mercredi 17 juin 2020

17 Juin 1789 : Naissance de l'Assemblée nationale

 

Constitution de l'Assemblée nationale
et serment des députés qui la composent le 17 juin 1789.
Source : Paris Musée
(Version HD en bas de la page.)

Rappel des épisodes précédents.

    Les États généraux siègent depuis près d’un mois et demi. Mais rien ne se passe comme l’avait probablement espéré Louis XVI. Le Roi avait naïvement compté faire adopter les quelques réformes fiscales qu’il avait échouer à imposer aux ordres privilégiés de la noblesse et du clergé lors des Assemblées des notable de 1787 et 1788. Necker (issu du Tiers et favorable à celui-ci), a réussi à obtenir auprès du roi le 1er juin, le doublement du nombre de représentants du tiers état par rapport aux derniers états généraux de 1614. Malgré cela, ces États généraux reflètent particulièrement bien l’inégalité de la société de l'Ancien régime. Les députés du clergé et de la noblesse, qui ne représentent qu’un demi-million de nobles et de prêtres, sont aussi nombreux que ceux du tiers état qui représentent plus de 24 millions de Français.

    Le Tiers-état est de toute évidence la nouvelle force politique que le pouvoir royal a trop sous-estimées. Ses députés sont instruits, travailleurs, souvent riches et tous imprégnés des idées novatrices issues des Lumières. Ils ont pris le titre de députés des Communes le 6 mai derniers, en référence à la House of Commons, la Chambre des Communes du parlement Britannique qui existe depuis le 13ème siècle.

Le 27 mai, le Tiers-état a appelé les deux autres ordres à le rejoindre.

Le 13 juin, 3 curés du Poitou ont rejoint le Tiers-état. Le 15, ils seront 12. Ce mercredi 17 juin ils sont 19 membres du clergé à avoir rejoint le Tiers.

(Le 24 juin, lendemain de la désastreuse séance royale au cours de laquelle Louis XVI se fâchera dans l’intention de reprendre les rênes, la majorité des députés du clergé rejoindront l’Assemblée nationale. Le 25 juin, 47 gentilshommes avec à leur tête le Duc d'Orléans rejoindront l’Assemblée Nationale. Le 27 juin, Louis XVI, vaincu, conviera finalement le Clergé et la Noblesse à se joindre au Tiers.)

 Députés du Tiers-état

 

Naissance de l'Assemblée nationale

    Alors que les députés de la noblesse et du clergé sont réunis dans des salles séparées - L'instigation de l'Abbé Sieyès - les députés du tiers état, ainsi que les 19 députés du clergé qui les ont rejoints se constituent en Assemblée nationale. Ils déclarent par 491 voix contre 90, que « la dénomination d'Assemblée nationale est la seule qui convienne [...] parce que la représentation étant une et indivisible, aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qu'il soit choisi, n'a le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente Assemblée ».

    Je vous propose de découvrir le déroulé de l’évènement en lisant ci-dessous les procès-verbaux de cette fameuse séance du 17 juin 1789. 

Sinon, vous pouvez également écouter ces 2 podcasts sur le site de France Inter :

Procès-verbaux de l'Assemblée nationale
 

Nota : Les retranscriptions ci-dessous proviennent de l'indispensable site Persee.fr.

1er Procès-verbal, imprimé par Jean-François Baudoin

Communes : décision de ne pas signer individuellement mais collectivement la résolution sur la constitution de l'Assemblée, lors de la séance du 17 juin 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4503_t2_0127_0000_4

M. le Doyen. Je vais mettre aux voix les différentes motions relatives à la manière dont l'Assemblée doit se constituer. On a demandé hier que chaque membre apposât sa signature au bas de la délibération, j'ose présenter à l'Assemblée quelques réflexions sur cette demande.

La signature, au lieu de fortifier notre résolution, pourrait l'affaiblir ; car, prise par l'Assemblée, elle est censée prise unanimement ; au lieu que la signature, si elle n'est pas universelle, montre que la résolution n'a été arrêtée que partiellement. De plus, la signature pourrait devenir un germe funeste de division entre nous, et commencer, en quelque manière, deux partis dans une Assemblée dont l'union a fait jusqu'ici la plus grande force.

Ces réflexions sont approuvées par l'Assemblée, et la demande des signatures n'a pas de suite.

L'Assemblée arrête que la délibération sera seulement signée du doyen et de deux secrétaires.

Communes : nouvelle lecture des motions sur la constitution de l'Assemblée, lors de la séance du 17 juin 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4503_t2_0127_0000_5

Il est fait lecture des cinq motions de MM. l'abbé Sieyès, de Mirabeau, Mounier, Legrand et Pison du Galand, sur lesquelles on a à délibérer. La première motion mise à l'opinion est celle de M. l'abbé Sieyès, en décidant qu'on ira aux voix successivement sur les autres, si la première ne réunit pas la majorité absolue des voix.

Communes : vote sur la motion de l'abbé Sieyes, admise à la majorité des voix, lors de la séance du 17 juin 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4503_t2_0127_0000_6

La motion de M. l'abbé Sieyès est admise à la majorité de 491 voix, contre 90.

Communes : adoption d'une résolution portant que la Chambre prend le titre d'Assemblée nationale, lors de la séance du 17 juin 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4503_t2_0127_0000_7

L'Assemblée, en conséquence, arrête la délibération suivante :

«L'Assemblée, délibérant après la vérification des pouvoirs, reconnaît que cette Assemblée est déjà composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes, au moins, de la nation.

«Une telle masse de députation ne saurait rester inactive par l'absence des députés de quelques bailliages, ou de quelques classes de citoyens ; car les absents qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présents d'exercer la plénitude de leurs droits, surtout lorsque l'exercice de ces droits est un devoir impérieux et pressant.

«De plus, puisqu'il n'appartient qu'aux représentants vérifiés de concourir à former le vœu national, et que tous les représentants vérifiés doivent être dans cette Assemblée, il est encore indispensable de conclure qu'il lui appartient, et qu'il n'appartient qu'à elle, d'interpréter fit de présenter la volonté générale de la nation ; il ne peut exister entre le trône et cette Assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif.

«L'Assemblée déclare donc que l'œuvre commune de la restauration nationale peut et doit être commencée sans retard par les députés présents, et qu'ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacle.

«La dénomination l’Assemblée nationale est la seule qui convienne à l'Assemblée dans l'état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentants légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils sont envoyés directement par la presque totalité de la nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible, aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qu'il soit choisi, n'a le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente Assemblée.

«L'Assemblée ne perdra jamais l'espoir de réunir dans son sein tous les députés aujourd'hui absents ; elle ne cessera de les appeler à remplir l'obligation qui leur est imposée, de concourir à la tenue des États généraux. A quelque moment que les députés absents se présentent dans le cours de la session qui va s'ouvrir, elle déclare d'avance qu'elle s'empressera de les recevoir et de partager avec eux, après la vérification de leurs pouvoirs, la suite des grands travaux qui doivent procurer la régénération de la France.

«L'Assemblée nationale arrête que les motifs de la présente délibération seront incessamment rédigés pour être présentés au Roi et à la nation. »

L'Assemblée vote une adresse au Roi pour lui faire part de la délibération arrêtée. Alors des cris multipliés de vive le Roi ! se font entendre.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4503_t2_0127_0000_9

 Communes : décret du 17 juin 1789 concernant la levée des impôts

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4504_t2_0128_0000_9

«L'Assemblée nationale , considérant que le premier usage qu'elle doit faire des pouvoirs dont la nation recouvre l'exercice, sous les auspices d'un monarque qui, jugeant la véritable gloire des rois, a mis la sienne à reconnaître les droits de son peuple, est d'assurer, pendant la durée de la présente session, la force de l'administration publique ;

«Voulant prévenir les difficultés que pourraient traverser la perception et l'acquit des contributions ; difficultés d'autant plus dignes d'une attention sérieuse qu'elles auraient pour base un principe constitutionnel et à jamais sacré, authentiquement reconnu par le Roi, et solennellement proclamé par toutes les Assemblées de la nation ; principe qui s'oppose à toute levée de deniers et de contributions dans le royaume, sans le consentement formel des représentants de la nation ;

«Considérant qu'en effet les contributions, telles qu'elles se perçoivent actuellement dans le royaume, n'ayant point été consenties par la nation, sont toutes illégales, et, par conséquent nulles dans leur création, extension ou prorogation ;

«Déclare, à l'unanimité des suffrages , consentir provisoirement, pour la nation, que les impôts et contributions, quoiqu’illégalement établis et perçus, continuent d'être levés de la même manière qu'ils l'ont été précédemment, et ce, jusqu'au jour seulement de la première séparation de cette Assemblée, de quelque cause qu'elle puisse provenir.

«Passé lequel jour, l'Assemblée nationale entend et décrète que toute levée d'impôts et contributions de toute nature qui n'auraient pas été nommément, formellement et librement accordée par l'Assemblée, cessera entièrement dans toutes les provinces du royaume, quelle que soit la forme de l'administration.

«L'Assemblée s'empresse de déclarer qu'aussitôt qu'elle aura, de concert avec Sa Majesté, fixé les principes de la régénération nationale, elle s'occupera de l'examen et de la consolidation de la dette publique ; mettant dès à présent les créanciers de l'Etat sous la garde de l'honneur et de la loyauté de la nation française.

«Enfin, l'Assemblée, devenue active, reconnaît aussi qu'elle doit ses premiers moments à l'examen des causes qui produisent dans les provinces du royaume la disette qui les afflige, et la recherche des moyens qui peuvent y remédier de la manière la plus efficace et la plus prompte. En conséquence, elle a arrêté de nommer un comité pour s'occuper de cet important objet, et que Sa Majesté sera suppliée de faire Remettre à ce comité tous les renseignements dont il pourrait avoir besoin.

La présente délibération sera imprimée et envoyée dans toutes les provinces.

 

    Cette déclaration stupéfia le roi, son entourage et une partie de la noblesse. Une délégation de celle-ci fut envoyée au roi pour lui demander de réagir à une telle déclaration.

Version Haute Définition de l'image en titre.


dimanche 7 juin 2020

7 Juin 1789 : La famille royale frappée par le malheur. Mort du Dauphin Louis Joseph Xavier François

 

Portrait présumé de Louis Xavier François de France


    Louis Joseph Xavier François de France, né 22 octobre 1781, fils aîné de Louis XVI et de Marie-Antoinette, deuxième enfant du couple royal, s'éteint ce jour à Meudon.

    Louis XVI, accablé de douleur, demanda qu'on reculât la demande d'audience de la délégation du tiers état de quelques jours, le temps de faire son deuil. Les députés refusèrent.

« N'y a-t-il pas de pères dans cette assemblée du tiers ? » demanda-t-il alors.

    Marie-Antoinette écrira à son frère Léopold le 17 décembre 1790 : « À la mort de mon cher petit Dauphin, la Nation n'a pas seulement eu l'air de s'en apercevoir. À partir de ce jour-là, le peuple est en délire et je ne cesse de dévorer mes larmes ».

    Le malheureux enfant souffrit toute sa vie de très fortes fièvres. Une rumeur disait que sa nourrice Geneviève, surnommée Madame Poitrine lui avait transmis la tuberculose. Cet enfant intelligent souffrit malheureusement toutes sa petite vie. On lui fit porter des corsets de fer pour tenter de redresser sa colonne vertébrale.

    En janvier 1788, le docteur Petit lui avait diagnostiqué une carie vertébrale, l'enfant qui avait déjà des vertèbres gangrénées était d'ores et déjà condamné.

Le voici ci-dessous, peint entouré de sa famille, en 1782, à l'âge d'un an.





Juin 1789 : Un Louis XVI mal habillé, un Gustave III égaré et une Marie-Antoinette avisée

Gustave III, rois de Suède


















Source

    J'ai trouvé cette curieuse anecdote dans le livre de Charles Kunstler "Fersen et son secret", (que vous pouvez découvrir en bas de page). Mais c'est dans l'ouvrage de Mathieu Auguste Geffroy "Gustave III et la cour de France" que j'ai trouvé le plus d'explications concernant le contexte politique du séjour du roi Gustave III de Suède à la Cour de France. Cette anecdote s'est produite obligatoirement après l'arrivée de Gustave III à Paris le 7 juin 1789. Mais n'oublions pas que cette date correspond également à la mort tragique du fils ainé de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Louis Joseph Xavier François.

 Visite incognito du roi de Suède à Paris

    Lors de son séjour à Venise, le roi de Suède Gustave III avait décidé d’aller en France (Gustave III était un souverain francophile et réformateur. Il avait été adepte de la philosophie des Lumières, au début de son règne). Il s'était séparé d’une partie de sa suite et n'avait gardé auprès de lui qu’Axel de Fersen, Armfelt, Peyron et Franc. Ils arrivèrent le 7 juin, à Paris.
    Le roi de Suède – ou plutôt le comte de Haga, car Gustave avait décidé de garder l’incognito – descendit chez le baron de Staël, son ambassadeur, qui demeurait rue du Bac. Le baron de Staël était également l’époux de la fille du ministre Jacques Necker. Puis Gustave III se rendit à Versailles.

Un roi de France avec un talon rouge et l'autre noir.

    Louis XVI chassait à Rambouillet. Averti par M. de Vergennes (1), il revint en toute hâte. On ne trouva point la clé de son appartement, ni ses valets de chambre. Les premiers venus l’habillèrent. Si bien que le roi de France parut devant son hôte « avec un soulier à talon rouge et un autre à talon noir, une boucle d’or et une autre d’argent, et ainsi du reste »

Chaussures d'homme du 18ème siècle

.    Gustave soupa dans les petits appartements avec Louis XVI et Marie-Antoinette. Afin d’être plus libre, il refusa le logement qu’on lui avait préparé au château et logea en ville, chez Touchet, le baigneur. 
    A partir de ce moment-là, ce ne furent, pour le comte de Haga et sa suite (au sein de laquelle figurait Fersen, le tendre ami de la reine), que réjouissances de toutes sortes. Le plus souvent, le souverain dînait et soupait au château de Versailles et, presque chaque soir, il assistait à deux ou trois représentations, au cours desquelles un public enthousiaste l’applaudissait et l’acclamait. L’opéra monta pour lui Armide, la Caravane, de Gréty, les deux Iphigénie, de Gluck, le Seigneur bienfaisant, Atys, Didon.

(1) De quel Vergenne s'agit-il ? Car le Vergen, ennemi de Necker était mort le 13 février 1787.


Un roi qui se perdit par la musique

Source du timbre commémoratif
    Gustave III était connu pour son goût des cérémonies et des spectacles ; ce goût avait même dégénéré en une passion qu’il lui fallait satisfaire à tout prix. Il en était venu en Suède à exercer une véritable tyrannie envers la noblesse de sa cour pour que rien ne manquât à ses fêtes. Il fallait que, sur son ordre, des jeunes filles de haute naissance, des mères, des vieillards, quittassent leurs familles pour paraître sur le théâtre, où il se montrait lui-même. On risquait la ruine de tout crédit et le renversement de toute fortune, si l’on tardait de complaire à de bizarres caprices qui donnaient au règne de Gustave III un fâcheux air de ridicule despotisme. C’était à l’Opéra que les ministres étrangers pouvaient entretenir le roi des intérêts de leurs cours, et l’ambassadeur de France regardait comme un solide avantage d’y avoir sa loge à côté de la sienne. 

Le ministre de Danemark avait écrit en 1781 :

 « Tel jeune cavalier de la noblesse suédoise, qui autrefois passait ses matinées à lire l’Esprit des Lois ou les oraisons de Cicéron, les emploie maintenant à faire des entrechats et des cabrioles. Le peuple, qui s’assemblait anciennement pour disserter des affaires de l’état, court actuellement en foule aux comédies pour voir représenter les parodies des opéras qui se donnent aux théâtres de la cour, et les troupes de comédiens qui se forment de toutes parts dans les provinces, ainsi que les institutions de bals, assemblées et mascarades, prouvent assez que le goût du spectacle et des amusements se répand à l’excès par tout le royaume. »

Un ambassadeur désapprobateur

    Le baron de Staël, cachait mal dans sa correspondance diplomatique, des opinions bien différentes de celles de son maître Gustave III. Bien qu’il lui fût redevable de sa charge d’ambassadeur à Paris et de son mariage avec la fille du ministre Necker, le baron ne craignait pas, dans ses dépêches, de désigner la reine Marie Antoinette « comme l’unique auteur de tous les maux qui affligeaient la France ». Mieux encore, il s’efforçait de la noircir aux yeux de Gustave III. « La Reine, mécontente du parti que votre Majesté a pris de déclarer la guerre à la Russie, lui écrivait-il, m’a dit, à plusieurs reprises, que ce n’était pas son opinion. »

Le baron de Staël

La perfide Albion...

    Le roi de Suède Gustave III avait été poussé à déclarer cette guerre par l’Angleterre et la Prusse, alliées depuis le récent avènement de Frédéric-Guillaume, successeur de Frédéric II.     Le but général de la ligue anglo-prussienne était de tenir en échec la Russie et l’Autriche (pays natal de Marie-Antoinette), en suscitant contre elles la Suède, la Pologne et les Turcs. Par ailleurs, la Suède avait perdu ses dominions baltes pendant la grande guerre du Nord avec la Russie entre 1700 et 1721 et comptait les récupérer par cette guerre. L’Angleterre cherchait particulièrement l’occasion de se venger du secours prêté par la France aux colonies d’Amérique. Déjà, en mettant aux prises les Russes et les Turcs, elle avait causé un grand embarras à la France, amie de ces deux peuples ; elle essayait cette fois de nuire davantage encore à la France en détournant d’elle Gustave III. On avait compris à Versailles d’où venait le coup, et l’on essaya en vain de retenir le roi de Suède.

    Marie-Antoinette avait compris cela. Mais qu’est-ce que Louis XVI, avec ses chaussures dépareillées, avait compris à cette affaire ?

Marie-Antoinette représentée par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1788


Fersen et son secret :

samedi 30 mai 2020

30 Mai 1789, 18 heures, Hôtel de la Chancellerie, Versailles : Joute verbale.

Hôtel de la Chancellerie, Versailles.

    Je vous invite à écouter ce podcast diffusé par Radio France le 23 décembre 2016 ou à lire le texte correspondant retranscrit ci-dessous. Il raconte la confrontation qui a eu lieu lors de la Conférence organisée le 30 Mai 1789 à l'Hôtel de la Chancellerie de Versailles et en expose brillamment les enjeux. 

Cliquer sur l'image ci-dessous pour accéder au podcast,


Ou lisez le texte suivant :

"Une nouvelle histoire de vote ce matin avec l'historien Guillaume Mazeau".

Avec Guillaume Mazeau Historien

Le 30 mai 1789, à 6 heures du soir, ceux qui entrent à l’hôtel de la Chancellerie, à Versailles, savent qu’ils s’apprêtent à jouer une partie de l’avenir du royaume. Envoyés par le Tiers État, le clergé et la noblesse, qui sont alors réunis séparément à l’hôtel des Menus Plaisirs, ces commissaires sont censés débloquer une situation lourde de menaces.

Et pourtant, malgré la gravité du moment, le comte d’Antraigues, se lance dans un extravagant point d’histoire : les États Généraux de « 1560, 1576, 1588 et 1614 portent le témoignage que la vérification des pouvoirs y fut faite par ordre », affirme-il. Remontant jusqu’à ceux de 1356, il rappelle que, je le cite encore, « dans les deux procès-verbaux de ces États, les principales séances furent tenues en trois lieux divers, pour chacun des trois ordres ». Chargé de documents, le représentant du Tiers État lui répond point par point, arguant que les habitudes ne valent rien face à la raison qui, par l’examen des faits historiques, ne permet pas de prouver que la séparation des trois ordres dans des salles différentes tient davantage de la loi que des simples habitudes.

Sans vainqueur, les champions se séparent.

Pour mieux comprendre ce qui se noue autour de cette querelle, il faut replonger dans une histoire qui nous semble bien connue et qui, pourtant, se révèle bien plus exotique que l’on croit généralement : celle des débuts de la Révolution française.

Depuis le 6 mai, les 1177 députés convoqués par le roi s’opposent frontalement. Trois semaines après le discours d’ouverture de Louis XVI les sommant de résoudre le plus vite possible la grave crise financière, ceux-ci n’ont en réalité même pas commencé à donner le moindre avis, occupés à une bataille en apparence des plus étranges, portant sur des questions de procédures électorales.

Le Tiers État réunit 663 députés. 663, c’est deux fois plus que ceux de la noblesse et du clergé. Et pourtant, ces hommes vêtus de noir demeurent sous-représentés par rapport à leur importance réelle dans la société française, dont ils rassemblent, en réalité, plus de 98%. En outre, ce n’est qu’après une longue bataille qu’ils ont obtenu, cinq mois plus tôt, leur doublement.

Malgré cette victoire, certains députés du Tiers affichent leur volonté d’aller plus loin. Pour le moment, le doublement du Tiers ne lui assure aucun poids supplémentaire dans les décisions qui seront prises à l’issue des États Généraux : les votes sont en effet comptés par ordre et non par individu, ce qui, compte tenu de l’alliance des privilégiés, réduit le Tiers État, même plus nombreux, à l’impuissance. Le vote par tête devient dès lors l’enjeu politique principal.

D’autre part, les interminables discours de Barentin, le Garde des Sceaux, et de Necker, le ministre d’État, ont indigné les plus patriotes. Alors qu’ils étaient arrivés chargés de nombreuses doléances, appelant à d’amples changements, les voilà sommés de ne discuter, et le plus promptement possible, que de la question des finances publiques. Investis de puissantes attentes, ils réalisent, médusés, qu’ils ne sont là que pour faire ce que l’on attend d’eux : acquiescer à la réforme de l’impôt. Contrairement à leurs espérances, le roi leur ordonne en outre de se réunir en trois chambres séparées, afin de respecter la hiérarchie des ordres du royaume.

Le piège politique s’est ainsi refermé : en insistant sur l’imminence de la banqueroute de l’État, les ministres ont su imposer le discours de la nécessité et faire croire qu’il pas d’autre choix que de se plier à l’agenda pressé des créanciers du Trésor Public et de reporter, voire de laisser là les projets de profonde régénération de la nation.

En séparant les trois ordres dans des chambres distinctes, le message est limpide : ces États Généraux ne sont rien d’autre que ce qu’ils ont été dans l’histoire du royaume : une assemblée consultative, destinée à se séparer après avoir « consenti » à l’impôt, euphémisme signifiant, dans le langage de la monarchie absolue, « obéir ».

Indignée, la partie la plus radicale des députés du Tiers choisit alors une stratégie décisive, dans laquelle les grands discours ne leur sont, dans l’immédiat, d’aucune utilité. C’est, contrairement à l’impression que le grand roman de la Révolution nous a souvent laissée, par une lutte acharnée sur les questions les plus arides et tatillonnes de procédures électorales, que ces députés vont, en quelques semaines, réussir à faire exploser un des États les plus autoritaires d’Europe.

À peine réunis, assumant le risque de désobéir, ces députés entrent dans une résistance inattendue : alors qu’ils sont censés au plus vite commencer à vérifier la légalité des procédures électorales, ils décident de ne pas le faire, faisant du vote par tête et de la vérification en commun une condition préalable au début des débats. Délibérer en commun, réunir ensemble les députés des trois ordres dans un même lieu, c’est, en effet, transformer les États Généraux en Assemblée représentative de toute la nation, c’est-à-dire, en Assemblée nationale. C’est, en somme, par une simple question de procédure, amorcer une révolution politique.

Cela, les députés des ordres privilégiés le savent parfaitement. C’est pourquoi dès le début, s’appuyant sur l’autorité de « traditions » non écrites et à interprétation variable, ils acceptent, parce qu’ils y ont intérêt, l’agenda de l’urgence installé par le roi et ses ministres, afin de pousser le Tiers à la faute.

Pétris de courage, taraudés par la peur, les députés du Tiers tentent, quant à eux, de ralentir le tempo imposé. C’est grâce à ce refus d’obéir aux nécessités d’une histoire déjà en marche, c’est grâce cette volonté de se saisir du temps et à imposer leur propre rythme que les députés du Tiers réussissent à, littéralement, « prendre le temps » de la monarchie.

Un mois plus tard, au début du mois de juin, les États Généraux qui avaient été présentés comme la dernière chance d’éviter la crise, n’ont toujours pas commencé et pourtant la catastrophe annoncée n’est pas arrivée. En revanche, ce temps interminable a permis à ceux qui occupent de fait la salle commune des États Généraux, de parler, de débattre, de s’affronter, de s’organiser : c’est en somme dans ce temps volé à l’histoire jusqu’ici écrite par le pouvoir et les élites privilégiées que s’est inventée la parole politique moderne, révélant enfin combien les obscures controverses sur l’histoire des procédures électorales était, en vérité, un combat fondamental pour la souveraineté.


mardi 5 mai 2020

5 Mai 1789 : Un député inconnu commence son étonnant journal des Etats Généraux


    Ce passionnant "Journal des États-Généraux" a été rédigé par un député de la Picardie envoyé aux dits états. Rédigé au jour le jour, ce député resté inconnu envoya sa chronique à Laon jusqu’au 18 février 1790, afin de tenir informés les électeurs de sa province.

    Le document est manuscrit, mais l’écriture est belle et assez facile à lire. Le document est particulièrement intéressant parce que non seulement son auteur a scrupuleusement rapporté tous les événements petits et grands qui ont émaillé le déroulement des États Généraux, mais son récit est parsemé de savoureuses observations concernant des personnages encore inconnus qui deviendront des grandes figures de la Révolution. On se régale de chacune de ses citations, toujours moqueuses.

    Comme le dit le texte de présentation de ce document sur le site de la BNF, « nous croyons que la publication de ce manuscrit offrirait un certain intérêt, tant au point de vue historique et politique qu’au point de vue anecdotique. »

Vous pouvez le consulter sur le site de la BNF via la fenêtre ci-dessous :