samedi 24 octobre 2020

24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales


    Nous avons vu combien l’insuffisance des subsistances constitue le problème majeur du royaume de France en cette fin du 18ème siècle. Les révoltes frumentaires, dues au manque de blé, éclatent régulièrement depuis le début du siècle. La révolution de Juillet 1789 est probablement la révolte frumentaire de trop (même si elle ne fut pas la dernière).

Vous trouverez dans les livres et sur Internet de nombreuses explications, toutes aussi plausibles et intéressantes les unes que les autres.

On évoque la plupart du temps les trois causes suivantes :

1/ les volcans de la chaîne du Laki en Islande qui envoyèrent dans l’atmosphère entre 1783 et 1785, trois fois plus de particules polluantes que les émissions actuelles de toute l’Europe. Ce qui causa un grand nombre de victimes de maladies respiratoires, une pollution des sols et qui eut surtout des conséquences catastrophiques sur le climat en provoquant son refroidissement, avec des hivers très rudes et des été courts et pluvieux.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder à une vidéo très intéressante sur cette catastrophe.

Panache de l'éruption de 1783
  

2/ Le grand orage du 13 juillet 1788, qui dévasta toutes les récoltes du nord de la France (probablement un effet secondaire des désordres atmosphériques provoqués par les volcans).

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

3/ Les tentatives de libéralisation du commerce des grains, à partir de 1763, inspirées de la nouvelle philosophie économicopolitique des physiocrates (premiers essais de libéralisation de l'économie française).

Physiocratie, constitution naturelle du gouvernement (1768)

    Cet exemplaire est estimé entre 15.000 et 20.000 €, mais vous pouvez le lire gratuitement par le lien ci-dessous :


Mais on oublie une autre cause...

    Toutes ces explications sont vraies. Mais on en oublie toujours une, c’est l’incroyable retard de l’agriculture dans le royaume de France. Les progrès de cette science vitale étaient en grande partie rendus impossibles par ce qu’il faut bien appeler le système féodal.

Je vous avais déjà parlé de l’étonnement de cet agronome anglais, Arthur Young, qui lors de ses voyages en France, s’étonnait de voir tant de terres, inexploitées, recouvertes d’épaisses forêts, de friches ou de marais. Le brave homme maudissait ces seigneurs qui dédaignaient de faire fructifier leurs terres, préférant d’épaisses forêts où ils venaient chasser de temps à autres, lorsqu’ils quittaient brièvement la cour de Versailles.

Rappel : Il faut vraiment lire Les voyages en France, d’Arthur Young !

Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1192719?rk=21459;2

Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119272p?rk=42918;4

Miniature du Tome 7 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Le mémoire !

    Vous retrouverez dans ce long mémoire adressé aux membres de l’Assemblée par l’Académie Royale d’Agriculture, de nombreux exemples de ces coupables archaïsmes. Comme celui de ce seigneur aux environs de Caen, près de Louvigny, qui, entre autres, « a le droit d'envoyer depuis le 20 avril, jusqu'à ce que les foins soient coupés et enlevés, douze vaches et un taureau sur une prairie fertile ; le conducteur, comme dans le Toulois, doit aussi marcher continuellement, et ne pas permettre que les animaux se reposent nulle part, de sorte que les propriétaires ne récoltent que ce que le troupeau féodal a épargné et foulé aux pieds. »

Il faut d’ailleurs noter que nombre des solutions de développement proposées sont inspirées de réformes ayant déjà eu lieu en Angleterre, comme par exemple le partage des communes.

On peut lire par exemple :

« Le parti puissant des protecteurs du régime féodal, pour qui tout était au mieux, n'aurait pas manqué de faire naître des obstacles insurmontables, que les cours étaient toujours disposées à accueillir ; mais enfin la raison, l'intérêt public, ne parlent plus en vain, et c'est avec confiance que la Société propose de mettre en culture de convertir en propriétés, des terrains incultes qui n'appartiennent à personne, parce qu'ils sont à tout le monde. L'intérêt général et l'intérêt particulier sollicitent impérieusement ce partage. La masse des propriétés et le nombre des propriétaires augmentant, celle des cultures de toutes sortes de productions marchera d'un pas égal. Le propriétaire seul est actif et laborieux ; un produit assuré est la récompense de ses travaux et de son industrie : animé par une jouissance exclusive à laquelle il ne croyait pouvoir jamais aspirer, il cultivera avec ardeur sa nouvelle propriété, il se livrera à des essais qui, en devenant pour lui des moyens d'aisance, enrichiront l'agriculture de productions nouvelles ou perfectionnées.

Citons donc des exemples à l'appui de ces vérités. L'Angleterre doit principalement l'état florissant de son agriculture au partage des communes ; comme en France, elles occupaient un espace immense, puisqu'on les évaluait à un tiers du sol ; la révolution qui rendit le peuple anglais libre, fut aussi celle qui le porta à demander le partage des communes. L'habitude, la routine, les derniers efforts de la féodalité, opposèrent, en beaucoup d'endroits, des obstacles ; mais l'exemple de ceux qui avaient partagé le sort heureux d'être devenus propriétaires, l'intérêt évident des seigneurs mêmes, ne tardèrent pas à éclairer la nation britannique, et chaque année le Parlement non-seulement autorisait le partage des communes, mais il permettait encore de clore ses propriétés. Le résultat d'une telle opération est facile à concevoir : le peuple anglais s'est livré tout entier à la culture ; ses champs sont couverts de bestiaux, le peuple y est aisé, et il jouit de son industrie, que le gouvernement protège sans cesse. »

Miniature du Tome 3 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Ses rédacteurs.

Le mémoire présenté ce 24 Octobre 1789 a été fait et arrêté dans une assemblée générale et extraordinaire de la Société Royale d’Agriculture, tenue au Louvre, le 26 septembre 1789.

Il est signé par le marquis de Bullion, directeur ; Parmentier, vice-directeur ; Béthune ; duc de Gharost ; de La Bergerie ; l'abbé Lefebvre, agent général, Broussonnet, secrétaire perpétuel.

Vous pouvez le lire dans sa totalité en y accédant par le lien ci-dessous :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6424_t1_0523_0000_3

Une version d’origine est accessible par une fenêtre sur la BNF en bas de cet article.

Miniature du tome 4 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)



Je vous donne à lire malgré tout le préambule ci-dessous :


Sur les abus qui s'opposent aux progrès de l'agriculture et sur les encouragements qu'il est nécessaire d'accorder à ce premier des arts.

Dans un temps où l'Assemblée nationale s'occupe d'assurer la liberté individuelle, civile et politique, ainsi que la propriété des citoyens ; où l'agriculture, délivrée des droits féodaux, des corvées royales et seigneuriales, laissera aux cultivateurs l'intégrité du temps qu'exigent les travaux des champs, la Société royale d'agriculture, devenue, par la protection d'un Roi citoyen à qui la nation vient de décerner le beau titre de restaurateur de la liberté française, le centre de toutes les connaissances et de tous les encouragements relatifs à l'économie rurale, doit porter à l'Assemblée nationale l'hommage respectueux des cultivateurs ; elle doit être l'organe de leurs vœux.

La législation rurale présente autant de vices que la législation civile et la législation criminelle : réformer ces deux dernières en négligeant la première, serait laisser imparfaite la restauration de la France ; et la régénération du royaume (la Société ose l'avancer, parce qu'elle doit le dire) a pour principale base la régénération de la culture,

La liberté, l'intérêt de la propriété, la facilité d'acquérir, les encouragements propres à accroître la reproduction territoriale, sources premières de la richesse nationale, tel a été le but des travaux de la Société et de ses correspondants de toutes les provinces. C'est sous ce point de vue qu'elle réclame avec confiance de l'Assemblée nationale, un décret contenant les principaux points du code rural et les plus instants à régler. La Société s'en rapporte, au surplus, à la sagesse des représentants de la nation, pour modifier, rectifier et perfectionner les projets qu'elle ne s'est permis de soumettre à l'Assemblée nationale, que par le désir de lui prouver son zèle pour la prospérité publique, que dans la vue de concourir à préparer ses déterminations, et à ménager ses instants précieux pour les objets importants qui lui restent encore à examiner. En conséquence, la Société royale d'agriculture propose, au nom des cultivateurs, de décréter les articles suivants :

Article 1er. Que tout propriétaire aura le droit de cultiver son terrain de la manière qui lui conviendra, et d'employer sa propriété à la culture des objets auxquels il donnera la préférence.

Art. 2. Que le droit de parcours sera aboli dans les cantons et provinces où il existe encore, et que chacun sera libre de clore sa propriété, de quelque étendue qu'elle soit, sans que personne puisse l'en empêcher.

Art. 3. Que personne ne pourra s'opposer au partage des communes, et que les assemblées provinciales seront chargées de le surveiller dans les lieux où il se réalisera, en ayant égard aux droits légitimes de chacun.

Art. 4. Que personne ne pourra s'opposer au dessèchement des marais ou terrains inondés, à la destruction des moulins ou étangs ; que la nature des travaux desdits moulins et étangs pourra seulement donner lieu à une indemnité, laquelle sera déterminée par les assemblées provinciales ou municipales.

Art. 5. Que les terres du domaine, et toutes celles qui seront décidées appartenir à la nation, pourront être vendues et aliénées, soit à prix d'argent, soit en rentes rachetables, après toute fois que la valeur en aura été constatée par les assemblées provinciales.

Art. 6. Que les baux ruraux pourront être, dans tout le royaume, portés à dix-huit ans et au-delà, sans donner lieu à aucun droit fiscal ou autre envers qui que ce soit, et que les baux des bénéfices ne pourront être pour un terme au-dessous de dix-huit ans ; qu'en outre, dans le cas de changement de titulaire, les nouveaux seront tenus de maintenir les baux de leurs prédécesseurs, et qu'en aucun cas lesdits bénéficiers ne pourront faire de baux généraux.

Art. 7. Que, vu l'importance de multiplier les propriétaires cultivateurs, de faciliter la division des propriétés, les droits de franc-fief et d'échange perçus par le fisc, seront entièrement supprimés, et les autres droits d'échange seigneuriaux stipulés rachetables.

Art. 8. Que pour faciliter le commerce des terres et assurer les propriétés, il ne sera fait à l'avenir aucune substitution, ni exercé aucune espèce de retrait.

Art. 9. Que la forme actuelle des saisies réelles, dont l'effet est d'attaquer, de détériorer les propriétés et de les rendre souvent stériles pendant leur durée, sera supprimée et remplacée par toute autre qui n'aura pas le même danger.

Art. 10. Que l'administration et l'inspection des bois et forêts du domaine, du clergé, des communautés et des hôpitaux, seront confiées aux assemblées provinciales et municipales.

Art. 11. Que les entraves apportées jusqu'à présent par la législation, à la formation et à l'extension des prairies artificielles, seront détruites, et les plus grands encouragements donnés à cette branche de culture.

Art. 12. Que vu l'importance d'encourager la multiplication des abeilles, la production des cires indigènes, et de remédier aux importations de cires étrangères, les ruches seront déclarées insaisissables pour cause d'imposition.

Art. 13. Que vu l'importance du produit des vignes, les différents droits d'aides, en ce qu'ils tendent à violer les domiciles, à entraver le commerce des vins, seront entièrement supprimés.

Art. 14. Que la défense de cultiver le tabac et quelques plantes, à huile, étant contraire au principe de la liberté, la culture de ces plantes sera permise dans toutes les provinces du royaume, sauf à faire supporter une imposition particulière aux terres qui y seront employées.

Art. 15. Que le régime de la gabelle sera entièrement supprimé.

Art. 16. Que les assemblées générales s'occuperont des moyens de ramener les divers poids et mesures de toutes les provinces à l'uniformité désirée depuis si longtemps.

Art. 17. Que pour rendre plus facile le transport des denrées et le commerce intérieur du royaume, les assemblées provinciales destineront chaque année une somme pour l'entretien et la confection des chemins vicinaux.

Art. 18. Que le régime actuel des milices, enlevant des bras nécessaires à la culture et troublant les travaux des cultivateurs, sera changé.

Art. 19. Que la célébration de toutes les fêtes sera renvoyée au dimanche.

Art. 20. Que les dépôts de mendicité seront supprimés et remplacés par des ateliers publics, sous l'inspection des assemblées provinciales et municipales.

L'Assemblée nationale est suppliée de prendre, le plus tôt possible en considération les demandes qui lui sont faites par la Société royale d'agriculture ; en promulguant les décrets qu'elle jugera favorables à l’agriculture avant l'hiver prochain, elle mettrait les cultivateurs à même de se livrer l'année prochaine à des travaux qui concourraient à augmenter considérablement les produits territoriaux.

ENCOURAGEMENTS.

Article 1er. De l'utilité d'honorer les laboureurs et les cultivateurs.

Art. 2. D'une caisse de prêt.

Art. 3. De l'utilité d'une Société d'agriculture pratique, et qui s'occuperait principalement :

1° De l'art vétérinaire ;

2° De la panification ;

3° De la manipulation des chanvres et des lins ;

4° De l'art des accouchements ;

5° Du chaulage des grains ;

6° De l'emploi de plantes perdues pour le commerce ;

7° Des plantes potagères ;

8° Du parcage des bêtes à laine, etc., etc., etc.



24 Octobre 1789, La conservation "provisoire" de la Gabelle, passe mal en Anjou ! Un mot sur l’affermage…

La gabelle

Entrepôt de sel
dans une grotte,
à Dieppedalle

    La suppression de la gabelle était l’une des réclamations les plus fréquentes figurant dans les cahiers de doléances rédigés pour les Etats Généraux. Cette taxe sur le sel était en effet l’une des plus détestée parmi celles qui accablaient le peuple sous l’ancien régime ; Détestée parce qu’injuste et fixé arbitrairement, c’est-à-dire sans aucune corrélation avec le prix du sel, sans rapport avec sa consommation et différent selon les régions.

    De plus, le sel était une denrée de première nécessité car il était presque le seul moyen de conserver les aliments et il constituait également un élément nutritif indispensable pour le bétail.


L'impôt sur le sel et les limites territoriales de la gabelle

    L'impôt sur le sel est très inégalement levé suivant les régions. Une ordonnance royale de mai 1680 distingue six ensembles (ou « pays ») différents.

    Les pays de « grande gabelle » : grand bassin parisien, Orléanais, Berry, Touraine, Picardie, Champagne, Bourgogne, généralités de Caen et de Rouen, alimentés en sel par l'Atlantique, les prix y sont élevés et ils supportent l'essentiel de l'impôt.

    Les pays de « petite gabelle » : du Languedoc au Lyonnais, Bresse, Dauphiné, Provence, alimentés par le sel de Méditerranée abondant et bon marché, la consommation y est libre mais relativement coûteuse.

    Les pays « rédimés », ayant acheté une exemption de taxe à perpétuité par un versement forfaitaire sous Henri II : Poitou, Limousin, Périgord, Quercy, Bordelais, Guyenne, Basse Auvergne ; le sel est très bon marché et la consommation importante.

    Les pays de « salines » : Lorraine, Alsace, Franche Comté consomment du sel bon marché provenant de sources salées ou de gisements de sel gemme.

    Les pays de « quart-bouillon » : Basse Normandie, on y fait bouillir le sable salé en payant une taxe (quart du prix).

    Les pays « exempts » : Bretagne, Flandre, Hainaut, Béarn, Navarre, Corse, île de Ré, île d'Oléron ; le commerce du sel y est libre et exempté de taxes.

    Vous pouvez lire un article fort bien documenté à propos de la gabelle, sur le site de Futura Science, en cliquant sur la carte ci-dessous :

Carte simplifiée des gabelles en France au XVIIIe siècle. Auteur Boldair.


Le principe de l'affermage.

    Ce système de délégation d’un service public existe toujours de nos jours. La société privée qui remporte un contrat d’affermage à la suite d'un appel d’offres pour l’obtention d’un marché public, s'engage à gérer un service public, à ses risques et périls (il y a peu de risques, croyez-moi), contre une rémunération versée par les usagers. Le fermier, reverse alors à la personne publique une redevance destinée à contribuer à l’amortissement des investissements qu’elle a réalisés. Le financement des ouvrages est à la charge de la personne publique mais le fermier peut parfois participer à leur modernisation ou leur extension.

    Il existe une variante à ce type de marché d'exploitation. C'est la concession. La concession est un contrat par lequel la collectivité publique confie à une société (personne morale tierce, de droit privé ou de droit public), la réalisation de travaux ou l’achat des moyens liés à l’établissement du service public et l’exploitation de ce même service. Cette personne morale finance, réalise et exploite le service public à ses risques et périls (comme sous l’ancien régime) - elle agit pour son propre compte, sous le contrôle de la collectivité (mais bien sûr…).

    Des groupes privés comme Suez, Engie, Véolia, Eiffage et autres, ont bâti leurs fortunes en exploitant de cette façon de nombreux services publics, comme des réseaux de distribution de l’eau, ou en construisant des autoroutes ou des stades. Il faut tout de même savoir, que les coûts finaux de ces services publics délégués, sont plus onéreux que lorsqu’ils sont portés par une collectivité. D’une part parce qu’ils doivent rémunérer leurs actionnaires et d’autre part parce qu’ils empruntent aux taux des marchés pour financer les installations ; Alors qu’une collectivité ne rémunère pas d’actionnaires et qu’elle peut emprunter à des taux bien plus bas. Le seul avantage, c’est que la dette publique (plus importante) est étalée sur une plus longue période...

    La perception de la gabelle était donc affermée, c’est-à-dire qu’elle était confiée à des intermédiaires financiers qui avançaient chaque année le revenu global de la gabelle au roi, et qui se remboursaient ensuite sur la vente du sel à la population.

    Ce principe d’affermage était le même que celui des barrières d’octroi, ces péages enserrant les villes, tenus par les fermiers généraux qui percevaient des taxes sur tous les produits entrants. Vous pouvez lire à la fin de l’article un paragraphe expliquant le principe de l’affermage, une forme de délégation de service public qui existe toujours.

    Souvenons-nous que dans la nuit du 13 au 14 juillet, les Parisiens avaient incendié 40 barrières de l’octroi sur 54, du mur des fermiers généraux qui entourait Paris.

Rétablissement des barrières d'octroi...

    Au passage je vous informe que ce 24 octobre, le Comité militaire de la Commune de Paris décide la création d’un corps de chasseurs des barrières destiné à réprimer l’entrée en fraude de marchandises dans la capitale, parce que, oui, bien sûr, les barrières de perception des taxes ont été rétablies…

L’Assemblée nationale et l'assemblée provinciale d'Anjou

    L’Assemblée nationale avait adopté le 21 septembre 1789 un décret sur la suppression de la gabelle. Mais ledit décret disait bien dans son article 2 que la gabelle ne serait supprimée que lorsque son remplacement en aurait été concerté et assuré avec les assemblées provinciales.

L’article 3 prévoyait que provisoirement et à compter du 1er octobre prochain, le sel ne serait plus payé que trente livres par quintal, poids de marc, ou six sous la livre de seize onces, dans les greniers de grande et petite gabelle, et que les provinces qui payaient le sel un moindre prix, n'éprouveraient aucune augmentation.

Mais cette situation "provisoire" était loin de satisfaire la population, plus particulièrement celle de l’Anjou. Raison pour laquelle des députés de cette province viennent lire ce 24 octobre une adresse fort inquiétante à ce sujet devant l’Assemblée.

Entrepôt de sel dans une grotte

Voici un extrait de l’adresse lue devant l’Assemblée par les députés de la province d’Anjou, au sujet des gabelles :

Les députés extraordinaires de la province d'Anjou, qui avaient été annoncés la veille, ont été introduits, et l'un d'eux portant la parole, a dit :

Nosseigneurs, la province d'Anjou, persuadée que la volonté générale, exprimée par les représentants de la nation, doit être pour elle la voix du ciel même, a juré d'obéir respectueusement à vos décrets, d'en maintenir l'exécution par tous les moyens qui sont en sa puissance, et nous sommes chargés de déposer ses serments solennels dans le sein de votre auguste Assemblée.

Mais, Nosseigneurs, si l'Anjou a reçu avec la plus vive reconnaissance tous les décrets émanés de votre sagesse pour le bonheur des peuples et la prospérité de l'empire, il est impossible de dissimuler que votre arrêté du 23 septembre dernier, qui rétablit provisoirement la gabelle, a produit un effet contraire à vos intentions et à l'esprit qui l'a dicté.

Tous les citoyens éclairés ont senti qu'en décrétant le rétablissement provisoire de la gabelle, vous avez été déterminés par des circonstances impérieuses, et par la difficulté de remplacer, quant à présent, d'une manière efficace et générale, un impôt nécessaire pour alimenter le Trésor public, et assurer la dette nationale.

Mais le peuple, incapable d'atteindre à la hauteur de vos idées, et d'en mesurer l'ensemble et l'étendue, n'a vu, dans votre décret, que la conservation d'un régime oppressif, et qui lui est insupportable.

En vain lui a-t-on dit que vous veniez au secours des contribuables en adoucissant le régime des gabelles ; que vous en promettiez une délivrance prochaine ; que le prix du sel était diminué de moitié ; que vous aviez sévèrement défendu ces visites inquisitoriales et tyranniques qui alarmaient les campagnes, et jetaient la terreur parmi leurs habitants ; que vous aviez aboli les peines atroces qui, en assimilant le contrebandier à l'assassin, le déterminaient à le devenir ;

En vain lui a-t-on dit que vous aviez supprimé ces tribunaux de sang où des agents du fisc, stipendiés par la ferme, et érigés par elle en juges suprêmes de la vie des hommes, dévouaient à la mort ceux qui, avec violence, ou port d'armes, tentaient d'introduire une denrée nécessaire.

Un cri terrible et universel de proscription s'est élevé contre la gabelle. Soixante mille habitants qui composent la garde nationale de l'Anjou se sont armés.

Les barrières ont été renversées, les pataches détruites, les bacs brûlés.

Il a été fait défenses aux directeurs et aux receveurs de faire aucunes fonctions. Les armes et les chevaux des employés ont été vendus à l'encan. Le prix leur en a été distribué, et il leur a été enjoint de sortir dans le délai de trois jours des villes, bourgs et villages de l'Anjou.

Toute perception d'impôt a été ensuite interrompue. Les collecteurs de la taille, les préposés au recouvrement des vingtièmes, ont cessé de recevoir les contributions des redevables, et les habitants des villes et des campagnes ont déclaré qu'ils ne payeraient aucune espèce d'impôt, tant qu'on voudrait les assujettir au régime même adouci de la gabelle.

Le comité général d'Angers, justement effrayé de cette explosion populaire, a vu avec douleur que la proscription de la gabelle allait entraîner celle des autres impôts de l'Anjou, qui s'élèvent à plus de 12 millions ; que ce malheur serait extrême et irréparable dans un moment où les besoins de l'Etat nécessitent des secours extraordinaires.

Il a considéré que l'Anjou se préparait à donner un exemple d'insurrection contagieux pour les autres provinces, et qu'une étincelle pouvait occasionner un embrasement général.

La suite ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5231_t1_0515_0000_5

 

    Vous pouvez si vous le souhaitez lire les observations faites par le duc de Liancourt sur ces réclamations de la province d'Anjou par le lien ci-dessous :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6423_t1_0522_0000_4

En voici la fin :

(…) Ce n'est donc pas un décret absolu qu'a prononcé l'assemblée d'Anjou, c'est un arrêté provisoire, en attendant qu'elle pût connaître les intentions des représentants de la nation, que le péril de la province n'avait pas permis de consulter avant de prononcer sur cette importante affaire ; c'est une véritable pétition à laquelle l'Assemblée nationale est suppliée de faire droit, et qui peut d'autant moins être considérée autrement, que l'assemblée d'Anjou ne pour être regardée que comme une assemblée de contribuables, et non comme une assemblée politique.

Si l'Assemblée nationale considère cette, affaire sous le rapport de finances, elle reconnaîtra :

1° que la province d'Anjou proposant de payer le sel à 60 livres le minot, au lieu de 30, augmente la recette du Trésor public du double de ce que ses décrets avaient prononcé ;

2° que cette province, limitrophe de la Bretagne, ne fait, en obtenant cette faveur, courir aucun danger à la recette de l'impôt du sel pour les autres provinces, puisque les barrières qui assurent cette perception, placées en deçà de ses limites, ne laisseront pas passer avec plus de facilité le sel de l'Anjou au Maine et en Touraine qu'elles ne le laissaient pénétrer en Bretagne et en Anjou ;

3° que les limites de la province d'Anjou très-peu plus étendue du côté où les barrières devront être posées aujourd'hui, que du côté de la Bretagne, augmenteront à peine les dépenses du fisc, par l'établissement d'un plus grand nombre de barrières, et augmenteront de beaucoup son revenu ;

4° enfin, que l'exemple de l'Anjou, applicable seulement aux provinces voisines de provinces franches, ne serait que d'un très-grand avantage s'il était successivement imité dans tout le royaume, et amènerait ainsi, de la manière la plus complète, le remplacement général de la gabelle, tant désiré par l'Assemblée nationale, et dont elle n'osait pas se promettre la possibilité, ou au moins la prompte exécution.

D'après toutes ces réflexions, je conclus :

1° à ce que l'Assemblée nationale ne considérant l'arrêté du 6 octobre, de la province d'Anjou, que comme une pétition, elle le renvoie au pouvoir exécutif, pour, par lui, prononcer ce qu'il avisera ;

2° Qu'elle ordonne sur-le-champ la séparation prompte de cette assemblée, dans le terme de son décret du 26 octobre dernier ;

3° Que le président soit chargé de répondre aux députés d'Anjou, que si elle eût pu considérer l'arrêté de la province autrement que comme une pétition, elle aurait vu avec un grand mécontentement une transgression formelle à ses décrets, que toutes les parties du royaume doivent profondément et unanimement respecter, et que sans doute la province d'Anjou, si connue par son attachement aux lois et au Roi, n'a pas la volonté d'enfreindre ; mais que cet arrêté , considéré même comme une pétition, porte, dans ses expressions et dans son style, un caractère d'ordonnance que l'Assemblée nationale désapprouve, et qui n'ajoute qu'une forme disconvenante, mais absolument inutile à la demande qu'elle renferme.


    


24 Octobre 1789 : Crise des subsistances, les ministres du Roi mettent les députés devant leurs responsabilités

Affiche du Comité provisoire
des subsistances du 3 août 1789

    Ce 24 octobre, le Président de l’Assemblée nationale constituante annonce qu'on vient de lui remettre un mémoire sur les moyens d’assurer les subsistances, rédigé par les ministres du Roi, en relation avec le décret les concernant, publié le 21 de ce mois.

Le seul décret adopté le 21 octobre étant celui concernant la loi martiale, nous pouvons en déduire qu’il s’agit plus probablement du décret adopté le 20 octobre. Celui proposé par M. Target à l’attention du Conseil d’Etat du Roi, c’est-à-dire à ses ministres. Il est bref, le voici :

«L'Assemblée nationale a décrété que, jusqu'à ce qu'elle ait organisé le pouvoir judiciaire et celui d'administration, le conseil du Roi sera autorisé à prononcer sur les instances qui y sont actuellement pendantes, et qu'au surplus, il continuera provisoirement ses fonctions comme par le passé, à l'exception néanmoins des arrêts de propre mouvement, ainsi que des évocations avec retenue du fond des affaires, lesquels ne pourront plus avoir lieu à compter de ce jour ; mais le Roi pourra toujours ordonner les proclamations nécessaires pour procurer et assurer l'exécution littérale de la loi. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5202_t1_0467_0000_9

Vous avez bien lu, le conseil au roi sera "autorisé", il continuera "provisoirement" ses fonctions ! En résumé, les ministres du roi, et par la même le roi, ont leurs pouvoirs considérablement réduits !

Jean-Louis Emmery

    Convenez que les ministres du roi, de même que le roi, n’ont guère dû apprécier ce décret. 
    A cette irritation légitime, a dû s’ajouter celle produite par les critiques émises, durant la séance du 13 octobre, où a eu lieu la discussion 1789 relative à la suppression du comité des subsistances. Monsieur le député Emmery y a dénoncé les agents du pouvoir exécutif chargés de surveiller l'exécution des décrets de l'Assemblée, il a demandé qu'il leur soit ordonné de les exécuter avec exactitude, et a fait adopter la proposition de supprimer le comité de subsistances, comme étant le seul moyen d'ôter aux ministres les prétextes dont ils pourraient couvrir leur négligence !

Accéder à la discussion du 13 octobre sur la suppression du comité des subsistances par le lien suivant :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5171_t1_0440_0000_6

Ce mémoire a été signé par les ministres suivants : I ‘archevêque de Bordeaux, le maréchal de Beauvau, le comte de Montmorin, le comte de La Luzerne, Necker, le comte de Saint-Priest, l'ancien archevêque de Vienne et le comte de La Tour-du-Pin.

Il est d’un très grand intérêt car on y découvre :

1/ la situation dans laquelle se trouve le royaume, mais aussi celle des pays avoisinants.

« (...) Les suppléments que fournissent les pays étrangers n'ont point de proportion avec les besoins journaliers de vingt-six millions d'âmes ; ils n'en ont même aucune avec la consommation annuelle de la capitale, puisque cette consommation, aujourd'hui de plus de trois mille setiers par jour, et naguère de quatre mille, forme dans le cours d'une année une quantité immense. Cependant, les pays qui nous avoisinent ne nous offrent aucun secours ; l'Espagne et la Suisse ont des besoins continuels ; les Etats d'Allemagne qui touchent à nos frontières, ont presque tous interdit l'exportation, et la Lorraine et le pays Messin y cherchent en vain des secours suffisants ; la Flandre autrichienne, réduite au simple nécessaire, est forcée d'adopter le même système. La liberté d'exportation qu'on avait espérée d'Angleterre n'a point encore eu lieu. Le roi de Prusse vient de défendre la sortie des grains de tous ses Etats ; les marchés de Hollande sont épuisés ; et l'on y attend avec impatience des secours du Nord, mais ils ne seront abondants qu'après l'hiver et à l'époque de la fonte des glaces.(...) »

2/ Les efforts faits par le roi et ses ministres pour remédier à la situation.

« (...) On a proposé de donner une prime aux boulangers, on a proposé de leur faire des avances. Le Roi a consenti à tous ces sacrifices. Il y a eu une différence considérable entre les prix d'achat et les prix de vente : le Roi l'a supportée, et tous les frais de voiture, d'escorte et de manutention sont encore retombés à la charge du Trésor royal. Ce Trésor n'est pas riche, vous le savez bien, Messieurs, et le numéraire effectif surtout est d'une rareté extrême. Cependant, quand il faut des fonds dans quelque localité, les représentants de la commune s'adressent au gouvernement, et il met toujours ces sortes de demandes au rang de ses dépenses les plus pressées.

On a mis récemment sous les yeux du Roi l'état de tous les vaisseaux expédiés pour le compte de Sa Majesté, depuis la fin de l'année dernière avec la destination pour les deux ports seulement du Havre et de Rouen ; leur nombre se monte à 502, et les approvisionnements qu'ils ont apportés s'élèvent à plus de 23 millions. Paris eût donc été livré à la plus affreuse famine, sans les soins paternels de Sa Majesté ; et si le ministre des Finances consentait à vous instruire des moyens personnels dont il a fait usage pour procurer de si puissants secours au milieu du discrédit et de la pénurie des finances, vous verriez, Messieurs, que le caractère des hommes doit être mis au nombre des garanties les plus dignes d'attention. (...) » 

3/ La fameuse réforme économique relative à la libre circulation des grains (si chère aux physiocrates) continue de poser des problèmes, comme lorsque Turgot l’avait mise en application (guerre des farines).

« (…) il est connu du gouvernement que les obstacles apportés à la libre circulation contrarient à chaque instant ses mesures, et presque toute la France est exposée aux mêmes traverses. Vous avez confirmé par deux décrets les lois qui ont ordonné depuis longtemps la pleine liberté de la circulation des grains, et vous êtes sûrement instruits de la résistance formelle qu'on oppose à ces décrets dans la plupart des provinces.

Le Roussillon refuse au Languedoc les secours dont il a besoin ; le Haut-Languedoc prend de l'ombrage des secours que le reste de la province lui demande. Le Lyonnais n'obtient qu'avec des peines infinies de légers secours de la Bourgogne ; le Dauphiné se cerne en conséquence. D'autres provinces suivent le même exemple ; et le Havre, Caudebec et Rouen ont retenu et retiennent encore une partie des approvisionnements achetés par le Roi, pour le secours de la ville de Paris. On ne finirait point, Messieurs, si l'on entrait dans le détail des résistances qu'opposent non-seulement les provinces, mais encore les municipalités et souvent les plus petits villages à la libre circulation des grains. Les alarmes que la mauvaise récolte de l'année dernière a occasionnées ont fait une impression si vive, que chacun craint de n'avoir pas son approvisionnement de l'année, et refuse de secourir ses voisins (...) »

4/ La France est au bord du chaos, du fait que plus aucune autorité n’est en pouvoir de se faire respecter.

«(...) Toute la France est en armes. Les chefs des milices n'ont point été nommés par le Roi et ils ne reçoivent point ses ordres directs. L'ancienne subordination des troupes est attaquée par des insinuations de tout genre. Les tribunaux attentifs à ce qui se passe dans votre Assemblée, sont inquiets de vos dispositions prochaines et leur découragement se manifeste partout. La considération des magistrats, celle même attachée aux grandes places d'administration, s'affaiblit journellement ; et cette autorité morale qui sert de supplément à la puissance réelle, est presque prête à s'éteindre. En même temps la juste liberté de la presse transformée dans une licence sans bornes, livre aux plus infâmes impostures la réputation de tous ceux qui se vouent aux affaires publiques ; et pour en rendre l'effet plus dangereux, on les répand avec art dans les dernières classes du peuple, et on s'efforce de détruire en elles les sentiments d'estime et de respect qui leur servent encore de liens. (...) »

5/ Les ministres du roi renvoient les députés en face de leurs responsabilités et refusent d’endosser la responsabilité d’événement sur lesquels ils n’ont aucun pouvoir de contrôle.

« (...) Que pourriez-vous donc faire, Messieurs, en assez peu de temps, pour demander avec justice que les ministres deviennent responsables de l'exécution des lois !

Ah ! si leur caution pouvait garantir le retour de l'ordre, ils n'hésiteraient pas à la donner au risque de tout ce qui pourrait leur être personnel. D'ailleurs, en aucune espèce d'administration publique, qui pourrait promettre autre chose que le dévouement entier de son zèle et de ses facultés ? On ne demande pas à un général entouré de soldats, qui dans un espace circonscrit obéissent en silence à son commandement, on ne lui demande pas d'être caution du sort d'une bataille ; et à l'instant d'une disjonction générale qui s'étend d'un bout du royaume à l'autre, vous voudriez exiger des ministres du Roi qu'ils indiquassent les moyens à l'aide desquels ils se rendraient garants de l'exécution universelle des lois. Vous trouverez sûrement en y réfléchissant, Messieurs, qu'une telle obligation ne peut leur être imposée.

Les ministres du Roi vous déclarent donc, Messieurs, qu'ils ne contracteront point un pareil engagement et que si vous insistiez à l'exiger, si vous y insistiez avec le vœu de la nation, ils céderaient leurs places aux hommes téméraires qui vous feraient de telles promesses. (...) »

Lecture faite de ce mémoire accablant, Un membre demande de l’Assemblée qu’il soit imprimé et distribué, et le Président consulte l'Assemblée qui décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer.

La totalité du mémoire est consultable par le lien suivant :



vendredi 23 octobre 2020

23 Octobre 1789 : La très risible histoire du "doyen des français", reçu par l’Assemblée nationale

 

    La veille (jeudi 22 octobre), en fin de séance, le Président de l’Assemblée nationale avait annoncé qu'un vieillard de cent vingt ans, natif de Mont-Jura, demandait la permission d'être introduit à la barre, pour "remercier l'Assemblée de l'adoucissement du sort de ses habitants, qui avaient été affranchis par les décrets de l'Assemblée nationale". L’Assemblée avait consenti à ce que cet honorable vieillard fût admis en son sein, lors de la séance du lendemain.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5215_t1_0476_0000_9

    Ce 23 octobre, a été lue en début de séance une missive du Comité d’Alençon à propos d’une fâcherie qui avait opposé celui-ci avec le vicomte de Caraman et les chasseurs de Picardie « Un événement malheureux ayant fait naître des inquiétudes sur le compte de cette troupe, l'alarme étant devenue générale » le Comité regrette d’avoir peut-être suivi « trop promptement le parti d'une défiance mutuelle » ; « mais des explications, que l'agitation des esprits n'avait pu permettre qu'après un certain temps, ont fait que les deux parties sont passées à cette estime réciproque que nous devions toujours conserver ». Comme vous le voyez, tout ne finit pas systématiquement en bain de sang (entre gens bien élevés).

    Mais une fois ce problème si élégamment réglé, le grand moment de la matinée a été l’arrivée du vénérable vieillard de cent vingt ans, annoncée la veille. Celui qu’on appelle déjà le doyen des français, sinon de l’humanité, ne désire rien tant que « de voir l'Assemblée qui a dégagé sa patrie des liens de la servitude ». (On apprendra plus tard, entre autres, qu’il était presque aveugle).

Source BNF Gallica

Voici ce que relate le procès-verbal :

M. l'abbé Grégoire demande qu'en raison du respect qu'a toujours inspiré la vieillesse, l'Assemblée se lève lorsque cet étonnant vieillard entrera.

Cette proposition est accueillie avec transport.

Le vieillard est introduit ; l'Assemblée se lève ; il marche avec des béquilles, conduit et soutenu par sa famille ; il s'assied dans un fauteuil vis-à-vis le bureau et se couvre. La salle retentit d'applaudissements.

Il remet son extrait baptistaire. Il est né à Saint-Sorlin, de Charles-Jacques et de Jeanne Bailly, le 10 octobre 1669.

M. Nairac. Ce vieillard, que la nature a conservé pour être témoin de la régénération de la France et de la liberté de sa patrie, a constamment rempli ses devoirs de citoyen utile jusqu'à cent cinq ans. Le Roi lui a donné une pension de deux cents livres, mais pour que sa famille se souvienne de cette journée, votons parmi nous une contribution qui, quelque modique qu'en soit le produit, rendra plus tranquilles les jours de ce vieillard respectable à tant de titres, et deviendra pour sa famille un précieux héritage.

L'Assemblée charge MM. Les trésoriers des dons patriotiques de recevoir cette contribution.

M. le Président dit que M. Bourdon de la Crosnière, auteur d'un plan d'éducation nationale présenté à l'Assemblée, faisant entrer dans les leçons qu'il donne à la jeunesse le respect pour la vieillesse, demande à s'emparer de l'auguste vieillard qui sera servi dans l'école patriotique par les jeunes élèves de tous les rangs, et surtout par les enfants dont les pères ont été tués à l'attaque de la Bastille.

M. le vicomte de Mirabeau. Faites pour ce vieillard ce que vous voudrez ; mais laissez-le libre.

M. le Président au vieillard. L'Assemblée craint que la longueur de la séance ne vous fatigue, et vous engagea vous retirer. Elle désire que vous jouissiez longtemps du spectacle de votre patrie devenue entièrement libre.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5224_t1_0484_0000_2

Pour mémoire, la délégation des citoyens libres de couleurs, n’avait pas suscité autant d'enthousiasme lorsqu’elle s’était présentée la veille pour demander des droits égaux.

 

Avez-vous été touchés par cette histoire ? 

Ne le soyez pas ! 

Les députés ont été bernés !

    Les adeptes du copier-coller sur Internet, font que vous retrouverez telle quelle, sur de nombreuses pages Web, cette histoire qui ne fut en vérité qu’une mystification.

    Les historiens Antoine de Baecque et Jacques Berlioz, ont sorti l’an dernier un livre aux éditions Tallendier, racontant le détail de cette grosse arnaque : « Jean Jacob, l'homme de 120 ans ».

    Pour les deux historiens, tout est faux, à l'exception des origines franc-comtoises du vieux bonhomme. Jean Jacob ne serait pas né en 1669 mais en 1693 et il était probablement le neveu et même le filleul de l'illustre aïeul tant célébré. C'est la fille du neveu, une dénommée Pierrette, qui aurait volontairement vieilli son père, une usurpation d'identité obtenue grâce à un extrait baptistaire qui fit office de preuve pendant des années.

    L'escroquerie commença en 1785 quand Pierrette Jacob, couturière, demanda une pension pour son père Jean, « âgé de 115 ans », qui selon elle, avait passé « plus de cent ans » comme journalier agricole. Elle joignit pour preuve un extrait de baptême rédigé par un curé tout juste arrivé, qu’il fut s’en doute facile d’abuser. L'administration ne pouvant se déplacer, un avocat fut dépêché au chevet du vieillard qui le trouva « sans rides au front, quoiqu'un peu sourd et aveugle… » Le bon roi Louis XVI accorda un don exceptionnel de 1 200 livres et une pension de 200 livres (une vache et son veau en valant 40 à l'époque). À cela s'ajouta un don sous forme de blé, versé généreusement par la comtesse de Lauragais.

    C’est un journaliste du journal de Paris, Cerutti, qui rendit célèbre le vieillard en 1788, en lui consacrant un long article dans lequel furent rapportées de nombreuses anecdotes dont certaines très fantaisistes.

    C'est ainsi que le pauvre vieux, qui avait malgré tout 97 ans, ce qui était déjà assez étonnant pour l’époque, devient « le doyen des français âgé de 120 ans » ! Sa fille et ses complices décidèrent de faire le voyage à Paris en septembre 1789, pour gagner encore plus d’argent en exhibant le doyen des Français comme une bête de foire. Ils l'installèrent tout près du Palais-Royal, qui à l’époque était le quartier de "toutes" les distractions. Le « vieillard des montages du Mont-Jura » y était visible pour quelques sous, de 10 heures à 19 heures, avec une pause entre 14 et 16 heures…

    Le malheureux ne résista pas bien longtemps à l’atmosphère parisienne, car il mourut en janvier 1790. Il fut cependant inhumé à Saint-Eustache en grande pompe : 80 prêtres officièrent, quarante enfants de chœur chantèrent en portant des cierges, et il fut même honoré d'une salve d'honneur tirée par des hommes de la garde nationale !


Etonnant, non ? 😊


Source https://www.lepoint.fr/histoire/jean-jacob-le-vieillard-qui-escroqua-la-revolution-francaise-27-12-2019-2354973_1615.php

23 Octobre 1789 : Le port de la cocarde pose problème sur l’île de Robinson Crusoe, Tabago !


    Ce 23 octobre 1789, des colons de l’île de Tabago se sont réunis à Port-Louis pour élire des députés à l’Assemblée nationale. Tabago, aujourd’hui connue sous le nom de Tobago (d’une superficie de 300 km2), est l’une des deux îles principales de l’archipel de la Trinité-Tabago, situé dans les Petites Antilles. Elle est située à 35 km au sud-sud-ouest de l’île de la Trinité. En bas à droite sur la carte ci-dessous :

Carte des Isles Antilles

    Le gouverneur, le chevalier de Jobal, ayant tenté d’interdire cette manifestation, celle-ci a eu lieu dans une atmosphère très orageuse. La population de cette île des petites Antilles est en effet très divisée sur le port de la cocarde. Les colons d’origine française ont voulu l’imposer, ce qui a déplu aux colons de vieille souche, d’origine écossaise, qui ont juré fidélité au roi. Il faut savoir que cette île, était encore une colonie anglaise quelques années auparavant. Ce qui explique que les colons les plus anciens aient été écossais. De plus l’attachement des Ecossais à la couronne royale française est réputé, puisqu’il remonte à la guerre de cent ans, au cours de laquelle les Ecossais combattirent contre les Anglais au côté des Français !

Le comte de Grasse

    Tobago était redevenue française durant la guerre d’Indépendance des Etats Unis d’Amérique, à laquelle la France avait participé (et qui fût l’une des causes de sa ruine financière, tant elle y dépensa d’argent). 

    L’armée française participa à de nombreuses batailles décisives, tant sur la mer que sur la terre ferme. Tobago fut prise par la marine française commandée par le comte de Grasse, qui débarqua sur l’île les troupes commandées par le marquis de Bouillé. Le siège de la ville débuta le 24 mai 1781, et malgré un renfort anglais envoyé par l’amiral Rodney le 27 mai, la ville fut prise par les Français le 2 juin 1781.

La prise de Tabago en 1781

    Je vous invite à consulter cette page où l'on peut admirer de belles gravures illustrant des batailles de la guerre d'indépendance américaine : 
https://usindependancelexpo.wordpress.com/dans-la-tourmente/sous-le-feu-des-canons/mille-et-une-batailles/

    L’île de Tabago redeviendra définitivement anglaise en 1793 et reprendra le nom de Tobago (hormis une très courte période de nouveau française en 1802, suite au Traité d’Amiens).

    C’est sur cette île que Daniel Defoe a placé l'aventure de son célèbre Robinson Crusoe.

Edition de 1719 de Robinson Crusoe

    Vous trouverez de précieuse informations sur l'histoire mouvementée de cette île au 18ème siècle dans cet excellent livre en cliquant sur l'image ci-dessous :



23 Octobre 1789 : Mon enquête sur "l’affaire Robespierre". Le Journal de Paris a-t-il dit la vérité ?

Article mis à jour le 24/10/2022


    Si vous vous intéressez à la Révolution française (vous êtes au bon endroit), peut-être avez-vous déjà vu, lu ou entendu, cette référence à un article évoquant une intervention de Robespierre, publié dans le Journal de Paris, en date du 28 octobre 1789, relatant la séance tenue à l’Assemblée nationale, la veille ?

La voici :

« On pouvait lire dans le journal de Paris du 28 octobre, dans le compte rendu de la séance du 27 octobre à l'assemblée nationale : "Hier, monsieur Robespierre, est encore monté à la tribune. On s'est rapidement aperçu qu'il voulait encore parler en faveur des pauvres. Et on lui a coupé la parole."

Henri Guillemin
    Cette référence vient de l’historien Henri Guillemin, dont les conférences qu’il donnait dans les années 70, sont fort heureusement sorties de l’oubli grâce à Internet. Il a eu en effet le mérite de donner une lecture légèrement différente de la Révolution française, et qui plus est, passionnante, car c’était aussi un excellent conteur. Dans le cas présent, il s'agit de sa conférence sur Robespierre.

    Ne trouvant aucune référence ailleurs que dans sa conférence, sur ce qu'aurait dit ou pas Robespierre ce jour-là, j’ai donc recherché de mon côté. Cela m’a pris un peu de temps, mais, à ma grande joie, j’ai fini par trouver, et ce, grâce à notre ami Google ! 😀


Vous allez voir que nous allons aller de surprises en surprises !!!

    Tout d’abord, l’article existe bien, mais il se trouve dans le numéro 296 du 23 octobre du Journal de Paris, relatant la séance du 22, et pas dans le N°301 de du 28 octobre (petite erreur de mémoire, puisqu'il s'agit d'une conférence). Le sujet principal abordé ce jour-là par l’Assemblée nationale était de décider quelles seraient les conditions pour être éligible aux assemblées municipales.

J’avoue que je ne suis pas peu fier de vous montrer cet article ! 😍

Voici le lien permettant d’y accéder (page 1360) :

Et vous trouverez même en bas de mon article une fenêtre sur le document scanné !

Voici le fameux extrait :

« Monsieur de Robespierre a voulu traiter de la question avec étendue. On a vu assez promptement qu’il allait parler pour les pauvres, qui, n’ayant rien, ne payent rien. On lui a coupé la parole, il l’a reprise ; on la lui a coupée encore, il est descendu de la tribune & n’a plus voulu y remonter.

M. Dupont a pris sa place : il a rappelé l’ancienne distinction connue dans nos anciennes lois, de Manants & d’Habitants, & il a voulu que les Manants seuls jouissent du droit d’Election & de Cité. »

Petit aparté : Concernant cette expression de manant, ne vous méprenez pas. Sous l’ancien régime, « manant » signifiait celui qui demeure (pensez à manoir) ; de là il avait pris le sens de domicilié, aisé, riche. Ce mot a ensuite perdu son sens premier, et par un mouvement inverse, il a pris le sens d'habitant de la campagne, de vilain, puis celui d'homme grossier. Les mots, eux aussi, ont parfois une vie pleine de contrastes ! Mais lisez plus avant, vous allez voir !...


Revenons à cet article. On peut y lire un peu plus loin :

« M. Formont, l’un des Députés de la Bretagne, a opiné comme M. Du Port & comme M. De Robespierre, pour égaler les droits de l’homme pauvre aux droits de l’homme riche.

Un grand nombre d’autres Députés demandaient & avaient la parole. On a prétendu que la discussion était épuisée, & on a voulu qu’on allât aux voix. »

    Concernant M. Du Port, l’article précise que c’était lui qui avait parlé en premier : « pour dire que ce seraient dépouiller l’homme des droits qu’on lui a reconnus dans la déclara de l’exclure de tout concours à la représentation lorsqu’il est hors d’état de payer une contribution quelconque ; que si on redoute des élections faites en partie par des hommes sans fortune, ces élections primaires s’épureront dans le second degré des élections. »

(Nous remarquerons au passage que c’est le système que les "pères fondateurs" américains ont choisi, à savoir que le suffrage universel ne sert qu’à élire de « grands électeurs », qui finissent par voter pour le président.)

    Mais en fait, il semble que c’est l’abbé Grégoire qui a parlé le premier, d’après ce que nous relate le procès-verbal de cette séance à l’Assemblé nationale !

« M. l'abbé Grégoire attaque cet article ; il redoute l'aristocratie des riches, fait valoir les droits des pauvres, et pense que pour être électeur ou éligible dans une assemblée primaire, il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un cœur français. »

 

C’est là que cela devient aussi étrange qu’intéressant !

    Pourquoi étrange ? Mais parce que je vous ai déjà rendu compte de cet échange dans mon article du 22 octobre ! Vous allez y retrouver l’intégralité de la discussion des députés, telle que rapportée dans le procès-verbal !

    Et ce qui est vraiment étrange, c’est que selon le procès-verbal, Robespierre semble avoir pu s’exprimer sans être interrompu !

Voici même ce qu’il est censé avoir dit :

    « Tous les citoyens, quels qu'ils soient, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation. Rien n'est plus conforme à votre déclaration des droits, devant laquelle tout privilège, toute distinction, toute exception doivent disparaître. La Constitution établit que la souveraineté réside dans le peuple, dans tous les individus du peuple. Chaque individu a donc droit de concourir à la loi par laquelle il est obligé, et à l'administration de la chose publique, qui est la sienne. Sinon, il n'est pas vrai que tous les hommes sont égaux en droits, que tout homme est citoyen. Si celui qui ne paye qu'une imposition équivalente à une journée de travail a moins de droit que celui qui paye la valeur de trois journées de travail, celui qui paye celle de dix journées a plus de droit que celui dont l'imposition équivaut seulement à la valeur de trois ; dès lors celui qui a 100,000 livres de rente a cent fois autant de droit que celui qui n'a que 1,000 livres de revenu. Il résulte de tous vos décrets que chaque citoyen a le droit de concourir à la loi, et dès lors celui d'être électeur ou éligible, sans distinction de fortune. »

    Ce qui est également étonnant, c’est que Monsieur Dupont de Nemours, qui effectivement parle après lui, n’évoque ni Manants ni Habitants, comme le dit l’article dans le journal de Paris. Cependant, indirectement, il nous fait mieux comprendre ce qu’est un manant. Lisez l’extrait du PV :

« Pour être éligible, la seule question est de savoir si l'on paraît avoir des qualités suffisantes aux yeux des électeurs. Pour être électeur il faut avoir une propriété, il faut avoir un manoir. »

    Vous avez compris ? Un manant est celui qui possède en fait un manoir, c’est-à-dire un propriétaire, qui plus est, aisé.

 

Conclusion ?

    Vous voici confrontés au genre de problème auquel les historiens doivent souvent faire face lorsqu’ils comparent des sources ; du moins ceux qui font vraiment leur boulot.

De la constatation que nous venons de faire, découlent en effet de nombreuses questions :

  • Robespierre a-t-il été interrompu par deux fois, sans pouvoir s’exprimer, ou a-t-il pu dire ce qu’il avait à dire ?
  • Qui, du journaliste au Journal de Paris, ou du greffier rédigeant le procès-verbal, a dit la vérité ?
  • Pourquoi le journaliste aurait-il inventé un pareil incident de séance ?
  • Pourquoi le greffier aurait-il passé l’incident sous silence ?
  • Les discours tels que rapportés dans les procès-verbaux, c’est-à-dire des textes où les gens parlent comme dans les livres, sont-ils des retranscriptions exactes ?
  • Peut-on imaginer que les députés confient leurs minutes au greffier pour qu’il les retranscrive fidèlement dans son PV ?
  • Tous les historiens se posent-ils ces questions ou s’arrêtent-ils à l’interprétation qui leur convient ?
  • D'autres questions ? 😉


Mise à jour du 24 octobre 2022.

Conclusion, apportée par Robespierre en personne !

    Par suite de la publication de cet article le 22 octobre 2022 sur ma page Facebook, une de mes abonnées, une Italienne passionnée par la Révolution française, Marianna de Candido (qui tient elle-même une page sur Robespierre), m'a signalé une lettre de Robespierre à son ami Buissart, dans laquelle il fait mention de cet incident qui l'a empêché de s'exprimer devant l'Assemblée. L'ombre du doute plane donc sur la probité des greffiers de l'Assemblée nationale...

    Je vous invite à lire cette lettre dans ce nouvel article : "Robespierre voit dans la nouvelle constitution " des vices essentiels qui peuvent empêcher les bons citoyens de se livrer à la joie"


Merci pour votre lecture ! 😊


    Voici la fenêtre donnant accès au Journal de Paris. Je vous conseille de le parcourir, car il y a aussi des infos amusantes.