mardi 4 février 2025

4 Février 1794 : La Convention nationale décide d'abolir l'esclavage.

 

Nota : Certains articles, comme celui-ci, bouleversent un peu la chronologie que je me suis fixée dans la réalisation de ce site. Mais je n'allais pas attendre 5 ans pour évoquer cette date mémorable !

L'aboutissement d'une longue lutte.

    L'esclavage était un système odieux d'oppression et d'exploitation des hommes qui, déjà à l'époque, blessait la sensibilité de nombre de gens. Son abolition faisait même partie de certaines demandes faites au roi dans les cahiers de doléances rédigés pour les Etats GénérauxSon abolition faisant donc débat, aussi bien au travers de la publications de livres que d'articles dans les journaux. 

Article 29 du cahier de doléances du village de Champagney

    En octobre 1789, l’abbé Grégoire, curé d’Embermesnil, député aux Etats-Généraux, puis à l’Assemblée Nationale Constituante, avait publié le Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de Saint-Domingue, et des autres iles françaises de l’Amérique, adressé à l’Assemblée nationale. C’était la première grande attaque de ce grand homme contre le préjugé de couleur et contre toute l’idéologie raciste développée par les Colons des Antilles.

    Ce courant abolitionniste sein de l'Assemblée nationale constituante de 1789 était mené par l'Abbé Grégoire et soutenu par quelques personnalités, dont Robespierre. "Périssent les colonies plutôt qu’un principe !" avait proclamé celui-ci le 13 mai 1791, dans un discours défendant la citoyenneté des gens de couleur et luttant contre la constitutionnalisation de l’esclavage.

    Hélas, ces quelques abolitionnistes se heurtaient au lobby des colons. (15 % des députés de l’Assemblée nationale avaient des propriétés dans les colonies et un nombre encore plus grand avait des intérêts dans le commerce colonial).

Une véritable idéologie.

    L'esclavage était bien en effet une idéologie, car il constituait toute l'architecture de la société coloniale et cette société coloniale pesait très lourd dans l'économie du royaume de France ! La grande majorité des Colons ne pouvait concevoir la possibilité de son abolition. Faute de travailler leurs terres, les Colons travaillaient à justifier l'usage et la perpétuation de ce fléau aussi vieux que l'humanité.

    Comme il était d'usage à l'époque, de nombreux ouvrages alimentaient le débat. Certaines publications faisaient même montre d'une apparence de "compréhension", simulant même un semblant de pitié à l'égard du sort des esclaves et c'était presqu'à regret qu'ils défendaient malgré tout cette abomination. Comme il est difficile de remettre en question un système établi et encore plus difficile de penser contre ses propres préjugés ! Peu de gens en sont capables ! Les Révolutions sont propices à cela...

"Littérature" esclavagiste.

    J'ai trouvé un bon exemple de ce style de "littérature" esclavagiste avec le texte ci-dessous, extrait des pages 12 à 14 du Recueils de pièces imprimées concernant l'esclavage et la Traite des Noirs, l'île de Tobago, Saint Domingue, 1777-1789. Vous allez mieux comprendre la nature du problème.

    Il s'intitule : "Discours sur l’esclavage des Nègres, et sur l’Idée de leur Affranchissement dans les Colonies. Par un Colon de Saint Domingues."

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97892251

"Les Nègres sont esclaves, et vous demandez qu’on les affranchisse. Mais on ne peut le faire qu’en dépouillant les Colons de leurs propriétés. Je n’ai pas besoin de vous prouver, et vous savez déjà qu’elles doivent être sacrées comme toutes les autres (1). Vous croiriez-vous le droit d’enlever ses charrues à un fermier ? Eh bien, ce sont nos instruments de labourage. – Oh ! Des hommes ! Cela fait frémir ; c’est un abus révoltant qu’il faut extirper. – Citoyen indiscret ! Eh bien ! Je vous dis que la Nation assemblée pourrait seule les anéantir ces propriétés, dans le cas où il serait évident que le maintien de l’esclavage fût contraire à l’équité naturelle et aux intérêts de l’État, et que son extinction pût s’opérer sans une lésion manifeste, et sans danger pour les colons, ainsi que pour l’État lui-même.

(1) Le Dr Schwartz, dans son zèle évangélique, non seulement méconnait cette vérité, mais il prétend que l’on doit envisager les colons comme coupables d’un vrai vol, et à ce moyen étant déchus du droit de réclamer aucune indemnité. Pour être conséquent, il ne manquait plus que de demander qu’ils fussent punis comme voleurs.

Nota : Le Docteur Schwartz évoqué ici était le pseudonyme utilisé par Nicolas de Condorcet pour publier son ouvrage : « Réflexions sur l'Esclavage des Nègres » paru en 1781 (accessible en bas de page).

Quant au premier point, qui serait de satisfaire au vœu de l’humanité blessée par l’esclavage des Nègres, chacun sait, et M. l’abbé Raynal lui-même vous a appris que c’était leur état naturel en Afrique. Or maintenant, si mes lecteurs m’ont bien entendu, et s’ils veulent être conséquents, ils conviendront que les Colons ne sont ni causes, ni responsables de cette servitude qu’ils ont trouvée établie, et qui ne fait que se perpétuer dans leurs mains ; pas plus responsables, pas plus criminels qu’un Citoyen possesseur par héritage ou par acquisition d’une terre qui lui produit 40.000 livres de rente, tandis que le plus grand nombre des habitants de son village peut à peine subsister. A qui faut-il s’en prendre ? Ce serait tout au plus à l’Etat qui a permis, favorisé ou toléré ce commerce, et d’abord, dans cette supposition, à moins de renverser toute l’idée d’ordre et de justice, il faudrait qu’il commençât par rembourser la valeur des Nègres, ce qui ne serait qu’une partie du dédommagement exigible, puisque leurs bras seuls peuvent féconder nos terres. Il faudrait donc essuyer le double inconvénient de payer environ un milliard dont les intérêts seraient un accroissement énorme d’impôts pour la Nation, et d’être privé de tous les avantages que donnent les colonies."

La propriété est sacrée ! 

    Le côté sacré de la propriété, évoqué au premier paragraphe était un argument récurrent dans ce débat relatifs à l'esclavage. J’ai déjà évoqué dans un autre article comment le caractère sacré de la propriété avait empêché nombre de réformes envisagées par Louis XVI.     Selon l’abbé Véri, Louis XVI aurait un jour posé cette question à son ministre Turgot après que celui-ci lui ai fait part de la difficulté de réaliser les réformes indispensable au royaume, tout en restant dans le cadre stricte de la loi et du respect des contrats. (page 379 du journal de l'abbé Véri) :

« Parmi les différents qui arrêtent toute mutation, il y a celui de la probité qui doit respecter la foi publique des contrats. On ne peut pas nier que la résiliation d'un bail attaque cette fidélité des contrats. M. Turgot ne méconnaît pas ce cri de l'équité naturelle. Il ne désavoue pas non plus que résilier un bail sans rendre en écus sonnants les fonds que les fermiers généraux ont donnés en avance au Roi ne soit contraire au premier appel de l'équité. Il convient que remettre le remboursement de ces fonds à des termes éloignés en faisant cesser aujourd'hui leur bail, c'est une injustice très apparente. Mais, en faisant ces aveux, voici ses autres observations, que je ne crois pas inutile de mettre dans toute leur étendue.

« Faisons une supposition, m'a-t-il dit, sur un objet absolument étranger. Le Roi juge utile et juste de supprimer l'esclavage des nègres dans les colonies en remboursant leur valeur aux propriétaires. Il ne peut faire ce remboursement que dans dix ans. Faut-il attendre ces dix ans pour produire un bien si considérable que la justice réclame dès aujourd'hui et qui n'aura peut-être jamais lieu si on le laisse à l'incertitude des événements ?

Du risque à reconnaître une injustice dans une société injuste...

    Reconnaître l'injustice de l'esclavage, c'était aussi le risque de devoir reconnaître l'injustice d'autres modes d'exploitation des êtres humains, eux aussi traditionnels et anciens, découlant des injustices sociales. Quid des riches propriétaires bâtissant leurs fortunes sur la peine des pauvres gens ? Vous rendez-vous compte de l'enjeu ? 

    La propriété était si sacrée, qu'à l'instar de la soi-disant abolition des privilèges, accordée lors de la nuit du 4 août 1789 (sous l'effet de la Grande Peur) qui finalement obligeait les opprimés à racheter leur liberté afin de dédommager les privilégiés ; l'abolition de l'esclavage aurait demandé que les Colons propriétaires d'esclaves fussent eux aussi dédommagés !

"Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance,
c'est la vertu qui fait la différence"

 Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance, c'est la vertu qui fait la différence

L'abolition devient "stratégique" en 1794.

    En 1794, la situation n'était plus celle de 1789 ! La France était en guerre. Les colonies échappaient au contrôle de l'Assemblée du fait du péril que représentait la marine de guerre anglaise sur l'océan. Saint-Domingue avait déjà aboli l'esclavage le 29 août 1793, mais la nouvelle n'était parvenue à Paris qu'en octobre. Ceux qui jusque-là s'étaient opposés à l'abolition de l’esclavage, virent là un moyen de mobiliser les populations des îles contre les Anglais qui envahissaient les colonies. Danton (aussi cynique qu'optimiste) déclara même à cette occasion "Maintenant l’Angleterre est perdue".

    Quoi qu'il en soit, la convention nationale (Montagnarde) s'est honorée en abolissant cet attentat à la dignité humaine.


Post Scriptum

    Malheureusement, un certain Napoléon 1er rétablira l'esclavage en 1802 !

Source : https://www2.assemblee-nationale.fr/14/evenements/2016/abolition-de-l-esclavage-1794-et-1848/1794-la-premiere-abolition

    Cet article sera repris, complété et développé lorsque la chronologie du site arrivera à cette date.
    En attendant je vous conseille de lire cette excellente analyse de l'historienne Florence Gauthier : "La Révolution abolit l'esclavage".









mardi 25 juin 2024

RN, le côté hideux de la France.

La Liberté en larmes.

Précisions utiles et nécessaires.

    Je pense utile et nécessaire de préciser quelques points importants, à la veille de ces élections législatives qui risquent de porter au pouvoir le sinistre Rassemblement National. Ce faisant, je sors de la réserve que je m'impose généralement. Mais je reste malgré tout dans les limites fixées par Spinoza que j'affiche en tête de ma page "Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre."

Qu'est-ce que le RN ? 

    Le RN est à l’opposé de toutes les valeurs portées par le Lumières, la Révolution française et la République laïque une et indivisible. La famille politique du RN n’a pas cessé de combattre ces valeurs depuis plus de 200 ans, depuis la réaction contre-révolutionnaire jusqu’au pétainisme fasciste ! Après avoir haï le drapeau tricolore, puis l’avoir travesti avec une fleur de lys ou un sacré cœur vendéen, le RN se l’est accaparé et l'a brandi pour illusionner les naïfs. Ses adversaires politiques, influencés par d'autres doctrines, ayant abandonné les symboles républicains, cet accaparement a été couronné de succès, et ce n'est pas la république de Versaillais qui est au pouvoir, qui va changer quelque chose.

    La nation du RN, ce n’est en aucun cas la Nation de la Révolution française.

    La nation du RN, c’est la tribu ignorante, superstitieuse et raciste des sociétés fermées qui ont précédé l’avènement de la société ouverte, universelle et démocratique.

    La Nation issue du nouveau contrat social de la Révolution française, c’est une société de frères et de sœurs bénéficiant des mêmes lois et des mêmes libertés, et ce, quelle que soit leur origine.

    Le Vénézuélien Miranda qui combattit à Valmy en 1792 était aussi Français que ces milliers de volontaires accourus de toutes les provinces de France pour défendre la liberté. Tant d’étrangers ont combattus pour la France et sa République née de la Révolution. Il y a beaucoup de Français de cœur de par le Monde, qui nous honorent par l’amour qu’ils ont de nos valeurs républicaines.

L’article 4 de la Constitution du 24 Juin 1793 stipulait  que :

«  Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. »

Source : https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-24-juin-1793 

    Le souverainisme nationaliste et raciste du RN est une négation du monde tel qu’il est. Aucun pays ne peut faire fi des autres nations. La prétendue souveraineté de la France n’a pu exister que du temps où elle possédait un empire colonial, asservissant et pillant les nations les plus faibles. Tous les pays sont dépendants les uns des autres. Aucun ne possède à lui seul toutes les ressources qui pourraient lui assurer l’autonomie. Nous sommes tous embarqués dans le même navire. Nous avons l’obligation de devenir frères. Non pas pour des raisons morales ou philosophiques, mais par la plus élémentaire nécessité. Sinon, ce sera le retour à la barbarie, à la guerre de tous contre tous.

    L’ignorance ainsi qu'une sorte de désespoir (comme un vertige suicidaire) peuvent expliquer l’ascension de cette hydre monstrueuse. Il est difficile de discuter avec des électeurs du RN parce que bien souvent ils ne disposent pas des éléments de savoir ni même parfois des éléments de langage, permettant le dialogue et la compréhension. Quant à leurs élus, ce sont soit de dangereux cyniques méprisant le peuple et se servant de celui-ci comme simple marchepied pour accéder au pouvoir, soit de malheureux idiots manipulés par les premiers.

    Le Rassemblement National, c’est la face hideuse et honteuse de notre pays. Son accession au pouvoir sera notre déshonneur.

    Regardez l'estampe ci-dessous, publiée en 1792 par les royalistes combattant la République. Elle représente la statue de la Nation et de la Démocratie fondant sous les rayons ardents du pouvoir royal et symbolise 232 années de haine de la démocratie et de la République.


Cet article analyse l'estampe : 
https://www.caricaturesetcaricature.com/article-12946689.html

    L'accession au pouvoir du RN, ce sera la victoire de la réaction contre-révolutionnaire, ce sera la mort de la Nation française et de la Démocratie...

    Quant à celles et ceux qui réclament des politiciens parfaits, qu’ils réfléchissent à cette phrase :  « Si l’on veut un régime politique parfait, il faut que l’ensemble de ses citoyens soient parfaits. » 

 (Lire également cet article :"Démocratie, moindre bien ou monde parfait".)


Article alternatif :

    Je comprendrai que vous renonciez à faire lire cet article à des électeurs du RN. Peut-être pourriez-vous leur faire lire celui-ci ? :
https://www.transitio.info/2024/06/ce-que-les-electeurs-du-rn-devraient.html



Merci pour votre lecture

Salut et Fraternité Citoyennes et Citoyens.

lundi 8 avril 2024

Une médaille, une estampe, une même idée.

    Voici une jolie médaille en étain extraite, de ma petite collection personnelle. Elle date de 1789 et elle célèbre les Etats Généraux dont les Français attendaient tant de réformes et de bienfaits ! (Mais qui ne se passeront pas exactement comme le Roi l'espérait).

    Elle a dû être portée puisqu'elle est percée d'un petit trou à côté de la fleur de lys de la couronne.

Sur l'avers, (ci-dessous) :

    On voit un paysan portant sur son dos un globe orné des 3 fleurs de Lys des Bourbons et d'une couronne royale (il s'agit de la France). A ses pieds on devine une ruche et une bèche. On remarque sur sa droite un noble et sur sa gauche, un religieux.


Sur le revers de la médaille, on peut lire :

Sur le pourtour :

LES ESTA Gx TENU A V SOUS LOUIS 16 L ANNEE 1789

Au centre :

LA FRANCE

FIGURE SOUS

UN GLOBE EST

SOUTENU DU PEU

PLE LES DEUX OR

AIDE AU PREMIE

LA RUCHE FONT

LES ORDRES

REUNIS


J'ai retrouvé une estampe de l'époque correspondant à cette médaille.

    L'illustration et la légende sont les mêmes que celles figurant sur la médaille.

Les trois états.
"La France Figurée sous un Globe est soutenue du Peuple
La Noblesse et le Clergé aide au premier
La Ruche représente les trois Ordres réunies."

(Les fautes sont d'époque)

    Vous remarquerez que le Clergé "aide au premier", c'est-à-dire le Peuple. Mais que la Noblesse s'appuie nonchalamment sur le globe (représentant la France).


dimanche 10 mars 2024

Vendée, 10 mars 1793...

Article (Délicat) en cours de rédaction.
Illustration extraite de "1793", le grans roman de Victor Hugo.


Préambule

    J'ai mis cet article en ligne pour la première fois le 10 mars 2017. Bien qu'il ait eu beaucoup de lecteurs à l'époque (298), j'ai fini par le retirer, car le site était alors presque vide à l'époque et que je ne voulais pas que l'on se méprenne sur ce que je voulais communiquer. Le sujet de la guerre civile de Vendée est terriblement difficile à traiter. Plus de 228 ans après, les gens continuent de s'insulter à son propos.
    Je reconnais que l'introduction ci-dessous est un peu provocante. Mais dans le cas présent, la provocation est une façon de prendre le contre-pieds d'opinions choquantes, voire fausses, pourtant admises par la majorité.

    A la fin de mon article, je vous invite à visionner une vidéo dans laquelle l'historien Jean-Clément Martin traite en profondeur le douloureux sujet de cette guerre civile qui se prolongea bien au-delà de la période révolutionnaire.


Imaginez...
    Nous sommes en septembre 1914, la guerre est commencée depuis un mois. Après avoir ravagé la Belgique, l’armée allemande déferle sur la France. Des détachements d’hulans allemands ont été signalés à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Toute la France résiste ! Toute ? Non, une province de France refuse d’envoyer des contingents au front, et pire, elle attaque l’armée française sur ses arrières !
    Cette introduction vous choque ? C’est normal, mais on pourrait faire malgré tout un parallèle avec ce qui s'est passé en mars 1793. Car c’est bien le refus de la levée militaire ordonnée par la Convention pour défendre la France agressée par onze armées étrangères, qui fut le principal motif de la guerre civile de Vendée. Ce ne fut pas, comme certains le prétendent, la réforme du clergé qui avait eu lieu 3 ans auparavant, réforme qui d’ailleurs n’était que la pâle copie de celle que le propre frère de Marie Antoinette, Joseph II, avait imposé aux états autrichiens dix ans plus tôt !

1793, la France agressée.
    Voici la situation de la France en 1793, l’an 2 de la République. Onze armées coalisées ont été lancées par tous les tyrans couronnés d’Europe contre notre pays ! Une formidable coalition de 375.000 soldats ennemis répartie comme suit :
  • Autrichiens
    en Belgique 50.000
    entre Coblence et Bâle 40.000
    entre Meuse et Luxembourg 33.000
  • Autrichiens et armée de Condé sur le Rhin 20.000
  • Prussiens
    en Belgique 12.000
  • Prussiens, Hessois et Saxons
    sur le Rhin 65.000
  • Hollandais en Belgique 20.000
  • Anglais, Hanovriens et Hessois en Belgique 30.000
  • Austro-Sardes en Italie 45.000
  • Napolitains et Portugais en Italie 10.000
  • Espagnols sur les Pyrénées 50.000

    La jeune République Française ne dispose au début de l’année 1793 que de 190.000 hommes. Nombre des volontaires qui avaient rejoint l’armée de ligne en 1791 et en 1792 sont peu à peu retournés dans leurs foyers. Ces braves soldats ont déjà sauvé une première fois la France des envahisseurs autrichiens et prussiens durant la fameuse campagne de l’Argonne de septembre 1792, qui s’est terminée par la première grande victoire de l’armée française à Valmy ; victoire au lendemain de laquelle la première République a été proclamée.


    C’est dans ce contexte de grand péril que la Convention nationale vote le 24 février 1793 la levée en masse de 300 000 hommes qui devront être pris parmi les garçons et veufs sans enfants, depuis l’âge de 18 jusqu’à 40 ans accomplis pour renforcer l’armée.


10 mars 1793


L’insurrection vendéenne débute très précisément le jour de l’opération pratique et effective de la levée en Bretagne.

    Le jour fixé pour le tirage, le dimanche 10 mars, et les jours suivants, les paysans se soulèvent simultanément depuis les côtes à l’Ouest jusqu’aux villes de Cholet et de Bressuire à l’Est. Armés de fléaux, de broches, de quelques fusils, souvent conduits par leurs maires, ils entrent dans les bourgs aux cris de « La paix ! La paix ! Pas de tirements ! » Les gardes nationaux sont désarmés, les curés constitutionnels et les municipaux exécutés sommairement, les papiers officiels brûlés et les maisons des patriotes dévastées.

    A Machecoul, ancienne capitale du pays de Retz, les massacres ordonnés par un ancien receveur des gabelles, Souchu, durent plus d’un mois et font 545 victimes. Le président du district Joubet eut les poignets sciés avant d’être tué à coups de fourche et de baïonnette. Il y eut des patriotes enterrés vivants, d’autres furent suspendus têtes en bas au-dessus de feux qui les consumèrent lentement, pour la plus grande joie des vaillants représentants de « l’armée catholique et royale » qui appelaient cela des jambons fumés républicains ! En un seul jour, le 23 avril 1793, cinquante bourgeois liés deux à deux en chapelets furent fusillés dans une prairie voisine.

    Vous aurez reconnu l’insoutenable cruauté qui caractérise presque toujours les guerres civiles, surtout lorsque des religieux promettent le paradis aux bourreaux...

    Ainsi commence l’abominable guerre civile de Vendée. Voici ce que se gardent bien d’évoquer certains historiens révisionnistes, lorsqu'ils abusent de l'ignorance des gens pour assouvir leur haine de la République.


La guerre civile


    La République fut bien sûr obligée de réagir (rappelez-vous bien quelle était la situation de la France). Elle envoya dans un premier temps le peu de troupes dont elle disposait, principalement des volontaires inexpérimentés auxquels furent adjoints des déserteurs autrichiens attirés par la promesse de toucher les billets d’assignats que les troupes françaises agitaient sous leur nez au front. Cette armée improvisée fut commandée par un ami de Danton, Santerre (celui qui, le 17 juillet 1791, avait donné l’ordre de tirer sur la foule rassemblée pour demander la déchéance de Louis XVI et l’instauration d’une république), auquel fut adjoint le cruel Westermann et un ancien noble rallié, Armand-Louis de Gontaud Biron, nommé duc de Lauzun en 1766 puis duc de Biron et Pair de France en 1788 (également « ancien amant » de Marie Antoinette).


    La guerre civile de Vendée fut effectivement terrible. Horrifié par ce qu’il avait vu, le général Kléber écrira dans ses mémoires : « Les rebelles combattaient comme des tigres et nos soldats comme des lions. »


    Les "historiens" révisionnistes évoquent toujours les horribles noyades de Nantes, orchestrées par le cruel Jean-Baptiste Carrier, mais ils ne précisent jamais que le 8 février 1794, dénoncé par Tréhouard et par le fils de Julien de la Drôme, témoins des noyades nantaises, ce fou furieux fut rappelé à Paris par la Convention, puis condamné pour ses crimes et guillotiné le 16 décembre 1794 ! (Le cruel Westermann fut également rappelé à Paris, traduit devant le tribunal révolutionnaire et guillotiné le même jour que les Dantonistes).


De la violence

    La Révolution a donné lieu à de grands débordements de violence, comment le nier ? Mais vous êtes-vous jamais demandé pourquoi une telle violence avait été possible ? Je vous laisse méditer cette réflexion que fit Babœuf à sa femme, dans un courrier qu’il lui adressa, après avoir assisté le 22 juillet 1789 au supplice du conseiller d’état Foulon et de son gendre l’intendant Berthier (pendus puis décapités) : 

« Les supplices de tout genre, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. »

    La terreur de l’ancien régime a duré des siècles et pas 17 mois comme la terreur révolutionnaire. A titre de sinistre comparaison, la Saint Barthélémy tua autant de parisiens en une nuit (3.000) que le tribunal révolutionnaire de Paris en condamna à mort en 17 mois (2.627).

    Oui la Révolution a été violente, mais les gens de cette époque étaient nés au milieu de la violence de l’ancien régime, ils n’étaient pas comme vous policés par 2 siècles d’école républicaine ! (A propos d’école, saviez-vous que sous l’ancien régime, l’église revendiquait 30.000 écoles pour 37.000 paroisses, mais que 85 % de la population était analphabète ?)


La réforme civile du clergé

    Venons-en à présent à la réforme du clergé qui, prétendument, aurait enflammé le cœur (sacré) des vendéens. Pourquoi cette révolte si tardive, alors que la réforme du clergé avait commencé dès 1789 ?

Pour mémoire :
  • 10 octobre 1789 : Talleyrand, évêque d’Autun propose de mettre les biens du clergé à la disposition de la nation.
  • 19 décembre 1789 : Création de l’assignat gagé sur les biens nationaux. Les titres sont émis en coupure de 1 000 livres à concurrence de 400 millions avec un intérêt de 5 %. Ce sont les biens du clergé qui tiennent lieu de garantie.
  • 14 mai 1790 : Décret sur la mise en vente des biens du clergé.
    • Vous êtes choqués ? Sachez tout de même que dans la république de Venise, 127 couvents furent fermés entre 1748 et 1797 et leurs terres mises aux enchères. Apprenez que dans la très catholique Espagne de Charles III, des terres appartenant à l'église furent "désamorties", c’est-à-dire mises aux enchères publiques !
  • 12 juillet 1790 : Adoption de la Constitution civile du clergé.
  • 22 juillet 1790 : la constitution civile du clergé est approuvée par le roi Louis XVI.
  • 27 novembre 1790 : Adoption de la loi rendant obligatoire le serment à la Constitution civile du clergé.
  • 3 janvier 1791 : L’Assemblée nationale impose aux ecclésiastiques de prêter serment à la constitution civile du clergé.
        Sous chacune de ces dates, j'aurais pu ajouter :"Aucune réaction en Vendée".


Alors pourquoi si tard ?

    Pourquoi l’insurrection vendéenne ne commença-t-elle que le 10 mars 1793 ? Les nouvelles arrivaient-elles si tardivement dans le bocage vendéen ? Cela faisait déjà 2 ans jour pour jour, que le pape Pie VI (conseillé par le cardinal de Bernis, ambassadeur du roi au Vatican), avait condamné le 10 mars 1791 la Constitution civile du clergé, avec son « Quod aliquantum », aussitôt appelé « bulle papale » !


Quelques mots sur Pie VI ?

    Le pontife s'était bien sûr opposé à la perte de ses terres avignonnaises du comtat Venaissin, papales depuis le XVIIe siècle, que l'Assemblée avait nationalisées.

    Il avait également condamné la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans son encyclique « Adeo nota » publiée le 23 avril 1791 : « 17 articles sur les Droits de l'homme, si contraires à la religion et à la société » selon lui…

    A sa décharge, il faut savoir que Joseph II, le frère de Marie-Antoinette, lui en avait déjà fait voir de toutes les couleurs depuis 1780 !


Quelques mots sur le frère de Marie Antoinette ?

    Joseph II se voulait un digne représentant des Lumières. « Je suis prêt à détruire ce qui est contraire à mes idées philosophiques, sans tenir compte des traditions », affirmait-il !

    Le bouillant homme avait très sérieusement malmené l'Église catholique, pilier de ses États, avec un programme de réformes anticléricales, baptisé « joséphisme ». Il avait en effet décidé de choisir lui-même les futurs évêques sans attendre l'aval du pape. Cela revenait à créer une Église nationale, à l'image de l'Église anglicane d'Angleterre. Il s’autorisait de plus à intervenir en personne dans les détails de la liturgie : messes, processions, etc. Par un édit de tolérance, il avait accordé le 13 octobre 1781 la pleine liberté aux chrétiens protestants et orthodoxes !

    Désemparé par cette rébellion du principal souverain catholique de la chrétienté, le malheureux pape Pie VI s’était rendu en personne à Vienne en 1782, où il avait été « froidement » reçu par ledit Joseph et même avec grossièreté par le chancelier Kaunitz, maître d’œuvre de la politique anticléricale de l’empereur. Joseph II était allé encore plus loin dans les années qui suivirent, avec l'institution du mariage civil en 1783, la sécularisation des couvents, leurs biens saisis servant à payer la dette du clergé, à entretenir le budget du culte, à subventionner l'assistance publique et l'enseignement qui passèrent sous le contrôle de l’État !


Les révolutionnaires français n’avaient donc fait que s’inspirer des réformes du frère de Marie-Antoinette !


Quelques mots sur les églises nationales ?

    Il faut savoir que la formation d'églises nationales indépendantes était déjà théorisée au XVIIème siècle par le théologien français Richer et par l'évêque de Trèves Johann Nikolaus von Hontheim, qui écrivait sous le nom de Febronius. Le « richerisme » enseignait que les conciles étaient supérieurs au pape et que les prêtres étaient presque les égaux des évêques.

    Renseignez-vous également sur le gallicanisme, une doctrine religieuse et politique française qui avait pour objet d’organiser l'Église catholique de façon autonome par rapport au pape. Celle-ci remonte à l'opposition entre Philippe le Bel et le pape Boniface VIII en 1303 !


Conclusion. Les vendéens ?

    De bons catholiques indignés de ce que la révolution ait pu faire au clergé national ce que le propre frère de Marie Antoinette avait fait au sien dix ans plus tôt ? Ou plutôt de pauvres hères entraînés dans une anachronique et sanglante croisade par leurs maîtres ?


Continuons de réfléchir...


"1793", le livre magistral de Victor Hugo sur la guerre civile de Vendée

    Le grand Victor Hugo, dans son dernier roman "1793", a bien su rendre l'absurdité de cette horrible guerre civile. Je me souviens du long dialogue engagé entre une patrouille de républicains perdus dans le bocage et une malheureuse paysanne apeurée, terrée dans une haie avec ses quatre enfants affamés. Après qu'elle ait raconté les malheurs de sa vie à ces soldats et à leur vivandière, un grenadier s'exclame :

" C'est que c'est tout de même un véritable massacrement pour l'entendement d'un honnête homme, répliqua le grenadier, que de voir des iroquois de la Chine qui ont eu leur beau-père estropié par le seigneur, leur grand−père galérien par le curé et leur père pendu par le roi, et qui se battent, nom d'un petit bonhomme ! et qui se fichent en révolte et qui se font écrabouiller pour le seigneur, le curé et le roi ! "

    Ci-dessous, la malheureuse paysanne et le grenadier parisien. Images extraites du livre de Victor Hugo "1793".

 

    Vous pouvez acheter ce livre, ou alors le télécharger ci-dessous pour le lire en format PDF, ou tout simplement l'écouter en livre audio sur le site INTERNET ARCHIVES.

  


Un effort de compréhension


    La lecture que l’on fait de l’histoire, comme toute lecture, révèle en partie qui nous sommes, car l’on ne sait reconnaître essentiellement que ce qui nous ressemble.
    Vous êtes émus par le malheureux sort des paysans vendéens ? Je le suis également, mais je m'efforce de comprendre. Ils furent victimes de ce que leurs maîtres leurs avaient inculqué, certes, mais pas seulement.

    Je pense qu'ils furent également victimes de leur isolement géographique. 

    Lorsque l'on regarde le tracé des routes desservies par des diligences au XVIII siècle, on remarque que la seule route menant en Bretagne s'arrêtait à Rennes, c'est à dire à l'entrée ou presque de cette province, que la route menant à Nantes s'arrêtait pour les diligences à Angers et que celle menant à La Rochelle, s'arrêtait à Poitier. Après Angers et Poitier le relais était pris par des coches, des carrosses ou des messageries moins rapides.

    Mais les mauvaises routes ou leur absence, ne suffisent pas à expliquer l'isolement des Chouans bretons et vendéens. Ces deux Provinces n'étaient pas non plus limitrophes de pays étrangers. Leurs habitants ne voyaient pas plus d'armées d'invasions que de commerçants venant d'ailleurs. La plupart ne savaient pas ce qu'était la France et la considérait même comme un pays étranger. Ce qui ne pouvait pas être le cas pour des paysans des Ardennes, par exemple. Dans le cas de la Bretagne, il y avait même une différence notable entre les Bretons des côtes dont certains avaient voyagé fort loin de par les mers, et ceux de l'intérieurs qui ne voyageaient jamais au-delà des limites de leurs villages. Cette différence entre les deux Bretagne persista même longtemps.

    N'oublions pas non-plus que ces deux provinces figuraient parmi les plus miséreuses de France. Rappelons-nous la description saisissante de Combourg et de son château, (propriété de Châteaubriand)que fit le voyageur anglais Arthur Young le 1er septembre 1788. :

"Combourg. Le pays a un aspect sauvage ; la culture n’est pas beaucoup plus avancée que chez les Hurons, ce qui paraît incroyable au milieu de ces terrains si bons. Les gens sont presque aussi sauvages que leur pays, et leur ville de Combourg est une des plus ignoblement sales que l’on puisse voir. Des murs de boue, pas de carreaux, et un si mauvais pavé que c’est plutôt un obstacle aux passants qu’un secours. Il y a cependant un château, et qui est habité. Quel est donc ce M. de Chateaubriand, le propriétaire, dont les nerfs s’arrangent d’un séjour au milieu de tant de misère et de saleté ? Au-dessous de ce hideux tas d’ordures se trouve un beau lac entouré de hais bien boisées."


D'autres paysans, à l'Est. 

    J'ai évoqué plus haut l'absence de sentiment national dû à l'isolement des Vendéens. Pour mieux vous faire comprendre, je voudrais vous donner l'exemple de l'attitude des paysans des Ardennes lors de l'invasion Austro-prussiennes, en septembre 1792.

    L’armée prussienne avait dû faire face à une résistance imprévue. Elle ne trouvait que des villages à peu près vides. Aux soldats prussiens qui demandaient aux quelques vieillards restés là s’ils aimaient la Révolution, ceux-ci répondaient qu’ils détestaient l’ancien régime et que la seule idée du rétablissement de la dîme leur faisait horreur. Ils affirmaient unanimement que leur bien-être matériel avait augmenté, qu’on les avait délivrés d’impôts écrasants et de ces droits de garenne et de chasse qui ruinaient leurs champs, que les grands domaines du Prince de Condé étaient devenus la propriété des paysans, qu’il n’y avait plus de gens riches, mais que, dans vingt ans, tout le monde vivrait à son aise.

    Tous les Prussiens, du général au simple soldat, s’étonnaient que cette révolution si nouvelle et de si fraîche date fût réellement populaire et que ses principes eussent pris en si peu de temps au cœur des populations d’assez fortes racines pour résister aux orages. « Vous verrez », osait dire un paysan clermontois à un officier prussien, « nous n’avons qu’un plan et qu’un but, employer tous les moyens pour vous rendre votre subsistance difficile », et le Prussien qui rapporta ce propos, ajouta tristement que le paysan avait raison.

« La malveillance de ces gens-là », écrivait le secrétaire du roi de Prusse, « nous enlève la paille, la saine nourriture et toutes les ressources qui pourraient diminuer nos maux ».

    Sur cette lettre inachevée que l’on trouva sur le corps du Prince Charles-Joseph Emmanuel de Ligne, abattu de deux balles en chargeant des soldats français, on put lire : « Nous commençons à être assez las de cette guerre ou Messieurs les émigrés nous promettent plus de beurre que de pain. Mais nous avons à combattre les troupes de ligne dont aucune ne déserte, les troupes nationales qui restent, tous les paysans qui sont armés ou tirent contre nous ou nous assassinent quand ils trouvent un homme seul ou endormi dans une maison ».

J’aime ces paysans de la forêt de l’Argonne !

    J’aime aussi le courage et la verve de Pierrot, ce ferblantier de Verdun à qui un officier prussien demandait : « Et si nous rétablissons Louis XVI ? ». « Jamais ! », s’écria Pierrot, « jamais la France ne redeviendra un pays d’esclaves. Votre roi de Prusse est, dit-on, un brave homme ; mais je vois avec peine qu’il s’efforce de nous mettre sous le joug. Sachez-le bien, il lui est tout aussi impossible de restaurer Louis XVI que de régner lui-même sur la France. »



    Bien sûr, tout ceci n'est que ma propre lecture ! J'étayerai ou modifierai des points, lorsque j'arriverai à 1793 sur le site. Pour le moment j'en suis encore à travailler sur l'année 1789 !

Je vous conseille fortement de visionner cette passionnante vidéo de l'historien Jean-Clément Martin.








Conclusion ?

Ne pas juger, mais essayer de comprendre.






jeudi 15 février 2024

Hommage au visionnaire Marquis d'Argenson

 


Pourquoi un article sur le Marquis d’Argenson ?

    René Louis de Voyer de Paulmy d'Argenson, né à Paris le  et mort à Paris le , fut un ministre de Louis XV. Le roi l’avait nommé secrétaire d’état aux affaires étrangères en novembre 1774, plusieurs mois après que la France fut officiellement entrée dans la guerre de Succession d'Autriche (1740-1748), aux côtés de la Prusse. Eh oui, à cette époque la Prusse était l’alliée de la France contre l’Autriche ! C’est même la raison pour laquelle le mariage de Louis XVI avec l’Autrichienne Marie Antoinette fut très mal vu par une grande partie de la Cour et que celle-ci fut à l’origine de toutes les rumeurs salissant la reine, rumeurs reprises plus tard par le peuple sous la Révolution. Mais ce n'est pas là le sujet de cet article...

Marie Antoinette, luxueusement parée,
lors des Etats Généraux de 1789.
(Grosse erreur de com. vu que ceux-ci avaient été
 convoqués pour traiter du déficit des compte du royaume.)

    C’est au travers de quelques témoignages évoquant ses écrits que j’ai découvert ce grand homme. Et quels écrits ! On y retrouve bien sûr le grand style du 18ème siècle, avec son esprit et sa vivacité. Mais le plaisir ne s’arrête pas là. Comment ne pas être sensible à l’intelligence et à l’humanité de cet homme ? Ses descriptions de l’effroyable misère du peuple français dans les années 1739 et 1740 sont saisissantes. J’ai rapporté plusieurs extraits de ses mémoires dans mon article sur la misère avant la Révolution

La famille pauvre, de JB Greuze.

    Dans l’introduction du tome 1 des Révolutions de Paris, journal né durant l'été 1789 (Introduction écrite le 30 janvier 1790 pour les numéros reliés du tome 1), le rédacteur (probablement Elysée Loustallot) rendit hommage au Marquis d’Argenson qui « avait eu le courage de dire la vérité dans ses Considérations sur les gouvernements. » (p.35).

Un visionnaire prédisant la Révolution à venir.

    Ce ministre exceptionnel, au contraire de la plupart de ses pairs, connaissait particulièrement bien l'état de la France, et il s’en alarmait. Ce que l’on peut lire dans le chapitre « Misère des provinces (Février 1739 – fin 1740) » (Accessible en bas de page) ressemble à une prédiction de la Révolution qui bouleversera la France 50 ans plus tard ! (page 23 du tome 2) :

« Le mal véritable, celui qui mine ce royaume et ne peut manquer d’entrainer sa ruine, c’est que l’on s’aveugle trop à Paris sur le dépérissement de nos provinces. »

    S’en suit une effrayante description de la misère qui frappe de nombreuses provinces du royaume. Voici quelques extraits :

« Les hommes meurent autour de nous, dru comme des mouches, de pauvreté, et broutant l’herbe. » (p.24)

« Il est positif qu’il est mort plus de Français de misère depuis deux ans que n’en ont tué toutes les guerres de Louis XIV » (p.34)

19 mai 1739 :

« Le Duc d’Orléans porta dernièrement au conseil un morceau de pain de fougère. À l’ouverture de la séance, il le posa sur la table du roi, disant : Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent. » (p.27)

D’Argenson est lucide sur l’aveuglement et la cruauté des puissants.

« On répond à tous ces récits que la saison est belle, que la récolte promet beaucoup. Mais je demande ce que la récolte donnera aux pauvres. Les blés sont-ils à eux ? La récolte appartient aux riches fermiers, qui eux-mêmes, dès qu’ils la recueillent, sont accablés de demandes de leurs maîtres, de leurs créanciers, des receveurs des deniers royaux, qui n’ont suspendu leurs poursuites que pour les reprendre avec plus de dureté. » (p.28)

L’éternelle rengaine des riches sur la fainéantise des pauvres...

Août 1739 :

« Il (Le conseiller d’État Fagon) a persuadé tout de bon au ministère que c’est une habitude de paresse qui corrompt les meurs des provinces. C’est ainsi que j’ai entendu accuser de pauvres enfants sur lesquels opérait un chirurgien d’avoir la mauvaise habitude d’être criards. » (p.29)

« Tels sont ceux qui ont part à la direction des affaires : durs, tyranniques, heureux de leur sort, jugeant celui des autres par le leur propre ; juges de Tournelle, habitués à voir de sang-froid disloquer les membres des suppliciés.

Toute misère provient de la fainéantise, et les impôts tels qu’ils sont ne sont pas suffisants. Ces bourreaux de ministres pensent aiguillonner l’industrie et corriger les mœurs par la nécessité de payer de gros subsides. » (p.30)

    D’Argenson a raison, on voit le monde à l’image de ce que l’on est. Un voleur n’y voit que des voleurs, un envieux ne reconnait autour de lui que d’autres envieux, un corrompu est persuadé que toutes et tous sont à vendre, etc.

Le triste constat

    Quand on lit ce terrible chapitre, on comprend que la Révolution était inévitable. La description qui y est faite de la France est bien loin de l’image idyllique que les nostalgiques de l’Ancien régime continuent de nous représenter inlassablement.

    Hélas, mille fois hélas ! Tout le monde est convaincu par les histrions qui font de l’histoire de contes de fées : L’Ancien régime était idyllique et la Révolution qui y mis fin fut une horreur  absolue ! 

    Quand donc une série télé nous montera-t-elle l’odieuse misère de cette époque plutôt que les simagrées de marquises et marquis d’opérettes ?


Digression...

    Je ne suis pas un grand cinéphile, mais je n'ai pas vu la misère et la colère du peuple aussi bien représentée en ce début de 18ème siècle que dans le film de Bertrand Tavernier sorti en 1975 : "Que la fête commence". L'histoire se situe sous la régence de Philippe d'Orléans, tuteur de l'enfant qui deviendra Louis XV. À la fin du film le carrosse du Régent lancé à toute allure sur la route de Versailles, renverse un enfant. Philippe d’Orléans propose de dédommager la mère par une somme d’argent. Des paysans accourent et incendient le carrosse. La mère dit alors à son enfant mutilé : « Regarde comme ça brûle bien » dit la mère a son enfant. On va en brûler d’autres… beaucoup d’autres. » 

 

Source :

    Le chapitre sur la misère des provinces est accessible sur la site de la BNF via la fenêtre ci-dessous :