samedi 15 août 2020

15 Août 1789 : Le journal du mystérieux Louis XVI, les ravages du copier-coller en histoire, et la fête de l'Assomption

 Article mis à jour le 15 août 2023


    Nous avons vu ces derniers jours (de 1789), combien les députés de l’Assemblée nationale travaillaient dur pour remettre la France sur pieds, France qu’ils avaient tout de même contribué à chahuter un peu depuis quelques semaines.

    L’idée m’est donc venu de savoir ce que le roi Louis XVI avait fait ce samedi 15 août 1789, alors que les députés étaient en repos.

    Ayant trouvé sur le « Blog de Louis XVI » (ça ne s’invente pas), un extrait du journal intime de Louis XVI, j’ai entrepris de trouver l’intégralité dudit journal. Quelques secondes plus tard, je découvrais, émerveillé, le précieux document scanné par notre ami Google à la librairie de l’université du Michigan.

Cliquez sur l'image pour accéder au journal

Un journal ? Vraiment ?

    Comment dire ? J’ai éprouvé une certaine déception ? Mêlée de gêne. Je vous explique.

    Louis XVI, ce n’était tout de même pas n’importe qui, non ? Qui ne se délecterait d’avance à l’idée des informations étonnantes, traits d’esprit brillants et autres aphorismes fulgurants, auxquels on devrait s’attendre de la part d’un homme sensé être au sommet de l’élite de son époque, le 18ème siècle, siècle de l’érudition s’il en est.

Voici donc ce que l’on peut lire à la date du 15 août 1789 :

« Bain 

La grand'messe

Vêpres

La procession et le salut »

    La lecture de ce journal est fort décevante. Il semble en le lisant, qu’à part la chasse et les cérémonies religieuses, rien ne semblait vraiment intéresser ce grand monarque. On peut comprendre pourquoi certains historiens ont dit que le malheureux n’était pas à la hauteur des problèmes de son époque et qu’il avait été dépassé par les événements.

    Comme on peut le lire en page 21 de l'introduction de l'édition de 1873 publiée par Louis Nicolardot :

"Ce qu'il y a de singulier, c'est que, des milliers de pages qu'on va analyser, il sera impossible de déterrer une pensée."

    Mais il ne faut bien évidemment pas s'arrêter à ce journal, pour tenter de mieux comprendre le roi. Louis XVI n'allait bien évidemment pas confier ses pensées les plus intimes dans un journal comme celui-ci, qui d'ailleurs était accessible à tout son entourage. L'a-t-il fait ? En aurait-il été capable ? Questions sans réponses.

    Peut-être nous faudra-t-il lire les journaux d'autres personnages, pour en apprendre un peu plus sur Louis XVI ? Le journal de l'abbé Véri constitue une source intéressante.

Mise à jour du 09/10/20 :

    Grâce à l'historienne Aurore Chéry, qui a rédigé le texte de la vidéo ci-dessous, de la chaîne "L'histoire vous le dira", vous allez mieux comprendre le mystère de cet étrange journal de Louis XVI. Le livre écrit par cetet historienne dévoile un tout autre visage de Louis XVI que celui auquel nous sommes habitués : "L'intriguant, Nouvelles révélations sur Louis XVI".


Les ravages du "copier-coller" en histoire

    Il semble en effet qu'en histoire, le "copier-coller" sévisse depuis bien plus longtemps que l'apparition des traitements de textes, les historiens se contentant très souvent de reprendre des informations communément admises, sans chercher ailleurs. Il est donc devenu communément admis que Louis XVI était un benêt, qui plus est un "mauvais coup" ayant mis des années avant d'honorer son épouse, ce qui relève du sacrilège pour un roi de France très catholique, qui se doit d'avoir de nombreuses et coûteuses maitresses. Tapez "Louis XVI maitresse" sur Wikipedia, et vous ne trouverez rien, pour le moment...

    Il vous faudra attendre encore un peu avant d'apprendre que Louis XVI était follement amoureux de Françoise Boze (proche des Protestants), qu'il avait envisagé d'abolir l'esclavage dès 1775 et qu'il avait même rêvé d'une république ! Oups ! Je l'ai dit ! Oubliez ! On en reparlera plus tard. 😉

Assomption
Michel Sittow, vers 1500

    Ce problème de reproduction d'une version convenue, ne concerne bien évidemment pas que Louis XVI. L'esprit humain à tendance à chérir une version ou une explication qui suffit à satisfaire sa curiosité, et ce, d'autant plus si elle va dans le sens de ses préjugés ou a priori.

    Les historiens n'échappent pas à ce biais cognitif, aussi sincères puissent-ils être, parce que cela relève en partie de leur inconscient. Il est difficile d'apprendre à penser contre soi-même, ce qui constitue parfois le seul moyen de pouvoir faire de nouvelles découvertes. J'aurais l'occasion de vous reparler de cela en d'autres occasions...


Un petit mot sur la fête religieuse du 15 août ?

    Comme le dit si bien, avec beaucoup de tact, un site officiel de l’église catholique : "Malgré la discrétion des Évangiles" concernant la mère de Jésus (effectivement, celle-ci brille la plupart du temps par son absence), "les premiers chrétiens n’ont pas mis longtemps à réfléchir à la place de Marie dans leur foi. Ils ont rapidement voulu célébrer ses derniers moments, comme ils le faisaient pour honorer leurs saints. À cause du caractère unique de sa coopération, une croyance se répand : son "endormissement" – sa Dormition – consiste en réalité en son élévation, corps et âme, au ciel par Dieu."

    Cette fête de la dormition fut instaurée en Orient au VIème siècle par l'empereur byzantin Maurice. La date du 15 août aurait été retenue parce qu’elle correspondait à la date d’inauguration par Juvénal (421-458) alors évêque de Jérusalem, d’une église dédiée à la Vierge montée au ciel.

    Elle arriva probablement dans l’église romaine d’occident par le Pape Serge 1er (687 – 701), qui venait d’Orient (il était d’origine syriaque). D’autres disent que ce fut par le Pape Théodore. Toujours est-il que cette fête fut citée sous le nom d’Assomption en 813 par le Concile de Mayence.

    Cette fête de l’Assomption fut longtemps accompagnée d’une procession nocturne qui fut supprimée par le Pape Pie V (en 1566), à cause des nombreux abus qui l’entouraient...

    Il faut dire que la période de cette fête correspondait à l’antique et païenne fête des moissons. Pour mémoire, les Romains fêtaient leur dieu agraire lors des jeux « consuales » le 21 août et ils fêtaient les moissons le 23 août lors de la fête de Vulcain. L’église catholique a toujours eu la sage habitude de célébrer ses principales fêtes aux mêmes dates que les religions précédentes. Le 25 décembre était par exemple chez les Romains le Jour de renaissance du Soleil Invaincu (Dies Natalis Invicti Solis).

Fête nationale autrefois sous l'Ancien régime et de nos jours en Acadie !

    En France, le 15 août a été la fête patronale religieuse la plus importante de 1638 à 1880. Louis XIII ayant alors décidé de consacrer la France à la Sainte vierge (Voir paragraphe suivant). Cette fête était célébrée dans tout le pays et elle fit longtemps office de fête nationale

    Le 15 août n’est plus la fête nationale chez nous mais elle l’est toujours en Acadie canadienne. L'Acadie, peuplée d'environ 300.000 habitants parlant le Français, comprend grosso modo le nord et l'est de la province canadienne du Nouveau-Brunswick, des localités et des régions plus isolées au Québec, sur l'Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse, ainsi que le nord-ouest du Maine aux États-Unis.

    Les Français ont définitivement abandonné la fête du 15 août pour le 14 juillet en 1880, alors que les Acadiens ont adopté officiellement le 15 août comme fête nationale l’année suivante, en 1881. Cela s'explique facilement, nos amis d'outre-Atlantique ont longtemps été en effet sous l'emprise de la religion Catholique. Il faut dire aussi qu'après la victoire anglaise, l'épiscopat canadien français, préféra collaborer avec l'ennemi vainqueur afin de garder le pouvoir sur ses ouailles. L'Eglise catholique a également participé à sa manière à l'assimilation forcée des Amérindiens, dits "autochtones".


Mais revenons à notre histoire de France !

    C’est le roi Louis XIII qui a donné de l’importance à cette fête religieuse. En effet, comme il attendait un héritier depuis 22 ans d’un mariage infécond, il aurait décidé en 1638 de consacrer sa personne et la France à la Vierge Marie sous le titre de son Assomption et de demander à ses sujets de faire tous les 15 août une procession dans chaque paroisse afin d'avoir un fils.

Louis XIII

    Son épouse Anne d’Autriche tomba enceinte "miraculeusement" après une apparition de Marie (Si si !) et Louis XIII fit aussitôt publier l’édit officiel consacrant solennellement la France à Marie.

    On peut comprendre pourquoi Louis XIV, l’enfant de ce miracle, fit plus tard la guerre aux Protestants qui considéraient le culte de la vierge comme une forme d’idolâtrie ! Le règne du grand Louis XIV fut aussi celui de l’absolutisme religieux. La révocation de l’édit de Nantes (édit de tolérance) et les persécutions qui s’en suivirent furent cause de l’exil hors de France de plus de 200 000 huguenots (Protestants).

    C’est à dessein que j’ai évoqué l’origine de cette fête religieuse du 15 août. En effet, Louis XVI, tout comme ses ancêtres, était un roi très pieux et très croyant. On peut le vérifier en parcourant son très modeste journal intime. Lorsqu’il était souffrant, par exemple, la messe étaient officiée dans sa chambre. En cela rien d’étonnant, il était Roi par la grâce de Dieu. Sa foi était sincère, n’en doutons pas et son peuple, en très grande majorité partageait cette foi.

    Foi partagée en grande majorité, mais pas complètement, nous le verrons bientôt. 

    Même si les Protestants n’étaient plus persécutés (au point que l’un d’eux, Necker, fut nommé ministre), les guerres de religions avaient laissées de profondes traces dans le royaume. 

    Certains philosophes des Lumières, comme le célébrissime Voltaire ou le moins connu Baron d’Holbach, avaient grandement contribué à démystifier la religion avec leurs ouvrages très critiques et parfois très moqueurs. Du fait de leur influence, la religion était même considérée dans certains milieux privilégiés (disons "éclairés"), comme une fable utile pour tenir le peuple en respect. Certains, nous le verrons également, commençaient à se dire athées.

    C’étaient justement de nombreux représentants de ces nouvelles élites peu soucieuses de la religion, qui siégeaient à l’Assemblée nationale et qui allaient bientôt poser un gros problème de morale religieuse à ce roi très croyant…


A suivre, et bonne fête à nos amis catholiques !


Le journal de Louis XVI est consultable ici :

Le journal de l'Abbé Véri est consultable ici :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119184g



vendredi 14 août 2020

14 Août 1789 : Où il est question de "la fermentation du peuple" et du moyen d’y remédier.

 

Les pauvres de Paris buvant le café près du Pont au Change
(Rien à voir avec le sujet traité, sauf si ceux-ci "fermentent")

    Ce vendredi 14 août 1789, les députés de l’Assemblée nationale se posent les questions suivantes :

1°L’Assemblée nationale sera-t-elle permanente ou périodique ?

2° Quelles seront les qualités des éligibles, soit dans l’Assemblée nationale, soit dans les assemblées secondaires ?

3°Quelle sera l’influence de l’autorité royale en matière de législation ? Aura-t-elle le droit de véto ? Ce droit sera-t-il limité ou illimité, absolu ou suspensif ?

4° L’Assemblée nationale sera-t-elle composée d’une ou de deux chambres ? S’il y en a deux, comment seront-elles composées ? Quels seront leurs droits, leurs pouvoirs et leur influence réciproque ?

    Vous voyez là qu’il ne s’agit pas de petites questions ! La troisième posera même un sacré problème plus tard et causera indirectement la perte du roi.

    Néanmoins, avant de délibérer sur ces questions majeures, un Monsieur de Volney attire l’attention sur un travail réalisé par un comité. Celui-ci porte sur l’organisation des assemblées secondaires, c’est-à-dire, les assemblées de Province.

Écoutons l’échange qui s’en suit :

Monsieur de Volney (député du tiers état) :

« Il parait que dans ce moment-ci nous avons besoin de force et d'action. Nous avons, à la vérité, l'autorité de l'opinion ; mais cette n'est que morale. Nous ne pouvons faire exécuter nos décrets que par le secours des municipalités ; elles seules sont en action ; mais municipalités sont encore sous la verge du despotisme ; ce sont des établissements élevés sur les ruines de la liberté publique, et dans la dépendance du pouvoir exécutif. Il me paraît donc que dans le principe nous devons nous occuper d’organiser les assemblées paroissiales, les assemblées municipales, les assemblées provinciales et enfin l'Assemblée nationale.

Il est important et nécessaire de mettre sur-le-champ ces assemblées en activité. Par-là vous serez certain de votre autorité, vos décrets seront exécutés ; par-là vous ferez facilement consommer l'opération d'établir par égalité la perception des impôts pour les six derniers mois l'année.

Une circonstance me paraît influer sur projet. Il faut préparer le plan de toutes les assemblées graduelles ; il faut donner des ordres pour leur établissement ; tout cela nécessite au moins un délai de deux mois. Ainsi toutes les assemblées seront, dans le courant d'octobre, en activité, c'est à-dire à l'époque où l'on renouvelle les rôles.

Ce moyen me paraît seul suffisant pour apaiser la fermentation du peuple. Aussi j'appuie la motion de M. Duquesnoy dans la première partie. L'amendement que je propose, c'est de former des assemblées de divers grades avant de s'occuper de la Constitution. Mais je regarde comme nécessaire de s'occuper avant tout des assemblées secondaires, et de rétablir en quelque sorte le pouvoir exécutif de l'Assemblée. Il faut donc former les assemblées paroissiales, former les assemblées municipales, les assemblées provinciales, et enfin l'Assemblée nationale. Tel est l’ordre des choses, tel est celui que je propose. »

M. Duquesnoy (député du tiers état) appuie la proposition de M. Volney, et il consent que la partie de sa motion qui y a quelque rapport soit rédigée dans les termes proposés par ce dernier.

(Concernant M. Duquesnoy, je vous recommande la lecture de cet article, de sensibilité royaliste, mais néanmoins fort bien écrit et bien documenté : https://www.periegete.com/le-journal-dadrien-duquesnoy-1759-1808-ou-lenthousiasme-et-leffroi-de-la-revolution-de-1789/)

M. Crénière (député du tiers état) dit qu'avant de s'occuper la discussion des diverses motions il est intéressant de connaître le travail des comités ; en conséquence, il demande, quant à présent, la question préalable sur ces motions amendements.

Duc Mathieu Montmorency
(Lisez la devise au-dessus)
M. de Montmorency (député de la noblesse) :

"En appuyant cet avis, remarque que la motion faite est contraire à la marche que l'Assemblée s'était prescrite et à l’ordre de travail déjà établi ; il ajoute qu'il est propos d'engager le comité de Constitution à présenter incessamment son travail sur la constitution et ses vues sur l'établissement des assemblées secondaires."

M. Prieur (député du tiers état) :

"Tous les jours l'Assemblée des décrets ; à qui en confiera-t-elle l’exécution ? Ce sera sans doute aux municipalités. La plupart de celles qui existent sont vénales, et ont perdu toute autorité et toute confiance. Il faut donc s'empresser de créer des municipalités nationales ; il n'est pas moins important d'établir des assemblées provinciales nationales, pour donner des instructions locales, dont les représentants de la nation ont un besoin fréquent. Sous ces deux rapports, l'amendement de M. de Volney doit être adopté. Je demande que le comité de rédaction soit chargé de présenter incessamment un travail sur ce sujet.

Le pouvoir judiciaire, ébranlé par l'arrêté du 4, qui abolit la vénalité des charges, doit fixer aussi l'attention de l'Assemblée. Il faut charger le comité de rédaction de présenter sans délai les bases d'un travail qui ait pour but de lui rendre son énergie.

Quand même la déclaration des droits de l'homme serait retardée, les principes qu'elle doit consacrer vivraient toujours dans nos cœurs, et ce délai ne compromettrait point la chose publique."

M. Regnaud (député du tiers état) : 

"J'appuie la motion. Elle offre à l'Assemblée le seul parti que sa sagesse et son amour du bien public puissent adopter. Le comité de Constitution offre en général plus de discussions que de résultats ; il doit se borner maintenant à préparer le travail sur les quatre questions présentées."

M. le baron de Montboissier (député de la noblesse) propose, pour faciliter le travail : 

« Que les députés de chaque généralité soient autorisés à se réunir et à préparer ainsi les éléments des assemblées secondaires ».

M. de Clermont-Tonnerre (député de la noblesse) annonce que lundi le comité de Constitution présentera un travail très-considérable, et propose de renvoyer après ce rapport l'examen de la notion de M. Duquesnoy. Il observe qu'en suivant une autre marche, ce serait remonter des conséquences aux principes.

Source : 

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4855_t2_0436_0000_3

Post Scriptum :

Manquent à ma galerie de Portraits, Jean-Baptiste Crenière né le 10 juin 1744 à Vendôme et Charles-Philippe-Simon de Montboissier-Beaufort-Canillac, dont je n'ai trouvé que les armoiries.

 

jeudi 13 août 2020

Rendons hommage et justice à Louise Félicité de Keralio !

Louise Félicité Guinement de Keralio

Injustement oubliée

    Voici une femme étonnante, qui malgré son histoire incroyable et ses multiples talents, est tombée dans les oubliettes de l'histoire ! Louise Félicité de Keralio mérite grandement d’être redécouverte.

    Elle fut la première femme journaliste et la première femme à fondatrice et rédactrice d'un journal. 

    Elle fut la première historienne reconnue comme telle par ses pairs. 

    De plus, nombre de ses idées ont ensemencé joliment la révolution !

Vivre libre ou mourir (ça vous dit quelque chose ?)

    Louise Keralio a fondé à Paris, le 13 août 1789, "le Journal d'État et du citoyen" dont l'épigraphe était "Vivre libre ou mourir". Cette devise deviendra célèbre sous la première République née de l'abolition de la monarchie le 21 septembre 1792 (le lendemain de la victoire de Valmy).

Voici l'extrait du numéro du 15 novembre 1789 :


Voici un prospectus de ce journal sauvegardé par la bibliothèque de Chicago :



Une carrière étonnante

    Louise Félicité dirigera ensuite "Le Mercure national, ou Journal d'État et du citoyen", puis "Le Mercure national et Révolutions de l’Europe" et enfin "Le Mercure national et étranger, ou Journal politique de l’Europe".

    Elle avait déjà créé en 1786, avec Jean Lagrange, une société "pour exploiter un commerce de librairie" qu'elle avait installé chez elle au 17 rue de Grammont à Paris.

    Le 3 février 1787 elle avait été élue à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, dont Robespierre était alors le président.

    En juin 1787, Jacques Mallet du Pan avait écrit dans le Mercure de France pour commenter "l'Histoire d'Élisabeth, reine d’Angleterre", rédigée par l’étonnante Louise : "Il existe une foule accablante d'histoires, d'historiographes et très peu d'historiens. Jusqu'ici nous n'avions pas vu en France d'historienne ; Mlle de Kéralio est je pense la première."

    En décembre 1790, elle publiera dans son journal un article intitulé "Sur l'influence des mots et le pouvoir du langage"elle proposera d'introduire le tutoiement en signe de fraternité.

    Par la suite elle sera également à l'origine de la disparition de Monsieur ou Madame au profit de citoyen et citoyenne !

    Elle animera des "Sociétés de femmes", comme la Société fraternelle de l'un et l'autre sexe.

    Elle se battra également contre l'esclavage colonial ! (Au contraire de la fameuse Olympe de Gouge).

Trop républicaine...

    Elle animera, d'abord chez ses parents dans leur appartement du deuxième étage de l'immeuble situé au 17 rue de Grammont, puis au 2 rue des Marais Saint-Germain, et enfin au 10 rue de Condé, un club dans lequel naîtront l'idée du républicanisme adapté à la France et le parti républicain.

    Mariée par contrat le 14 mai 1792 avec Pierre-François-Joseph Robert, membre du club des Cordeliers, son républicanisme fut certainement enrichi par les idées diffusées par ce club très populaire et très engagé dans la Révolution. Les Cordeliers demanderont le 21 juin 1791 la déchéance de Louis XVI qui venait de s'enfuir, ils organiseront la manifestations du Champs de Mars le 17 juillet suivant (à laquelle Louise participera), et ils seront très actifs dans l'insurrection du 10 août 1792 qui conduira à l'emprisonnement de Louis XVI puis à l'abolition de la monarchie le 21 septembre 1792.

Louise Félicité de Keralio

Pas assez féministe !

    Louise Félicité n'avait rien à envier en qualités à Olympe de Gouge dont la célébrité tient beaucoup à une récupération politique très contemporaine, même si très honorable puisque défendant la cause des femmes (Voir mon article du 9 juillet dernier). 

    Hélas, malgré tous ses engagements, sa participation à des sociétés fraternelles mixtes, et même sa proximité durant un temps avec la féministe Etta Palm d'Aelders, Louise Félicité de Keralio avait une vision plutôt conservatrice de la position de la femme dans la société (position qui sera d'ailleurs cause de sa rupture intellectuelle avec Etta Palm qu'elle accusera d'être une espionne et une mauvaise fille.).

    À titre d’exemple, dans un numéro de son journal, dans lequel un homme appelait les femmes à participer aux assemblées primaires pour voter aux élections municipales, elle avait répondu que « le plus grand bien que la constitution puisse faire, c’est d’écarter à jamais les femmes [du gouvernement] » pour ensuite assigner aux femmes leur place : le foyer, et leur rôle, l’éducation des enfants. Hum, hum... 😕

    En cette période de relecture féministe de l'histoire, ce genre d'opinion ne peut guère aider à la redécouverte de cette étrange républicaine (à la solde du patriarcat) 😉


Pourquoi cet oubli ?

    Son manque de féminisme n'explique pas tout. J'ai remarqué que les historiens avaient retenu plus volontiers dans leurs ouvrages, les belles dames qui tenaient des salons comme Madame Roland ou les très belles dames qui avaient eu l'honneur d'être portraiturée par Elisabeth Vigée Lebrun, plutôt que les femmes vraiment engagées dans la Révolution, les femmes trop révolutionnaires, voire pire, trop républicaines...


Les autres oubliées...

    Beaucoup de femmes s'engagèrent activement dans la Révolution, prenant bien volontiers les armes. La colère des femmes fut même à l'origine de nombreuses émeutes révolutionnaires, comme celles des journées des 5 et 6 octobre 1789, qui constituèrent un tournant majeur de la révolution. Certaines s'engagèrent même dans l'armée en dissimulant leur sexe et combattirent vaillamment.

    L'émancipation des femmes figure indiscutablement parmi les idées novatrices qui germèrent durant la Révolution. Comme nombre d'autres, celle-ci fut combattue, puis vaincue pour un temps; pour un temps seulement car la graine était plantée et elle finirait par fleurir un jour et porter ses fruits.

  Si je dispose de suffisament de temps, je vous parlerai de Louise Reine Audu, Pauline Léon, Claire Lacombe, Marie Charpentier, Reine Chapuis, les citoyennes Lavarenne et Tournée, la citoyenne lieutenant Lecuyer, l'amazone Théroigne de Méricourt, la canonière Catherine Pochetat, la citoyenne Montorcier, Anne Quatresols, Angélique Duchemin, la lieutenant Ursule Aby, Marie Schellinck, Pélagie Dulière, Thérèse Figueur (dite Sangène), les sœurs guérrières Félicité et Théophile Fernig, Rose Barreau (dite Liberté), Madame de Moulin, Rose Bouillon, Thérèse Touay dit le Diable, Clémence Alibert, Chamoton épouse Legelée, Françoise Drouet, Marie-Cécile Fiteau (de Nevers), la vendéenne Elisabeth Bourgé, Marie Saulnier...


Plus d'infos sur Louise Félicité ?

Je vous propose de lire ces articles :

Louise de keralio-robert, pionnière du républicanisme sexiste

Chez la journaliste Louise de Keralio

Cercles politiques et « salons » du début de la Révolution


Voici également quelques-uns de ses écrits :

    Un texte court, son "Adresse aux femmes de Montauban", publiée en 1790.







    Cette page de Gallica liste tous ses écrits disponibles : "Robert Louise-Félicité Guinement de Keralio


Le petit mot du citoyen Basset

 Bonjour citoyennes et citoyens !

    Je continue de travailler pour vous en regroupant, comparant et analysant nombre de documents.



    Je suis conscient du fait que mes articles quotidiens sur ma page Facebook sont parfois rédigés trop vite (beaucoup de coquilles que je découvre plus tard, horrifié !). Raison pour laquelle je travaille à vous construire un site web, où vous retrouverez tous mes articles, relus, corrigés (j'espère) et augmentés, quand ce sera possible.

    Le plus pénible dans tout cela, ce n'est pas le travail, mais les inévitables messages que je reçois, où de pauvres hères me ressortent leurs litanies bien apprises sur les méchants révolutionnaires et les gentils nobles. S'ils avaient lu mes précédents articles ils auraient découvert que ce sont précisément les nobles qui ont commencé la révolution en s'opposant au roi, mais passons.

    Il m'était plus facile de leur répondre par mon grand sourire bonhomme et désarmant, appuyé de quelques arguments, lorsque je faisais de la reconstitution historique. Je parvenais toujours à trouver un point d'accord sur un détail, qui si minime soit-il, constituait alors une fragile passerelle permettant un dialogue apaisé (même avec un Chouan). 



    Mais sur Facebook, c'est plus compliqué. Rien de plus facile en effet, que d'imaginer son interlocuteur plutôt que de l'écouter, en projetant sur lui tous ses a priori et fantasmes divers. Malgré mes efforts de compréhension envers chacun des partis engagés dans la tempête révolutionnaire, je ne peux pas empêcher certains de me voir comme un buveur de sang rempli de haine et de ressentiment ; ce qui fait bien rire ceux qui me connaissent !

    La Révolution française n'est qu'un événement historique parmi d'autres. L'enchainement des événements qui s'y sont produits, correspond à ce que j'appelle de la "mécanique humaine". C'est une expression que j'ai reprise de la physique qui traite par exemple de la mécanique des fluides. Placés dans certaines conditions précises, les groupes humains réagissent presque toujours de la même façon, en fonction de leurs déterminismes divers, hérités de l'évolution de l'espèce humaine. Il n'est pas question de bien ou de mal, mais de comportements adaptés ou pas, à un nouvel environnement social, de réactions utiles ou non, à l'espèce humaine. A l'origine nous sommes des prédateurs, pas des anges. La violence fait partie de notre héritage. Ce n'est ni bien ni mal. Celle-ci nous a longtemps été utile pour survivre. 

    Le peuple était violent et inculte ? Oui, en partie, mais qui l'avait rendu ainsi, si ce n'était la société d'ancien régime ? Nous verrons les efforts de certains révolutionnaires pour canaliser cette violence et pour dresser les bases d'une instruction dudit peuple. Il faudra beaucoup de temps encore pour que ce dont se nourrit la violence, à savoir la misère et l'ignorance, disparaissent peu à peu. Plus nous progresserons, moins la violence sera efficace et plus deviendra indispensable l'intelligence seule.

    La révolution a correspondu a une accélération momentanée du progrès. Nous verrons qu'elle ne durera que peu de temps et que très vite tout reviendra dans l'ordre (Rétablissement de l'esclavage, rappel des nobles, soumission au Pape, suppression du suffrage universel et accaparement des richesses par toujours la même minorité malade de l'argent).

    Ce n'est ni bien ni mal. L'humanité progresse ainsi, par petits bons et reculs, la somme de chacun marquant la petite marge du progrès.


Bon, voilà, je retourne travailler.


Salut et Fraternité (comme on disait en 1792)


Le citoyen Basset prêchant la "bonne parole"



mercredi 12 août 2020

12 Août 1789 : Travail sur la Constitution, le projet de Sieyès

    Vous aurez remarqué que ce site ne donne pas systématiquement dans le sensationnel. La Révolution française présente un continuel contraste entre les périodes studieuses (car il faut beaucoup travailler pour changer la société) et les périodes, disons, tumultueuses...

    En ce mois d’août, quelques châteaux continuent de prendre feu de temps à autres dans les provinces, mais le gros du travail se fait à l’Assemblée nationale.

    Voici un aperçu des sujets traités par celle-ci lors de la séance du 12 aout 1789 :

  • Horaires de l’audience du Président auprès du Roi et organisation d’un Te Deum (il s’agit du Te Deum qui sera célébré à l’occasion des sacrifices consentis pendant la nuit du 4 août, par les ordres privilégiés sur l’autel de la patrie),
  • Motion de Monsieur de Gaillon pour la suppression du droit d’ainesse,
  • Motion de Monsieur le Duc DE Liancourt pour le traitement des députés,
  • Création d’un comité chargé de la liquidation des droits féodaux, lors de la séance du 12,
  • Conclusion de la séance du 12 août pour procéder aux élections d’un archiviste et de divers comités. (Une petite pensée pour l’archiviste à qui nous devons tant de précieux documents !)

Emanuel Joseph Sieyès
    Dans les pièces annexes de la séance du 12, figure le projet de constitution soumis à l’assemblée par Monsieur l’abbé Sieyès. 
    Celui-ci comporte en titre 1 une intéressante déclaration des droits et des principes constitutifs. 
    Il s’agit de la fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen que le Marquis de Lafayette a demandé de mettre en préambule à la constitution le 11 juillet dernier.

Voir ici :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4654_t2_0221_0000_19

 


En voici le contenu :

"TITRE I.

Des droits et des principes constitutifs.

Les représentants de la nation, munis de ses pouvoirs pour fixer la Constitution de l'Etat, déterminer les droits et l'exercice de la puissance législative et de la puissance exécutive, considérant que la liberté, l'ordre et la félicité publique ne peuvent être solidement fondés que sur les principes immuables de la justice et de la raison ; que l'homme est sorti libre des mains de la nature ; qu'en devenant membre d'une société politique, son intention a été de mettre ses droits naturels sous la protection d'une force commune ; lesdits représentants réunis en Assemblée nationale reconnaissent et consacrent à jamais, comme inviolables, les droits de l'homme et du citoyen ; déclarent :

Art. 1er. Que la nation française est éminemment libre et indépendante de toute autorité, pactes, tributs, lois et statuts qu'elle ne consentirait pas à l'avenir.

Art. 2. Que le culte public volontairement adopté par le peuple français doit être religieusement pratiqué et dirigé par l'église Gallicane, sans qu’aucun citoyen ou étranger puisse être troublé ou inquiété dans l'exercice d'une autre religion.

Art. 3. Que la volonté générale est que les provinces et pays composant l'empire français soient soumis à un gouvernement monarchique, sans altération ni dérogation aux principes et aux droits nationaux qui constituent un tel gouvernement.

Art. 4. Que la nation a seule le droit et confère à des représentants l'exercice du pouvoir législatif, conjointement avec le Roi.

Art. 5. Que le roi et ses successeurs légitimes en ligne directe sont et seront personne sacrée et inviolable, chef suprême de la nation, dépositaire inamovible de la puissance royale, ayant indivisiblement le pouvoir de gouverner et administrer l'Etat, conformément aux lois proposées, consenties et promulguées en l'assemblée des Etats généraux, ayant spécialement le droit de commuer et remettre les peines encourues par les coupables, de distribuer les dignités et emplois ecclésiastiques, civils et militaires, de rendre et faire rendre la justice dans les tribunaux légalement établis, de pourvoir à la sûreté intérieure et extérieure de l'empire, de déclarer la guerre, faire la paix, contracter des alliances, et d'avoir dans toutes les parties de l'administration civile et politique, une autorité légale, ponctuellement obéie, sous les peines prononcées, ou qui seront prononcées par les lois.

Art. 6. Qu'aucune personne, prince ou magistrat, autres que les représentants de la nation assemblés, n'ont le droit et le pouvoir d'arrêter et proposer au Roi aucune contribution, lois, statuts, création, réformation et suppression des tribunaux, ou de consentir et de sanctionner de tels actes, dans le cas où ils seraient proposés par le Roi.

Art. 7. Que tous les pouvoirs législatifs et exécutifs doivent être essentiellement et continuelle¬ ment employés à protéger la vie, la liberté, l'honneur et la propriété de tous les citoyens ; de sorte que chacun ne soit responsable de sa conduite qu'aux lois, et n'ait à redouter, dans aucun cas, le pouvoir arbitraire d'aucun magistrat ou agent de la puissance exécutive,

Art. 8. Que l'Assemblée nationale sera permanente et organisée ainsi qu'il sera ci-après statué.

Art. 9. Que tout accusé doit être jugé coupable ou non coupable par ses pairs, avant que le tribunal devant lequel il est traduit puisse prononcer une peine.

Art. 10. Qu'il est libre à tout citoyen de publier, pour sa propre défense ou pour l'instruction publique, tout ce qu'il avisera, en demeurant responsable de ses écrits.

Art. 11. Qu'aucune considération politique, aucun besoin ou service public ne pouvant prévaloir sur le droit que tout homme a à sa propre subsistance, ceux dépourvus de toute propriété, tels que les manœuvres et journaliers, ne peuvent être soumis à aucune contribution personnelle.

Art. 12. Que tous les impôts doivent être mesurés sur les besoins effectifs de l'Etat, et également supportés par tous les citoyens, proportionnellement à leur fortune, sans distinction ni privilège pour qui que ce soit.

Art. 13. Qu'il ne peut être établi ni toléré, à la charge de la nation, aucun droit abusif.

Art. 14. Que tous les citoyens, de quelque rang et condition qu'ils soient, ont droit à toute profession et industrie légitimes, et peuvent être promus aux honneurs et dignités ecclésiastiques, civils et militaires, proportionnellement à leurs mérites, talents et services.

Art. 15. Que tout officier et bas officier de l'armée de terre et de mer, avant d'être admis à son grade, sera tenu de prêter serment de fidélité au Roi et à la nation.

Art. 16. Qu'aucune troupe militaire ne peut être employée, même en cas d'émeute, contre le peuple, que sur la réquisition d'un magistrat civil, ou d'après une proclamation royale, scellée et contresignée par le chancelier.

Art. 17. Que les principes élémentaires de la législation et les droits constitutifs de la nation seront professés et enseignés dans tous les collèges et maisons d'éducation." 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_6382_t2_0422_0000_2

 

Article corrigé et mis à jour le 12/08/2021.

mardi 11 août 2020

11 Août 1789 : Décret relatif à l'abolition des privilèges

4 AOUT 1789
Haut-relief en bronze figurant au pied
du monument à la République,
Place de la République à Paris.


    Ce décret du 11 clôture la série de décrets des 4, 6, 7 et 8 août 1789, qui tous ont eu pour objet de mettre en pratique la fameuse abolition des privilèges décrétée dans des conditions "un peu particulières" lors de la fameuse nuit du 4 au 5 août.

La nuit du 4 au 5 août 1789, à Versailles

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4833_t2_0397_0000_3

" Art, 1er. L'Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Elle décrète que, dans les droits et devoirs, tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle, et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent, sont abolis sans indemnité ; tous les autres sont déclarés rachetables, et le prix et le mode du rachat seront fixés par l'Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés par ce décret continueront néanmoins à être perçus jusqu'au remboursement.

" Art. 2. Le droit exclusif des fuies et colombiers est aboli.

« Les pigeons seront enfermés aux époques fixées par les communautés ; durant lequel temps, ils seront regardés comme gibier, et chacun aura le droit de les tuer sur son terrain.

" Art. 3. Le droit exclusif delà chasse et des garennes ou vertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique.

«Toutes capitaineries même royales, et toute réserve de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi.

«M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l'abolition des procédures existantes à cet égard.

Concernant l'abolition du privilège de la chasse, lire l'article du 6 Août 1789.

Départ du braconner (1781)


" Art. 4. Toutes les justices seigneuriales sont supprimées sans aucune indemnité, et néanmoins les officiers de ces justices continueront leurs fonctions jusqu'à ce qu'il ait été pourvu par l'Assemblée nationale à l'établissement d'un nouvel ordre judiciaire.

" Art. 5. Les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sous quelque dénomination qu'elles soient, connues et perçues, même par abonnement, possédées par les corps séculiers et réguliers, par les bénéficiers, les fabriques, et tous gens de mainmorte, même par l'ordre de Malte, et autres ordres religieux et militaires, même celles qui auraient été abandonnées à des laïques, en remplacement et pour option de portions congrues, sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d'une autre manière à la dépense du culte divin, à l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises, et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont actuellement affectées.

« Et cependant, jusqu'à ce qu'il y ait été pourvu, et que les anciens possesseurs soient entrés en jouissance de leur remplacement, l'Assemblée nationale ordonne que lesdites dîmes continueront d'être perçues suivant les lois et en la manière accoutumée.

« Quant aux autres dîmes, de quelque nature qu'elles soient, elles seront rachetables de la manière qui sera réglée par l'Assemblée ; et jusqu'au règlement à faire à ce sujet, l'Assemblée nationale ordonne que la perception en sera aussi continuée.

 

" Art. 6. Toutes les rentes foncières perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu'elles soient, quelle que soit leur origine, à quelques personnes qu'elles soient dues, gens de mainmorte, domanistes, apanagistes, ordre de Malte, seront rachetables ; les champarts de toute espèce, et sous toutes dénominations, le seront pareillement, au taux qui sera fixé par l'Assemblée. Défenses seront faites de plus à l'avenir créer aucune redevance non remboursable.

" Art. 7. La vénalité des offices de judicature et de municipalité est supprimée dès cet instant. La justice sera rendue gratuitement. Et néanmoins les officiers pourvus de ces offices continueront d'exercer leurs fonctions et d'en percevoir émoluments jusqu'à ce qu'il ait été pourvu par l'Assemblée aux moyens de leur procurer leur remboursement.

" Art. 8. Les droits casuels des curés de campagne sont supprimés, et cesseront d'être payés aussitôt qu'il aura été pourvu à l'augmentation des portions congrues et à la pension des vicaires, et il sera fait un règlement pour fixer le sort de curés des villes.

" Art. 9. Les privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides, sont abolis à jamais. La perception se fera sur tous les citoyens el sur tous les biens, de la même manière et de la même forme : et il va être avisé aux moyens d'effectuer le payement proportionnel de toutes les contributions, même pour les six derniers mois de l'année d'imposition courante.

" Art. 10. Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouissaient, et dont le sacrifice est nécessaire à l'union intime de toutes les parties de l'empire, il est déclaré que tous les privilèges particuliers des provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d'habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun de tous les Français.

" Art. 11. Tous les citoyens, sans distinction de naissance, pourront être admis à tous les emplois et dignités ecclésiastiques, civiles et militaires, et nulle profession utile n'emportera dérogeance.

" Art. 12. A l'avenir il ne sera envoyé en cour de Rome, en la vice-légation d'Avignon, en la nonciature de Lucerne, aucuns deniers pour annales ou pour quelque autre cause que ce soit ; mais les diocésains s'adresseront à leurs évêques pour toutes les provisions de bénéfices et dispenses, lesquelles seront accordées gratuitement, nonobstant toutes réserves, expectatives et partages de mois, toutes les églises de France devant jouir de la même liberté.

" Art. 13. Les déports, droits de cotte-morte, dépouilles, vacal, droits censaux, deniers de Saint-Pierre, et autres du même genre établis en faveur des évêques, archidiacres, archiprêtres, chapitres, curés primitifs et tous autres, sous quelque nom que ce soit, sont abolis, sauf à pourvoir, ainsi qu'il appartiendra, à la dotation des archidiaconés et des archiprêtres qui ne seraient pas suffisamment dotés.

" Art. 14. La pluralité des bénéfices n'aura plus lieu à l'avenir, lorsque les revenus du bénéfice ou des bénéfices dont on sera titulaire excéderont la somme de 3,000 livres. Il ne sera pas permis non plus de posséder plusieurs pensions sur bénéfices, ou une pension et un Bénéfice, si le produit des objets de ce genre que l'on possède déjà excède la même somme de 3,000 livres.

" Art. 15. Sur le compte qui sera rendu à l'Assemblée nationale de l'état des pensions, grâces et traitements, elle s'occupera, de concert avec le Roi, de la suppression de celles qui seraient excessives, sauf à déterminer à l'avenir une somme dont le Roi pourra disposer pour cet objet.

« Art. 16. L'Assemblée nationale décrète qu'en mémoire des grandes et importantes délibérations qui viennent d'être prises pour le bonheur de la France, une médaille sera frappée, et qu'il sera chanté en actions de grâces un Te Deum dans toutes les paroisses et églises du royaume.

« Art. 17. L'Assemblée nationale proclame solennellement le Roi Louis XVI Restaurateur de la liberté française.

« Art. 18. L'Assemblée nationale se rendra en corps auprès du Roi, pour présenter à Sa Majesté l'arrêté qu'elle vient de prendre, lui porter l'hommage de sa plus respectueuse reconnaissance, et la « supplier de permettre que le Te Deum soit chanté dans sa chapelle, et d'y assister elle-même.

« L'Assemblée nationale s'occupera, immédiatement après la constitution, de la rédaction des lois nécessaires pour le développement des principes qu'elle a fixés par le présent arrêté, qui sera incessamment envoyé par MM. les députés dans toutes les provinces, avec le décret du 10 de ce mois, pour y être imprimé, publié, même au prône des paroisses, et affiché partout où besoin sera. »


Par la fenêtre ci-dessous, vous pouvez écouter un podcast de France Culture évoquant ce décret, depuis le site Retronews :