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samedi 9 octobre 2021

La mode au XVIIIe siècle

Article mis à jour le 01/12/2021

Trop de texte sur ce site ? Ok, alors voici plus de 300 estampes de mode !

    La plus grande partie des gravures de mode que je vous propose dans les 5 albums ci-dessous, a été publiée dans la célèbre "Galerie des Modes et Costumes Français", à Paris, de 1778 à 1787.

    Le premier volume regroupant ces gravures, réalisé en 1779, avait une page de titre agrémentée d'une belle illustration allégorique (voir ci-dessous), ainsi que le titre complet de la collection :

"Gallerie des modes et des costumes français dessinés d'après nature, Gravés par le plus Célèbres Artistes en ce genre, et colorés avec le plus grand soin par Madame Le Beau. Ouvrage commencé en l'année 1778. A Paris, chez les Srs Esnauts et Rapilly rue St. Jacques à la Ville de coutances. Avec priv. Du Roi"

( Galerie des modes et costumes français, tirés d'après nature, gravés par les artistes les plus célèbres de ce milieu, et coloriés à la main avec le plus grand soin par Madame Le Beau ; publication commencée en 1778. Paris, MM. Esnauts et Rapilly, rue Saint-Jacques, à l'enseigne de la Cité des Comptes. Avec privilège du Roi (License du Roi).)

Frontispice de l'ouvrage

    Un point intéressant, c'est que ce long titre (chose courante à l'époque), indique que les gravures de la Galerie (ou Gallerie, selon l'orthographe du XVIIIe siècle) ont été créés "d'après nature" ou "après nature", ce qui signifie qu'elles représentaient ce qui était réellement porté dans les rues de Paris au cours de la dernière partie du XVIIIe siècle.

    Bien qu'elles varient dans leur présentation, la majorité des images sont des tableaux vivants dans lesquels des Parisiens de divers horizons affichent leurs modes quotidiennes. Ces planches ont été réalisées par un groupe d'éminents dessinateurs et graveurs du XVIIIe siècle et sont accompagnées d'un texte descriptif. Bien qu'aucune collection privée ou publique ne possède une édition complète de la Galerie, cette série est largement reconnue pour sa haute valeur esthétique et pour caractère innovant dans le domaine de la gravure de mode. René Colas, qui a compilé en 1933 un ouvrage de référence du costume et de la mode, l'a qualifié de « plus beau recueil existant sur la mode du XVIIIe siècle »

    Je pense que le temps a néanmoins dû faire son tri dans toutes ces gravures. Vous remarquerez qu'il y a peu (voir pas) de gravures de femmes du peuple. On reconnait quelques bourgeoises, et mêmes quelques "hétaïres". On y reconnait même le roi et la reine. Mais la plupart des tenues que vous pourrez voir sont portées par des femmes de la noblesses. Cette mode s'apparente donc à ce que nous appelons de nos jours, la "haute couture".

    Pour vous rappeler à quoi ressemblait l'immense majorité des gens du peuple, je vous invite à consulter ma galerie des "Les cris de Paris, cris des petits métiers, cris du petit peuple". Voici néanmoins une marchande de mode et une couturière allant livrer son ouvrage.

Marchande de mode
Couturière
 
    Petite devinette, dans chacun des albums de la mode féminine et de la mode masculine, vous retrouverez une personne que je n'ai pas su classer. Elle porte un costume d'homme, mais... 😏

    Il vous suffit de cliquer sur les images ci-dessous pour accéder à mes albums en ligne, que je continuerai de compléter au fil du temps. Une fois dans l'album, cliquez sur chaque image pour l'agrandir.


Mode féminine :

Mode masculine :

Mode enfantine :

Coiffures et chapeaux :

    L'album ci-dessous a été mis à jour le 01/12/2021, avec 21 nouvelles estampes de coiffures découvertes sur le site Gallica, grâce à cet intéressant article :"La coiffure, bel art du XVIII siècle".

    Honnêtement, je pense qu'aucune époque n'aura "déliré" autant que le dix-huitième siècle sur le thème de la coiffure ! Un siècle qui avait commencé en 1731 avec le scandale des emperruqués.  Les notes d’un inspecteur de police dénommé Duval, rapportent ce court texte anonyme évoquant ce scandale des fausses chevelures emplies de farine, alors que les pauvres n’avaient pas de pain :

"Dieu nous donne les blés non pour en faire profanations extravagantes, sacrilèges. Les perruques consomment plus d’une livre de farine par jour. C’est un grand scandale. Un grand scandale aussi dans l’Église quand des évêques, ecclésiastiques et religieux portent cet ornement par vanité, osent célébrer nos saints, la tête ainsi couverte avec indécence."

    Ce furent Rose Bertin, la modiste de Marie-Antoinette et Léonard, coiffeur de la Du Barry puis de la reine, qui portèrent aux plus hauts niveaux ces extravagances capillaires.

Je vous propose de consulter les liens ci-dessous, si vous souhaitez en savoir un peu plus :

"Histoire du poil"

"La mode des poufs à la Cour de Marie-Antoinette" (Reine de la mode à défaut d'être une bonne reine de France)

"Les chapeaux sous Louis XVI"

Et voici l'album :


Costume de scènes :




    Alors, d'après vous, la personne sur l'estampe ci-dessous, homme ou femme ?
Je l'ai mise dans chacun des albums de mode masculine et féminine.



    Au fait ! Saviez-vous que la loi interdisant le du port du pantalon par les femmes n'a été abrogée qu'en 2013 ?


mardi 17 août 2021

L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et la raison de l'Algérie comme origine du blé.

Grande première sur https://www.revolutionfrancaise.website/ une historienne de renom, Aurore Chéry, nous rédige un billet concernant un problème que j'ai souvent évoqué sur ce blog, celui du pain.

(Et je vous garantis quelques surprises)

Présentation d'Aurore Chéry

    Aurore Chéry est docteure en histoire moderne et chercheuse associée au LARHRA. Elle a consacré sa thèse de doctorat à l’image de Louis XV et Louis XVI et elle travaille actuellement sur la représentation du pouvoir dans l’Europe du XVIIIe siècle.  

Elle est l’autrice de : 

  • Les Historiens de garde. De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, avec William Blanc et Christophe Naudin, Libertalia, 2016. 

    
    En plus de la lecture de ces deux excellents livres ("Les historiens de garde" est un régal et "L'Intriguant" vous étonnera !). Vous pouvez également avoir un aperçu de ses travaux sur les deux sites suivants :


Les rendez-vous de l'histoire.
Séries de conférences organisées par la ville de Blois et retransmises sur France Culture.

Cliquez sur l'image
pour accéder au site

A l'occasion des 24ème Rendez-vous de l'Histoire de la Ville de Blois, Aurore Chéry a participé à plusieurs conférences parmi lesquelles :




    Aurore Chéry publie de passionnants articles dans la rubrique "A travers champs" du site hypothèses.org.

    Cette rubrique "A travers champs" sous-titrée "Les nouvelles manières d'être historien au XXIe siècle", est totalement en phase avec ma façon de voir l'étude de l'histoire de nos jour. J'avais d'ailleurs évoqué ces jeunes historiennes et historien que je qualifiais de "2.0" en prenant justement l'exemple d'Aurore Chéry, dans un article du 1er Octobre 2020..

    Mais attention, je vous préviens, vous aurez affaire à du lourd dans ces articles ! Ce n'est pas de l'histoire de contes de fées, façon Stéphan et Lorànt 

 Ces jeunes historiens utilisent les techniques nouvelles de recherches et de comparaisons de documents, De plus, (selon moi) nombre d'entre eux abordent les sujets traités, l'esprit débarrassé des guerres idéologiques du passé. Alors attendez-vous à être dérangés par certains articles !

    J'insérerai dans le texte ci-dessous, qu'Aurore Chéry m'a fait l'honneur de rédiger pour mon modeste site, quelques liens vers ses propres articles qu'il vous faudra absolument lire.



PAIN ET ALGERIE EN 1789

Aurore Chéry, le 12 août 2021


    Pour répondre sur la question du pain, que j'avais évoquée dans mon billet du 8 novembre 2020 LA POLICE DES LUMIÈRES ET LE PAIN, ce qui est intéressant à observer, c'est que toutes les justifications arrivent bien après le 14 juillet. C'est ce que vous notez dans votre billet du 10 novembre 2020. La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés?

    Le duc de Liancourt s'exprime sur le sujet devant l'Assemblée le 23 juillet, neuf jours après la prise de la Bastille et alors que tout le royaume s'embrase. Le mal est déjà fait et on annonce enfin que du blé est en cours d'acheminement.

    Si la justification arrive si tardivement, c'est que tout ne s'est pas passé comme prévu pour Louis XVI. Au lendemain de la prise de la Bastille, le roi avait l'intention d'aller à Metz, en laissant penser qu'il avait été enlevé par les aristocrates du parti autrichien (c'est le même plan qu'il reprendra en 1791 et qui échouera à nouveau). 

    Cette situation confuse aurait créé une sorte d'état d'urgence qui aurait enfin exposé les ingérences étrangères, ici autrichiennes, et aurait montré que le roi n'était pas libre. La conséquence qu'il fallait en tirer, c'était qu'il fallait libérer le roi en changeant de régime et en allant vers des républiques inspirées par Sparte, c'est-à-dire égalitaires (sans aristocratie) mais sans éliminer les rois.

    Seulement, Louis XVI n'a pas réussi à aller à Metz. L'aristocratie était menacée par la Grande Peur, mais son rôle vis-à-vis du roi n'avait pas encore été clairement exposé. Elle pouvait donc riposter et le risque c'était qu'elle riposte en rejetant la responsabilité sur le roi en le faisant passer pour fou. 

    Louis XVI a été régulièrement confronté à cette menace depuis le début de son règne, il savait donc à quoi s'en tenir. Or dans l'affaire du 14 juillet, il était facile de démontrer que Louis XVI n'était plus en capacité de gouverner si on montrait qu'il était parfaitement informé du fait que le blé allait manquer et que pourtant, il n'avait rien fait pour réagir.

    Comme je l'ai expliqué dans mon billet du 8 novembre, il était en effet parfaitement informé par la police. Il lui fallait donc se défendre en expliquant qu'il avait essayé de réagir, qu'il avait commandé du blé mais que ce blé n'était tout simplement pas arrivé à temps. Au reste, pour tenter de détourner l'attention, on se met rapidement à accuser des pirates à la solde de l'Angleterre pour ce retard. C'est une méthode dont on a usé et abusé et dont je trouve les traces au moins jusqu'au début de 1793.

    Ce qui montre en outre que Louis XVI n'était pas très soucieux de se débarrasser du problème des disettes, c'est la manière dont il a traîné du pied par rapport à la pomme de terre. 

    J'ai montré notamment que la légende de son soutien enthousiaste à Parmentier avait été montée de toutes pièces par la Restauration. 

Article hélas réservé aux abonnés de Retronews

    Dans les faits, Parmentier lui a présenté un pain de pommes de terre en décembre 1778 et ensuite, il s'est complètement désintéressé de la patate jusqu'en 1789, et ce, bien que Parmentier ait commencé à en planter en 1785. 

Ci-dessous, l'exemplaire recto verso de la Gazette de Paris, du vendredi 18 décembre 1778. Cliquez sur l'image du verso et vous pourrez lire :

"Le pain de pomme de terre qui a été présenté au Roi, & dans lequel il n'entre aucun mélange de grains, est comparable par sa blancheur & sa légèreté au meilleur pain de froment : dans les contrées où la pomme de terre est cultivée en grand & elle peut l'être partout, ce pain ne reviendrait qu'à un sol la livre, & il est possible d'en faire du pain bi, encore plus économique"


    Le mercredi 7 janvier 1789, le sujet de la pomme de terre est de nouveau évoqué dans le Journal de Paris, par la publication d'une lettre de Monsieur Parmentier, adressée aux auteurs du journal et publiée en première page. Dans sa lettre Parmentier explique qu'il est encore possible fabriquer son pain de pommes de terre à partir de tubercules ayant été abimées par le froid. A la fin de sa lettre, il ajoute que des éclaircissements sur son procédé "paraitront incessamment dans un traité sur la culture & les usages des pommes de terres" qu'il rédige par ordre du Roi.

Cliquez sur les images ci-dessous pour lire son courrier :

(Le citoyen Basset possède un exemplaire de ce journal, quelle chance !)


    Louis XVI n'a donc fait que demander à Parmentier que celui-ci lui rédige un traité sur l'usage des pommes de terre, dix ans après que celui-ci lui ait présenté son pain de pommes de terre. A ce moment-là, le roi savait bien que – et c'est le cas de le dire – ça ne mangeait pas de pain. Ce n'est pas le traité de Parmentier qui allait remettre en cause ses plans révolutionnaires pour 1789. En revanche, ça permettait au roi de se couvrir et de laisser penser qu'il ne voulait surtout pas de disettes.

    Le traité est bien paru en 1789. Je n'ai pas réussi à trouver à quelle période de l'année il était paru, mais s'il n'avait été commandé qu'en janvier, il est probable qu'il est lui aussi paru après le 14 juillet 1789.

    En consultant le traité, en ligne sur le site de la BNF, on constate que seule l'année 1789 y figure ( M DCC XXXIX ).  Mais en 1789, ce traité arrivait bien trop tard !

Note de "Basset" : La signature de conformité à l'original remis, du secrétaire perpétuel Broussonet, en date du 20 février 1789 que l'on peut voir en dernière page, ne constitue aucunement la preuve qu'il fut mis sous presse aussitôt. Quand bien même l'eut il été, il était bien trop tard pour que ce traité destiné au Roi et aux savants de l'Académie d'agriculture, puisse être enfin mis en application par des paysans, et puis, ne l'oublions pas ce dernier détail, le marché du blé était un faiseur de fortunes.


    Pour ce qui est de l'Algérie, je pense que ça peut être intéressant de prendre aussi en considération le contexte international. Il y a des liens très anciens entre la France et l'Empire Ottoman que j'ai essayés de résumer dans un billet. Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder : 

Le billet d'Aurore Chéry (Recommandé par Basset)

    On a surtout des situations très proches pour le roi et le sultan. En France, le roi se sentait prisonnier de l'aristocratie, dans l'Empire ottoman, le sultan se sentait prisonnier des janissaires, qui étaient devenus l'aristocratie ottomane au fil du temps. 

    Selon les souverains, la situation était plus ou moins bien vécue mais pour ceux qui la vivaient très mal, la seule solution, c'était de renverser le régime. Et Louis XVI s'entendait très bien avec Sélim III, qui était devenu sultan en 1789 et qu'on a même surnommé le « Louis XVI des Turcs ». 

    Les deux étaient des souverains révolutionnaires. Pour l'Empire ottoman, renverser le régime, ça passait par l'éclatement de l'empire. Ça pouvait donc être très intéressant pour eux deux que la France entretienne des relations avec l'Algérie. En y commandant du blé, la France avait une excuse pour y envoyer de l'argent (il fallait bien payer le blé), et aussi pour y envoyer des armes et des hommes armés puisqu'il fallait protéger les cargaisons des pirates. Cet argent et ces armes pouvaient tout aussi bien servir à alimenter la lutte armée sur place et donc à favoriser l'éclatement de l'empire. De ce fait, en expliquant qu'il avait commandé du blé algérien, Louis XVI se couvrait sur deux points : ce n'était pas lui qui était responsable de la révolution en France et il n'avait pas cherché non plus à financer un mouvement révolutionnaire en Algérie puisque l'argent et les armes, c'était pour le blé. Evidemment, la guerre d'indépendance algérienne a été l'héritière de cette longue histoire.


Aurore Chéry




Post Scriptum :

Je vous conseille la lecture de son très dérangeant, mais passionnant livre sur Louis XVI, "L'intriguant"

mardi 22 décembre 2020

Gare à la Seine, voici la Garre d’eau de l’Hôpital !

Station du métro aérien "Quai de la Gare"

     Il existe à Paris une station sur la ligne 6 du métro, dénommée « Quai de la Gare ». Son nom ne vient pas de la Gare d’Austerlitz toute proche ni d'aucune gare ferroviaire d'ailleurs, mais de l’ancienne gare fluviale, (gare d’eau à l’époque), connue sous le nom de "Gare de l’Hôpital" ou "Gare de la Plaine d’Ivry", construite à la fin du règne de Louis XV ; construite mais jamais achevée...

Une garre avec deux « r ».

    Vous pouvez voir cette gare fluviale sur quelques plans de Paris du XVIIIème siècle, dont celui que je vous propose ci-dessous, qui date de 1792. Vous remarquerez une fois de plus l’orthographe d’époque qui écrit garre, avec deux « r ».

Quartier de la Gare à Paris en 1792
Le plan complet se trouve ici : Plan routier de la Ville et des Faubourgs, 1792.

    J’ai trouvé intéressant de comparer cet extrait d'un plan de 1792, sur laquelle est représentée cette gare fluviale, avec une vue aérienne du Paris de 2020, via Google Earth. On reconnait encore l’hôpital de la Salpêtrière qui existait déjà, ainsi que le « Jardin du Roy », devenu le « Jardin des Plantes ». En revanche, il ne subsiste plus rien de la gare fluviale, si ce n’est le nom du quartier et celui de la station de métro.


    Plus de trace non-plus de la Bièvre, cette petite rivière qui se jetait dans la Seine pas loin dudit jardin du Roy (elle s'écoule à présent dans une conduite sous-terraine). J’ai signalé l’embouchure de celle-ci par un canard, mais j’aurais plutôt dû mettre un castor, puisque le nom de la Bièvre vient du mot gaulois "bebros" désignant les castors. 

    Certains plans anciens de Paris, dont celui-ci, la désignent également sous le nom de rivière des Gobelins. Ces gobelins n’avaient rien à voir avec les trolls folkloriques des contes et légendes, ni avec ceux des jeux vidéo. Les Gobelins étaient une famille de teinturiers d’origine flamande, qui était venue sous le règne du roi François 1er, installer ses ateliers au bord de cette petite rivière, (qui a donc dû en voir de toutes les couleurs).

Un projet original

    L’idée de cette gare était née en 1753 des réflexions d’un dénommé Destouches, qui l’avait soumise à la ville de Paris, sans suites. Sa destination aurait été de permettre à des bateaux de stationner sans risque pour décharger ou embarquer des marchandises. Le bassin ainsi créé aurait été isolé de la Seine par une estacade permettant le halage hors de l’eau des bateaux. Totalement isolé de la Seine, le bassin aurait été approvisionné en eau par la Bièvre toute proche.

    Ce n'est qu'en 1762 qu’un nouveau projet sera finalement retenu, celui de l’architecte Pierre-Louis Moreau-Desproux. Il s’agira d’une gare d’eau d'une superficie de 9 hectares pouvant recevoir jusqu’à 450 bateaux. Située au début du quai d'Ivry, au niveau du bac de la Rapée, la gare serait constituée d’une demi-lune de 270 toises de longueur sur 108 de largeur (1 toise = 1.949 mètre) et environ 5 pieds de profondeur (5 x 0.325 = 1.625m) dans les plus basses eaux. A chaque extrémité se trouveraient deux canaux de chacun de 8 toises de large (15.6m) servant l'un d'entrée et l'autre de sortie, couverts d'un pont de pierre de 4 toises d'épaisseur, à une seule arche, avec escaliers de chaque côté. Ce bassin serait séparé de la rivière par une levée de terre de 6 toises de largeur sur 4 toises de hauteur au-dessus des plus basses eaux, ayant dans son milieu une chaussée de pavé de 4 toises de largeur aboutissant par chaque bout aux ponts, bordée du côté du bassin d'une berge en pente douce de 8 toises de largeur construite en meulière avec mortier, de chaux, de sable, distribuée d'escaliers. La partie circulaire du bassin serait elle aussi, bordée d'une levée de 6 toises avec une chaussée au milieu. Le petit bâtiment que vous voyez sur la carte au milieu de l'arc de cercle aurait abrité le logement du gardien, des bureaux et un corps de garde. 

    Les travaux commencèrent en 1764, mais ils ne furent jamais terminés, même si le projet paraît l'être sur ce plan de 1792. Mais il en va des plans comme d’autres documents, on y représente parfois les choses telles que l’on voudrait qu’elles soient et pas nécessairement telle qu’elles sont. Je vous ai déjà appelé à la prudence concernant ce sujet, avec le magnifique plan de BretezLa preuve en est que sur le plan de Paris en 1797, il n’y a plus aucune trace de cette gare ! Regardez ci-dessous.


Le plan complet se trouve ici : "Plan géométral de Paris et de ses Fauxbourgs", 1797.

    Il vous faudra lire l'article jusqu'au bout pour connaître la cause probable de l'inachèvement de ce chantier. 😉

Fluctuat nec mergitur ?

    Il y a une bonne raison pour laquelle la devise latine de la ville de Paris signifie « Flotte mais ne coule pas » et que son blason représente un bateau. Paris a en effet eu la particularité d’être un port important depuis la plus haute antiquité, si ce n’est même depuis la nuit des temps !

    Parmi les plus vieux monuments gaulois de l’antique Lutèce que l’on ait retrouvés, figure en première place les vestiges morcelés du pilier des nautes, érigé au 1er siècle de notre ère par une riche confrérie de bateliers. 

Plus d’info sur le site du Musée Carnavalet en cliquant sur l’image ci-dessous :

Un élément du pilier des Nautes (1er siècle)

    Quant à "la nuit des temps", sachez qu’ont été retrouvés sur la rive droite de la Seine (en face de la Gare d’eau), lors de la construction du palais omnisports de Bercy, une dizaine de pirogues dont les deux plus anciennes datent de 4800-4300 av. J.-C ! 

Plus d’info sur le site du Musée Carnavalet en cliquant sur l’image ci-dessous :

Pirogue datant du néolithique, trouvée à Bercy

    Revenons à notre 18ème siècle révolutionnaire et amusons-nous à compter le nombre de bateaux dessinés sur le plan de Bretez, que je vous ai précédemment présenté. Le compte achevé, on peut se faire une bonne idée de l’importance de la navigation sur la Seine !

    Pour accéder au magnifique plan complet de la ville, cliquez sur l'image ci-dessous, qui représente l'ile Louvier (qui n'est plus une île depuis 1847).

Extrait du plan de Bretez représentant l'Isle Louvier.

Pourquoi mettre à l’abri les bateaux ?

    Il y avait déjà de nombreux ports à Paris. La fonction de cette gare était principalement de protéger les bateaux qui y seraient halés. Protéger de quoi ? Fort probablement de la glace ! 

    En effet, l’Europe a traversé un petit âge glaciaire durant les XVIIème et XVIIIème siècles. D’après certains chercheurs, en forçant les hommes à s'adapter à des conditions de vie devenues très rudes, cette courte ère glaciaire aurait même conduit aux progrès techniques et politiques du siècle des Lumières ! 

    Ce qui est certain, c’est qu’elle a grandement éprouvé les gens qui l’ont vécue. Le début du XVIIIème siècle avait débuté par le terrible hiver de 1709 et d’autres hivers rigoureux suivirent. Le climat de la France ressemblant tout à coup à celui de la Scandinavie ou du Canada, il devient courant de voir chaque hiver, les fleuves et rivières geler. Lorsque les températures remontaient, la débâcle survenait, c’est-à-dire que les rivières charriaient de gros blocs de glace qui causaient des dégâts importants, maisons sur les rives emportés, ponts brisés et bateaux fracassés.

Je vous renvoie au témoignage de notre ami Colson, en date du 27 Janvier 1789.

Une débâcle.

Mauvais esprit 😈

    D’importantes sommes d’argent ont dû être dépensées en pure perte, sur ce chantier qui occupa par moment jusqu’à 1800 ouvriers !

    Si j’avais mauvais esprit, je dirais qu’il est un peu regrettable qu'il n’ait pas été utilisé pour abriter les malheureux qui vivaient dans des conditions immondes le long des berges de Paris, plutôt que pour protéger les bateaux. Souvenons-nous du témoignage du général Thiébault dans ses mémoires, qui décrit ce qu’il vit à Paris en 1784 : « ces caves infectes où vivaient, le long des quais, cent mille de ces misérables, qui, dix fois l'an, étaient submergés par des pluies ou par les crues de la Seine, et souvent, de nuit, étaient forcés de porter leurs paillasses à la pluie ou dans la boue, pour ne pas être noyés ».

Lire mon article "A propos de la terrible misère au 18ème siècle".


Bon esprit 😇 (me faisant découvrir une cause probable de l'inachèvement du projet)

    En y réfléchissant bien, j'ai fini par deviner la raison probable pour laquelle le projet avait été abandonné. 

    Le mauvais côté de mon expérience professionnelle m'a d'abord fait supposer une sordide affaire de marché public, ou d'entrepreneur mettant la clé sous la porte sans payer les ouvriers. Mais le bon côté de mon expérience d'ingénieur m'a fait repenser aux aspects techniques et réglementaires de certaines opérations de travaux publics que j'ai été amené à conduire, précisément dans cette zone de Paris. En effet, il faut le savoir, ce secteur de Paris, ainsi que celui de la ville limitrophe d'Ivry, se situent en zone inondable. Pour cette raison, tous les projets d'aménagement urbains sont soumis à de strictes contraintes réglementaires, (qui ne vont tout de même pas jusqu'à interdire de construire des quartiers neufs sur lesdites zones).

    Je suis donc allé sur le site de la Préfecture et j'ai récupéré le zonage réglementaire du Plan de Prévention du Risque Inondation. La zone bleue correspond aux zones urbanisées situées en zone inondable. Au sein de cette zone, deux variantes sont définies : une zone bleu sombre, qui correspond à des secteurs de bâtis importants exposés à des niveaux de submersion potentiellement supérieurs à un mètre, et une zone bleu clair correspondant au reste de la zone inondable, exclusion faite des zones verte et rouge. (Voir détail des explication sur le PPRI).

    J'ai représenté sur l'extrait ci-dessous, l'emplacement de l'ancienne gare d'eau. Vous pouvez constater qu'il se trouve en zone inondable...

Extrait du PPRI

Source : Plan PPRI de Paris.

Plus d'infos sur le site de la Préfecture en cliquant sur l'image ci-dessous :


Qui l'eût cru ! (Jeu de mot)

    Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un plan équivalent de celui de l'actuel PPRI, sur lequel était représentée la crue de 1740, la plus importante crue relevée au 18ème siècle !

Regardez vous-même !

Conclusion

    La Seine n'étant régulée à l'époque par aucun bassin de stockage (Voir ce lien), ses crues étaient plus fréquentes et plus importantes que de nos jours (Voir plus haut le témoignage du général Thiébault), sans parler des risques de débâcles de glaces, que le réchauffement climatique a éloigné de nos soucis.

    L'emplacement choisi pour créer cette gare destinée à mettre à l'abri des bateaux était donc loin d'être le meilleur. Il est même fort probable que le chantier lui-même ait été inondé.

    Si quelqu'un m'apporte une autre explication, je lui en serai bien sûr reconnaissant et je mettrai à jour cet article immédiatement. 😊



Post Scriptum : En fait, Paris n'est peut-être pas si "nec mergitur" que ça ! 😉


vendredi 18 décembre 2020

1734-1739, Plan de Paris dessiné par Bretez, dit "Plan de Turgot".

Le cartouche du plan de Bretez.

    J’inaugure cette nouvelle rubrique de mon site, intitulée "Plans et cartes", en vous présentant le fameux plan de Paris réalisé par Louis Bretez. Il est plus connu sous le nom de "plan de Turgot", puisque celui-ci fut dressé à la demande de Michel Étienne Turgot, prévôt des marchands de la capitale.

    Louis Bretez était membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture et professeur de perspective. Il opta pour le système de la « perspective à la cavalière, sans point de vue, ni point de distance ».

   Bretez commença son travail en 1734 et le termina en 1739. Les 20 planches composant la totalité du plan furent ensuite gravées par Claude Lucas et écrites par Aubin.

Le plus beau des plans de Paris !

    C’est probablement le plus beau plan de Paris avant la Révolution. On peut trouver ses 20 planches sur le site Gallica de la BNF. Mais le lien ci-dessous vous envoie sur une page qui vous permettra de survoler à loisir absolument toutes les rues de la capitale en utilisant le zoom (avec la molette de la sourie sur votre ordi ou avec vos doigts sur smartphone) : 

https://www.raremaps.com/gallery/detail/66398/plan-de-paris-commence-lannee-1734-turgot-bretez

    Vous remarquerez qu’il s’agit d’une représentation de Paris "à vue d’oiseau". A vous de jouer au moineau de Paris (il n’y avait pas de pigeons au XVIIIème siècle), et de voleter de-ci de-là !

    Il n’y avait pas de pigeons en effet, ou alors occasionnellement. Ceux-ci ne commencèrent à investir la capitale qu’à la fin du XIXème siècle (apportés dit-on par les maçons italiens venus construire le Paris d'Haussmann.)

    Un dernier petit conseil avant de vous laisser vous envoler. Ne soyez pas dupes de la beauté de cette représentation du Paris de l’Ancien régime. Je veux dire par là, que vu du ciel, le monde est toujours plus beau ! Ce magnifique plan ne laisse évidemment rien deviner de la misère omniprésente à Paris.

    Mais je ne veux gâcher votre plaisir, régalez-vous de ce petit chef-d’œuvre. Nous serons souvent amenés à reparler de ce plan exceptionnel.



C'est toujours un beau livre !

    Je vous conseille la lecture agréablement illustrée, de cet article à propos du chef-d'œuvre de Bretez, sur le blog des éditions Beauchesne qui l'éditent sous forme d'un très beau livre.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :


Le plan en vidéo 3D !

 J'ai découvert pour vous cette vidéo sur Youtube. Il s'agit du projet Bretez, qui a reçu en 2020 la médaille de cristal du CNRS. Son auteur s'est particulièrement attaché au rendu sonore, mais les images n'en sont pas moins de grande qualité.





Cadeau bonus :

    Pour celles et ceux qui aiment les cartes, je vous invite à découvrir les plans de Paris du 14ème au 18ème siècle, sur cette page du site .


mardi 15 décembre 2020

16 Décembre 1789 : Publication d'un rapport anonyme défendant l'idéologie raciste des Colons des Antilles.

 

"Les Mortels sont Egaux. Ce N'est pas la Naissance
C'est La Seule Vertu qui Fait La Différence"

Une lâche réponse à l'abbé Grégoire

    En réponse au plaidoyer contre l'esclavage publié en octobre par l’abbé Grégoire, parait ce 16 décembre 1789 un mémoire anonyme qui attaque les idées abolitionistes de l’Abbé Grégoire. Ce document de 68 pages porte en dernière page les initiales P.U.C.P.D.D.L.M. : signe de reconnaissance pour son ou ses auteurs et ceux qui partagent les idées défendues. Quant aux idées défendues dans ce document, elles constituent la compilation des préjugés racistes qui constituent l'idéologie coloniale.

L'abbé Grégoire

Un sujet de société qui fait débat.

    L'esclavage était un système odieux d'oppression et d'exploitation des hommes qui, déjà à l'époque, blessait la sensibilité de nombre de gens. Son abolition faisait même partie de certaines demandes faites au roi dans les cahiers de doléances rédigés pour les Etats GénérauxSon abolition faisant donc débat, aussi bien au travers de la publications de livres que d'articles dans les journaux. 

Article 29 du cahier de doléances du village de Champagney

    En octobre 1789, l’abbé Grégoire, curé d’Embermesnil, député aux Etats-Généraux, puis à l’Assemblée Nationale Constituante, avait publié le Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de Saint-Domingue, et des autres iles françaises de l’Amérique, adressé à l’Assemblée nationale. C’était la première grande attaque de ce grand homme contre le préjugé de couleur et contre toute l’idéologie raciste développée par les Colons des Antilles. (Saint-Domingue est l'actuelle Haïti).

    L'esclavage était bien en effet une idéologie, car il constituait toute l'architecture de la société coloniale. La grande majorité des Colons ne pouvait concevoir la possibilité de son abolition. Faute de travailler leurs terres, les Colons travaillaient à justifier l'usage et la perpétuation de ce fléau aussi vieux que l'humanité.

    Certains ouvrages faisaient même montre d'une apparence de "compréhension", simulant même un semblant de pitié à l'égard du sort des esclaves et c'était presqu'à regret qu'ils défendaient malgré tout cette abomination. Comme il est difficile de remettre en question un système établi et encore plus difficile de penser contre ses propres préjugés ! Peu de gens en sont capables ! Les Révolutions sont propices à cela...

"Littérature" esclavagiste.

    J'ai trouvé un bon exemple de ce style de "littérature" avec le texte ci-dessous, extrait des pages 12 à 14 du Recueils de pièces imprimées concernant l'esclavage et la Traite des Noirs, l'île de Tobago, Saint Domingue, 1777-1789. Vous allez mieux comprendre la nature du problème.

    Il s'intitule : "Discours sur l’esclavage des Nègres, et sur l’Idée de leur Affranchissement dans les Colonies. Par un Colon de Saint Domingues."

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97892251

"Les Nègres sont esclaves, et vous demandez qu’on les affranchisse. Mais on ne peut le faire qu’en dépouillant les Colons de leurs propriétés. Je n’ai pas besoin de vous prouver, et vous savez déjà qu’elles doivent être sacrées comme toutes les autres (1). Vous croiriez-vous le droit d’enlever ses charrues à un fermier ? Eh bien, ce sont nos instruments de labourage. – Oh ! Des hommes ! Cela fait frémir ; c’est un abus révoltant qu’il faut extirper. – Citoyen indiscret ! Eh bien ! Je vous dis que la Nation assemblée pourrait seule les anéantir ces propriétés, dans le cas où il serait évident que le maintien de l’esclavage fût contraire à l’équité naturelle et aux intérêts de l’État, et que son extinction pût s’opérer sans une lésion manifeste, et sans danger pour les colons, ainsi que pour l’État lui-même.

(1) Le Dr Schwartz, dans son zèle évangélique, non seulement méconnait cette vérité, mais il prétend que l’on doit envisager les colons comme coupables d’un vrai vol, et à ce moyen étant déchus du droit de réclamer aucune indemnité. Pour être conséquent, il ne manquait plus que de demander qu’ils fussent punis comme voleurs.

Nota : Le Docteur Schwartz évoqué ici était le pseudonyme utilisé par Nicolas de Condorcet pour publier son ouvrage : « Réflexions sur l'Esclavage des Nègres » paru en 1781 (accessible en bas de page).

Quant au premier point, qui serait de satisfaire au vœu de l’humanité blessée par l’esclavage des Nègres, chacun sait, et M. l’abbé Raynal lui-même vous a appris que c’était leur état naturel en Afrique. Or maintenant, si mes lecteurs m’ont bien entendu, et s’ils veulent être conséquents, ils conviendront que les Colons ne sont ni causes, ni responsables de cette servitude qu’ils ont trouvée établie, et qui ne fait que se perpétuer dans leurs mains ; pas plus responsables, pas plus criminels qu’un Citoyen possesseur par héritage ou par acquisition d’une terre qui lui produit 40.000 livres de rente, tandis que le plus grand nombre des habitants de son village peut à peine subsister. A qui faut-il s’en prendre ? Ce serait tout au plus à l’Etat qui a permis, favorisé ou toléré ce commerce, et d’abord, dans cette supposition, à moins de renverser toute l’idée d’ordre et de justice, il faudrait qu’il commençât par rembourser la valeur des Nègres, ce qui ne serait qu’une partie du dédommagement exigible, puisque leurs bras seuls peuvent féconder nos terres. Il faudrait donc essuyer le double inconvénient de payer environ un milliard dont les intérêts seraient un accroissement énorme d’impôts pour la Nation, et d’être privé de tous les avantages que donnent les colonies."

La propriété est sacrée ! 

    Le côté sacré de la propriété, évoqué au premier paragraphe était un argument récurrent dans ce débat relatifs à l'esclavage. J’ai déjà évoqué dans un autre article comment le caractère sacré de la propriété avait empêché nombre de réformes envisagées par Louis XVI.     Selon l’abbé Véri, Louis XVI aurait un jour posé cette question à son ministre Turgot après que celui-ci lui ai fait part de la difficulté de réaliser les réformes indispensable au royaume, tout en restant dans le cadre stricte de la loi et du respect des contrats. (page 379 du journal de l'abbé Véri) :

« Parmi les différents qui arrêtent toute mutation, il y a celui de la probité qui doit respecter la foi publique des contrats. On ne peut pas nier que la résiliation d'un bail attaque cette fidélité des contrats. M. Turgot ne méconnaît pas ce cri de l'équité naturelle. Il ne désavoue pas non plus que résilier un bail sans rendre en écus sonnants les fonds que les fermiers généraux ont donnés en avance au Roi ne soit contraire au premier appel de l'équité. Il convient que remettre le remboursement de ces fonds à des termes éloignés en faisant cesser aujourd'hui leur bail, c'est une injustice très apparente. Mais, en faisant ces aveux, voici ses autres observations, que je ne crois pas inutile de mettre dans toute leur étendue.

« Faisons une supposition, m'a-t-il dit, sur un objet absolument étranger. Le Roi juge utile et juste de supprimer l'esclavage des nègres dans les colonies en remboursant leur valeur aux propriétaires. Il ne peut faire ce remboursement que dans dix ans. Faut-il attendre ces dix ans pour produire un bien si considérable que la justice réclame dès aujourd'hui et qui n'aura peut-être jamais lieu si on le laisse à l'incertitude des événements ?

Du risque à reconnaître une injustice dans une société injuste...

    Reconnaître l'injustice de l'esclavage, c'était aussi le risque de devoir reconnaître l'injustice d'autres modes d'exploitation des êtres humains, eux aussi traditionnels et anciens, découlant des injustices sociales. Quid des riches propriétaires bâtissant leurs fortunes sur la peine des pauvres gens ? Vous rendez-vous compte de l'enjeu ? 

    La propriété était si sacrée, qu'à l'instar de la soi-disant abolition des privilèges, accordée lors de la nuit du 4 août 1789 (sous l'effet de la Grande Peur) qui finalement obligeait les opprimés à racheter leur liberté afin de dédommager les privilégiés ; l'abolition de l'esclavage aurait demandé que les Colons propriétaires d'esclaves fussent eux aussi dédommagés !

Analyse du mémoire anonyme par l'historienne Florence Gauthier

    Je n'ai pu trouver ce mémoire anonyme sur le WEB. En revanche j'ai découvert cette brillante analyse sur le site Open Édition. Florence Gauthier est historienne, spécialiste du XVIIIe siècle, maître de conférences à Paris VII, auteur entre autres de "La voix paysanne dans la Révolution". Ce texte constitue le chapitre 3 de son livre :"L'aristocratie de l'épiderme - Le combat de la société des Citoyens de Couleur, 1789 - 1791."

Vous pouvez accéder à ce texte via la fenêtre ci-dessous :

Je vous conseille bien évidemment d'acheter et lire ce livre !


Une vidéo en noir et blanc sur l'esclavage.

    Au cours de mes recherches, j'ai découvert cette vidéo sur le site de la BNF. Elle dure 26 minutes. Je vous conseille vivement de la regarder. Elle est pour le moins édifiante. Vous allez probablement être choqué par ce que vous allez apprendre.


Sources :

Quelques-uns des livres évoqués :

Le journal de l'abbé Veri.


Le livre de l'abbé Grégoire.


Le livre de Condorcet.


Discours sur l'esclavage des Nègres (défense de l'esclavage)


Bibliothèque de Moreau de Saint Merry :