Article mis à jour le 9 septembre 2024
A la date de ce 9 septembre, dans ma base de données, figurait cette simple mention :
"Le maire de Troyes, Monsieur Huez est mis à
mort par le peuple, au cours d'une émeute de la faim."
Plus ce site se complètera plus vous découvrirez le nombre d'émeutes que la faim a pu provoquer pendant la Révolution. Je vous parlerai également de celles qui ont eu lieu avant.
Lire également mon article : "La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?"
Ainsi que celui-ci : "L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en
1789 et le pourquoi de son origine, l'Algérie."
Faute d'infos supplémentaires, j'ai donc demandé à mon ami Google et j'ai trouvé rapidement deux pages évoquant ce fait-divers terrible. Elles présentaient l'événement de façons un peu différentes.
Je vous engage à lire les deux. Vous risquez d'être très surpris. Mais auparavant je me permets de faire les deux petits rappels suivant pour vous situer le contexte :
Rappel concernant le pain :
La plupart des émeutes populaires de 1789 (sinon toutes) eurent pour cause la faim (émeutes dites "frumentaires"). Le peuple manquait de pain et il arrivait souvent que le pain vendu soit frelaté et rende les gens malades.
Entre janvier 1787 et juillet 1789, le prix du pain avait
augmenté de 75%. La consommation journalière moyenne d'un individu était de 4
livres de pain. Une livre de pain coûtait de 2 à 4 sous, selon la rareté
des farines. Une famille de deux adultes et deux enfants devait dépenser dans
le meilleur des cas (livre à 2 sous et enfants mangeant moins) 28 sous. Début
1789, le pain à Paris était à 14 sous. Un ouvrier non qualifié (80 % des
ouvriers parisiens) gagnait 20 sous par jour.
(Question monnaie : Une livre valait 20 sous et 1 sous valait 12
deniers.)
Rappel concernant la philosophie de mon site :
L'objectif de cet article est de présenter des informations nouvelles (vous allez en découvrir) et de chercher à comprendre comment de telles choses ont pu se produire. Qu'il n'y ait pas de malentendu, je ne prends pas la défense des bourreaux.
(D'une manière générale, je ne vous dis pas quoi penser. Mon but est de vous donner de quoi penser.)
Horrible assassinat du Maire de Troyes
Première version de l'événement
Je vous livre cette première version que j'ai découverte sur
le site d'un amoureux de l'histoire de la ville de Troyes, qui s'intitule "Troyes d'hier et d'aujourd'hui".
Le rédacteur de l'article ne donne hélas pas la source de son récit du drame.
Comme je l'ai déjà dit ailleurs, mon expérience d'Internet
m'a prouvé qu'au fil du temps, de nombreux articles et même des sites entiers
disparaissent. Raison pour laquelle je reproduis ci-dessous une partie de l'article.
Une partie seulement, parce que mon site se veut accessible à des lecteurs de
tous âges et que pour cette raison, j'ai coupé le passage horriblement détaillé
du supplice du malheureux Maire de Troyes en 1789.
J'ai relevé deux points particuliers dans ce récit, que je
développerai après cet extrait :
Source : Assassinat de Claude Huez (Cliquez sur le titre)
"Le 2 avril 1724, naît à Troyes Claude Huez, fils d'un
conseiller au bailliage.
Il devient le 20 juillet 1786 maire de cette ville et
lieutenant criminel, par ordonnance de Louis XVI.
En 1789, le maire Claude Huez, l’intendance, l’église avec
monseigneur de Baral, s’efforcent de remédier à toutes les misères, et
principalement à la disette.
Le maire conseille de faire du pain avec un mélange
froment-riz. (1)
Il établit un “ Bureau de Charité “, et ouvre une
souscription parmi les citoyens aisés, ce qui permet de distribuer 1 sol et 6
deniers aux plus déshérités.
L’après-midi du mercredi 9 septembre 1789, il y a au Palais
de justice une audience du Tribunal de police présidé par le maire, en tant que
doyen des conseillers du bailliage, afin de juger François Besançon. Ce
commerçant est accusé d’avoir vendu de la farine de riz empoisonnée. Le
Tribunal décide de brûler les farines avariées.
A la sortie de l’audience, Claude Huez est insulté par une
foule considérable, en colère, qui le considère comme complice de
l’empoisonneur et clame "A bas le maire, à mort le maire ".
Un homme, vêtu d’une veste grise et portant tablier de peau,
le tire par le bas de sa robe, et le renverse dans l’escalier. Sa robe et sa
perruque sont arrachées, il est littéralement lynché, à coups de pieds, de
poings, de sabots.
Ce ne sont que des cris de haine, des injures, proférés par
une meute qui a faim et ne sait plus trop ce qu’elle fait. Il y a là au moins
une quarantaine de femmes qui excitent les assassins au lieu de les calmer.
Le maire est tout en sang, et, malgré son long martyre, il a
la force de dire, en regardant ses bourreaux : " Pardonnez-leur, pardonnez-leur
! ".
(...)
Se trouve ici sur plusieurs lignes, le récit atroce du martyre
de ce malheureux que je ne juge pas utile de retranscrire.
(...)
Arrivés au Pont de la Salle, les émeutiers jettent le corps
dans le ru Cordé, puis certains proposent avec ironie de reconduire le Maire à
la Mairie. Ils retirent le cadavre de l’eau et le traînent à nouveau par la rue
de la Cité et la rue Moyenne, le souillant dans les ruisseaux des rues de tous
les quartiers.
Enfin, lassée et semblant satisfaite, la meute composée
d’hommes, de femmes et d’enfants, abandonnent Claude Huez vers sept heures,
devant la maison commune.
Le corps est transporté au petit cimetière Saint-Jean, tout
à côté, par de braves gens, membres du comité, qui se trouvaient sur place.
Il est maintenant dans l'église Saint-Jean, à gauche en
entrant.
Ainsi périt victime de passions insensées un homme sage,
honnête, dévoué, dont la mort fut regardée, même à l’époque de la Terreur,
comme l’un des premiers crimes de la Révolution. (Note perso :à Troyes probablement, car ce serait oublier par exemple, l'assassinat horrible de Foulon et Berthier à Paris le 22 Juillet 1789).
" … Dans le même temps, ses assassins s’en vont
piller la maison du Maire et celles des responsables de l’ordre, pendant près
de quatre heures. Les portes, les fenêtres, les glaces sont brisées, les
tapisseries déchirées, les meubles jetés par les fenêtres, les lits de plumes
sont éventrés et les plumes dispersées par le vent font penser à une chute de
neige, les balcons sont arrachés ... Une douzaine d’hommes complètement ivres
sortent de la maison du notaire. Ils emportent 600 bouteilles de vin ! Des
femmes emmènent l’argenterie de Claude Huez dans une nappe.. ".
Le calme ne revient véritablement qu’à deux heures du matin.
Pourquoi ni les Dragons d’Artois, ni la Garde Nationale de
la mairie ne sont intervenus l’après-midi, contre ces gens déchaînés ? (2)
Les insurgés, en se séparant crient qu’ils ont encore 27
maisons à piller, à brûler, et 27 têtes à couper !
Le soir même de ce triste jour, plusieurs émeutiers sont
abattus pendant le pillage des maisons, plus de 60 arrestations ont lieu et
des contrôles instaurés aux portes de Troyes. Malgré tout, la colère n‘est pas
apaisée, et certains ayant promis de revenir en annonçant d’autres
vengeances, une partie du clergé et de la bourgeoisie quitte la ville pour
quelques jours.
Le jeudi 3 décembre, a lieu à la cathédrale un service
solennel à la mémoire du malheureux Claude Huez.
Toute la ville est là, les dignitaires, les bourgeois, les
militaires, et même quelques-uns qui ont contribué à sa mort !
Vous pouvez lire le détail du procès des émeutier sur la page suivante du même site : "Procès des auteurs du crime de Paul Huez".
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Troyes -Place du marché à blé (où avaient lieu les exécutions) |
Le supplice de ce malheureux est horrible et totalement injustifiable, c'est indiscutable.
Rien ne nous empêche malgré tout de nous poser quelques questions en lisant un pareil récit.
Voici par exemple deux interrogations :
Question numéro 1 : " Le maire conseille de faire du pain avec un mélange
froment-riz" ?
Du riz ? Je pense que vous aussi, vous avez dû être étonnés. Il semble
donc qu'en 1789, en Champagne, il était plus facile de trouver du riz que du blé
et que de plus on en faisait du pain en le mélangeant à du froment !?
C'est ainsi qu'en menant mon enquête, j'ai découvert qu'effectivement, au XVIIIe
siècle, lors de disettes, certains boulangers fabriquaient un mauvais pain de riz, "mat
et insipide", à base de farines de riz et de froment, un pain ayant la
particularité d'être très difficile à digérer, voire même "d'obstruer les
viscères" !
Mais d'où pouvait venir cette idée folle ? Alors même que
Parmentier avait démontré dès 1778 que l'on pouvait aisément fabriquer du pain
avec des pommes de terre, bien plus faciles à cultiver et qu'en janvier 1789
il en était encore à devoir rédiger un rapport à ce propos au roi ! Lisez l'article que l'historienne Aurore Chéry m'a fait l'honneur de rédiger sur mon site :" L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en
1789 et le pourquoi de son origine, l'Algérie."
Et surtout d'où venait ce riz ?
De Louisiane ?
S'agissait-il de ce riz dont la culture avait sauvé de la
famine la colonie française de Louisiane au début du XVIII siècle ?
Source : https://journals.openedition.org/eccs/896
Principalement utilisé sur place, une partie du riz était tout de même exportée vers
la France depuis la ville de La Nouvelle Orléans. La riziculture s’était avérée une solution très efficace en Louisiane, non seulement à l’insécurité alimentaire, mais
aussi au problème causé par les inondations des terres riveraines du Mississippi.
Source : https://www.cairn.info/revue-annales-2007-3-page-663.htm
Du Piémont ??
S'agissait-il du riz cultivé dans la basse plaine du Pô du
Piémont italien ?
Plus d'infos : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/italie-a-la-decouverte-du-riz-du-piemont-premier-producteur-europeen_13964
De France ???
J'ai en effet découvert que de premières utilisations du
riz en France avaient eu lieu lors des disettes et famines de 1697-1698, mais que
toutes les premières tentatives de riziculture avaient échoué.
Cela ne découragea pas des investisseurs au XVIIIe siècle,
ou des "capitalistes" comme on les appelait à l'époque, de vouloir mettre des
moyens pour implanter la riziculture en France. Était-ce du courage, de
l'inconscience ou seulement le goût du lucre ?
Il faut savoir que la culture du riz exige des conditions
d'humidité régulière et de chaleur qui sont exceptionnelles sous nos climats.
Toutes les tentatives qui ont été faites pour acclimater la riziculture en Europe n'ont en général donné que peu
de résultats, à l'exception de celles situées dans le Bassin Méditerranéen. (De nos jours,
l'Italie est toujours le pays premier producteur de riz en Europe). N'oublions
pas non plus que le XVIIIe siècle a correspondu à la période de refroidissement
climatique, appelée "Petit âge glaciaire", cause d'hivers rigoureux et d'été orageux.
Des investisseurs, courageux ?
Une Compagnie, dite "du riz et des rizières de France",
composée d'hommes d'affaires et dirigée par un Bourgeois de Paris, Noël
Chavillot, s'était néanmoins constituée, en ayant pour objectif d'obtenir le
privilège exclusif (c'est-à-dire le monopole).
Ce privilège prétendaient-ils, leur
permettrait de soutenir les frais considérables nécessaires au lancement de
l'affaire. Selon eux, ce n'était pas là une "spéculation" et ils y
voyaient moins leurs intérêts particuliers que ceux de l'Etat. Certains grands
personnages comme le fils du Régent, le chevalier d'Orléans intervinrent d'ailleurs auprès
du Procureur Général pour l'enregistrement des lettres de patentes, créant le
monopole.
Leur projet se concrétisa vers 1740 dans certaines
Provinces, telles que Forez, Bourbonnais, Dauphiné et Auvergne, notamment près
de la ville de Thiers.
La "peste de Thiers" qui sévit en 1741 fut le
résultat de cet essai de riziculture. Les exploitations étant probablement mal
tenues et certainement placées trop près des agglomérations. Cette peste
n'était rien d'autre qu'une fièvre paludéenne, qui fit de très nombreuses
victimes.
Il y eu bien sûr des intrigues politiques. Il fallut l'intervention
de l'évêque de Clermont, Jean Baptiste Massillon, qui "stimula" le zèle de
l'Intendant dont il était l'ami, pour mettre fin à l'affaire. Trop de paysans
mourraient.
Source : La peste du riz de Thiers : https://www.jstor.org/stable/24065227
Malgré ce nouvel échec, l'usage du riz s'était peu à peu répandu en France.
Des placards imprimés donnaient des recettes pour "faire la soupe au riz
pour cinquante personnes" et "la bouillie pour les petits
enfants".
Apprenez pour finir cette partie sur le riz que des Italiens tentèrent plus
tard de leur côté d'introduire la culture du riz en Lorraine !!!
Question numéro 2 : "Pourquoi ni les Dragons d’Artois, ni la Garde
Nationale de la mairie ne sont intervenus l’après-midi, contre ces gens
déchaînés ?"
Le rédacteur de ce texte se pose la question. C'est bien. Mais
curieusement, on apprend sur une autre page de son site, que les
Troyens avaient éprouvé quelques difficultés à constituer leur milice
bourgeoise, ou garde nationale durant l'été.
Voici l'extrait décrivant ces difficultés :
"Une première tentative faite dans ce but, le 20
juillet 1789, échoue. La nouvelle milice était composée d’éléments trop
aristocratiques et les esprits prévenus contre elle la rejetèrent. C’est alors
que la municipalité rassemble les districts à l’Hôtel de Ville, le 16 août,
pour réformer les compagnies et les officiers. Cette fois, le résultat est tout
différent du premier. Les membres élus sont jugés trop révolutionnaires. Le 29
août, après une émeute dans laquelle le maire, Claude
Huez faillit perdre la vie, et après de nombreux pourparlers, les
officiers municipaux réunis à l’Hôtel de Ville, convoquent les citoyens actifs
pour élire définitivement leurs officiers. Ce n’est que le 17 octobre que
la garde nationale troyenne est complètement organisée, par un règlement
dûment approuvé et signé par tous les officiers et les volontaires de la
nouvelle milice."
Ne pouvons-nous pas déduire de ceci que la garde nationale
existant le 9 septembre était soit constituée de ces membres "trop
révolutionnaires" (donc peut sensibles aux malheurs des bourgeois), soit
inexistante ?
Mais ce qui est encore plus étonnant, c'est que l'on peut
lire dans le même article :
"Cependant, il serait ingrat de ne pas reconnaître que
dans plusieurs occasions la Garde nationale troyenne se signala pas sa bravoure
et son énergie ; notamment lors de l’assassinat de Claude Huez."
Cette version suscite trop de questions. Passons à la seconde version.
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Troyes - Porte Saint-Jacques |
Seconde version de l'événement
Probablement un texte d'universitaire ou de véritable historien, cette version commence par dresser le contexte économique de la Région.
Le mercredi 9 septembre 1789, Claude Huez, maire de Troyes
depuis le 29 juillet 1786, est sauvagement assassiné par une partie de la foule
présente au palais des comtes de Champagne. Son cadavre est ensuite traîné dans
les rues de la ville pendant près de trois heures par les éléments les plus
violents. L’émeute ne prend fin que tard dans la soirée après le pillage de
plusieurs maisons de notables dont celle du défunt maire. Comment et pourquoi
en est-on arrivé à un tel déferlement de violence ? Qu’a donc fait Claude Huez
pour mériter une fin aussi atroce ?
Un contexte socio-économique explosif
La capitale de la Champagne compte environ 28 000 âmes en
1788 et sa réputation est bâtie sur le textile qui fait fonctionner de nombreux
métiers. Or, la signature du traité de libre-échange avec l’Angleterre par le
ministre Vergennes en 1786 a porté un coup très rude à la production troyenne.
En effet, la concurrence avec un pays plus avancé technologiquement a engendré
une baisse de la production et partant, le chômage de nombreux ouvriers. De
plus, à ces difficultés économiques, s’ajoutent depuis plusieurs années, et
singulièrement l’année 1788, des problèmes de subsistances qui gangrènent les
relations sociales au sein de la cité. L’hiver est particulièrement rigoureux
et nombreux sont ceux qui voient leur avenir s’assombrir. C’est pour soulager
la souffrance des démunis, toujours plus nombreux, que la municipalité – de
concert avec l’évêque de Troyes Monseigneur de Barral – ouvre un bureau et des
ateliers de charité. Ils permettent ainsi d’occuper les inactifs et de leur
fournir le pain à un prix modique. Cependant cette période de soudure ne
s’annonce pas sous les meilleurs auspices tant la crainte de la disette est
grande. Dès le mois de mars, l’intendant de Champagne, Rouillé d’Orfeuil,
incite les officiers municipaux à prendre toutes les précautions pour éviter
les conséquences d’une possible mauvaise récolte. Aussi leur conseille-t-il de
stocker du grain afin de parer à toute éventualité. Claude Huez entend bien cet
argument mais il est partagé entre deux écueils difficiles à surmonter : d’une
part, l’entretien des pauvres pendant l’hiver a lourdement grevé le budget de
la ville et toute nouvelle dépense paraît inenvisageable ; d’autre part, il
tient à se préserver d’une possible accusation d’accaparement, laquelle
pourrait être lourde de conséquences. Il choisit donc de ne pas acheter de
grains. Funeste décision !
L’été 1789 est une terrible épreuve pour la population
troyenne. En effet, la récolte s’annonce médiocre et laisse rapidement craindre
une pénurie céréalière.
Vous pourrez lire la suite en payant 7.50 € pour acheter le numéro 60, sur le site de
la revue "La vie en Champagne". (Tout n'est pas gratuit comme sur mon site dans la vie) 😉
Vous pouvez y accéder en cliquant sur l'image ci-dessous :
Bertrand Tièche