'approbation de sa Majesté.

Mais quelle que doive être la manière de prononcer sur cette question, quelles que soient les distinctions à faire entre les différents objets qui deviendront la matière des délibérations, on ne doit pas douter que l'accord le plus parfait ne réunisse les trois ordres relativement à l'impôt.

Puisque l'impôt est une dette commune des citoyens, une espèce de dédommagement et le prix des avantages que la société leur procure, il est juste que la noblesse et le clergé en partagent le fardeau.

Pénétrés de cette vérité, on les a vus presque dans tous les bailliages donner avec empressement un témoignage honorable de désintéressement et de patriotisme, et il leur tarde de se voir réunis par ordre, afin que ces délibérations qui jusqu'ici n'ont pu être que partielles acquièrent ce degré de généralité qui, en les consolidant, fixera leur stabilité.

Si des privilèges constants et respectés semblèrent autrefois soustraire les deux premiers ordres de l'État à la loi générale, leurs exemptions, du moins pendant longtemps, ont été plus apparentes que réelles.

Dans des siècles où les églises n'étaient point dotées, où on ne connaissait encore ni les hôpitaux ni ces autres asiles nombreux élevés par la piété et la charité des fidèles, où les ministres des autels, simples distributeurs des aumônes, étaient solidairement chargés de la subsistance des veuves, des orphelins, des indigents, les contributions du clergé furent acquittées par ses soins religieux, et il y aurait eu une sorte d'injustice à en exiger des redevances pécuniaires.

Tant que le service de l'arrière-ban a duré, tant que les possesseurs de fiefs ont été contraints de se transporter à grands frais d'une extrémité du royaume à l'autre, avec leurs armes, leurs hommes, leurs chevaux, leurs équipages de guerre ; de supporter des pertes souvent ruineuses, et, quand le sort des combats avait mis leur liberté à la merci d'un vainqueur avare, de payer une rançon toujours mesurée sur son insatiable avidité ; n'était-ce donc pas une manière de partager l'impôt, ou plutôt n'était-ce pas un impôt réel que ce service militaire que l'on a même vu plusieurs fois concourir avec des contributions volontaires ?

Aujourd'hui que l'Église a des richesses considérables, que la noblesse obtient des récompenses honorifiques et pécuniaires, les possessions de ces deux ordres doivent subir la loi commune. Nous aimons à le répéter, leur acquiescement a cette loi eut dans sa première forme toute la vivacité de l'émulation, et prit tous les caractères delà loyauté, de la justice et du patriotisme.

L'impôt, Messieurs, n'occupera pas seul vos délibérations ; mais pour ne point anticiper sur les objets de discussion qui partageront les moments consacrés à vos Assemblées, il me suffira de vous dire que vous n'imaginerez pas un projet utile, que vous n'aurez pas une idée tendant au bonheur général que Sa Majesté n'ai déjà conçue, ou dont elle ne désire fermement l'exécution.

Depuis que les États généraux sont déterminés, le Roi n'a jamais pensé sans attendrissement à cette réunion d'un bon père et de ses enfants chéris, qui deviendra le gage de la félicité commune.

Au nombre des objets qui doivent principalement fixer votre attention et qui déjà avaient mérité celle de Sa Majesté, sont les mesures à prendre pour la liberté de la presse ; les précautions à adopter pour maintenir la sûreté publique, et conserver l'honneur des familles ; les changements utiles que peut exiger la législation criminelle pour mieux proportionner les peines aux délits, et trouver dans la honte du coupable un frein plus sûr, plus décisif que le châtiment.

Des magistrats dignes de la confiance du monarque et de la nation étudient les moyens d'opérer cette grande réforme ; l'importance de l'objet est l'unique mesure de leur zèle et de leur activité.

Leurs travaux doivent embrasser aussi la procédure civile qu'il faut simplifier. En effet, il importe à la société entière de rendre l'administration de la justice plus facile, d'en corriger les abus, d'en restreindre les frais, de tarir surtout la source de ces discussions interminables qui trop souvent ruinent les familles, éternisent les procès, et font dépendre le sort des plaideurs du plus ou du moins d'astuce, d'éloquence et de subtilité des défenseurs ou de leurs adversaires. Il n'importe pas moins au public de mettre les justiciables à portée d'obtenir un prompt jugement ; mais tous les efforts du génie et toutes les lumières de la science ne feraient qu'ébaucher cette heureuse révolution, si l'on ne surveillait avec le plus grand soin l'éducation de la jeunesse. Une attention exacte sur les études, l'exécution des règlements anciens, et les modifications nécessaires dont ils sont susceptibles, peuvent seuls former des hommes vertueux, des hommes précieux à l'État, des hommes faits pour rappeler les mœurs à leur ancienne pureté, des citoyens, en un mot, capables d'inspirer la confiance dans toutes les places que la Providence leur destine.

Sa Majesté recevra avec intérêt, elle examinera avec l'attention la plus sérieuse, tout ce qui pourra concerner la tranquillité intérieure du royaume, la gloire du monarque et le bonheur de ses sujets.

Jamais la bonté du Roi ne s'est démentie dans ces moments d'exaltation où une effervescence qu'il pouvait réprimer a produit dans quelques provinces des prétentions ou des réclamations exagérées. Il a tout écouté avec bienveillance ; les demandes justes ont été accordées ; il ne s'est point arrêté aux murmures indiscrets, il a daigné les couvrir de son indulgence ; il a pardonné jusqu'à l'expression de ces maximes fausses et outrées à la faveur desquelles on voudrait substituer des chimères pernicieuses aux principes inaltérables de la monarchie.

Vous rejetterez, Messieurs, avec indignation, ces innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec ces changements heureux et nécessaires qui doivent amener cette régénération, le premier vœu de Sa Majesté.

L'histoire ne nous a que trop bien instruits des malheurs qui ont affligé notre royaume dans les temps d'insubordination et de soulèvement contre l'autorité légitime. Elle n'est pas moins fidèle à vous transmettre dans ses fastes les prospérités de vos pères sous un gouvernement paisible et respecté. Si la France est une des plus anciennes monarchies de l'univers, la seule, après quatorze siècles, dont la constitution n'ait pas éprouvé les revers qui ont déchiré et changé la face de tous les empires formés, comme elle, des débris de l'empire romain, c'est dans l'union et l'amour mutuel du monarque et des sujets qu'il faut chercher la principale cause de tant de vie, de force et de grandeur.

La troisième race de nos rois a surtout des droits à la reconnaissance de tout bon Français. Ce fut elle qui affermit l'ordre de la succession à la couronne ; elle abolit toute distinction humiliante entre ces représentants si fiers et si barbares des premiers conquérants des Gaules, et l'humble postérité des vaincus qu'on tint si longtemps et si honteusement asservis. Par elle, la hiérarchie des tribunaux fut créée, ordre salutaire qui rend partout le souverain présent ; tous les habitants des cités furent appelés à leur administration ; la liberté de tous les citoyens fut consacrée, et le peuple reprit les droits imprescriptibles de la nature.

Mais si les intérêts de la nation se confondent essentiellement avec ceux du monarque, n'en serait-il pas de même des intérêts de chaque classe de citoyens en particulier ? et pourquoi voudrait-on établir entre les différents membres d'une société politique, au lieu d'un rang qui les distingue, des barrières qui les séparent ?

Les vices et l'inutilité méritent seuls le mépris des hommes, et toutes les professions utiles sont honorables, soit qu'on remplisse les fonctions sacrées du ministère des autels , soit qu’on se voue à la défense de la patrie dans la carrière périlleuse des combats et de la gloire, soit que, vengeurs des crimes et protecteurs de l'innocence, on pèse la destinée des bons et des méchants dans les balances redoutables de la justice ; soit que par des écrits, fruit du talent qu'enflamme l'amour véritable de la patrie, on hâte les progrès des connaissances, qu'on procure à son siècle et qu'on transmette à la postérité plus de lumières, de sagesse et de bonheur ; soit qu'on soumette à son crédit et aux spéculations d'un génie actif, prévoyant et calculateur, les richesses et l'industrie des divers peuples de la terre ; soit qu'en exerçant cette profession mise enfin à sa place dans l'opinion des vrais sages, on féconde les champs par la culture, ce premier des arts auquel tient l'existence de l'espèce humaine ; tous les citoyens du royaume, quelle que soit leur condition, "ne sont-ils pas les membres de la même famille ?

Si l'amour de l'ordre et la nécessité assignèrent des rangs qu'il est indispensable de maintenir dans une monarchie, l'estime et la reconnaissance n'admettent pas ces distinctions, et ne séparent point des professions que la nature réunit par les besoins mutuels des hommes.

Loin de briser les liens qu'a mis entre nous la société, il faudrait, s'il était possible, nous en donner de nouveaux, ou du moins resserrer plus étroitement ceux qui devraient nous unir.

Un grand général disait, en parlant des Gaulois, qu'ils seraient le premier peuple de l'univers, si la concorde régnait parmi eux. Ces paroles de César peuvent s'appliquer au moment actuel : que les querelles s'apaisent, que les inimitiés s'éteignent, que les haines s'anéantissent, que le désir du bonheur commun les remplace, et nous serons encore le premier peuple du monde.

Ne perdez jamais de vue, Messieurs, que la discorde renverse les empires, et que la concorde les soutient. La rivalité entre les citoyens fut la source de tous les maux qui ont affligé les nations les plus célèbres. Les guerres intestines des Romains furent le germe de l'ambition de leurs oppresseurs, et commencèrent la décadence de la patrie, dont la ruine fut bientôt consommée. Sans les troubles qui la déchirèrent, la Grèce aurait vu se perpétuer longtemps sa puissance et sa gloire. La France a couru des dangers ; si elle fut quelquefois malheureuse, faible et languissante, c'est quand elle devint le foyer ou le théâtre de ces tristes rivalités. Couvertes du voile toujours imposant de la religion, elles jetèrent ces longues semences de haines dont le règne entier de Henri IV put à peine étouffer les restes, mais sans en réparer tous les désastres. La concorde rassemble tous les biens autour d'elle ; tous les maux sont à la suite de la discorde. Ne sacrifions pas, Messieurs, à des prestiges funestes les avantages que nous avons reçus de la nature. Eh ! quel peuple en obtint plus de Bienfaits ! Deux mers baignent une partie de nos provinces, et en nous assurant ainsi la situation la plus heureuse pour le commerce, semblent nous avoir destinés à commander sur l'Océan et sur la Méditerranée.

Toutes les productions de la terre croissent ou peuvent croître au sein de la France, et la culture plus perfectionnée nous apprend encore à féconder par de nouveaux moyens ses terrains les moins fertiles.

L'activité, les prodiges des arts et du talent, des chefs-d'œuvre de tous les genres ; la perfection des sciences et des lettres, la gloire de tant d'hommes célèbres dans l'église, dans la magistrature et dans les armées, tout se réunit pour lui garantir une prospérité immuable et la première place dans les annales du monde.

Encore une fois, Messieurs , ne perdons pas en ce moment, par de cruelles dissensions, les fruits précieux que tant de siècles nous ont acquis, et dont nous sommes redevables aux efforts et à l'amour paternel de nos souverains. Ah ! s'il pouvait rester des traces de division dans vos cœurs, s'il y germait encore des semences mal étouffées de cette rivalité malheureuse dont les différents ordres de l'État furent tourmentés , que tout s'anéantisse et s'efface en présence de votre Roi, dans ce lieu auguste qu'on peut appeler le temple de la patrie.

Représentants de la nation, jurez tous aux pieds du trône, entre les mains de votre souverain, que l'amour du bien public échauffera seul vos âmes patriotiques ; abjurez solennellement, déposez ces haines si vives qui depuis plusieurs mois ont alarmé la France et menacé la tranquillité publique. Que l'ambition de subjuguer les opinions et les sentiments par les élans d'une éloquence impérieuse ne vous entraine pas au-delà des bornes que doit poser l'amour sacré du Roi et de la nation.

Hommes de tous les âges, citoyens de tous les ordres, unissez vos esprits et vos cœurs, et qu'un engagement solennel vous lie de tous les nœuds de la fraternité.

Enfants de la patrie que vous représentez, écartez loin de vous toute affection, toute maxime étrangères aux intérêts de cette mère commune ; que la paix, l'union et l'amour du bien public président à toutes vos délibérations ; mais si quelque nuage venait altérer le calme de vos séances , s'il était possible que la discorde y soufflât ses poisons, c'est à vous, ministres des autels, qu'il appartient de conjurer l'orage : vos fonctions saintes, vos titres sacrés, vos vertus et vos lumières impriment dans les cœurs ce respect religieux d'où naît l'ascendant qui maîtrise et dirige les passions humaines. Eh ! comment refuser aux interprètes d'une religion pure et sublime cette vénération, ces hommages, cet empire moral que des hommes enveloppés de ténèbres et livrés à d'extravagantes superstitions ont toujours accordés aux ministres de leurs fausses divinités ! C'est donc sur vous que la nation se repose en particulier du soin de ramener la paix dans cette Assemblée, s'il était possible qu'elle s'en bannît un instant. Mais pourquoi m'occuper du retour de la concorde, quand vous en donnerez des exemples que les deux ordres s'empresseront d'imiter ? En effet, quelle sorte de dévouement et quel concours patriotique ne doit-on pas attendre de ces braves et généreux successeurs de nos anciens chevaliers, qui, prodigues envers la France de leur fortune, de leur sang et de leur vie, n'hésitèrent jamais sur un sacrifice que l'utilité publique avait prescrit ou consacré ? Vous suivrez aussi ces grands exemples de désintéressement, de soumission et d'attachement à la patrie, hommes sages et laborieux dont les travaux nourrissent, vivifient, instruisent, consolent, enrichissent la société. Tous les titres vont se confondre dans le titre de citoyen, et on ne connaîtra plus désormais qu'un sentiment, qu'un désir, celui de fonder sur des bases certaines et immuables le bonheur commun d'une nation fidèle à son monarque, si digne de vos respects et de votre amour.

L'intention du Roi est que vous vous assembliez dès demain, à l'effet de procéder à la vérification de vos pouvoirs, et de là terminer le plus promptement qu'il vous sera possible, afin de vous occuper des objets importants que Sa Majesté vous a indiqués.

  

La faiblesse de l'organe de M. de Barentin avait empêché d'entendre une partie de ce discours.

Après quelques moments de silence, M. Necker, directeur général des finances, prend la parole pour faire connaître aux députés du royaume l'état de leur situation.

(Après avoir lu quelques pages de son discours, il le remet à M. Broussonet, secrétaire perpétuel de la société d'agriculture, qui en continue la lecture.)

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4239_t2_0002_0000_3


Mémoires de Barentin (Intéressants)

Vous pouvez lire ci-dessous les mémoires de M. de Barentin, et même les télécharger (sur le site de la BN).

Mémoire autographe de M. de Barentin, chancelier et garde des sceaux, sur les derniers conseils du roi Louis XVI, précédé d'une notice biographique sur M. de Barentin par l'historien Maurice Champion.







5 Mai 1789, Discours du Roi lors de l'ouverture des Etats Généraux.

Plus grande que nature, cette vue représente l'ouverture
des Etats Généraux dessinée par Charles Monnet.

Un évènement exceptionnel.

    Ce 5 Mai 1789, se déroule la séance solennelle d’ouverture des États Généraux. Rappelons que les trois États du Royaume ont été convoqués par le Roi le 5 juillet 1788 et que les États Généraux n’ont pas été réunis depuis 1614.

Pourquoi les Etats Généraux ?

    Le Roi a convoqué les États Généraux car il se trouve depuis déjà plusieurs années dans l’impossibilité de faire réaliser des réformes fiscales par ses différents ministres des finances. Deux Assemblées des Notables ont déjà eu lieu pour tenter de résoudre le problème, en 1787 et en 1788. Les deux ont échoué. Les Parlements ont également refusé de voter toutes les tentatives de réformes fiscales. 

    Le but de ces États Généraux est d’amener les différents participants à consentir à un nouvel impôt. (Mais bien rien ne se passera comme prévu…)

Cérémonial.

    Conformément à la proclamation du Roi, les députés se sont rendus en costume à la salle des États (1), vers neuf heures du matin. Néanmoins, ils ne sont entrés qu'à mesure qu'ils étaient appelés par les hérauts d'armes, et un maître des cérémonies indiquait à chacun la place qu'il devait occuper suivant l'ordre auquel il appartenait et le rang de sou bailliage , d'après le règlement de 1614.

    Tous les députés n'ont été placés que vers les midi moins un quart. On leur avait préparé des banquettes disposées dans une forme semi-elliptique, dont l'estrade sur laquelle s'élevait le trône faisait le diamètre.

    Les députés du clergé occupèrent la droite des banquettes situées le pins près du trône, ceux de la noblesse, la gauche ; ceux des communes étaient placés à la suite de ces deux premiers ordres.

    Vers les une heure, les hérauts d'armes annoncèrent l'arrivée du Roi. Aussitôt, tous les députés se lèvent, et des cris de joie retentissent de toutes paris.

    Bientôt le Roi paraît ; les applaudissements les plus vifs se font entendre, accompagnés des cris de vive le Roi ! Sa Majesté monte sur son trône. On remarque que ses regards se promènent avec un air de satisfaction sur la réunion imposante des députés du royaume. La reine se place à côté de lui, hors du dais, sur un fauteuil inférieur au trône. La famille royale entoure le Roi ; les princes, les ministres, les pairs du royaume sont placés un peu plus bas, et le surplus du cortège du monarque couvre les degrés de l'estrade.

    M. le marquis de Brézé, grand maître des cérémonies, annonce du geste que le Roi va parler. Le silence le plus profond succède aux acclamations qui se faisaient entendre.

(1) On avait préparé sous le nom de Salle des Trois Ordres, la salle dite des Moins, située en dehors du château. — Elle pouvait contenir les douze cents députés et de nombreux spectateurs.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4238_t2_0001_0000_3 

Gravure de Philippe-Joseph Maillart
Le roi, entouré de la reine et des princes du sang, trône au fond de la salle (à gauche) sous un dais majestueux.
Les députés siègent autour, sur plusieurs rangs.

Attention aux images !

    Contrairement à la célèbre gravure en titre, illustrant généralement l’événement, la salle provisoire à colonnes qui a été érigée derrière les Menus-Plaisirs de l'avenue de Paris à Versailles, était très petite ! 

Plan des salles de réunion des Etats Généraux à l'hôtel des Menus Plaisirs, à Versailles  :

Source : IMAGES D'ART


Le discours du roi.

   Louis XVI va ouvrir la séance par un discours dans lequel il rappelle les circonstances qui l’ont conduit à cette convocation et ce qu’il attend des États Généraux. Il va se déclarer « le premier ami de ses peuples ». 

    Suivront les discours du garde des sceaux Charles de Paule de Barentin (hostile à cette convocation), qui incitera les députés à refuser les innovations dangereuses ; Puis du ministre des finances, Necker, qui évoquera la situation économique du royaume (qui est déplorable).

    Selon Necker (optimiste), de nouveaux impôts suffiront à combler le déficit budgétaire de 56 millions.

Discours du roi (daté du 4 Mai)

Extrait de film

    Je vous propose de regarder cette vidéo extraite du célèbre film réalisé par Robert Enrico et Richard T. Heffron, sorti en octobre 1989, à l’occasion de l’anniversaire du bicentenaire de la Révolution Française. On y voit un Louis XVI parlant d’amour et de paix, une Marie Antoinette qui s’endort, le 1er Dauphin, Louis Joseph, très malade qui mourra le 4 juin suivant, un Camille Desmoulins faisant un coucou à son ami Robespierre député du Tiers Etat de la ville d’Arras, un Necker soucieux et ennuyeux, et l'Assemblée du Tiers Etat aussi ennuyée que mécontente...


Texte du discours de Louis XVI

Sa Majesté s'exprime en ces termes : 

«Messieurs, ce jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la nation à laquelle je me fais gloire de commander.

«Un long intervalle s'était écoulé depuis les dernières tenues des Etats généraux, et quoique la convocation de ces Assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source do bonheur.

«La dette de l'État, déjà immense à mon avènement au trône, s'est encore accrue sous mon règne ; une guerre dispendieuse mais honorable en a été la cause ; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition.

«Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations se sont emparés des esprits et fini¬ raient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés.

«C'est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassemblés, et je vois avec sensibilité qu'elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs privilèges pécuniaires. L'espérance que j'ai conçue de voir tous les ordres, réunis de sentiments, concourir avec moi au bien général de l'État, ne sera point trompée.

«J'ai déjà ordonné dans les dépenses des retranchements considérables. Vous me présenterez encore à cet égard des idées que je recevrai avec empressement ; mais malgré la ressource que peut offrir l'économie la plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir soulager mes sujets aussi promptement que je le désirerais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances, et quand vous l'aurez examinée, je suis assuré d'avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent, et affermir le crédit" public. Ce grand et salutaire ouvrage, qui assurera le bonheur du royaume au dedans et sa considération au dehors, vous occupera essentiellement.

«Les esprits sont dans l'agitation ; mais une Assemblée des représentants de la nation n'écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes. Messieurs, qu'on s'en est écarté dans plusieurs occasions récentes ; mais l'esprit dominant de vos délibérations répondra aux sentiments d'une nation généreuse, et dont l'amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif ; j'éloignerai tout autre souvenir.

«Je connais l'autorité et la puissance d'un roi juste au milieu d'un peuple fidèle et attaché de tout temps aux principes de la monarchie : ils ont fait la gloire et l'éclat de la France ; je dois en être le soutien et je le serai constamment.

«Mais tout ce qu'on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer de mes sentiments.

«Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette Assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume ! c'est le souhait de mon cœur, c'est le plus ardent de mes vœux, c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples.

«Mon garde des sceaux va vous expliquer plus amplement mes intentions, et j'ai ordonné au directeur général des finances de vous en exposer l'état. »



    Après le discours du roi s'en suit le discours de son ministre garde des sceaux, Charles Louis François de Paule de Barentin





lundi 4 mai 2020

4 Mai 1789, Ouverture des Etats Généraux

4 Mai 1789, Procession des députés des Etats Généraux au sortir de Notre Dame.

La dernière grande cérémonie de l'Ancien Régime...

    J'ai trouvé le texte suivant sur le site du Château de Versailles. Il convient parfaitement pour commenter les illustrations relatives à cet événement, que je vous propose.

    "Le 4 mai 1789, a lieu à Versailles la dernière grande cérémonie d’Ancien Régime : la procession des États Généraux. 1 200 députés, venus de toute la France, sont assemblés pour cette première journée. Vêtus de noir et couverts d’un manteau noir et or, les députés du tiers état sont les plus nombreux. Tous tiennent un cierge à la main, sauf les porteurs de bannières et les Fauconniers du Roi. Le roi est, lui, en habit et manteau de drap d’or, entouré des Grands officiers de la Couronne. Il porte sur son chapeau le Régent, le plus gros diamant d’alors. La reine porte une robe d’or et d’argent. Le roi est acclamé, pas elle. La procession, partie de Notre-Dame, traverse la place d’Armes et arrive à l’église Saint-Louis. Monseigneur de La Fare, évêque de Nancy, y prononce en chaire un célèbre discours fustigeant le luxe de la Cour. Pour la première fois, un évêque est applaudi dans une église."

Source du texte : chateauversailles.fr

Vue de la procession des Etats Généraux à Versailles le 4 Mai 1789.

Louis XVI accompagné de la Justice et de l'Economie
consulte les Etats du Royaume sur les moyens de réaliser ses généreuses intentions.

 Comment ont été élus les députés. 

    Les députés des ordres privilégiés sont généralement élus au suffrage direct ; ceux du tiers état par un scrutin indirect, à deux degrés. Pour participer à l'élection des délégués, qui élisent ensuite les députés du tiers, il fallait avoir plus de 25 ans et payer l'impôt, sans qu'aucun montant minimum soit exigé. En tout, les trois ordres comptent 1196 députés, dont 598 issus du tiers état, 308 députés du clergé et 290 députés de la noblesse.

Source : https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/histoire-de-l-assemblee-nationale/le-temps-de-l-invention-1789-1799




De la convocation à l'ouverture des Etats Généraux (Vidéos)

Vue de la procession des Etats Généraux à Versailles, le 4 Mai 1789

    J'ai découvert ces trois excellentes vidéos, réalisées par la Société des Etudes Robespierristes, que je juge utile de vous faire découvrir.

    La première porte de la convocation des Etats généraux, la seconde traite de la rédaction des cahiers de doléances à travers tout le pays et la troisième décrit l'ouverture des Etats Généraux.

La convocation des Etats Généraux

Par Madame Gaïd Andro, maîtresse de conférences à l'Université de Nantes.



Les cahiers de doléances de 1789
Par Monsieur Pierre Serna, professeur d'histoire moderne à l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne.


L'ouverture des Etats Généraux

Par Madame Solenn Mabo, Maitresse de conférences en histoire moderne à l'université Rennes 2.

vendredi 1 mai 2020

Si les Etats Généraux avaient eu lieu à Soisson, comme le voulait M. Barentin...

 

Avec des Si.

     "Avec des Si, on mettrait Paris en bouteille." disait ma grand-mère ! Et si les Etats Généraux de 1789 s'étaient tenus en Province, loin de l'agitation parisienne ?

    En histoire, on appelle cela une "uchronie" ! Que ce serait-il passé si l'Allemagne avait gagné la guerre de 1914-1918 ? Peut-être que ni le nazisme ni l'holocauste n'auraient jamais existé et qu'Hitler serait devenu un peintre célèbre ? Peut-être que l'Europe serait devenue plus puissante que les USA ? Si, si, si, etc...

    Sans tomber dans l'historicisme mystique, on a parfois une sensation d'inévitable en histoire : l'impression que tout concourt à ce que se produise un événement important. Peut-être est-ce dû au fait que nous savons ce qui va arriver, ou que notre esprit confond une fois de plus corrélation et causalité

    Comment ne pas avoir cette drôle d'impression avec la Révolution Française ? Tout semble en effet concourir à ce que ces Etats Généraux convoqués par Louis XVI ne se passent pas comme espéré.

Barentin, le ministre avisé..

M. de Barentin

    Certains proches du roi, sentait venir le danger, comme son garde des sceaux, Charles Louis François de Paule de Barentin, âgé de 51 ans en 1789. Barentin était également Chancelier de l'Ordre du Saint-Esprit, ce qui en faisait un personnage très important. Il avait été auparavant conseiller, puis avocat général au Parlement de Paris de 1757 à 1775, et président de la Cour des Aides de 1775 à 1788. 

    De par sa fonction de Garde des Sceaux, M. de Barentin était également ministre de la Justice et à ce titre il contrôlait également la "Librairie", c'est-à-dire, la censure. Raison pour laquelle Il ne voulait pas que les États Généraux se déroulassent à Paris, une ville trop agitée, irriguée par les idées nouvelles ; et qu’il avait suggéré au roi de les organiser plutôt dans la paisible ville de Soisson. Barentin redoutait en effet l’atmosphère parisienne, très agitée depuis quelques mois.

Vue de Soisson au 17ème siècle

    Contrairement à cet avisé ministre, Jacques Necker le ministre des Finances tenait à ce que les États Généraux se tinssent à Paris. Vous découvrirez ses raisons en lisant ci-après, l'extrait des mémoires de M. de Barentin. Bien sûr, Barentin n’appréciait guère Necker, ce banquier Suisse et Protestant et vous pourrez également lire dans son mémoire ses critiques à l'égard de Necker. Je vous assure que c'est très intéressant.

    Barentin sera d’ailleurs plus tard accusé d’être le principal responsable du renvoi de Necker. Plus grave, en novembre 1789, il sera accusé de crime de lèse-nation, c'est-à-dire, d'avoir ourdi un complot contre la capitale. Mais le complaisant tribunal du Châtelet l'acquittera, ce qui fera dire aux Parisiens que cette juridiction était «la buanderie de la reine».

    Barentin émigrera peu après en Italie. Lors de la fuite du roi le 20 Juin 1791, il attendra Louis XVI à Montmédy, mais le roi ne dépassera pas Varennes où il sera arrêté le 21 Juin. Charles Louis François de Paule de Barentin décédera à Paris le 30 Mai 1818 à l’âge de 80 ans.

    Lors de l’ouverture des États Généraux, le 5 mai 1789, M. de Barentin fera un discours, après celui du roi et avant celui de Necker. Il dressera un tableau presqu’idyllique du royaume, (Pas un mot sur les 900 émeutes de la faim qui ont eu lieu depuis 1986). Par deux fois, il incitera même les députés à refuser «les innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec les changements heureux nécessaires qui doivent amener la régénération, le premier vœu de Sa Majesté». Mais la mécanique de l’histoire était lancée…


Lisons M. de Barentin :

    Je vous invite à lire cet extrait de ses mémoires, dans lequel il explique les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas que les États Généraux se tinssent à Paris ni même à Versailles, ainsi que les arguments de Necker pour qu’au contraire, ils aient lieu précisément à Paris. Les arguments de Necker sont très intéressants...

"Le choix de Versailles, selon M. Necker, « obtint l’approbation de tout le monde. » Me voila encore forcé de nier cette prétendue approbation universelle. Tous les vrais serviteurs du roi et toutes les personnes sensées souhaitaient que les États Généraux se passassent sans convulsions, et ne déguisaient pas, en conséquences, leur éloignement pour qu’ils se tinssent à Paris ou à Versailles.

La foule d’oisifs, de frondeurs, de philosophes modernes, de mécontents, d’étrangers qui habitaient la capitale, y rendait très redoutables une assemblée du genre de celle qui allait s’ouvrir. Tout faisait craindre que les opinions des députés ne se ressentissent de l’esprit réformateur dont cette ville était infectée, et qu’on ne se portât à adopter les innovations et les idées antimonarchiques répandues dans les écrits qui circulaient depuis plusieurs mois, et devenues, dans tous les cercles, l’objet des conversations.

Versailles, à de sa proximité et de ses relations continuelles avec Paris, offrait les mêmes dangers : les effets n’en avaient point échappé aux yeux clairvoyants pendant le cours des deux assemblées des notables. Ainsi, dans le fait, cette approbation supposée générale ne comprenait que le sentiment des fauteurs des systèmes éversifs de l’état ancien, et des partisans de la liberté plutôt que de la licence. On conçoit dès lors combien il devenait précieux pour eux d’avoir les États Généraux à Paris, du moins à Versailles. Une population immense prompte à agiter, aisée à mettre en mouvement, facilitait les moyens d’influencer les membres  des États, de les capter quelquefois sans qu’ils s’en aperçussent ; enfin, de substituer à des discussions, naturellement froides et raisonnables, des délibérations fougueuses et hors de toutes mesures.

Frappé de ces réflexions, plus frappé encore de la classe d’hommes qui commençaient à former des rassemblements dans le jardin du Palais-Royal ; ne me dissimulant point que ce lieu privilégié, exempt de l’exercice habituel de la police, deviendrait le foyer des motions incendiaires, le théâtre des factieux, le point central d’où partiraient les insurrections, d’où se commanderaient les émotions populaires, je proposai de j’insistait pour que les États-Généraux se tinssent à Soisson, et le roi, pendant leur durée, à Compiègne ; où dans toute autre ville près de laquelle le roi pût résider.

 

M. Necker ne goût nullement cet avis, et, pour mieux l’écarter, se retrancha sur la dépense qu’occasionnerait un pareil déplacement ; dépense inconsidérée, lorsque le trésor royal en était aux expédients. Il apercevait d’ailleurs, dans cette translation, l’annonce d’une méfiance mortifiante pour la capitale, et qu’elle ne méritait pas. Au lieu d’appréhender son influence sur les travaux des États Généraux, elle lui paraissait utile et surtout avantageuse aux créanciers de l’État. « Si vous reléguez dans une province, ajoutait-il, les représentants de la nation, ils ne porteront sur Paris qu’un regard indifférent ; ils ne songeront qu’à soulager du poids des impositions les propriétés territoriales ; excepté les députés de cette grande ville, tous les autres sont étrangers aux effets sur le roi ; ils n’en possèdent aucuns ; le sort des rentiers les touchera peu ; ils ne redouteront point, pour libérer l’État, de proposer une banqueroute sinon totale, au moins partielle ; ils n’y verront aucune injustice. Selon eux, une réduction de revenus éprouvée par les capitalistes ne fera que les assimiler aux possesseurs d’immeubles, dont les terres ou autres espèces de biens leur rapportent bien au-dessous de cinq pour cent. Cependant cette opération ruinera les citoyens de Paris ; leur rentes, la plupart les ont acquises à la sueur de leur front ; elles sont le produit de leur industrie, de leurs épargnes, la ressources et la consolation de leur vieillesse : les supprimer ou seulement les détruire, c’est les plonger dans la misère, les condamner au désespoir ; c’est, en outre, faire manquer le roi à ses engagements envers une portion intéressante de ses sujets. Réunissez, au contraire, les députés à Paris ; tenez-y les États Généraux ; ces députés formeront des liaisons avec les citadins, s’éclaireront sur la nature de leurs biens, et finiront par les regarder avec moins de défaveur. Les habitants de toutes les contrées du royaume s’habitueront à ne se considérer que comme une même famille ; un malheur particulier à une seule classe d’individus prendra à leurs yeux les caractères d’une calamité publique, et le projet désastreux de banqueroute, ou simplement de réduction des rentes, sera proscrit."

 

Vous pouvez lire ci-dessous les mémoires de M. de Barentin, et même les télécharger (sur le site de la BNF) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46891k

"Mémoire autographe de M. de Barentin, chancelier et garde des sceaux, sur les derniers conseils du roi Louis XVI, précédé d'une notice biographique sur M. de Barentin par M. Maurice Champion."



Ouvrage également disponible sur Google : (Voir ci-dessous)

mercredi 1 janvier 2020

Via Futura Sciences : Histoire de l'impôt avant la Révolution.

 Article de l'historienne Isabelle Bernier, provenant du site Futura-science.com


    A quoi bon écrire un article sur ce sujet lorsqu'on en trouve un aussi bien rédigé que celui-ci ? Par expérience, je sais que bien souvent, avec le temps, des articles finissent par disparaître de certains sites. Alors, une fois n'est pas coutume, je reproduits ci-dessous cet excellent article de l'historienne Isabelle Bernier sur le site Futura-science.

Source :


Parmi la multitude d’impôts et de taxes ayant existé sous l’Ancien Régime, la taille est certainement l’impôt direct le plus connu et le plus controversé. Cette taxe levée exclusivement par le roi à partir du XVe siècle, ne prend pas la même forme dans tout le royaume mais concerne tout de même plus de 85 % de la population française.

Quand on évoque l'administration fiscale avant la Révolution, il faut imaginer un découpage territorial du royaume correspondant à différents régimes fiscaux.

La répartition de l’impôt sur le territoire 

La taille est un impôt direct dont le montant global, appelé brevet, est fixé chaque année par le Conseil du roi. C'est également au sein du Conseil que se décide la première répartition sur l'ensemble du territoire, entre les « généralités » et les « pays d'états ».

En 1789, il existe vingt-neuf généralités : ce sont des circonscriptions financières confiées aux intendants, commissaires du roi représentant l'État dans les provinces du royaume. Les généralités sont subdivisées en « élections », entités territoriales chargées à leur tour de répartir l'impôt au niveau des paroisses fiscales. Les « généralités » représentent environ 60 % du territoire du royaume.

Les « pays d'états », quant à eux, disposent d'assemblées provinciales (les « états ») de députés des trois ordres (Tiers-État, noblesse, clergé) qui fixent l'impôt et gèrent sa perception, en le répartissant entre les diocèses fiscaux qui le transmettent aux collectes des paroisses. Au XVIIIe siècle, subsistent les « états » suivants : Bretagne, Bourgogne, Languedoc, Provence (tous quatre, appelés grands pays d'états) puis Flandre, Artois, Bresse, Bugey, Dauphiné, ainsi que les petits pays d'états du Sud-Ouest (Béarn, Bigorre).

Enfin, les « pays de libre imposition » sont directement administrés par les intendants et à l'entière disposition du souverain en matière de fiscalité : leur point commun est d'avoir été conquis depuis le règne de Charles IX (roi de 1560 à 1574). Les régions frontalières concernées se situent autour des villes de Lille, Valenciennes, Metz, Nancy, Strasbourg, Besançon, Perpignan et Bastia.

Découpage du territoire français correspondant aux trois régimes fiscaux de la Taille en 1789.

Comment définir la taille ?

Créée en 1439, la taille pourrait être considérée comme un ancêtre de l'impôt sur le revenu. Elle frappe plus de 85 % de la population française : noblesse, clergé et bourgeoisie des villes en sont dispensés. L'unité perceptrice de base est la paroisse : la perception de la taille produit une somme globale qu'il faut faire remonter à la généralité (via l'élection), puis au Trésor royal, grâce aux receveurs généraux. Des « asséeurs », choisis parmi les paroissiens, sont chargés de dresser la liste des imposables et de répartir l'impôt entre les « feux » (foyers fiscaux). Les habitants d'une même paroisse sont solidaires devant l'impôt : si un foyer fiscal fait défaut, c'est l'ensemble de la communauté qui s'engage à régler le montant exigé.

Il existe deux types de taille :

La taille réelle : l'impôt est réglé sur le bien foncier sans appréciation des circonstances personnelles (nombre d'enfants, âge, métier, revenus...) du propriétaire.

La taille personnelle : l'impôt est appliqué sur les revenus de la personne en tenant compte des circonstances personnelles et de toutes ses activités (artisan, marchand, agriculteur, rentier...). Ceci implique des enquêtes approfondies et régulières effectuées par le collecteur de la paroisse (l'asséeur).

Dès le XIVe siècle, en Languedoc, les « compoix » (ancêtres des matrices cadastrales dans les régions de langue occitane) donnent la nature, la surface et la valeur des biens fonciers, pour le prélèvement fiscal. Ils sont révisés régulièrement afin de tenir compte des changements de propriétaires ou des défrichements. La taille réelle s'applique ainsi à tous les pays disposant de compoix, c'est-à-dire Guyenne, Quercy, Languedoc, Provence, Dauphiné, Bourgogne mais aussi Alsace, Flandre et Artois.

Des déséquilibres importants existent entre pays d'élections et pays d'états : les pays d'élections assujettis à la taille personnelle sont les plus imposés. Au niveau des paroisses, la répartition de la taille subit l'appréciation arbitraire des collecteurs, puisque le calcul de l'impôt s'estime en fonction de la valeur des biens de chacun, d'où de nombreux abus.

Budget simplifié du Royaume de France en 1789.
La taille figure dans la catégorie "impôts directs" des recettes.

À savoir

Vers 1610, la taille représente environ 60 % des revenus de la monarchie, 25 % vers 1715. L'État a multiplié les sources de financement, en élargissant la gamme des impôts directs, indirects et en recourant de plus en plus à l'emprunt. En 1789, la monarchie est incapable de faire face aux dépenses courantes sans emprunter, la taille représente encore 15 % des recettes dans le budget royal. Quant au remboursement de la dette, il correspond à 50 % des dépenses dans le budget de 1789. À titre de comparaison, en 2018, la charge de la dette dans le budget de l'État s'élève à 11,6 % de ses dépenses.

Auteur : Isabelle Bernier.



Post Scriptum : 

    Je vous conseille également cet excellent article de l'historienne Isabelle Bernier, intitulé :"Les Français et le livre sous l'Ancien Régime."