samedi 28 août 2021

Destin historique d'une chanson de poissarde


Chanson "poissarde"

    Au XVIIIème siècle certains airs de musique devenus très populaires pouvaient servir à plusieurs chansons aux paroles fort différentes. C'est le cas de cet air que je vous présente aujourd'hui pour inaugurer ma nouvelle rubrique sur la Musique sous la Révolution.

    Vous allez commencer par découvrir cette chanson "poissarde", populaire sous les règnes de Louis XV et Louis XVI. Poissarde parce que probablement chantée du côté des Halles de Paris par des poissonnières réputées pour leur langage cru, les "Poissardes". 

    Elle s'intitule :"Dans la rue Chiffonnière"

    Attention, les paroles sont explicites, comme on dit aujourd'hui. Mais vous allez voir ensuite quel glorieux destin elle va avoir !


Je pense que vous avez bien mémorisé l'air. Ce genre de refrain se retient facilement !

Chanson révolutionnaire !

    Les paroles changent mais l'air de musique reste le même ! La voici devenue une chanson guerrière ! "On va leur percer le flanc", elle sera chantée de bon cœur par les soldats des armées révolutionnaires. Attention, l'intro dure plus d'une minute !



Chanson guerrière sous l'Empire ! (Les paroles ont changé)

    Cette chanson fut bien sûr adoptée ensuite par les troupes de l'Empire, puisque la plupart était issues des armées révolutionnaires. Elle fut très prisée entre autres par la garde consulaire puis impériale.

    Dans l'extrait suivant du film "Austerlitz" d'Abel Gance (1960) elle est entonnée par la vieille garde qui se lance sans ordres dans la bataille (2 Décembre 1805). Les plus vieux d'entre nous reconnaîtrons le grand acteur Michel Simon.




Quelle étrange destinée pour une chanson de "poissarde" ne trouvez-vous pas ?


Voici les paroles de la version "Empire" :

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

ah c’que nous allons rire
ran plan tire lire

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

le p’tit tondu s’ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

ça lui f’ra bien plaisir
ran plan tire lire

le p’tit tondu s’ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

Et car c’est de c’la que dépend . (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

le salut de l’empire
ran tan tire lire

on va leur percer le flanc (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

couplet subversif

pour lui plaire il faut du sang (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

ah c’que nous allons rire
ran tan tire lire

pour lui plaire il faut du sang (bis)
ran tan plan tire lire lan plan


    Comme je sais que des Napoléoniens me font l'honneur de suivre avec bienveillance ma chronique sur la Révolution. Je leur offre ci-dessous les minutes mémorables du chef d'œuvre d'Abel Ganse sur la bataille d'Austerlitz (en 2 parties).






lundi 23 août 2021

Médaille en étain célébrant les Etats Généraux de 1789

Article mis à jour le 08/04/2024 : Ajout de l'estampe.

    Voici une jolie médaille en étain extraite de ma petite collection personnelle. Elle date de 1789 et elle célèbre les Etats Généraux dont les Français attendaient tant de réformes et de bienfaits ! 

    Elle a dû être portée puisqu'elle est percée d'un petit trou à côté de la fleur de lys de la couronne.

Sur l'avers, (ci-dessous) :

    On voit un paysan portant sur son dos un globe orné des 3 fleurs de Lys des Bourbons et d'une couronne royale (il s'agit de la France). A ses pieds on devine une ruche et une bèche. On remarque sur sa droite un noble et sur sa gauche, un religieux.


Sur le revers de la médaille, on peut lire :

Sur le pourtour :

LES ESTA Gx TENU A V SOUS LOUIS 16 L ANNEE 1789

Au centre :

LA FRANCE

FIGURE SOUS

UN GLOBE EST

SOUTENU DU PEU

PLE LES DEUX OR

AIDE AU PREMIE

LA RUCHE FONT

LES ORDRES

REUNIS


J'ai trouvé une estampe correspondant à cette médaille.

    L'illustration et la légende sont les mêmes que celles figurant sur la médaille.

Les trois états.
"La France Figurée sous un Globe est soutenue du Peuple
La Noblesse et le Clergé aide au premier
La Ruche représente les trois Ordres réunies."

(Les fautes sont d'époque)

    Vous remarquerez que le Clergé "aide au premier", c'est-à-dire le Peuple. Mais que la Noblesse s'appuie nonchalamment sur le globe (représentant la France).



mardi 17 août 2021

L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et la raison de l'Algérie comme origine du blé.

Grande première sur https://www.revolutionfrancaise.website/ une historienne de renom, Aurore Chéry, nous rédige un billet concernant un problème que j'ai souvent évoqué sur ce blog, celui du pain.

(Et je vous garantis quelques surprises)

Présentation d'Aurore Chéry

    Aurore Chéry est docteure en histoire moderne et chercheuse associée au LARHRA. Elle a consacré sa thèse de doctorat à l’image de Louis XV et Louis XVI et elle travaille actuellement sur la représentation du pouvoir dans l’Europe du XVIIIe siècle.  

Elle est l’autrice de : 

  • Les Historiens de garde. De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, avec William Blanc et Christophe Naudin, Libertalia, 2016. 

    
    En plus de la lecture de ces deux excellents livres ("Les historiens de garde" est un régal et "L'Intriguant" vous étonnera !). Vous pouvez également avoir un aperçu de ses travaux sur les deux sites suivants :


Les rendez-vous de l'histoire.
Séries de conférences organisées par la ville de Blois et retransmises sur France Culture.

Cliquez sur l'image
pour accéder au site

A l'occasion des 24ème Rendez-vous de l'Histoire de la Ville de Blois, Aurore Chéry a participé à plusieurs conférences parmi lesquelles :




    Aurore Chéry publie de passionnants articles dans la rubrique "A travers champs" du site hypothèses.org.

    Cette rubrique "A travers champs" sous-titrée "Les nouvelles manières d'être historien au XXIe siècle", est totalement en phase avec ma façon de voir l'étude de l'histoire de nos jour. J'avais d'ailleurs évoqué ces jeunes historiennes et historien que je qualifiais de "2.0" en prenant justement l'exemple d'Aurore Chéry, dans un article du 1er Octobre 2020..

    Mais attention, je vous préviens, vous aurez affaire à du lourd dans ces articles ! Ce n'est pas de l'histoire de contes de fées, façon Stéphan et Lorànt 

 Ces jeunes historiens utilisent les techniques nouvelles de recherches et de comparaisons de documents, De plus, (selon moi) nombre d'entre eux abordent les sujets traités, l'esprit débarrassé des guerres idéologiques du passé. Alors attendez-vous à être dérangés par certains articles !

    J'insérerai dans le texte ci-dessous, qu'Aurore Chéry m'a fait l'honneur de rédiger pour mon modeste site, quelques liens vers ses propres articles qu'il vous faudra absolument lire.



PAIN ET ALGERIE EN 1789

Aurore Chéry, le 12 août 2021


    Pour répondre sur la question du pain, que j'avais évoquée dans mon billet du 8 novembre 2020 LA POLICE DES LUMIÈRES ET LE PAIN, ce qui est intéressant à observer, c'est que toutes les justifications arrivent bien après le 14 juillet. C'est ce que vous notez dans votre billet du 10 novembre 2020. La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés?

    Le duc de Liancourt s'exprime sur le sujet devant l'Assemblée le 23 juillet, neuf jours après la prise de la Bastille et alors que tout le royaume s'embrase. Le mal est déjà fait et on annonce enfin que du blé est en cours d'acheminement.

    Si la justification arrive si tardivement, c'est que tout ne s'est pas passé comme prévu pour Louis XVI. Au lendemain de la prise de la Bastille, le roi avait l'intention d'aller à Metz, en laissant penser qu'il avait été enlevé par les aristocrates du parti autrichien (c'est le même plan qu'il reprendra en 1791 et qui échouera à nouveau). 

    Cette situation confuse aurait créé une sorte d'état d'urgence qui aurait enfin exposé les ingérences étrangères, ici autrichiennes, et aurait montré que le roi n'était pas libre. La conséquence qu'il fallait en tirer, c'était qu'il fallait libérer le roi en changeant de régime et en allant vers des républiques inspirées par Sparte, c'est-à-dire égalitaires (sans aristocratie) mais sans éliminer les rois.

    Seulement, Louis XVI n'a pas réussi à aller à Metz. L'aristocratie était menacée par la Grande Peur, mais son rôle vis-à-vis du roi n'avait pas encore été clairement exposé. Elle pouvait donc riposter et le risque c'était qu'elle riposte en rejetant la responsabilité sur le roi en le faisant passer pour fou. 

    Louis XVI a été régulièrement confronté à cette menace depuis le début de son règne, il savait donc à quoi s'en tenir. Or dans l'affaire du 14 juillet, il était facile de démontrer que Louis XVI n'était plus en capacité de gouverner si on montrait qu'il était parfaitement informé du fait que le blé allait manquer et que pourtant, il n'avait rien fait pour réagir.

    Comme je l'ai expliqué dans mon billet du 8 novembre, il était en effet parfaitement informé par la police. Il lui fallait donc se défendre en expliquant qu'il avait essayé de réagir, qu'il avait commandé du blé mais que ce blé n'était tout simplement pas arrivé à temps. Au reste, pour tenter de détourner l'attention, on se met rapidement à accuser des pirates à la solde de l'Angleterre pour ce retard. C'est une méthode dont on a usé et abusé et dont je trouve les traces au moins jusqu'au début de 1793.

    Ce qui montre en outre que Louis XVI n'était pas très soucieux de se débarrasser du problème des disettes, c'est la manière dont il a traîné du pied par rapport à la pomme de terre. 

    J'ai montré notamment que la légende de son soutien enthousiaste à Parmentier avait été montée de toutes pièces par la Restauration. 

Article hélas réservé aux abonnés de Retronews

    Dans les faits, Parmentier lui a présenté un pain de pommes de terre en décembre 1778 et ensuite, il s'est complètement désintéressé de la patate jusqu'en 1789, et ce, bien que Parmentier ait commencé à en planter en 1785. 

Ci-dessous, l'exemplaire recto verso de la Gazette de Paris, du vendredi 18 décembre 1778. Cliquez sur l'image du verso et vous pourrez lire :

"Le pain de pomme de terre qui a été présenté au Roi, & dans lequel il n'entre aucun mélange de grains, est comparable par sa blancheur & sa légèreté au meilleur pain de froment : dans les contrées où la pomme de terre est cultivée en grand & elle peut l'être partout, ce pain ne reviendrait qu'à un sol la livre, & il est possible d'en faire du pain bi, encore plus économique"


    Le mercredi 7 janvier 1789, le sujet de la pomme de terre est de nouveau évoqué dans le Journal de Paris, par la publication d'une lettre de Monsieur Parmentier, adressée aux auteurs du journal et publiée en première page. Dans sa lettre Parmentier explique qu'il est encore possible fabriquer son pain de pommes de terre à partir de tubercules ayant été abimées par le froid. A la fin de sa lettre, il ajoute que des éclaircissements sur son procédé "paraitront incessamment dans un traité sur la culture & les usages des pommes de terres" qu'il rédige par ordre du Roi.

Cliquez sur les images ci-dessous pour lire son courrier :

(Le citoyen Basset possède un exemplaire de ce journal, quelle chance !)


    Louis XVI n'a donc fait que demander à Parmentier que celui-ci lui rédige un traité sur l'usage des pommes de terre, dix ans après que celui-ci lui ait présenté son pain de pommes de terre. A ce moment-là, le roi savait bien que – et c'est le cas de le dire – ça ne mangeait pas de pain. Ce n'est pas le traité de Parmentier qui allait remettre en cause ses plans révolutionnaires pour 1789. En revanche, ça permettait au roi de se couvrir et de laisser penser qu'il ne voulait surtout pas de disettes.

    Le traité est bien paru en 1789. Je n'ai pas réussi à trouver à quelle période de l'année il était paru, mais s'il n'avait été commandé qu'en janvier, il est probable qu'il est lui aussi paru après le 14 juillet 1789.

    En consultant le traité, en ligne sur le site de la BNF, on constate que seule l'année 1789 y figure ( M DCC XXXIX ).  Mais en 1789, ce traité arrivait bien trop tard !

Note de "Basset" : La signature de conformité à l'original remis, du secrétaire perpétuel Broussonet, en date du 20 février 1789 que l'on peut voir en dernière page, ne constitue aucunement la preuve qu'il fut mis sous presse aussitôt. Quand bien même l'eut il été, il était bien trop tard pour que ce traité destiné au Roi et aux savants de l'Académie d'agriculture, puisse être enfin mis en application par des paysans, et puis, ne l'oublions pas ce dernier détail, le marché du blé était un faiseur de fortunes.


    Pour ce qui est de l'Algérie, je pense que ça peut être intéressant de prendre aussi en considération le contexte international. Il y a des liens très anciens entre la France et l'Empire Ottoman que j'ai essayés de résumer dans un billet. Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder : 

Le billet d'Aurore Chéry (Recommandé par Basset)

    On a surtout des situations très proches pour le roi et le sultan. En France, le roi se sentait prisonnier de l'aristocratie, dans l'Empire ottoman, le sultan se sentait prisonnier des janissaires, qui étaient devenus l'aristocratie ottomane au fil du temps. 

    Selon les souverains, la situation était plus ou moins bien vécue mais pour ceux qui la vivaient très mal, la seule solution, c'était de renverser le régime. Et Louis XVI s'entendait très bien avec Sélim III, qui était devenu sultan en 1789 et qu'on a même surnommé le « Louis XVI des Turcs ». 

    Les deux étaient des souverains révolutionnaires. Pour l'Empire ottoman, renverser le régime, ça passait par l'éclatement de l'empire. Ça pouvait donc être très intéressant pour eux deux que la France entretienne des relations avec l'Algérie. En y commandant du blé, la France avait une excuse pour y envoyer de l'argent (il fallait bien payer le blé), et aussi pour y envoyer des armes et des hommes armés puisqu'il fallait protéger les cargaisons des pirates. Cet argent et ces armes pouvaient tout aussi bien servir à alimenter la lutte armée sur place et donc à favoriser l'éclatement de l'empire. De ce fait, en expliquant qu'il avait commandé du blé algérien, Louis XVI se couvrait sur deux points : ce n'était pas lui qui était responsable de la révolution en France et il n'avait pas cherché non plus à financer un mouvement révolutionnaire en Algérie puisque l'argent et les armes, c'était pour le blé. Evidemment, la guerre d'indépendance algérienne a été l'héritière de cette longue histoire.


Aurore Chéry




Post Scriptum :

Je vous conseille la lecture de son très dérangeant, mais passionnant livre sur Louis XVI, "L'intriguant"

mardi 27 juillet 2021

Les ponts de Paris au 18ème siècle


    Pas de long article cette fois-ci, 😉 juste quelques gravures et dessins qui vous feront découvrir les ponts de Paris au XVIIIe siècle, et même quelques pompes !


Une joute de marinier devant le Pont au Change (1756)
Remarquez au centre la présence d'une femme participant à la joute.


Le Pont Neuf, (très encombré) vu du côté de la rue Dauphine (1715)


Vue de la pompe de la Samaritaine (1750)


Vue de Paris depuis le Pont Neuf, vers le Pont Royal


Le Pont Neuf et le bâtiment de la Samaritaine, sur la droite. (1777)


Coupe et profil par le milieu du Château de la Samaritaine. (1712)

Plus d'infos sur la pompe de la Samaritaine, ici : https://www.histoires-de-paris.fr/pompe-samaritaine/

Plan d'une roue Hydraulique de 102 pieds de haut, soit 33.15 m

Plus d'infos sur les roues hydrauliques au 18ème siècle, ici : https://journals.openedition.org/ephaistos/5545


Château des Tuileries, vu du côté du Pont Royal.



Construction du Pont Royal en 1686


Vue sur le Louvres et le Pont Neuf, depuis le Pont Royal


Pont Saint-Michel et la rue Neuve Saint-Louis


Pont d'accès à la porte Saint-Bernard


Au loin le Pont Notre Dame, vu depuis le Port au blé.



Le Pont Marie, à gauche (repéré B)



Le Pont Notre Dame, entièrement recouvert de maisons.
On devine au milieu la pompe Notre Dame (repérée 8)
A gauche, un morceau du Pont Landry, un pont en bois
qui sera emporté par la débâcle de glace de 1709.
Il reliait l'île Saint Louis à l'île de la Cité.


A gauche, le Pont Rouge construit en 1717 à l'emplacement de l'ancien Pont Landry.
Lui aussi sera emporté par la crue de 1795.
A droite, le Pont Notre Dame, sur lequel que des maison ont disparu sur sa moitié.
Les autorités ordonnèrent la destruction des maisons sur les Ponts en 1786.
(1760)



La pompe Notre Dame.


Le Pont Rouge au centre et le Pont de la Tournelle, à droite. (1729)



Le Pont Louis XVI, construit sous la Révolution, achevé en 1781,
des pierres de la Bastille furent même utilisée pour sa construction.
C'est l'actuel pont de la Concorde.
Le financement de ce pont sera évoqué à l'Assemblée nationale, le 9 août 1789

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Porte Saint Bernard (Est de Paris) et Pont de la Tournelle.
En vente à Paris chez Basset !



Vue du Pont Neuf (le plus vieux pont de Paris), depuis la rive droite (Peint par Grenelle)


samedi 15 mai 2021

15 Mai 1790 : Opinion de Robespierre sur le droit de déclarer la guerre et contre la guerre de conquête

 Préambule indispensable.


Je me suis rendu compte qu'il était devenu impossible de trouver sur le WEB certains discours de Robespierre, comme il était possible de le faire auparavant. J'ai donc pris la liberté de recopier sur cette page son discours du 15 Mai 1790, que j'ai retrouvé dans le magistral ouvrage "Robespierre parle aux Français" de Philippe Landeux, qui regroupe en 900 pages, l'intégralité des écrits de Maximilien Robespierre. J'espère qu'il me pardonnera cet emprunt.

Je vous renvoie à la fin de cet article à une remarque très judicieuse que fait Philippe Landeux sur cette invraisemblable guerre.



OPINION SUR LE DROIT DE DÉCLARER LA GUERRE

ET CONTRE LA GUERRE DE CONQUÊTE

Ou

Sur l’attribution au roi du droit de paix et de guerre


Intervention à l’Assemblée nationale, le 15 mai 1790

Le 14 mai 1790, Montmorin, ministre des Affaires étrangères, informe l’Assemblée de la prise de possession, au début du mois, de la baie de Nootka (Colombie) par les Anglais sur les Espagnols, et des préparatifs que le roi, lié aux Bourbons espagnols par un pacte de famille, a ordonné pour soutenir l’Espagne contre l’Angleterre. Le lendemain, cette nouvelle provoque le débat (lancé par Alexandre Lameth) autour de la question de la guerre : À qui appartient le droit de la déclarer ? au roi ou à la Nation ? Robespierre, craignant que toute cette affaire ne soit un nouveau piège tendu à la Révolution, intervient pour que la question soit débattue. Finalement, l’Assemblée, sur proposition de Mirabeau, vote des remerciements au roi pour avoir pris les mesures pour maintenir la paix et ajourne au lendemain la question du droit de paix et de guerre. La discussion se poursuivra du 16 au 22 mai.

Le Point du Jour, n° 303 :

« M. Robespierre s’est élevé à des considérations plus importantes en disant : — Il est évident que s’il est un moment pour l’Assemblée nationale de décider à qui appartient le droit de faire la paix ou la guerre, c’est celui où il peut être question de délibérer sur l’exercice de ce droit, et où le ministère semble nous annoncer que nous devons prendre part aux différends de deux nations voisines. [...] Si vous la décidez conformément aux prétentions de la cour ou si vous la laissez indécise, (ce qui laisserait ce redoutable pouvoir entre les mains du ministre) vous devez craindre, avec beaucoup de raison, qu’une guerre étrangère soit une machination formée par les cours ou par les cabinets ministériels contre les nations, dans le moment où la nôtre a reconquis sa liberté, et où les autres sont peut-être déjà tentées d’imiter ce grand exemple ; et il est évident que les mesures du ministère français devraient être naturellement conformes à ce but, si vous lui abandonnez l’exercice du droit de la guerre et de la paix.

 » Cependant n’est-il pas possible qu’après avoir pris une connaissance certaine et particulière des faits et des circonstances des prétendus démêlés de l’Espagne et de l’Angleterre, dont la lettre ministérielle vous parle si obscurément et si vaguement, n’est-il pas possible, dis- je, qu’au lieu de mesures hostiles et précipitées qui ébranleraient infailliblement l’édifice de votre constitution naissante, vous adoptiez des mesures de paix et de médiation, dignes de la justice et de la dignité d’une nation qui vient de reconquérir sa liberté, et cette dernière espèce de mesures, qui pourra la prendre, si ce n’est la nation ou ses représentants ?

» Je suppose, par exemple, que vous élevant à la hauteur de votre rôle et des circonstances, vous jugiez qu’il pourrait être de votre sagesse de déconcerter les projets des cours, en déclarant aux nations, et particulièrement à celles que l’on vous présente comme prêtes à faire la guerre : que, réprouvant les principes de la fausse et coupable politique, qui jusqu’ici a fait le malheur des peuples, pour satisfaire l’ambition ou les caprices de quelques hommes, vous renoncez à tout avantage injuste, à tout esprit de conquête et d’ambition ; je suppose que vous ne désespériez pas de voir les nations, averties par cette noble et éclatant démarche de vos droits et de leurs intérêts, comprendre ce qu’elles ont peut-être déjà senti, qu’il leur importe de ne plus entreprendre d’autres guerres que celles qui seront fondées sur leur véritable avantage et sur la nécessité, de ne plus être les victimes et les jouets de leurs maîtres ; qu’il leur importe de laisser en paix et de protéger la nation française qui défend la cause de l’humanité, et à qui elles devront leur bonheur et leur liberté… Je suppose, dis-je, qu’il fût utile ou nécessaire de prendre dans les circonstances actuelles, les mesures que je viens d’indiquer ou d’autres semblables. Est-ce la cour, sont-ce les ministres qui les prendront ? Non, ce ne peut-être que la nation même ou ses représentants. Il faut donc, avant tout, et dès à présent décider si le droit de la guerre et de la paix appartient à la nation ou au roi. [...] »

 

Observation de Philippe Landreux, auteur de cet indispensable ouvrage :

"Cette défiance de Robespierre vis-à-vis de la guerre et son opposition aux guerres de conquête ne contribua pas peu à le perdre. C’est elle qui, fin 1791, début 1792, le dressa en premier lieu contre les Girondins qui voulaient à toute force déclarer la guerre à l’empereur d’Autriche et qui parvinrent en effet à plonger la France dans un conflit qui dura près de 20 ans. C’est elle encore qui, au printemps 1794, l’amena à s’opposer à Carnot, son collègue au Comité de salut public, spécialisé dans le domaine militaire, lequel, une fois le territoire national libéré, voulait continuer une guerre de conquêtes et de rapines au lieu d’envisager la paix. Or, si Fouché passe à juste titre pour le principal artisan du complot du 9 thermidor, les robespierristes, eux, regardaient Carnot comme leur pire ennemi."


Post Scriptum :

Voici la liste des discours de Robespierre que l'on peut lire sur l'indispensable ouvrage de Philippe Landeux :

Robespierre & la guerre

  • Premières interventions sur la guerre (28 nov., 11, 12, 14 déc.)
    • La guerre qui convient (28 novembre 1791)
    • Pas de guerre (11 décembre 1791)
    • Le mieux est d’attendre (12 décembre 1791)
    • Sur le droit de discuter de la guerre (14 décembre 1791)
  • Premiers discours contre la guerre (18 décembre 1791)
  • Deuxième discours contre la guerre (2 janvier 1792)
  • Troisième discours contre la guerre (11 janvier 1792)
  • Quatrième discours contre la guerre (25 janvier 1792)
  • Discours sur les moyens de sauver la patrie (10 février 1792)
  • En attendant la guerre
    • Sur Dumouriez (19 mars 1792)
    • Sur le bonnet rouge (19 mars 1792) 

 

lundi 26 avril 2021

27 Avril 1790 : Création du célèbre Club des Cordeliers.

 

Jeton d'admission aux séances du club des Cordeliers (1790)

     Création ce jour d'un nouveau club révolutionnaire dans le turbulent district des Cordeliers. Il portera le nom de "Société des amis des droits de l'homme et du citoyen", plus connu sous le nom de club des CordeliersIl doit ce nom au lieu où il est implanter, la Chapelle du couvent des Cordeliers, alors devenue "bien national".  Le club des Cordeliers sera l'un des clubs les plus à "Gauche" de la Révolution. L'un de ses membres fondateur et premier président, sera Louis Pierre Dufourny de Villiers, qui avait publié le 25 avril 1789 un cahier intitulé « Cahiers du quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre les Infortunés, les Hommes sensibles, et les États-généraux : pour suppléer au droit de députer directement aux États, qui appartient à tout français, mais dont cet Ordre ne jouit pas encore ».

Un club ouvert à tous et toutes. 

    Important à signaler, sa cotisation annuelle sera très modique, seulement 24 sous, soit l'équivalent du paiement d'une journée de travail d'un ouvrier. D'autres sources indiquent que l'on pouvait donner ce que l'on voulait sur un drapeau tendu à cet effet. Ce très faible coût était une particularité, car les droits d'entrées dans les autres clubs politiques étaient coûteux.

    Ce club n'accueillera pas seulement en son sein des hommes de toutes les conditions, de simples citoyens passifs, il permettra aussi aux femmes d'assister à ses séances et de prendre part aux délibérations. Les Cordeliers adopteront par exemple les adresses que leur présentera Mademoiselle Le Maure, l'une des citoyennes les plus assidues à leurs séances.

 Il sera également fréquenté par des personnalités telles Camille Desmoulins, les journalistes Momoro et François RobertFournier l'Américain, ou encore le Chevalier de Rutledge dont nous parlerons bientôt.

Club de réflexion progressiste

    Le Club de Cordeliers diffusera dans la société de nombreuses idées révolutionnaires très avancées. Parmi elles, l'idée de République, inspirée d'une analyse approfondie des œuvres de philosophes anglais, tels que Marchamont Nedham, James Harrington, Algernon Sidney et Thomas Cordon. Étonnant, non, d'imaginer que l'idée de république nous serait peut-être venue d'Angleterre ? Si vous souhaitez en savoir plus, j'ai rédigé un article traitant de ce sujet intitulé :"26 Novembre 1789 : L'affaire Rutledge, ou de l'influence des républicains anglais sur la Révolution française (avec l'historienne Rachel Hammersley)"

Club d'action 

    On retrouvera ce club à des moments clés de la Révolution, quand celle-ci se démarquera de la bourgeoisie et prendra une tournure plus populaire, comme lors du dépôt d'une pétition demandant la destitution du roi après la tentative de fuite de celui-ci, le 17 juillet 1791.

    On connait également ce club pour son emblème, l'œil de la surveillance, car ses membres se consacreront, entre autres, "à dénoncer au tribunal de l'opinion publique les abus des différents pouvoirs et toute espèce d'atteinte aux droits de l'homme", comme il est écrit dans l'arrêté du 27 Avril. 

    "Les Cordeliers se donneront comme les protecteurs de tous les opprimés, les défenseurs des victimes de toutes les injustices, les redresseurs de tous les abus particuliers ou généraux. Leur mission sera essentiellement une mission de surveillance et de contrôle à l'égard de toutes les autorités. Ils provoqueront des dénonciations, ils entreprendront des enquêtes, ils visiteront dans les prisons les patriotes opprimés, ils leur donneront des défenseurs, ils solliciteront en leur faveur auprès des autres clubs ou des autorités, ils saisiront l'opinion par des placards, ils viendront en aide aux familles des victimes par des souscriptions, etc. Bref, ils constitueront un groupement d'action et de combat. Ainsi, ils resteront fidèles à la tradition de l'ancien district des Cordeliers qui protégeait Marat contre les poursuites du Tribunal du Châtelet, au besoin à force ouverte. Ainsi, ils resteront en contact avec le peuple des travailleurs et des petites gens, continuellement et directement intéressés à leurs démarches. "

Source : Le Club des Cordeliers - Albert Mathiez, 1910.

 

Une précision utile sur cette idée ambigüe de surveillance citoyenne.

Le contexte de 1792 et 1793

    Certains s’offusquent de la politique de surveillance qui fut menée à partir de 1792 alors que la France révolutionnaire était en guerre ; guerre contre toutes les nations d’Europe (11 armées ayant franchi nos frontières) et guerre civile sur le territoire français (Révoltes en Vendée, Bretagne, Normandie, dans le Midi, à Bordeaux, Dijon et Lyon). C’est oublier que le même type de surveillance eu lieu à chacune des guerres qui suivirent, et que dire de l'hyper surveillance dont nous faisons l'objet à présent ?

1792, "la Patrie en danger"

    Lors de ma visite de l’exposition "Paris 1793 1794 –Année révolutionnaire", j’ai lu avec intérêt ce cartel expliquant la nature de ce nouvel ordre policier :

« Au quotidien, les Parisiennes et les Parisiens ne peuvent se passer des cartes de sûreté, des certificats de résidence ou même de civisme. La guerre et la guerre civile justifient la mise en place d’une vaste administration. Organisée dans les comités révolutionnaires de quartier ; la culture de la surveillance et de la dénonciation civique vise à distinguer les bons citoyens des ennemis de la République et pèse beaucoup sur les libertés. Pourtant, c’est au nom d’un ordre public plus juste que les pouvoirs de police sont confiés à la municipalité et aux quarante-huit sections qui quadrillent le territoire parisien. Élus par les habitants, les commissaires de police incarnent l’idéal d’une police citoyenne. » 


État d'exception.

    Ce qui choque certaines bonnes âmes pour la 1ère République ne les choque pas pour la 3ème République. Rappelons en effet que lors de la séance historique du 4 août 1914 à la Chambre des députés, le Parlement français s'ajourna sine die laissant au Président du Sénat et au Président de la Chambre des députés le soin de le convoquer, le cas échéant. L’état d’exception de 1793, avec ses 11 armées étrangères qui envahissaient la France, valait bien celui d’août 1914, ne trouvez-vous pas ?

    Les ennemis de la Révolution ont vu dans cet œil, le symbole de l’état policier et totalitaire, prémisse d’une société oppressive, identique à celle décrite dans le roman 1984 de George Orwell. Que pensent-ils de notre société où les caméras de surveillance policière sont omniprésentes, ou de ces panneaux des « voisins vigilants » aux entrées de nos villages ornés du même œil ?

    Sommes-nous en état d'urgence ? Vivons-nous sous un état d'exception ?

 

Rien n'est jamais simple en histoire, comme vous le voyez...


Démolition du couvent des Cordeliers en 1802.