Fin septembre, début octobre 1789, est publié à Paris un
curieux ouvrage dédié à L’Assemblée nationale, portant un nom étrange. Il s’agit
du « Cadastre Perpétuel » de François Noël Babeuf, que celui-ci cosigne avec un
mathématicien du nom d’Audiffred.
Le projet déclaré de ce livre figure en
introduction :
Cadastre Perpétuel, ou Démonstration des procédés
convenables à la formation de cet important Ouvrage, pour assurer les principes
de l’Assiette & de la Répartition justes & permanentes, & de la Perception
facile d'une Contribution Unique, tant sur les Possessions Territoriales, que sur
les Revenus Personnels.
Avec l’exposé de la Méthode d'Arpentage de M. Audiffred par son nouvel instrument,
dit Graphomètre Trigonométrique : méthode infiniment plus accélérative &
plus sûre que toutes celles qui ont paru jusqu’à présent, & laquelle, par
cette considération serait plus propre à être suivie dans la grande opération
du Cadastre.
Apparaît également en première page, cette citation de Necker, extraite
de son discours lors de l’ouverture des Etats Généraux :
« On doit mettre au premier rang, parmi les
améliorations qui intéressent tous les habitants du Royaume, l’établissement
des principes qui doivent assurer une égale répartition des impôts »
Et page suivante, on peut lire cette dédicace adressée
aux députés :
A l’Honorable Assemblée des Représentants de la Nation
Française
Nosseigneurs
C’est à votre tribunal auguste que sans doute il convient de
soumettre l’examen des Plans d’Administration qui peuvent intéresser tous les
Citoyens de l’Etat. Sous ce point de vue, nous osons vous faire hommage du
Cadastre Perpétuel. C’est l’offrande qu’il est en notre pouvoir de présenter à
la Patrie : puissiez-vous la juger digne d’elle, & l’agréer au nom de
tous les Français. C’est être ambitieux que d’avoir prétendu donner une
production tendant à leur bonheur à tous ; mais nous nous attendons que ce
motif sera trouvé louable ; et si notre haute entreprise était d’heureuse
témérité, les seuls vœux que nous eussions conçus seraient à leur comble.
Nous sommes bien respectueusement,
Vos très humble & très obéissants Serviteurs,
F. N. Babeuf, Archiviste-Feudiste
J.P. Audiffred, Mathématicien
Citoyens Français
Babeuf est arrivé à Paris à la fin du mois de juillet pour faire
éditer son Cadastre Perpétuel. Au vu des événements, il y a ajouté ce
« Discours préliminaire » dédié à l’Assemblée nationale.
Vous en conviendrez avec moi, au premier abord, l’objet de
cet ouvrage correspond à merveille aux préoccupations des députés, et plus
particulièrement à celles de Monsieur Thouret et de son comité qui ont présenté hier, 29 septembre, leur projet de redécoupe du territoire.
Au premier abord, oui…
Quelques mots sur Babeuf ?
Babeuf avait ouvert en 1785, à Roye, en Picardie, un cabinet
d’arpenteur-géomètre et de commissaire à terrier ou feudiste. C’est-à-dire
qu’il était chargé d’établir pour les nobles, les listes des droits seigneuriaux sur leurs terres. Cela signifiait également que les nobles fondaient leurs exigences d’argent à payer par les paysans, sur la base de son travail. Ce fut en exerçant cette
fonction ingrate que sa conscience politique s’éveilla progressivement. Il
écrira plus tard : « Ce fut dans la poussière des archives
seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste
noble ».
Sa conscience politique sera de tendance utopiste. Cela dit sans
aucun jugement de valeur. Certaines utopies sont très belles. Néanmoins, un utopiste a tendance à ne pas trop s’embarrasser de
la réalité des choses, et par ce fait il a tendance à élaborer des systèmes pour
des hommes tels qu’ils devraient être (dans son idée), plutôt que tels qu’ils
sont, ou éventuellement, pourraient être. Raison pour laquelle les solutions
imaginées par Babeuf pour réformer la société seront assez radicales. Babeuf
rêvait de ce que nous appellerions une réforme agraire, mais assez extrême.
Celle-ci aurait consisté en un partage des terres strictement équitable entre tous
les citoyens, qui serait revenu à créer « 6 millions de manoirs de 11
arpents » et qui aurait abouti à terme à une suppression de la propriété.
Babeuf était néanmoins prudent (et intelligent). Raison pour laquelle, dans son
ouvrage, il met plutôt en valeur la simplicité et la modération de son projet, évoquant
les nombreux avantages qui en résulterait aussi bien pour les pauvres (justice
sociale) que les riches (sécurité et paix). De plus, son discours s’appuie sur
une démarche d’apparence scientifique puisqu’il met en avant l’utilisation d’une
nouvelle invention, le graphomètre trigonométrique, qui permettra d’optimiser
la réalisation du castre ; le cadastre étant la clé d’un calcul équitable
des impôts fonciers. Ne doutons pas cependant que dans son idée, cet arpentage
de l’ensemble du territoire permettra également plus tard le repartage de la
grande propriété foncière. Sans vouloir tomber dans des généralités, on voit
souvent des utopistes s’appuyer sur des discours scientifiques pour justifier
les systèmes qu’ils imaginent.
Sur l'utopie et Babeuf, je vous conseille la lecture de cet article très intéressant :
"Comment
la révolution a transformé l’utopie : le cas de Gracchus Babeuf"
La propriété étant l'obsession de la grande majorité des députés, qui songent même à la sacraliser, on se doute bien que Babeuf se prépare beaucoup de soucis.
Mais Babeuf est un vrai révolutionnaire et sa parole vaut tout aussi bien d'être écoutée que celle des révolutionnaires qui occupent le devant de la scène, depuis les Etats Généraux.
Babeuf deviendra un acteur important du mouvement des
sans-culottes. Toute sa vie il aura été pauvre et il se sera battu du côté des
pauvres. Il perdra même sa fille qu’il adorait, morte de privations, pendant un
de ses nombreux séjours en prison.
Babeuf mérite donc le respect.
Voici donc le fameux « Cadastre perpétuel » :