La gabelle
La suppression de la gabelle était l’une des réclamations
les plus fréquentes figurant dans les cahiers de doléances rédigés pour les
Etats Généraux. Cette taxe sur le sel était en effet l’une des plus détestée parmi
celles qui accablaient le peuple sous l’ancien régime ; Détestée parce
qu’injuste et fixé arbitrairement, c’est-à-dire sans aucune corrélation avec le
prix du sel, sans rapport avec sa consommation et différent selon les régions.
De
plus, le sel était une denrée de première nécessité car il était presque le
seul moyen de conserver les aliments et il constituait également un élément
nutritif indispensable pour le bétail.
L'impôt sur le sel et les limites territoriales de la gabelle
L'impôt sur le sel est très inégalement levé suivant les régions. Une ordonnance royale de mai 1680 distingue six ensembles (ou « pays ») différents.
Les pays de « grande gabelle » : grand bassin parisien, Orléanais, Berry, Touraine, Picardie, Champagne, Bourgogne, généralités de Caen et de Rouen, alimentés en sel par l'Atlantique, les prix y sont élevés et ils supportent l'essentiel de l'impôt.
Les pays de « petite gabelle » : du Languedoc au Lyonnais, Bresse, Dauphiné, Provence, alimentés par le sel de Méditerranée abondant et bon marché, la consommation y est libre mais relativement coûteuse.
Les pays « rédimés », ayant acheté une exemption de taxe à perpétuité par un versement forfaitaire sous Henri II : Poitou, Limousin, Périgord, Quercy, Bordelais, Guyenne, Basse Auvergne ; le sel est très bon marché et la consommation importante.
Les pays de « salines » : Lorraine, Alsace, Franche Comté consomment du sel bon marché provenant de sources salées ou de gisements de sel gemme.
Les pays de « quart-bouillon » : Basse Normandie, on y fait bouillir le sable salé en payant une taxe (quart du prix).
Les pays « exempts » : Bretagne, Flandre, Hainaut, Béarn, Navarre, Corse, île de Ré, île d'Oléron ; le commerce du sel y est libre et exempté de taxes.
Vous pouvez lire un article fort bien documenté à propos de la gabelle, sur le site de Futura Science, en cliquant sur la carte ci-dessous :
Le principe de l'affermage.
Ce système de délégation d’un service public existe toujours de nos jours. La société privée qui remporte un contrat d’affermage à la suite d'un appel d’offres pour l’obtention d’un marché public, s'engage à gérer un service public, à ses risques et périls (il y a peu de risques, croyez-moi), contre une rémunération versée par les usagers. Le fermier, reverse alors à la personne publique une redevance destinée à contribuer à l’amortissement des investissements qu’elle a réalisés. Le financement des ouvrages est à la charge de la personne publique mais le fermier peut parfois participer à leur modernisation ou leur extension.
Il existe une variante à ce type de marché d'exploitation. C'est la concession. La concession est un contrat par lequel la collectivité publique confie à une société (personne morale tierce, de droit privé ou de droit public), la réalisation de travaux ou l’achat des moyens liés à l’établissement du service public et l’exploitation de ce même service. Cette personne morale finance, réalise et exploite le service public à ses risques et périls (comme sous l’ancien régime) - elle agit pour son propre compte, sous le contrôle de la collectivité (mais bien sûr…).
Des groupes privés comme Suez, Engie, Véolia, Eiffage et autres, ont bâti leurs fortunes en exploitant de cette façon de nombreux services publics, comme des réseaux de distribution de l’eau, ou en construisant des autoroutes ou des stades. Il faut tout de même savoir, que les coûts finaux de ces services publics délégués, sont plus onéreux que lorsqu’ils sont portés par une collectivité. D’une part parce qu’ils doivent rémunérer leurs actionnaires et d’autre part parce qu’ils empruntent aux taux des marchés pour financer les installations ; Alors qu’une collectivité ne rémunère pas d’actionnaires et qu’elle peut emprunter à des taux bien plus bas. Le seul avantage, c’est que la dette publique (plus importante) est étalée sur une plus longue période...
La perception de la gabelle était donc affermée, c’est-à-dire qu’elle
était confiée à des intermédiaires financiers qui avançaient chaque année le
revenu global de la gabelle au roi, et qui se remboursaient ensuite sur la
vente du sel à la population.
Ce principe d’affermage était le même que celui des
barrières d’octroi, ces péages enserrant les villes, tenus par les fermiers généraux
qui percevaient des taxes sur tous les produits entrants. Vous pouvez lire à la
fin de l’article un paragraphe expliquant le principe de l’affermage, une forme
de délégation de service public qui existe toujours.
Souvenons-nous que dans la nuit du 13 au 14 juillet, les Parisiens avaient incendié 40 barrières de l’octroi sur 54, du mur des fermiers généraux
qui entourait Paris.
Rétablissement des barrières d'octroi...
Au passage je vous informe que ce 24 octobre, le Comité
militaire de la Commune de Paris décide la création d’un corps de chasseurs des
barrières destiné à réprimer l’entrée en fraude de marchandises dans la
capitale, parce que, oui, bien sûr, les barrières de perception des taxes ont
été rétablies…
L’Assemblée nationale et l'assemblée provinciale d'Anjou
L’Assemblée nationale avait adopté le 21 septembre 1789 un décret sur la suppression de la gabelle. Mais ledit décret disait bien dans son
article 2 que la gabelle ne serait supprimée que lorsque son remplacement en
aurait été concerté et assuré avec les assemblées provinciales.
L’article 3 prévoyait que provisoirement et à compter du 1er
octobre prochain, le sel ne serait plus payé que trente livres par quintal,
poids de marc, ou six sous la livre de seize onces, dans les greniers de grande
et petite gabelle, et que les provinces qui payaient le sel un moindre prix,
n'éprouveraient aucune augmentation.
Mais cette situation "provisoire" était loin de
satisfaire la population, plus particulièrement celle de l’Anjou. Raison pour
laquelle des députés de cette province viennent lire ce 24 octobre une adresse fort inquiétante
à ce sujet devant l’Assemblée.
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Entrepôt de sel dans une grotte
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Voici un extrait de l’adresse lue devant l’Assemblée par les députés de la
province d’Anjou, au sujet des gabelles :
Les députés extraordinaires de la province d'Anjou, qui
avaient été annoncés la veille, ont été introduits, et l'un d'eux portant la
parole, a dit :
Nosseigneurs, la province d'Anjou, persuadée que la volonté
générale, exprimée par les représentants de la nation, doit être pour elle la
voix du ciel même, a juré d'obéir respectueusement à vos décrets, d'en
maintenir l'exécution par tous les moyens qui sont en sa puissance, et nous
sommes chargés de déposer ses serments solennels dans le sein de votre auguste
Assemblée.
Mais, Nosseigneurs, si l'Anjou a reçu avec la plus vive
reconnaissance tous les décrets émanés de votre sagesse pour le bonheur des
peuples et la prospérité de l'empire, il est impossible de dissimuler que votre
arrêté du 23 septembre dernier, qui rétablit provisoirement la gabelle, a
produit un effet contraire à vos intentions et à l'esprit qui l'a dicté.
Tous les citoyens éclairés ont senti qu'en décrétant le
rétablissement provisoire de la gabelle, vous avez été déterminés par des
circonstances impérieuses, et par la difficulté de remplacer, quant à présent,
d'une manière efficace et générale, un impôt nécessaire pour alimenter le
Trésor public, et assurer la dette nationale.
Mais le peuple, incapable d'atteindre à la hauteur de vos
idées, et d'en mesurer l'ensemble et l'étendue, n'a vu, dans votre décret, que
la conservation d'un régime oppressif, et qui lui est insupportable.
En vain lui a-t-on dit que vous veniez au secours des
contribuables en adoucissant le régime des gabelles ; que vous en promettiez
une délivrance prochaine ; que le prix du sel était diminué de moitié ; que
vous aviez sévèrement défendu ces visites inquisitoriales et tyranniques qui
alarmaient les campagnes, et jetaient la terreur parmi leurs habitants ; que
vous aviez aboli les peines atroces qui, en assimilant le contrebandier à
l'assassin, le déterminaient à le devenir ;
En vain lui a-t-on dit que vous aviez supprimé ces tribunaux
de sang où des agents du fisc, stipendiés par la ferme, et érigés par elle en
juges suprêmes de la vie des hommes, dévouaient à la mort ceux qui, avec
violence, ou port d'armes, tentaient d'introduire une denrée nécessaire.
Un cri terrible et universel de proscription s'est élevé
contre la gabelle. Soixante mille habitants qui composent la garde nationale de
l'Anjou se sont armés.
Les barrières ont été renversées, les pataches détruites,
les bacs brûlés.
Il a été fait défenses aux directeurs et aux receveurs de
faire aucunes fonctions. Les armes et les chevaux des employés ont été vendus à
l'encan. Le prix leur en a été distribué, et il leur a été enjoint de sortir
dans le délai de trois jours des villes, bourgs et villages de l'Anjou.
Toute perception d'impôt a été ensuite interrompue. Les
collecteurs de la taille, les préposés au recouvrement des vingtièmes, ont
cessé de recevoir les contributions des redevables, et les habitants des villes
et des campagnes ont déclaré qu'ils ne payeraient aucune espèce d'impôt, tant qu'on
voudrait les assujettir au régime même adouci de la gabelle.
Le comité général d'Angers, justement effrayé de cette
explosion populaire, a vu avec douleur que la proscription de la gabelle allait
entraîner celle des autres impôts de l'Anjou, qui s'élèvent à plus de 12
millions ; que ce malheur serait extrême et irréparable dans un moment où les
besoins de l'Etat nécessitent des secours extraordinaires.
Il a considéré que l'Anjou se préparait à donner un exemple
d'insurrection contagieux pour les autres provinces, et qu'une étincelle
pouvait occasionner un embrasement général.
La suite ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5231_t1_0515_0000_5
Vous pouvez si vous le souhaitez lire les observations
faites par le duc de Liancourt sur ces réclamations de la province d'Anjou par
le lien ci-dessous :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6423_t1_0522_0000_4
En voici la fin :
(…) Ce n'est donc pas un décret absolu qu'a prononcé
l'assemblée d'Anjou, c'est un arrêté provisoire, en attendant qu'elle pût
connaître les intentions des représentants de la nation, que le péril de la
province n'avait pas permis de consulter avant de prononcer sur cette
importante affaire ; c'est une véritable pétition à laquelle l'Assemblée
nationale est suppliée de faire droit, et qui peut d'autant moins être
considérée autrement, que l'assemblée d'Anjou ne pour être regardée que comme
une assemblée de contribuables, et non comme une assemblée politique.
Si l'Assemblée nationale considère cette, affaire sous le
rapport de finances, elle reconnaîtra :
1° que la province d'Anjou proposant de payer le sel à 60
livres le minot, au lieu de 30, augmente la recette du Trésor public du double
de ce que ses décrets avaient prononcé ;
2° que cette province, limitrophe de la Bretagne, ne fait,
en obtenant cette faveur, courir aucun danger à la recette de l'impôt du sel
pour les autres provinces, puisque les barrières qui assurent cette perception,
placées en deçà de ses limites, ne laisseront pas passer avec plus de facilité
le sel de l'Anjou au Maine et en Touraine qu'elles ne le laissaient pénétrer en
Bretagne et en Anjou ;
3° que les limites de la province d'Anjou très-peu plus
étendue du côté où les barrières devront être posées aujourd'hui, que du côté
de la Bretagne, augmenteront à peine les dépenses du fisc, par l'établissement
d'un plus grand nombre de barrières, et augmenteront de beaucoup son revenu ;
4° enfin, que l'exemple de l'Anjou, applicable seulement aux
provinces voisines de provinces franches, ne serait que d'un très-grand
avantage s'il était successivement imité dans tout le royaume, et amènerait
ainsi, de la manière la plus complète, le remplacement général de la gabelle,
tant désiré par l'Assemblée nationale, et dont elle n'osait pas se promettre la
possibilité, ou au moins la prompte exécution.
D'après toutes ces réflexions, je conclus :
1° à ce que l'Assemblée nationale ne considérant l'arrêté du
6 octobre, de la province d'Anjou, que comme une pétition, elle le renvoie au
pouvoir exécutif, pour, par lui, prononcer ce qu'il avisera ;
2° Qu'elle ordonne sur-le-champ la séparation prompte de
cette assemblée, dans le terme de son décret du 26 octobre dernier ;
3° Que le président soit chargé de répondre aux députés
d'Anjou, que si elle eût pu considérer l'arrêté de la province autrement que
comme une pétition, elle aurait vu avec un grand mécontentement une transgression
formelle à ses décrets, que toutes les parties du royaume doivent profondément
et unanimement respecter, et que sans doute la province d'Anjou, si connue par
son attachement aux lois et au Roi, n'a pas la volonté d'enfreindre ; mais que
cet arrêté , considéré même comme une pétition, porte, dans ses expressions et
dans son style, un caractère d'ordonnance que l'Assemblée nationale
désapprouve, et qui n'ajoute qu'une forme disconvenante, mais absolument
inutile à la demande qu'elle renferme.