vendredi 18 septembre 2020

18 Septembre 1789 : 2ème Décret sur la libre circulation des grains et réflexion sur la liberté du commerce

Article mis à jour le 18 septembre 2023.
Liberté pour le blé !
(Mais seulement pour le blé)
    Encore un article sur le pain, mais pas seulement. Vous allez constater par vous-même qu'il aborde de nombreux sujets dont certains sont encore d'une brûlante actualité.

Bonne lecture !
Carte des provinces de France en 1789
Source de la carte ci-dessus : Article Wikipédia sur les provinces de France


    La Révolution invente le principe de solidarité entre toutes les provinces.
(On appellera cela plus tard une Nation).

    Le comité de rédaction rapporte à l'Assemblée le décret sur la libre circulation des grains, qu'il avait été chargé de rédiger ; après l'avoir discuté et réformé en quelques parties, l'Assemblée l'adopte, et en conséquence décrète ce qui suit :

"L'Assemblée nationale convaincue, d'après le rapport qui lui a été fait par le comité des subsistances, que la sûreté du peuple, relativement aux besoins de première nécessité, et sa sécurité à cet égard, si nécessaires à l'entier rétablissement de la tranquillité publique, sont essentiellement attachées en ce moment à une exécution rigoureuse de son décret du 29 août dernier, a décrété et décrète" :

1° Que toute exportation de grains et farines à l'étranger, et toute opposition à leur vente et libre circulation dans l'intérieur du royaume, seront considérées comme des attentats contre la sûreté et la sécurité du peuple, et qu'en conséquence ceux qui s'en rendront coupables seront poursuivis extraordinairement devant les juges ordinaires des lieux, comme perturbateurs de l'ordre public.

2° Que ceux qui feront transporter des grains et farines dans l'étendue de trois lieues des frontières du royaume, autres néanmoins que les frontières maritimes, seront assujettis aux formalités prescrites pour les transports par mer, par l'article 2 du décret du 29 août dernier.

3° Que dans l'un et l'autre cas, on sera tenu de donner bonne et suffisante caution devant les officiers municipaux du lieu du départ, de rapporter le certificat de déclaration signé et visé des officiers municipaux des lieux de la destination et déchargement, lesquels certificat et déclaration seront délivrés sans frais, et que faute de rapporter lesdits certificat et déclaration dans tel délai qui sera fixé par les officiers municipaux des lieux du départ, suivant l'éloignement des lieux du déchargement, il sera prononcé contre les contrevenants, par les juges ordinaires, une amende égale à la valeur des grains et farines déclarés.

4° Que ceux qui contreviendront à l'article 2 du décret du 29 août, et à l'article 3 ci-dessus, encourront la peine de la saisie des grains et farines et de leur confiscation, les frais de saisie et de vente prélevés, au profit des hôpitaux des lieux ; et sera, au surplus, la connaissance des contraventions prévues par les deux articles ci-dessus, attribuée aux juges ordinaires, lesquels y statueront sommairement et sans frais.

5° Que néanmoins ceux qui auront importé dans le royaume des blés venant de l'étranger, et qui en auront fait constater l'introduction, la quantité, la qualité, et le dépôt par les municipalités des lieux, auront la liberté de les exporter, si bon leur semble, en se conformant aux règles et formalités établies pour les entrepôts.

Sera Sa Majesté suppliée de donner les ordres nécessaires pour la pleine et entière exécution du présent décret et de celui du 29 août dernier, dans toutes les villes et municipalités, paroisses et tribunaux du royaume, et d'enjoindre très-expressément à tous les officiers de police, municipaux et autres, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer au commerce intérieur des grains et farines la liberté, sûreté et protection, et de requérir les milices nationales, les maréchaussées, et même, au besoin, les autres troupes militaires, pour pré ter main-forte à l'exécution de ces mesures. »

L'Assemblée charge son président de présenter incessamment ce décret au Roi, en le suppliant de le revêtir de sa sanction.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5011_t1_0041_0000_15

    Le décret du 29 août 1789 était d’une grande importance, non seulement parce qu’il ordonnait la libre circulation des grains dans tout le royaume, mais aussi parce qu’il établissait un principe de solidarité entre toutes les provinces, principe qui allait largement contribuer à l’idée d’une nation. Et qui par ses effets positifs allait sauver de la famine des régions dont l'agriculture avait souffert d'aléas climatiques.

    Réfléchissez un instant à ce que signifie la solidarité entre toutes les provinces d'un pays. Puis prenez conscience ensuite de ce qu'implique le désir de sécession ou même d'autonomie d'une province, sous prétexte qu'elle est plus riche que les autres, comme la Catalogne en Espagne, par exemple... 


Pour mémoire, voici le texte de cet important décret du 29 août :

« L'Assemblée nationale, considérant que l'Etat n'est pas composé de différentes sociétés étrangères l'une à l'autre, et moins encore ennemies ;

« Que tous les Français doivent se regarder comme de véritables frères, toujours disposés à se donner mutuellement toute espèce de secours réciproques ;

« Que cette obligation est plus impérieuse encore et plus sacrée lorsqu'il s'agit d'un intérêt aussi important et aussi général que celui de la subsistance ;

« Que les lieux où se trouvent les plus grands besoins sont naturellement indiqués par le plus haut prix ;

« Que ceux qui sont le plus à portée de donner des secours le sont pareillement par les plus bas prix ;

« Qu'entre ces deux extrêmes sont, dans un état moyen d'approvisionnement et de prix un grand nombre de provinces et de cantons qui peuvent avec avantage débiter ces grains dans ceux où le besoin est plus grand et le prix le plus haut, et remplacer à meilleur marché dans les provinces les mieux fournies les secours qu'elles auront donnés à celles qui en étaient dé¬ nuées ;

« Que l'on ne pourrait s'opposer à cette marche sans prononcer une véritable proscription contre les provinces qui éprouveraient la disette ;

« Que rien ne serait plus contraire aux lois du royaume, qui, depuis vingt-six ans, ont constamment ordonné qu'il ne serait, en aucun cas ni en aucune manière, mis aucun obstacle au transport d'une province ni d'un canton à l'autre ;

« Qu'il est donc indispensable d'assurer l'exécution de ces lois et de permettre la circulation des grains et des farines, unique moyen d'égaliser la distribution et le prix des subsistances, sous la sauvegarde de la nation et du Roi ;

« A décrété et décrète :

«Art. 1. Que les lois subsistantes et qui ordonnent la libre circulation des grains et des farines dans l'intérieur du royaume, de province à province, de ville à ville, de bourg à bourg, de village à village, seront exécutées selon leur forme et teneur ; casse et annule toutes ordonnances, jugements et arrêts qui auraient pu intervenir contre le vœu desdites lois ; fait défense à tous juges et administrateurs quelconques d'en rendre de semblables à l'avenir, à peine d'être poursuivis comme criminels de lèse-nation ; fait pareillement défense à qui que ce soit de porter directement ou indirectement obstacle à ladite circulation, sous les mêmes peines.

« Art. 2. Fait pareillement défense à qui que ce soit d'exporter des grains et farines à l'étranger jusqu'à ce que, par l'Assemblée nationale, et sur le rapport et réquisitoire des assemblées provinciales, il en ait été autrement ordonné, à peine d'être, les contrevenants, poursuivis comme criminels de lèse-nation.

« Et sera le présent décret envoyé dans toutes les provinces aux municipalités des villes et bourgs du royaume, pour être lu, publié, affiché partout où besoin sera. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4918_t2_0511_0000_2


Réfléchissons ensemble à propos du blé.

    Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion d’évoquer les grains, le blé, ou plutôt le manque de blé, les disettes et les révoltes frumentaires. Nous avons même eu la surprise de découvrir ces convois de blé acheté en Algérie (appelée à l’époque la Barbarie) qui traversaient la France sous bonne escorte depuis Marseille, pour alimenter Paris.
    J'ai même consacré un article à la pénurie de pain : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ? Auquel l'historienne Aurore Chery m'a fait l'honneur de répondre par un article : L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et la raison de l'Algérie comme origine du blé.

    Nous reparlerons régulièrement du blé et bien sûr du pain. Le manque de pain ayant été l’élément déclencheur de la Révolution.


Liberté pour le blé ?

    La libre circulation des grains a fait l’objet d’un débat passionné entre tous les intellectuels durant tout le 18ème siècle. Et comme celui-ci est fortement lié à une vision très politisée de l’économie, ce débat dure encore de nos jours. J’ai même trouvé trace d’un institut Turgot, un « think tank » (groupe de pensée) défendant et diffusant des idées et réflexions libérales (il a disparu en 2013, son dernier article sur Facebook glorifiait Margaret Thatcher). Je reparle de Turgot plus loin...

Ça ne s'invente pas !

Le Roi nourricier.

    Sous l’ancien régime, le roi était vu comme un père nourricier, c’était lui qui pourvoyait à nourrir le peuple en ayant à charge par ses décisions d’éviter famine et disettes. Il en résultait un amoncellement de règles très strictes relatives à la production et à la circulation des blés.

    Dans un siècle où le principe du monarque absolu commençait à être contesté et même à être considéré comme une forme de despotisme, l’idée de supprimer toutes les règles relatives au blé finit par être perçue comme un combat pour la liberté. C’est cette idée de la liberté d’un point de vue économique qui fut porté par ceux qu’on appelait les physiocrates, du grec physis qui signifie nature. Nature, parce que ces économistes avaient une vision dite naturelle du droit et de la société. Ces physiocrates, ancêtres de nos libéraux actuels désiraient donc abolir « la tyrannie des grains ». Ce qui en soit, partait d’un bon sentiment.

Salon de Madame Geoffrin, lieu d'âpres débats entre intellectuels.

Les physiocrates

    Certaines de leurs idées étaient judicieuses. Ils préconisaient par exemple de développer le commerce des farines. La farine étant moins chère à transporter que le grain, ils étaient convaincus que cela faciliterait l’expansion de son commerce et que cela permettrait également d’accroître les réserves. Le roi favorisa donc le développement de techniques modernes, comme les minoteries (moulins), dans l’idée de mieux protéger Paris ainsi que les grandes villes de province contre de futures disettes. Ces efforts furent en partie vains (le commerce de la farine ne remplaça celui des grains qu’à Paris). La raison en fut que les producteurs, intermédiaires, boulangers, et surtout les meuniers, ne voulurent pas engager les investissements nécessaires pour développer les moulins ainsi que les capacités de conservation et de stockage de la farine.

Anne Robert Jacques Turgot

Turgot peint par Ducreux en 1775

    Quant à la libre circulation des grains, ce fut Turgot, inspiré par les physiocrates, qui tenta le premier l’expérience, avec son édit du 13 septembre 1774. Turgot avait une doctrine économique simple, mais ferme : "l'administration ne doit pas s'occuper du commerce."

    Hélas, quelques mois plus tard, en avril et mai 1775 eu lieu ce que l’on appela « La guerre des farines ». Les paysans inquiets de manquer de pain, ou en manquant réellement, réclamèrent une taxation, un maximum pour le prix du blé qui ne pourrait pas être dépassé. Le prix du pain avait en effet augmenté du fait de la hausse des prix des grains, de la suppression de la police des grains royale et des mauvaises récoltes des étés 1773 et 1774 qui faisaient que les stocks étaient bas.

    Les économistes et les historiens débattent encore de nos jours des raisons et causes de cette guerre des farines. Je vous l’ai dit, cela renvoie à une vision très politisé de l’économie. Il est toujours question de nos jours, de savoir si l’état doit ou ne doit pas réguler tant faire ce peu l’économie, afin de préserver la paix sociale.

    Certains historiens voient dans cette guerre des farines comme un prélude à la révolution, avec une mise en place par la monarchie d’une politique de répression. Rien que dans le Bassin parisien, 25.000 soldats furent mobilisés pour maintenir l’ordre dans le Bassin parisien où ils restèrent stationnés dans les principales villes jusqu’en novembre 1775. C’est durant cette guerre des farines, que dit-on (certains historiens (royalistes) le contestent) le général de la Tour du Pin, envoyé pour réprimer une révolte, s’est rendu tristement célèbre pour avoir dit après avoir fait tirer sur la foule : « Vous avez faim ? Eh bien nous sommes en avril ; l’herbe commence à pousser : vous n’avez qu’à brouter comme des vaches ! ». (Notons que ce La Tour du Pin était en ce mois de septembre 1789, ministre de la Guerre).


Avis du Lieutenant Général de Police sur la guerre des farines

    Dans ses mémoires inachevées, Jean-Charles Pierre Lenoir, lieutenant général de police dans les années 1774-1775 (successeur du célèbre de Sartine) écrit ainsi : 

“Il n’est plus douteux que l’introduction du système de liberté illimitée dans le commerce des grains n’ait été la cause principale des émeutes qui en 1775 troublèrent la tranquillité de Paris et de quelques provinces du royaume. Les économistes alors en crédit avaient été autorisés à faire imprimer et publier qu’il ne fallait ni approvisionnements, ni magasins publics dans les villes de grande population ; ils étaient parvenus à faire proscrire comme abusives les mesures réglementaires dont la police de Paris faisait depuis longtemps un usage bon et paisible.”

    A noter que l'on doit également à cet homme clairvoyant l’établissement de l’École de boulangerie ; les travaux établis et les salaires accordés aux pauvres des paroisses, dans les hôpitaux et aux prisonniers.

Jean-Charles Pierre Lenoir

Liberté de commercer ou liberté de vivre ?

    Turgot fait bien sûr rêver tous les défenseurs du néolibéralisme qui exigent la privatisation de tous les services publics. Nous les voyons à l'œuvre depuis plusieurs décennies. Leur truc c'est d'affirmer que les services publics fonctionnent mal et de tout faire pour qu'il en soit ainsi, afin que de les déléguer ensuite au privé. Attendu que c'est l'idéologie dominante, la majorité des gens est persuadée de la validité de cet axiome

    Malheureusement, on oublie qu'auparavant les citoyens étaient les propriétaires du service public par l'intermédiaire de l'Etat et que ces citoyens actionnaires ne demandaient pas de rétributions ! Une fois le service délégué au public, de vrais actionnaires exigent alors des dividendes toujours plus importants, quitte à dégrader le service afin depouvoir dégager de meilleures marges bénéficiaires. Je ne vais pas vous ennuyer avec cela, mais sachez que j'ai travaillé sur des délégations de services publics durant 40 ans et que j'ai donc un avis éclairé sur le sujet (Fausse concurrence, appels d'offres truqués, surfacturations, etc.)

    Nos amis Américains sont friands de cette idéologie économique (car c'est bien une idéologie). Leur Révolution a même eu pour principale raison la volonté de commercer librement et de s'affranchir de payer des impôts au Royaume Unis (Lire mon article sur leur guerre d'indépendance). Mais une fois "libérés" de l'Angleterre, ils furent alors confrontés à des révoltes internes de citoyens refusant le joug des nouveaux impôts. Voir la révolte de Shays.

    Malgré ce déterminisme "étatsunien" relatif à la "libre" concurrence, j'ai découvert un article très critique, d'un professeur de philosophie, d'histoire et de comptabilité, Jacob Soll, qui explique comment un philosophe français visionnaire a accidentellement alimenté la famine, les émeutes et la révolte. Il parle bien sûr de Turgot et par la même du mythe de la libération des marchés.

Le lien vers l'article original, donc en Anglais, est le suivant :
https://www.politico.com/news/magazine/2022/10/16/the-first-free-market-reform-00061230

Mais vous pourrez lire la traduction sur ma page Facebook en cliquant sur l'image ci-dessous :

Turgot versus Necker

    Un an plus tard, le 12 mai 1776, le roi faisait remplacer Turgot par Necker. Necker partageait de nombreuses idées avec Turgot. Mais Necker avait indéniablement une meilleure perception de la société.

    Tous ces gens prétendaient vouloir le bonheur du peuple, ou pour le moins que le peuple demeure tranquille en mangeant à sa faim. Mais les physiocrates avaient une vision du peuple quelque peu méprisante, le seul intérêt du peuple pour les marchés financiers, semblait n'être que son besoin d’acheter du pain. C’était en quelque sorte un acteur nécessaire, mais qu’il fallait savoir contenir, voire réprimer si besoin...

    Imaginez « la main invisible du marché », d’Adam Smith, mais dans un gant de fer. Leurs opposants, comme Necker, étaient réalistes. Necker savait très bien que si l’on veut faire passer une réforme, il faut préparer le peuple, il faut communiquer. C’est la raison pour laquelle il rédigera de nombreux ouvrages qui seront largement diffusés et qu’il veillera soigneusement à sa popularité ; la multitude de gravures et estampes à sa gloire en témoignent.

Turgot et Necker
Source image

    Je vous conseille l’écoute de cette passionnante émission de France Culture, à propos de Turgot et Necker :
https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/quand-letat-se-mele-deconomie-24-entendez-vous-leco-emission-du-mardi-02-juin-2020

Le pain est-il un produit comme un autre ?

Fernandino Galiani

    L'économiste napolitain Ferdinando Galiani, qui s’était rendu célèbre en publiant semi-clandestinement en 1770 ses Dialogues sur le commerce des blés, répondait à cette question ainsi : 

"Le blé peut être regardé comme une production du sol, et sous cette vue il appartient au commerce et à la législation économique. Ensuite, il peut et doit être regardé comme la matière de première nécessité et le premier soin dans l'ordre civil des sociétés, et sous ce point de vue il appartient à la politique et à la raison d'État."

 

Le pain est de la nourriture, mais c'est aussi un symbole.

    Le pain est autre chose qu'un simple aliment. Dois-je vous rappeler son côté symbolique et religieux ? Le pain fut l'acteur principal de la Révolution française. Raison pour laquelle, lorsque je racontais la Révolution, dans une classe de collège par exemple. J'emportais toujours avec moi une miche de pain, que je partageais même fraternellement, à la fin de mon exposé ! (Certains enfants mangeaient du vrai pain pour la première fois de leur vie !)

Citoyen Basset, novembre 2018 au collège Sweitzer de Créteil

Histoire du pain et du blé en France

    Si vous souhaitez en apprendre plus sur l’histoire du blé et du pain en France, je vous recommande chaudement la lecture passionnante des ouvrages de Steven Kaplan (historien et universitaire américain, professeur à l'université Cornell (New York), également chargé de cours à Institut d'études politiques de Paris et à l'École normale supérieure).

Steven Kaplan

    Non seulement c’est un spécialiste reconnu, mais c’est aussi un amoureux de la France. Imaginez qu’il est même allé jusqu’à faire un stage chez un boulanger célèbre, et passer un CAP de boulanger !

Vous le découvrirez en écoutant cette émission de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/raisonnersur-le-ble

 

Conclusion (Très provisoire)

    En 1789, les idées avaient eu le temps du murir et l’état du royaume nécessitait une politique d’urgence. Les révoltes frumentaires et le manque de pain avaient contribué à déclencher la révolution, mais il devenait vital pour le nouveau pouvoir qui se mettait en place d’apaiser le royaume en veillant à nourrir ses sujets.

    Raison pour laquelle, ces deux décrets, celui du 29 août et celui du 18 septembre le renforçant, sont de la plus haute importance.

Mais vous vous doutez bien que ce ne sera pas aussi simple…

 

A suivre.

jeudi 17 septembre 2020

17 Septembre 1789 : Il n'y aura pas de Sénat comme aux USA, c'est sûr ; et des rumeurs courent, c'est certain.

Article mis à jour le 17 septembre 2023.

    J'ai relevé les informations de ce jour dans le "Journal d'un Bourgeois de Paris pendant la Révolution française", écrit par Hippolyte Monin, Docteur ès lettres et professeur au collège Rollin, publié en 1889 stocké à la bibliothèque du collège d'Harvard et scanné par l'ami Google).

    Il s'agit d'un journal fictif, écrit près de 100 ans après les faits. Mais son auteur s'est inspiré de quelques vrais journaux rédigés par des bourgeois de 1789. Le but d'Hippolyte Monin, exposé dans sa préface, était de rendre vivante et familière une grande époque, d'en faciliter l'étude scientifique et approfondie, d'éveiller dans l'esprit la curiosité de l'histoire pure et des textes originaux.

Il apporte également les quelques précisions suivantes, à propos de son ouvrage :

"Je ne saurais garantir l'absolue vérité de toutes les anecdotes, de tous les faits divers qu'il renferme : autant de partis, en pareille matière, autant de versions. Mais le cadre même que j'ai choisi m'imposait, sous peine d'invraisemblance, un respect scrupuleux de l'histoire dans le récit des grands événements, dans l'exposé des discussions politiques les plus remarquables, enfin dans l'analyse plus délicate du développement successif des idées révolutionnaires. C'est pourquoi, sans multiplier outre mesure les annotations critiques et les références, je ne me suis pas cru dispensé de leur faire une certaine place."

    Néanmoins, si vous cliquez sur le lien de son nom, vous constaterez qu'il a écrit de nombreux ouvrages et que l'on peut le qualifier de spécialiste de la Révolution française. 

    Dans cette préface, rédigée en juin 1889, il explique avoir entendu dire, ces dernières années, que "1789 n'était plus à la mode", mais que la mode venait de tourner, raison pour laquelle il ajoute :

"Profitons-en bien vite, et tâchons que la mode dure : car c'est celle de l'honneur, des justes lois, de la liberté politique et de l'indépendance nationale."


Voici les nouvelles du jour !

Il n'y aura pas de Sénat

"On assure que la majorité pour le système d'une seule chambre a été de 911 voix contre 89. Les prélats se seraient assez bien accommodés d'une chambre haute dont ils auraient fait partie : mais les curés n'en voulaient pas. Quant à la noblesse, elle n'entendait laisser des places aussi élevées et aussi stables, ni aux ducs et pairs et aux courtisans que le Roi eût choisis, ni aux quarante-sept gentilshommes populaires que leurs votes désignaient à la faveur de l'opinion publique : les nobles du second ordre, les anoblis, les hobereaux des provinces sont partisans de l'égalité dans le sein de la noblesse. Quant à nommer un Sénat à vie, soit dans l'Assemblée, soit dans la nation, la chose n'a point paru possible en un temps où toute supériorité est odieuse, dès qu'elle parait pouvoir durer contre l'assentiment des citoyens. "

Ne pas copier l'ennemi héréditaire, à savoir, l'Angleterre

Telles sont donc les raisons qui ont éloignés les honorables députés de l'Assemblée nationale constituante, de la constitution anglaise : sans compter qu'il était fort maladroit de parler à des vaniteux comme nous sommes d'emprunter quoi que ce fût aux Anglais. Lors même qu'on aurait pu le faire, il fallait bien se garder de le dire. "Tout ce que nous demandons aux Anglais, déclare un libelliste, c'est M. De Calonne".

A la date du 14 août, la Correspondance secrète rapportait en effet que parmi les mensonges imprimés débités par deux mille colporteurs, on criait : "A deux sous : M. De Calonne chassé d'Angleterre !" Le mème événement était même annoncé en ces termes : "Il arrive, il arrive !" (On vendait aussi, à six liards, "les Polignacs arrêtés", etc.)

Calonne, le ministre maudit

    Il faudra que j'écrive un article sur Calonne, cet ancien ministre des Finances, chassé par Louis XVI et réfugié en Angleterre. Bien qu'hostile aux Etats Généraux, il était rentré en France le 30 mars 1789 pour présenter sa candidature à la députation de la Flandre maritime. Mais il avait dû repartir très vite en Angleterre à cause de l'hostilité générale à son égard. Si un libelliste réclamait le retour de Calonne, ce n'était donc surement pas pour lui offrir une couronne de fleurs !

Charles Alexandre de Calonne

Une bonne idée qui aurait pu sauver le roi

"Il circule de vagues projets d'appeler le Roi au Louvre, et de reléguer la Reine à Saint- Cyr." 

    Si l'on y songe bien, cette solution aurait pu sauver la vie du roi en le préservant de la mauvaise influence de la reine et de son entourage. Mais on ne va pas refaire l'histoire... 

Les USA, l'autre modèle.

    Les députés de l'Assemblée nationale constituante ont pour principal modèle le Royaume Uni, parce que, même après deux révolutions, il s'agit toujours d'une monarchie et que l'idée de destituer Louis XVI ne viendrait à personne (pour le moment). Tous souhaitent donc instaurer une monarchie constitutionnelle dans laquelle le bien aimé Louis XVI serait le cœur.

    Néanmoins les institutions américaines constituent elles aussi une source d'inspiration.

    Dans un premier temps, les Conventionnels américains avaient suggéré de conférer la royauté à George Washington, héros de la guerre d'Indépendance. Mais celui-ci, en démocrate sincère, avait vigoureusement refusé et opté pour une présidence modeste.

    Ce fut ainsi que pour la première fois au monde fut instituée la fonction de président (« Mr President »). Celui-ci avait un mandat de quatre ans renouvelable (depuis 1951, le mandat présidentiel ne peut être renouvelé qu'une fois).

    Comme les constitutionnels américains ne croyaient pas en la clairvoyance des citoyens de base, ils confièrent le choix du président à de « grands électeurs » (electors) délégués par les États et désignés par les assemblées législatives de ces États ou élus par les citoyens. Les grands électeurs se prononcent dans la capitale de leur État et doivent désigner non pas un mais deux lauréats, dont un au moins qui soit étranger à leur État. Le lauréat qui obtient le plus de voix devient président et le deuxième devient vice-président. En cas d’égalité, la Chambre des représentants a le dernier mot.

Le Congrès américain (en Europe, nous dirions Parlement) est composé de deux Chambres :

  • la Chambre des Représentants (en Europe, nous dirions « députés ») représente l'ensemble des citoyens et ses membres sont élus au suffrage universel direct (ils sont aujourd'hui au nombre de 435),
  • le Sénat représente les États à raison de deux sénateurs par État, quelle que soit la population de celui-ci (on compte aujourd'hui 100 sénateurs pour 50 États).

    Ce bicamérisme, avec deux assemblées concurrentes, reflète la volonté de préserver l'autonomie des États et de prévenir les abus de droit du gouvernement central (ou fédéral).

    Le Congrès lève les impôts, vote les lois et le budget. Il veille d'autre part à ce que leur exécution se fasse dans les règles.

    Le Congrès est seul habilité à déclarer la guerre... mais depuis 1973, en vertu du War Power Act, il peut aussi accorder au Président le droit d'engager les forces armées sans autorisation préalable pendant un délai de 60 jours. Le président George W. Bush a fait usage de ce droit en 2003 pour intervenir en Irak...

    La Constitution américaine, dite « Loi Suprême", acceptée le 17 septembre 1787 par une convention réunie à Philadelphie, s'applique depuis le 4 mars 1789. Modifiée par vingt-sept amendements, elle est l'une des plus anciennes constitutions écrites encore appliquées.

Source (article très détaillé) : Une constitution pour les Etats-Unis, 17 septembre 1787.

mercredi 16 septembre 2020

16 Septembre 1789 : Ce matin à Versailles on discute sur l'inviolabilité de la personne du roi (et on pend un boulanger).

 Article mis à jour le 16 septembre 2023

Louis XVI

    L'Assemblée nationale travaille sans relâche à Versailles, du matin au soir ! Il s'agit là de la Révolution en perruques. L'autre Révolution, celle des affamés, se déroule elle aussi ce jour-là à Versailles (Voir en bas de l'article).

Du côté de la Révolution en perruques (Perruques portées aussi bien par les députés du Tiers état que ceux de la noblesse et du clergé.)

Débat à propos de l'inviolabilité de la personne du roi, de l'indivisibilité du trône et de l'hérédité de la couronne, de mâle en mâle...

    Le sujet abordé ce matin est d'importance, puisque l'on y traite de l'inviolabilité de la personne du roi, de l'indivisibilité du trône et de l'hérédité de la couronne, de mâle en mâle ! 

    Ces députés qui dans les faits viennent de déposséder le roi de son pouvoir, ne cessent de m'étonner par leur candeur. En effet ces hommes de bien ne cessent de prodiguer au roi des marques d'affection et d'estime, et ce, malgré les humiliations qu'ils lui ont fait subir ! A les lire, on à l'impression qu'ils viennent de libérer le roi du jour de la tyrannie ! Rappelons tout de même que le roi, lui, sait bien ce qu'il en est vraiment.

Le 3 septembre dernier, Louis XVI a en effet écrit une lettre fort touchante à l’un de ses conseillers, Monsieur Le Mintier, Evêque de Tréguier, lui demandant de venir au secours de l’Etat par ses exhortations & par ses prières. Cela pourrait sembler innocent mais cela va bientôt mettre le feu aux poudres dans l'Ouest du Pays.

Bientôt, 12 octobre prochainLouis XVI va confier à Monsieur de Fontbrune, (un agent secret recommandé par l’ambassadeur d’Espagne Fernàn Nañes), une lettre pour son cousin le roi d’Espagne Charles IV, dans laquelle il va écrire :

« Je me dois à moi-même, je dois à mes enfants, je dois à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans ma dynastie…

« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »

Vous avez compris. D'un côté, Louis XVI est tout sourire devant cette assemblée nationale baignant dans l'autosatisfaction et exprimant sans réserve son amour pour le roi qu'elle a dépossédé de presque tous ses pouvoirs réels ; et de l'autre, Louis XVI avertit qui de droit que depuis le 23 juin dernier, il n'a fait qu'agir et parler contre son gré.

Vous vous doutez bien que ce double jeu finira mal.

Le débat à l'Assemblée (Débat très houleux)

Tenu sous la présidence de Stanislas de Clermont Tonnerre, le débat va être très houleux. Mais il est très instructif sur de nombreux points. Vous allez mieux comprendre pourquoi Louis XVI écrira bientôt à son cousin le roi d’Espagne Charles IV...

Stanislas Marie Adélaïde, comte de Clermont Tonnerre (Président de séance)

Discussion sur l'inviolabilité de la personne du roi, l'indivisibilité du trône et l'hérédité de la couronne de mâle en mâle, lors de la séance du 16 septembre 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_4994_t1_0002_0000_5

M. De Cazalès. S'il est une question qu'il importe de couvrir d'un voile religieux, à cause des inconvénients qu'elle entraîne, c'est celle que vous agitez relativement à la maison d'Orléans et à la maison d'Espagne, sur la succession à la couronne. Le vœu de l'Assemblée n'est certainement pas douteux, mais elle ne veut pas l'expliquer.

Cependant il me paraît, d'un autre côté qu'il ne convient pas à la dignité de cette Assemblée ! De se renfermer dans un silence qui pourrait devenir un moyen en faveur de l'un ou de l'autre des concurrents ; il me semble que l'on pourrait ajouter à l'article contesté la phrase suivante :

Le cas advenant où la branche d'Orléans opposerait une exception à ces principes et la renonciation faite par Philippe V, stipulée dans le traité d'Utrecht, à la maison d'Espagne, il sera statué par une Convention nationale convoquée à cet effet.

Cette phrase me paraît concilier toutes les opinions, en laissant intègres les droits des deux parties ; elle me paraît aussi prévenir le danger de perdre un allié, de voir notre commerce rompu avec lui ; enfin, elle prévient le malheur des guerres civiles, en décidant à l'avenir ce que la nation doit faire.

(Cette proposition est applaudie.)

Pierre Nicolas de Haradener, vicomte de Macaye

M. Le vicomte de Macaye, député du Labour (le Labourd est une partie de la province Basque de Macaye), représente que la question que l'on agite actuellement est une question oiseuse. De longtemps, dit-il, la famille royale ne sera éteinte ; les héritiers du Trône sont nombreux et en bonne santé. Mais il y a des considérations politiques qui doivent écarter celte question. Le commerce avec l'Espagne est considérable ; nous tenons d'elle ces belles laines que l'on sait si bien employer dans nos manufactures ; l'Espagne fait circuler en France les trésors du Pérou ; les provinces voisines de l'Espagne font avec nous un commerce considérable de bœufs, de chevaux, etc. La jeunesse de ces provinces se répand dans l'Espagne, y exerce les métiers de charpentier, de maçon et revient passer l'hiver en France, chargée d'argent ; la Navarre partage également tous ces avantages. Il faut donc mettre d'autant plus de circonspection, dans la solution de cette question, que dans ce moment un habile négociateur anglais (celui qui a conclu le funeste traité de commerce entre la France et l'Angleterre) cherche à enlever à la France le commerce espagnol. (On applaudit dans toutes les parties de la salle.)

Charles François Bouche
M. Bouche. La question que l'on agite relativement à la succession à la couronne est très impolitique ; il est étonnant que, sans intérêt, sans nécessité, on se livre à des débats aussi dangereux.

Le commerce est très étendu entre nos provinces méridionales et l'Espagne. En 1784, le conseil de Madrid fit enlever 190,000 bêtes à cornes dans les provinces voisines des Pyrénées, ce qui a répandu beaucoup d'argent.

Cependant ce commerce est encore très resserré ; les deux seules voies sont Perpignan et Bayonne. Il y a douze ans bientôt que la cour de France sollicite l'ouverture des autres barrières, ce qui ferait un grand bien pour le commerce.

Décider la question ce serait nuire considérablement aux provinces du Midi. Du côté politique les inconvénients sont incalculables ; et d'après les réflexions que je viens de présenter, il me paraît qu'il faut abandonner la question sur l'exclusion ou l'admission de la maison d'Espagne à la succession à la couronne de France.

Je présenterai pour sortir d'embarras un moyen qui fera voir que l'on n'a pas cédé à la crainte, car la France n'est pas faite pour céder à ce motif. Mais j'ai quelques réflexions préalables à faire, et je réclame votre attention.

Par édit du mois de juillet 1714, Louis XIV appelle à la succession du trône les princes légitimés, au défaut des princes légitimes.

En 1717, cet édit a été révoqué, et il est dit que le roi est supplié de ne rien préjuger sans les Etats généraux. Dans ces édits, ainsi que dans la déclaration de 1723, le prince déclare que la nation a le droit de se choisir un roi, dans le cas de défaillance des enfants mâles de la maison régnante.

Certainement ce droit appartient d'une manière incontestable à la nation française.

L'extinction de la maison régnante ne transmettrait pas à la nation le droit d'élire un roi, mais il lui en donnerait l'exercice.

Dans les premiers temps, la couronne était élective. Plusieurs rois de la première, et même de la seconde race, prenaient le titre d'élus. Ce furent les grands et le clergé qui rendirent le trône héréditaire ; et Hugues Capet fut porté sur le trône au préjudice des enfants de Louis V.

Nous n'avons pas besoin sans doute de tous ces exemples pour constater nos droits.

Mais il est à propos de garder le silence sur les prétentions de la maison d'Espagne ; et si un elle voulait les faire valoir, vous auriez pour vous le traité d'Utrecht, et toutes les puissances de l'Europe intéressées à ce traité.

Vous n'ignorez pas qu'en 1714, le fils de Philippe V a prétendu que son père n'avait pu faire de renonciation. Ainsi, quelles que soient les intentions de la maison d'Espagne, le parti du silence est le seul convenable.

Voici donc ce que je propose :

En cas de défaillance d'enfants mâles et légitimes dans la maison régnante de Bourbon de France, la nation en décidera.

Pierre Long
M. Long fait une autre observation ; il la présente comme devant rompre le nœud de la difficulté.

Vous allez statuer sur l'ordre de la succession à la couronne ; il ne sera seulement pas pour la maison régnante, mais pour toutes les autres maisons.

Ce ne sera pas une règle particulière, mais un principe général. Cependant vous la restreignez à la seule maison de Bourbon. Il faut se contenter de dire que le Trône est héréditaire et non éligible, et il ne faut pas surtout restreindre cette règle à la maison de Bourbon.

M. le comte de Mirabeau. Sans prétendre préjuger le procès entre la branche d'Orléans et la maison de Bourbon, je puis dire, après avoir été contre l'amendement de l'un des préopinants qui est contraire à la délibération : il n'y a lieu à délibérer, puisque l'amendement suppose qu'il y a lieu à délibérer, que ces deux objets sont contradictoires.

Après cette déclaration, je pense qu'il ne paraît pas sage de laisser de côté cette question ; Je demande si, sous le règne d'un prince déclaré restaurateur de la liberté, l'on doit abandonner un droit qui appartient à la nation. L'on ne doit sans doute pas commencer par traiter cette grande question aussi superficiellement, aussi légèrement.

J'ai eu l'honneur de vous demander si vous persévérez dans la sage condition politique de déclarer qu'il n'y a lieu à délibérer. Si vous y persévérez, je demande de nouveau la division de la rédaction ; si vous trouvez que la question doit être examinée, nous sommes prêts, aux yeux de l'Europe et de la nation, à laquelle une portion quelconque ne peut donner un roi, nous sommes, dis-je, prêts à délibérer.

(La discussion cesse, on présente une foule d'amendements, et les observations de M. De Mirabeau sont inutiles.)

Guy Jean-Baptiste Target
M. Target propose l'amendement suivant : Sans entendre rien préjuger de l'effet des renonciations sur lesquelles, le cas arrivant, une Convention nationale prononcera.

Second amendement. Le cas de défaillance arrivant, il sera statué par une Convention nationale convoquée à cet effet.

Troisième amendement : Le Trône est héréditaire de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des filles et de leurs descendants ; le Trône est occupé par l'auguste maison de Bourbon.

Quatrième amendement : En cas d'extinction de la famille actuelle régnante, une Convention nationale décidera sur les contestations qui pourraient s'élever sur l'ordre de la succession à la couronne.

Cinquième amendement : Sauf à une Convention nationale à statuer, sur l'admission ou l'exclusion des princes étrangers.

Sixième amendement : L'ordre pour la succession au Trône, tel qu'il a été suivi jusqu'à présent, sera solennellement confirmé.

Charle Maurice de Talleyrand
Septième amendement de M. De Talleyrand, évêque d'Autun : Et dans le cas douteux, la nation jugera.

La séance devient très tumultueuse. Plusieurs personnes veulent encore discuter la question ; mais l'Assemblée est impatiente d'aller aux voix.

On témoigne un empressement marqué pour la motion de M. Target ; d'autres réclament celle de M. L'évêque d'Autun.

Enfin on revient à celle de M. Target. Ce choix ne se fait que lentement et au milieu du plus grand désordre.

La motion de M. Target est divisée, et l'on s'en tient à ces mots : Sans rien préjuger sur l'effet des renonciations.

Reprise de la discussion du 16 septembre 1789 sur l'inviolabilité de la personne du roi, l'indivisibilité du trône et l'hérédité de la couronne de mâle en mâle

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_4994_t1_0003_0000_5

M. le comte de Mirabeau. Il me paraît indigne de l'Assemblée de biaiser sur une question de l'importance de celle qui nous occupe. Autant les circonstances ont pu nous, permettre, et peut-être dû nous inviter à nous abstenir de cette affaire, autant, si nous en sommes saisis, il importe qu'elle soit jugée, et ce n'est pas sur des diplômes, des renonciations, des traités, que vous aurez à prononcer c'est d'après l'intérêt national.

En effet, si l'on pouvait s'abaisser à considérer cette cause en droit positif, on verrait bientôt que le procureur le plus renommé par sa mauvaise foi n'oserait pas soutenir contre la branche de France, ni vous refuser le jugement que le monarque le plus asiatique qui ait jamais régné sur la France vous a renvoyé lui-même.

Plusieurs voix ; A l'ordre ! (Rappel à l'ordre)

M, Le comte de Mirabeau. Messieurs, je ne sais comment nous concilierons le tendre respect que nous portons au monarque, honoré par nous du titre de restaurateur de la liberté, avec cette superstitieuse idolâtrie pour le gouvernement de Louis XVI, qui en fut le destructeur ; Je suis donc dans l'ordre, et je continue.

Je défie qu'on ose me nier que toute nation a le droit d'instituer son gouvernement, de choisir ses chefs, et de déterminer leur succession.

Plusieurs voix demandent qu'on aille aux voix. (C’est-à-dire voter)

M, Le comte de Mirabeau. Je déclare que je suis prêt à traiter de la question de fond, à l'instant même, à montrer que si toute nation à intérêt à ce que son chef se conforme à ses mœurs, à ses habitudes, à ses convenances locales, qu'il soit sans propriétés ni affections étrangères, cela est plus vrai pour les Français que d'aucun autre peuple ; que si le sacerdoce veut de l'inquisition, et le patriarcat de la grandesse, la nation ne veut qu'un prince français ; que les craintes par lesquelles on cherche à détourner notre décision sont puériles ou mal fondées ; mais que l'Europe, et l'Espagne surtout, n'ont point dit avec Louis XVI : il n'y a plus de Pyrénées ; qu'en laissant maintenant la question indécise, s'il y a une question, on répandra des germes innombrables de discordes intestines ; et qu'enfin je ne pourrai que conclure, si il y a une question, à ce qu'elle soit jugées, s'il n'y en a pas, à ce que la rédaction de l'article soit refaite hors de l'Assemblée ; car ici elle consommerait trop de temps, et n'atteindrait jamais un certain degré de perfection, les douze cents représentants fussent-ils douze cent écrivains excellents.

(On allait aller aux voix lorsque les uns ont demandé la question préalable sur les amendements.)

Un autre membre veut que les détails de la question présente soient retranchés du procès-verbal.

L'Assemblée retombe dans la confusion et reste longtemps dans l'inaction.

La question préalable sur les amendements est redemandée.

M. Le Président dit que le règlement n'en parlant pas, il doit consulter l'Assemblée.

Bon Albert Briois de Beaumetz

M. Le comte de Mirabeau et M. De Beaumets veulent parler sur l'amendement ; mais l'Assemblée refuse de les entendre, et l'on décrète qu'il n'y aura pas de discussion sur l'amendement.

Ce décret est censuré par plusieurs membres ; ils réclament la liberté de la parole.

Un membre demande l'ajournement, puisque l'Assemblée défend la discussion.

M. Target offre de retirer son sous-amendement ; mais ni l'un ni l'autre ne sont écoutés.

Enfin, dans un court moment de calme, on lit les articles rédigés hier par M. Desmeuniers , avec cette addition sur la fin de l'article neuvième : « sans entendre rien préjuger sur l'effet des renonciations. »

On propose d'aller aux voix par assis et levé ; d'autres demandent l'appel nominal ; de violents murmures se font entendre.

Enfin l'appel nominal est décidé, et il est arrêté que l'on opinera par oui ou non.

Jean-Louis Claude Emmery de Grozyeulx
M. Emmery prétend que c'est presser sa conscience ; que, d'un côté, il ne peut refuser le oui sur les principes de l'hérédité, de l'indivisibilité et de l'inviolabilité ; et que, de l'autre, il est forcé de dire non quant à la rédaction ; il dit qu'il faut décréter les principes, et aller aux voix sur la rédaction.


 

Jean-Jacques Duval d'Epremesnil

M. Duval d'Éprémesnil observe que c'est demander la division de l'arrêté de M. Le comte de Mirabeau, déjà refusée.

(Mouvement d'humeur entre MM. De Mirabeau et d'Eprérnesnil. L'Assemblée devient plus tumultueuse que jamais. Chacun veut faire triompher son opinion.)

M. Le Président rappelle à l'ordre. Ce n'est qu'une erreur de mots, dit-il, et il serait bien malheureux si le caractère français empêchait la correction d'un mot.

M. Le Président avait interrompu M. Emmery. On lui conteste le droit d'interrompre ; il s'excuse en disant que c'était pour rétablir le calme ; et ses efforts pour ramener l'ordre sont inutiles. Il propose d'aller aux voix par assis et levé sur les principes, et par appel nominal sur la rédaction. Un grand nombre de membres consentent à cette proposition ; d'autres veulent un moyen tout à fait contraire.

Au milieu de cette opposition, le président s'écrie qu'il emploiera tout son zèle et toute sa fermeté à maintenir le bon ordre dans l'Assemblée.

Sur la proposition de M. Le président, on va aux voix.

Deux épreuves sont faites : toutes deux sont douteuses. La première parait être en faveur de l'opinion de M. Le président ; et la seconde contre son opinion. Il décrète l'appel nominal ; mais personne n'entend la prononciation du décret. Les uns le contestent, les autres le soutiennent. On demande que l'on aille aux voix par l'appel

Joseph Ignace Guillotin

M. Guillotin et M. Le duc de Liancourt réclament, mais inutilement ; leurs voix sont étouffées par les murmures. Enfin on se sépare à quatre heures.

MM. Les curés, ayant observé l'austérité du jeûne, demandent que la séance soit levée.

M. Le président renvoie à demain la question de la validité du décret sur l'appel nominal.

M. Le Président, après avoir dit que le comité de rédaction s'assemblerait demain pour donner la dernière forme aux articles et aux amendements sur les subsistances, décrétés hier dans la séance du soir, rend compte d'une lettre de M. Gaume, aumônier de la manufacture de Sèvres, qui, pour concourir à la libération des dettes de l'Etat, a envoyé 300 livres, somme équivalente à une année de ses honoraires ; d'une seconde lettre de M Lemoine, avocat en Parlement, qui, d'après les mêmes vues, a envoyé 100 pistoles, avec le projet d'établissement d'une caisse nationale, où tous les individus pourraient verser leurs contributions volontaires.

L'Assemblée témoigne sa satisfaction sur ces offres patriotiques, ainsi que sur celles dont on a rendu compte dans la séance du matin.

Du côté de la Révolution des affamés.

    Ce même jour, à Versailles, un boulanger, animé peut-être de très bonnes intentions, a imaginé de préparer deux sortes de pains : l'un à dix- huit sous les quatre livres, l'autre à douze. Il comptait sans doute gagner assez sur la première, pour perdre un peu sur la seconde.

    Mais le peuple ne l'a pas pris ainsi. Des bandes, en partie soudoyées (par qui ?), ont fait le siège de sa boutique, y ont pénétré de force, brûlé des effets, saisi « le traître », qu'ils ont pendu, mais qui a été décroché à temps, et finalement emmené soi-disant en prison, c'est-à-dire en lieu sûr, par la garde nationale de Versailles.

Charles-Henri d'Estaing
    Le comte d'Estaing, qui commande cette garde, s'est emparé de vingt et un mutins, dont sept ont été relâchés. Il est question de faire un exemple des autres. Ces tristes événements se sont passés en quelque sorte sous les yeux du Roi et de l'Assemblée.

Source : "Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Révolution française"



mardi 15 septembre 2020

15 septembre 1789 : Marat donne son avis sur le droit de véto…

 

    Depuis quelques temps, en raison de l'origine de mes infos, je ne traite que de ce qui se passe du côté des gens "bien" ; c’est-à-dire, les députés, les bourgeois, les nobles, etc. Il est donc temps que je vous parle des gens moins bien, du moins de ceux qui sont jugés comme tels, souvent par les gens bien.

    C’est donc le moment d’évoquer Marat. Pour ce faire, je ne vais pas vous rapporter un quelconque jugement, mais plutôt vous donner à lire son fameux journal et plus précisément, le numéro 5 du Publiciste Parisien, daté du 15 septembre 1789. 

    Cet exemplaire est intéressant, d’une part parce qu’il donne l’avis d’un autre courant d’opinion qui jusqu’à présent n’a guère été écouté et d’autre part parce qu’il évoque le débat sur le droit de véto.    

    Marat donne même son avis sur le fameux décret de la ville de Rennes, lu lors de la séance du 10 septembre ! Vous allez comprendre que nous sommes loin des débats policés des honorables députés. Marat représente ce courant d’opinion qui peu à peu va progresser au sein de la société révolutionnaire, celui de ce peuple qui effraie tant les gens "bien".